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Date : 20110622

Dossier : T‑1634‑10

Référence : 2011 CF 745

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2011

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

M. JORDAN J. MCBAIN

 

demandeur

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision du 30 août 2010 par laquelle le Directeur général de l’Autorité des griefs des Forces canadiennes (l’Autorité de dernière instance en matière de griefs) a rejeté le grief du demandeur réclamant que soient écartés et détruits tous les documents concernant [traduction] « la mise en garde et la surveillance » qui lui ont été imposées pour usage de drogues, nommément de stéroïdes anabolisants.

 

[2]               L’affaire est portée devant la Cour en vertu de l’article 29.15 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N‑5, qui prévoit que la décision rendue par une autorité de dernière instance est définitive et exécutoire, sous réserve du contrôle judiciaire porté devant la Cour.

 

CONTEXTE

[3]               Entre septembre 2004 et avril 2005, le demandeur terminait sa dernière année dans un programme d’ingénierie et de gestion de l’Université McMaster à Hamilton. Il était inscrit en même temps au Programme de formation des officiers de la Force régulière des Forces canadiennes, à titre de membre de l’Unité de soutien de secteur London. Son commandant (le commandant) était le major responsable de cette unité.

 

[4]               Durant la même période, le demandeur était soumis à un stress émotionnel profond notamment parce que l’état de sa mère, qui souffrait d’une maladie en phase terminale, se détériorait. Il déclare que dans le courant du mois de septembre 2004, probablement sous le coup de sa détresse émotionnelle, il a eu une altercation avec un ami proche et ancien camarade de chambrée, M. Jeff Lindner, alors qu’ils faisaient un travail d’équipe pour un cours à l’université.

 

L’enquête relative à l’usage de stéroïdes

[5]               Le 4 octobre 2004, la police militaire de London apprenait par le père de M. Lindner que le demandeur consommait des stéroïdes anabolisants et qu’il se livrait possiblement à d’autres activités discutables. La police militaire a décidé de lancer une enquête relativement à ces allégations, et a interviewé M. Lindner à Hamilton le 6 octobre 2004. D’après le rapport de l’entrevue établi par l’enquêteur, M. Lindner a corroboré les informations qu’a fournies son père au sujet de l’utilisation de stéroïdes par le demandeur. Il a minutieusement décrit les circonstances dans lesquelles le demandeur a fait usage de ces substances, bien qu’il ait déclaré qu’il n’en avait jamais été directement témoin, ainsi que les changements qu’il a observés dans l’apparence et le comportement de ce dernier, notamment une plus grande agressivité. M. Lindner, toutefois, a aussi fait remarquer qu’il craignait de nuire à la carrière militaire du demandeur, et qu’il croyait que l’armée avait eu un impact positif dans la vie de son ami.

 

[6]               Le 7 octobre 2004, les résultats de cette enquête ont été communiqués verbalement au commandant du demandeur à London. Le jour même, le demandeur recevait l’ordre de se présenter le lendemain à son Unité de soutien de secteur London, sans être informé de la raison.

 

[7]               C’est à ce moment qu’un autre de ses amis a informé le demandeur que la police militaire avait enquêté sur sa consommation alléguée de drogues. Le soupçonnant alors de leur avoir révélé cette information, le demandeur a confronté M. Lindner, qui lui a relaté en détail son entrevue avec la police militaire.

 

La rencontre et l’ordre de fournir un échantillon d’urine

[8]               Le 8 octobre 2004, le demandeur rencontrait le capitaine‑adjudant de l’Unité de soutien de secteur London (le capitaine‑adjudant), qui l’informait des allégations concernant sa consommation de stéroïdes. La teneur de ce que le capitaine‑adjudant lui aurait alors communiqué est contestée. Le demandeur fait valoir que le capitaine‑adjudant l’a informé qu’il disposait de [traduction] « preuves très convaincantes » qu’il faisait usage de stéroïdes, mais qu’elles n’étaient pas de celles qui ont été obtenues pour corroborer cette allégation. Le demandeur ajoute que le capitaine‑adjudant l’a prévenu qu’il n’avait que deux choix : 1) reconnaître sa consommation de stéroïdes, puis être immédiatement astreint à un régime de « mise en garde et [de] surveillance », ou 2) nier les allégations, ce qui lui permettrait de contester la preuve recueillie. Le demandeur déclare avoir eu l’impression, d’une part qu’il ne pourrait prendre connaissance des preuves amassées contre lui que s’il niait les allégations et d’autre part, qu’il risquait d’être libéré de l’armée si son échantillon d’urine s’avérait contenir des stéroïdes.

 

[9]               Contrairement aux déclarations du demandeur, le capitaine‑adjudant affirme l’avoir informé de tous les éléments de preuve, mais non de leur source, dans son courriel de réponse adressé le 8 octobre 2006 à l’analyste des griefs affecté au dossier du demandeur (voir le paragraphe 19 pour plus de détails sur le grief du demandeur) :

[traduction] Je lui ai expliqué que quelqu’un qu’il connaissait très bien avait révélé à la PM [police militaire] qu’il utilisait des stéroïdes. Je lui ai dit que cette personne avait déclaré qu’il lui avait montré une fiole de stéroïdes. Je lui ai expliqué que cette personne avait fourni des détails sur sa consommation de stéroïdes qu’il tenait du militaire (McBain) même. Je lui ai dit quels étaient les trois types de stéroïdes mentionnés dans le rapport initial adressé au NCSM Star (Equipoise, Sustanon et D‑Bol). Je lui ai ensuite expliqué le processus ainsi que le Programme des Forces canadiennes sur le contrôle des drogues (OAFC 19‑21). Je lui ai demandé s’il en voulait une copie, ce à quoi il a répondu par la négative, indiquant qu’il le connaissait bien à cause de son instruction.

 

 

[10]           Le capitaine‑adjudant a également souligné qu’il avait indiqué plusieurs fois au demandeur qu’aucune accusation d’ordre criminel ou disciplinaire n’était envisagée, et que la mesure administrative qu’impliquerait certainement un premier usage de stéroïdes, à condition qu’il soit prouvé, serait « une mise en garde et une surveillance » et non sa libération de l’armée. Le capitaine‑adjudant a déclaré que le demandeur avait contesté la constitutionnalité de l’analyse d’urine obligatoire.

 

[11]           Immédiatement après sa rencontre avec le capitaine‑adjudant, le demandeur a été conduit chez son commandant. D’après lui, cette rencontre a été pratiquement identique à celle qu’il a eue avec le capitaine‑adjudant, et on a négligé encore une fois de lui fournir un résumé de la preuve recueillie contre lui.

 

[12]           Durant ces deux rencontres, le demandeur a refusé de remettre l’échantillon d’urine aux fins d’analyse et aussi de confirmer ou de nier les allégations portées contre lui.

 

[13]           Après son entrevue avec lui, le commandant a signé un ordre enjoignant au demandeur de fournir un échantillon d’urine aux fins d’analyse. Le demandeur s’y est conformé. En réponse à la demande de renseignements de l’agent de griefs transmise par courriel le 25 octobre 2006, le commandant a déclaré qu’il avait des « motifs raisonnables » d’ordonner l’analyse d’urine compte tenu des résultats de l’enquête et du refus du demandeur de confirmer ou de nier les allégations portées contre lui :

[traduction] Compte tenu des informations dont je disposais et de son refus de communiquer, j’avais des motifs raisonnables d’ordonner une analyse.

 

 

Le demandeur a reconnu qu’il faisait usage de stéroïdes et a présenté ses excuses.

[14]           Au sortir de ces réunions, le demandeur a confronté M. Lindner et aurait, si l’on en croit ses propos, menacé de se suicider durant cette altercation. D’après le compte rendu du capitaine‑adjudant, le père de M. Lindner a appelé la police militaire de London pour l’informer que le demandeur avait défoncé la porte de l’appartement de son fils et, comme il n’y était pas, qu’il avait fini par le retrouver à l’université. La police militaire a été avisée que le demandeur avait proféré des menaces contre M. Lindner et son père et qu’il avait menacé de se suicider. Elle aurait apparemment recommandé au père de M. Lindner de communiquer avec la police de Hamilton. Le demandeur se défend d’avoir menacé quiconque en dehors de lui‑même, et le père de M. Lindner a nié lors d’instances ultérieures que le demandeur avait proféré des menaces contre lui ou son fils.

 

[15]           Dans une lettre datée du 8 octobre 2004 adressée à son commandant, le demandeur a reconnu qu’il prenait des stéroïdes et s’est excusé pour ne pas avoir reconnu son erreur :

[traduction] Je regrette sincèrement de ne pas avoir accepté l’aide que vous m’avez offerte aujourd’hui; bien que je n’aie pas menti quant à mon usage de stéroïdes anabolisants, j’ai manqué de franchise.

Je savais avec certitude que l’analyse d’urine révélerait ma consommation de stéroïdes anabolisants puisque je n’ai pas cessé d’en prendre jusqu’à aujourd’hui. Ma frustration à l’égard de mon ami, Jeff Lindner, m’a fait me conduire avec un entêtement irrationnel sur cette question. Je ne me suis pas senti capable d’avouer, car il me semblait que je validerais ainsi sa trahison de ma confiance. Notre altercation de la nuit précédente m’a appris l’essentiel des détails de l’enquête sur laquelle s’appuyaient les conclusions de la PM. Néanmoins, j’aurais dû être en mesure de reconnaître ouvertement mon erreur, dont je porte la responsabilité, pas lui.

 

 

Police de Hamilton – Accusations criminelles contre le demandeur

[16]           Le 9 octobre 2004, le demandeur s’est à nouveau rendu au domicile de M. Lindner où il a réitéré ses menaces de suicide et aurait aussi proféré des menaces à l’endroit de M. Lindner ou son père. La police de Hamilton a été appelée sur les lieux, le demandeur a été placé en détention par la police et transporté dans une unité psychiatrique jusqu’à minuit, après quoi il a été relâché, les autorités ayant conclu qu’il ne représentait une menace ni pour les autres ni pour lui‑même. Le demandeur a soutenu à maintes reprises qu’il n’avait jamais menacé que de se suicider sans jamais menacer personne d’autre, y compris M. Lindner ou son père.

 

[17]           D’après un rapport daté du 15 octobre 2004 joint au rapport de la police militaire, le demandeur a été relâché le 13 octobre 2004 par le service de police de Hamilton, sous réserve d’un engagement assorti de conditions lui interdisant de contacter M. Lindner ou tout membre de sa famille immédiate, de s’aventurer à moins de cent mètres de la résidence ou des lieux de travail connus de M. Lindner ou des membres de sa famille, et de consommer de l’alcool, des drogues ou de transporter des armes. Le demandeur avait été accusé de prise de possession par la force et de méfait d’une valeur inférieure à 5 000 $. D’après son rapport, la police militaire n’avait pas pu prendre connaissance des détails de l’accusation du fait de l’application des lignes directrices spécifiques de la police de Hamilton concernant la publication de leurs rapports.

 

Rencontre avec le commandant durant laquelle le demandeur a exprimé des remords.

[18]           Le commandant a déclaré dans sa réponse à l’agent de griefs que le père du demandeur était venu à Hamilton après l’arrestation de son fils. Une fois remis en liberté, le demandeur et son père sont venus le rencontrer à London. Il a déclaré que cet entretien lui avait laissé une impression très positive :

[traduction
3. […] J’ai pu rencontrer le militaire et son père dans mon bureau plus tard cette journée‑là. J’ai expliqué que le test relatif à l’usage de stéroïdes serait probablement positif, mais ai souligné que tous les facteurs seraient pris en compte puisqu’il avait reconnu qu’il en prenait. L’impression que m’a laissée cette rencontre est qu’il regrettait beaucoup ce qui s’était passé et que c’était le déclic dont il avait besoin pour remettre sa vie sur les rails. Il m’a semblé qu’il était soulagé que toute cette histoire ait éclaté au grand jour et qu’il prendrait maintenant un nouveau départ. Il s’agit d’un jeune homme brillant qui a commis une grave erreur de jugement, mais cela peut être certainement corrigé par une mise en garde et un solide soutien parental. Son père a déjà travaillé dans la police, j’étais donc convaincu qu’il l’aiderait.

 

4. Tout au long de mes rapports avec l’Ens 1 McBain, il m’est apparu comme un jeune homme aux prises avec des problèmes non résolus et soumis à des pressions d’ordre familial, notamment à cause de sa mère malade. À mon avis, la consommation de drogues ne cadrait vraiment pas avec sa personnalité, car son dossier indiquait alors que c’était un individu remarquable, hautement recommandé pour l’exercice dans les Forces canadiennes. Compte tenu de ces facteurs atténuants et du fait qu’il semblait éprouver de sincères remords, j’ai alors recommandé à Ottawa qu’il demeure dans les FC et qu’il soit placé sous MG et S [mise en garde et surveillance] avec un suivi d’ordre médical et social […]

 

 

Le demandeur a accepté d’être astreint au régime de mise en garde et de surveillance.

[19]           L’organe militaire habilité à prendre des mesures relativement à l’usage illicite de stéroïdes par le demandeur était le Directeur – Administration et gestion des ressources (Carrières militaires) 5, connu aujourd’hui comme le Directeur – Administration (Carrières militaires) (le Directeur – Administration (Carrières militaires) ou le Directeur). Dans une lettre datée du 16 décembre 2004, le Directeur informait le demandeur qu’un examen administratif était en cours pour [traduction] « déterminer si le(s) membre(s) des FC possédai(en)t les qualités requises pour continuer à servir dans l’armée ». Cet examen n’est pas d’ordre criminel ou disciplinaire.

 

[20]           À cette lettre était joint un dossier de renseignements qui informait le demandeur des motifs de l’examen administratif et de son droit de présenter des observations écrites en réponse aux renseignements divulgués. Il appert de ces documents que le demandeur [traduction] « a, de son propre aveu, manifestement contrevenu au Programme des forces canadiennes sur le contrôle des drogues, tel que décrit en détail au chapitre 20 des ORFC et dans l’OAFC 19‑21 ».Le résultat positif de l’analyse d’urine en faisait d’ailleurs partie. Le rapport notait cependant un certain nombre de circonstances atténuantes, notamment le fait qu’il s’agissait d’une première infraction, que ces substances n’étaient destinées qu’à un usage personnel, que le demandeur n’en avait pas pris pendant son service et qu’il n’avait pas représenté de danger immédiat du point de vue de l’état de préparation opérationnelle ou de la sécurité, qu’il était improbable qu’il recommence et que sa conduite et sa performance étaient autrement satisfaisantes. Le dossier de renseignements ne contenait pas le rapport préparé par la police militaire dans le cadre de l’enquête, pas plus qu’il n’informait le demandeur de l’existence ou du contenu des notes ou du DVD produits en cette circonstance. Rien n’indique que le Directeur disposait de ces éléments de preuve ou qu’il s’en soit servi pour rendre sa décision. D’après le dossier de renseignements, le commandant recommandait que le demandeur soit astreint au régime de « mise en garde et [de] surveillance », plutôt que d’être libéré de l’armée. Pour les motifs évoqués plus haut, le rapport à divulguer préconise la même mesure.

 

[21]           Dans une lettre datée du 21 janvier 2005, le demandeur souscrit à la recommandation de l’astreindre au régime de mise en garde et de surveillance :

[traduction] Je joins cette lettre à titre de correctif des renseignements figurant dans le dossier de renseignements que je vous ai transmis. Je souscris à la recommandation de maintien de service sous le régime de mise en garde et de surveillance.

 

 

Les corrections du demandeur se rapportaient aux renseignements contenus dans le dossier de renseignements selon lesquels il avait menacé M. Lindner et son père. Il déclarait au contraire n’avoir jamais menacé que de se faire du mal à lui‑même en se suicidant, et que personne n’avait rien à craindre de lui.

 

[22]           Le 7 mars 2005, le demandeur s’est vu imposer un régime de mise en garde et de surveillance pour une période d’un an. Dans sa décision, le Directeur a formulé ses conclusions, et mentionné plusieurs facteurs suggérant qu’il devait être maintenu en service dans les Forces canadiennes. Le Directeur a donc fait la recommandation suivante :

[traduction] Il est recommandé que l’élève‑officier McBain soit maintenu en service dans les Forces canadiennes, mais qu’il soit astreint au régime de mise en garde et de surveillance pour une période d’un an, pour consommation illicite de drogues.

 

 

[23]           En mai 2005, le demandeur était transféré de l’Unité de soutien de secteur London à l’École du génie naval des Forces canadiennes à Halifax. Dans le cadre du processus de transfert, le commandant de London faisait parvenir au nouveau commandant du demandeur une lettre très positive et favorable. Il y décrivait l’enquête et son issue en rapport avec la consommation de stéroïdes du demandeur. Le déposant du défendeur a déclaré sous serment qu’[traduction] « [i]l n’est pas inhabituel de procéder ainsi dans les FC, surtout lorsque le militaire concerné est astreint au régime de mise en garde et de surveillance ».

 

[24]           Le commandant du demandeur précisait dans sa lettre que ce dernier avait été mis face à des allégations d’usage de stéroïdes et qu’une analyse urinaire avait été ordonnée parce qu’il [traduction] « avait d’abord choisi de [les] nier », mais qu’il s’était rapidement rétracté et avait endossé toute la responsabilité de ses actes. Le commandant expliquait que le demandeur lui avait paru [traduction] « plein de remords et [qu’]il souhaitait désespérément poursuivre sa carrière d’officier dans les FC ». Il indiquait que des tests de suivi s’imposeraient pendant un an, mais qu’il restait à en établir le procédé compte tenu des difficultés inhérentes aux tests de détection des stéroïdes. Enfin, le commandant décrivait en partie la situation personnelle du demandeur :

[Traduction] 4. L’élève‑officier McBain a également dû vivre la disparition tragique de sa mère, ce qui n’a fait qu’aggraver son stress. Fait étonnant, il a terminé son année scolaire avec succès, en dépit de ce qui s’était passé. Il assume également la responsabilité de ses actes et tout indique que cette épreuve fera de lui une meilleure personne et un officier remarquable.

 

 

Le grief du demandeur

[25]           Le 16 juin 2005, le demandeur présentait un grief à son nouveau commandant, alléguant qu’il avait fait l’objet d’un traitement inéquitable au cours de l’enquête sur son utilisation de stéroïdes. Il demandait [traduction] « l’annulation de la mise en garde et de la surveillance imposées, la divulgation complète de la preuve ayant motivé l’ordre, et le retrait de tout document dans tout dossier me concernant en rapport avec cette affaire ».

 

[26]           Le 23 juin 2005, le commandant soumettait le grief du demandeur au Directeur – Administration et gestion des ressources (Carrières militaires) (l’agent initial de griefs). Quoique le délai normal pour soumettre un tel grief fût de six mois, le demandeur a demandé et obtenu une prorogation de délai en faisant valoir que ses problèmes émotionnels l’avaient empêché de présenter ses observations plus tôt.

 

[27]           Dans une lettre du 14 juin 2005 adressée au commandant du demandeur, l’agent initial de griefs accusait réception du grief soumis par ce dernier et demandait une prorogation de délai pour rendre sa décision. Il faisait également savoir, quoique le paragraphe 7.07(1) des Ordonnances et règlements royaux lui impose de communiquer une décision dans les 60 jours, qu’il était submergé de griefs, et c’est pourquoi il priait le demandeur de lui permettre de rendre une décision à une date ultérieure. Le demandeur y a consenti.

 

[28]           Le demandeur indique qu’on lui a fait parvenir, en août 2005, une version expurgée du rapport de police militaire rédigé dans le cadre de l’enquête concernant son utilisation de stéroïdes, à la suite d’une demande en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P‑21 (la Loi sur la protection des renseignements personnels). C’est ainsi qu’il a pu prendre connaissance pour la première fois des motifs sur lesquels se fondait l’ordre de se soumettre à une analyse d’urine, donné le 8 octobre 2004.

 

[29]           Après avoir reçu ce mois‑là le rapport expurgé de la police militaire, le demandeur a fait parvenir une version révisée de son grief à l’agent initial de griefs le 23 août 2005. Une fois de plus, il a consenti à ce que le délai prévu pour que l’agent examine son grief soit prorogé au‑delà de la limite de 60 jours.

 

[30]           Le 9 juin 2006, le demandeur révisait une nouvelle fois son grief et exerçait son droit de demander à l’agent initial de griefs de renvoyer son grief devant le chef d’état‑major de la défense pour que celui‑ci rende une décision finale, conformément au paragraphe 7.07(2) des Ordonnances et règlements royaux. Le 19 juin 2006, l’agent initial de griefs renvoyait donc le grief du demandeur, conformément à la demande du demandeur Le chef d’état‑major de la défense a, quant à lui, délégué son pouvoir de décision définitive à l’Arbitre de griefs des Forces canadiennes (l’Autorité de dernière instance en matière de griefs), conformément à l’article 29.14 de la Loi sur la défense nationale. En vertu de l’article 29.15, la décision rendue dans le cadre du processus de grief par l’Autorité de dernière instance en matière de griefs est définitive et exécutoire, sous réserve du contrôle judiciaire porté devant la Cour.

 

[31]           Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’Autorité de dernière instance en matière de griefs a communiqué avec le capitaine‑adjudant et le commandant par courriel en septembre et octobre 2006, pour obtenir un résumé de l’affaire et de plus amples explications sur les événements.

 

[32]           Le demandeur a par ailleurs révisé son grief le 14 août et le 11 septembre 2006, ainsi que le 1er février et le 7 septembre 2007, et fourni des réponses écrites aux commentaires du capitaine‑adjudant et du commandant. Il a fourni ces premiers commentaires le 3 février 2007 et révisé ses observations le 7 septembre de la même année.

 

[33]           Le 9 avril 2007, le demandeur sollicitait une audience devant l’Autorité de dernière instance en matière de griefs. Cette demande a été rejetée par courriel le 25 mai 2007.

 

[34]           Le 3 octobre 2007, l’Autorité de dernière instance en matière de griefs renvoyait le grief du demandeur devant le Comité des griefs des Forces canadiennes (le Comité), en vertu du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le paragraphe 29.12(1) de la Loi sur la défense nationale. Le Comité est un organe autonome établi en vertu de l’article 29.16 de la Loi sur la défense nationale, et dont le mandat est d’examiner les griefs qui lui sont déférés par le chef d’état‑major de la défense et d’enquêter à leur sujet. Le Comité ne peut que formuler des recommandations non contraignantes au chef d’état‑major de la défense, et ne jouit proprement d’aucun pouvoir d’exécution.

 

Examen du grief du demandeur par le Comité et retraite volontaire de ce dernier des Forces canadiennes

[35]           Dans une lettre datée du 11 décembre 2007, le demandeur était informé que le Comité avait entrepris un examen préliminaire de son grief. Le dossier de grief que le Comité avait en sa possession était joint à cette lettre, conformément à ses procédures de divulgation. Y figurait un compte‑rendu à peine expurgé de l’enquête de la police militaire concernant l’utilisation de stéroïdes par le demandeur, lequel contenait des renseignements non divulgués dans la version expurgée du rapport de la police militaire qui avait été envoyée au demandeur à la suite de sa demande au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

[36]           C’est ainsi que le demandeur a appris qu’il existait un enregistrement DVD des entrevues que la police militaire avait menées en rapport avec sa consommation de drogues. Le demandeur a donc soumis une demande au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels pour obtenir le DVD. On l’a informé que le DVD avait été perdu : le demandeur a donc soumis une plainte, alléguant que la police militaire s’était rendue coupable d’une inconduite en perdant le DVD. Le 21 mai 2009, après une autre longue série de demandes, M. McBain a reçu le rapport final d’une enquête menée par la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire, qui concluait qu’un acte répréhensible avait bel et bien été commis, mais pas de faute spécifique :

[traduction] […] dans l’ensemble, les membres de la police militaire de l’Unité de soutien de secteur London ont négligé de ranger et de conserver convenablement les DVD et de produire les documents requis. Cependant, la Commission estime que rien n’indique que la police militaire ait sciemment ou indûment manipulé les DVD ou qu’elle ait agi d’une manière susceptible de la discréditer.

 

La Commission recommandait l’amélioration de la formation et des procédures d’examen.

 

[37]           Le 9 avril 2007, le demandeur a soumis une demande d’audience devant le Comité.

 

[38]           En décembre 2007, le demandeur obtenait une promotion avec effet rétroactif à une date antérieure à l’ordonnance de mise en garde et de surveillance.

 

[39]           Entre‑temps, il avait déposé une autre plainte. Juste avant que le Comité n’entame son examen préliminaire, le demandeur soumettait, le 27 novembre 2007, une plainte au Grand prévôt adjoint (Normes professionnelles), alléguant que la police militaire de l’Unité de soutien de secteur London avait contrevenu à l’Ordonnance administrative des Forces canadiennes 19‑44 en ne déclenchant pas des mesures de prévention du suicide lorsqu’elle a appris qu’il menaçait d’attenter à ses jours en octobre 2004. Le 20 mars 2008, le Grand prévôt adjoint (Normes professionnelles) informait le demandeur de sa conclusion selon laquelle cette plainte ne pouvait pas être corroborée.

 

[40]           Le 5 mai 2008, le demandeur rendait effectif sa retraite volontaire des Forces canadiennes. Il déclare qu’il s’est résolu à demander d’être libéré du service parce qu’il était [traduction] « consterné et dégoûté » par la manière dont le commandant avait traité son problème de santé mentale. Il estimait également que ses perspectives de développement professionnel au sein des Forces canadiennes étaient limitées. Il affirme que la mise en garde et la surveillance qui lui ont été imposées ont nui à son avancement au sein de l’armée, que sa solde en avait souffert et que la promotion qu’il avait reçue était tardive.

 

[41]           Depuis son départ de l’armée, le demandeur a obtenu une maîtrise et commencé un doctorat au département d’ingénierie de l’Université Laurentienne.

 

[42]           Le 25 septembre 2008, le Comité a rendu sa décision après avoir attentivement examiné l’historique du grief du demandeur, les observations qu’il a présentées et les recours qu’il sollicitait. Le Comité a conclu que la seule erreur commise dans le traitement du cas du demandeur avait trait au fait qu’on ne lui avait pas fourni, dès qu’il est devenu disponible, le rapport d’enquête de la police militaire. Le Comité a toutefois estimé que cette erreur était sans importance, car le commandant ne s’était pas fondé sur le rapport, qui n’était pas encore prêt, pour ordonner l’analyse d’urine. De plus, le Comité a jugé que le manquement à l’équité procédurale avait été corrigé puisqu’en fin de compte, le demandeur a reçu le rapport ultérieurement. Le comité a estimé également que la perte du DVD mentionné dans le rapport de la police militaire ne portait pas atteinte au processus. Par ailleurs, le Comité a décidé que l’article 20.11 des ORFC était une disposition administrative qui ne faisait pas intervenir les droits du demandeur protégés par les articles 7 et 8 de la Charte. Enfin, le Comité a conclu que la tenue d’une audience n’était pas requise.

 

[43]           Le Comité a donc recommandé que le chef d’état‑major de la défense rejette le grief du demandeur. Comme je l’ai mentionné plus tôt, le chef d’état‑major de la défense avait délégué en l’espèce son pouvoir à l’Autorité de dernière instance en matière de griefs.

 

[44]           Dans une lettre datée du 16 octobre 2008, le demandeur transmettait à l’Autorité de dernière instance en matière de griefs sa réponse aux conclusions du Comité. En plus de ses observations, il demandait que cette Autorité suspende le traitement de son grief jusqu’à ce que la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire termine son enquête sur le DVD perdu et le défaut de la police militaire de déclencher des mesures de prévention du suicide.

 

[45]           Une fois reçus les rapports des deux Commissions d’examen des plaintes concernant la police militaire, le demandeur a repris le traitement de son grief. Le 19 août 2009, il soumettait ses observations finales à l’Autorité de dernière instance en matière de griefs.

 

[46]           L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a examiné les observations du demandeur et rendu sa décision le 30 août 2010. C’est cette décision qui fait l’objet d’un contrôle dans le cadre de la présente demande.

 

La décision sous contrôle

[47]           L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a rejeté le grief du demandeur. Dans une lettre datée du 30 août 2010, elle a d’abord résumé les étapes qui ont abouti à son évaluation du grief, notamment l’examen indépendant effectué par le Comité et les diverses révisions soumises par le demandeur. L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a déclaré qu’elle considérait la lettre du 16 octobre 2008 du demandeur et toutes les observations qu’il a présentées ensuite comme des arguments qu’il faisait valoir devant elle.

 

[48]           L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a examiné les observations du demandeur et le redressement qu’il sollicitait. Le compte rendu de ces observations est complet et montre qu’elle a étudié le dossier volumineux se rapportant à ce grief. La décision de l’Autorité de dernière instance en matière de griefs comprend 37 pages en interligne simple (le défendeur a informé la Cour qu’[traduction] « il s’agissait, de mémoire, de la plus longue décision ayant trait à un grief dans l’histoire des Forces canadiennes »).

 

[49]           L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a souscrit à l’avis du Comité en ce qui concerne l’admission du grief du demandeur après le délai de six mois prévu à l’article 7.02 des ORFC.

 

[50]           L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a ensuite examiné les observations du demandeur touchant la validité et la constitutionnalité du Programme sur le contrôle des drogues des Forces canadiennes évoqué au chapitre 20 des ORFC et développé dans l’OAFC 19‑21. Je résumerai les conclusions de l’Autorité de dernière instance en matière de griefs sur chacune des questions soulevées par le demandeur :

1.   Validité du chapitre 20 des ORFC : Dans un premier temps, elle s’est demandé si le chapitre 20 des ORFC était ultra vires du gouverneur en conseil. L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a estimé que le paragraphe 12(1) de la Loi sur la défense nationale conférait au gouverneur en conseil un [traduction] « vaste pouvoir » de [traduction] « prendre des règlements aux fins de contrôle et d’administration des FC ». Le paragraphe 12(1) prévoit :

Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements concernant l’organisation, l’instruction, la discipline, l’efficacité et la bonne administration des Forces canadiennes et, d’une façon générale, en vue de l’application de la présente loi.

L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a conclu que le Programme sur le contrôle des drogues des Forces canadiennes tombait sous le coup du vaste pouvoir prévu au paragraphe 12(1) et qu’il était donc autorisé par la loi.

2.      Article 2 de la Déclaration canadienne des droits : L’Autorité s’est ensuite demandé si le chapitre 20 des ORFC était illégal parce qu’il contrevenait à l’article 2 de la Déclaration canadienne des droits, L.C. 1960, ch. 44, qui prévoit notamment que, sauf indication contraire, toute loi du Canada doit s’interpréter de manière à ne pas « supprimer, restreindre ou enfreindre » l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus par la Déclaration. L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a conclu que le chapitre 20 n’avait pas pour effet de supprimer, restreindre ou enfreindre des droits ou des libertés, et qu’aucun manquement à la Déclaration n’avait été commis.

3.      La Loi sur la protection des renseignements personnels : Troisièmement, l’Autorité de dernière instance en matière de griefs s’est demandé si le chapitre 20 contrevenait aux exigences de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Dans un rapport de 1990 intitulé Le dépistage antidrogue et la vie privée (Ottawa : Le Commissariat à la protection de la vie privée, 1990), le commissaire à la protection de la vie privée du Canada déclarait que « [l]a sécurité du public reste la seule raison valable pour mettre sur pied des programmes de dépistage. L’efficacité opérationnelle et l’objet (peut‑être impossible à atteindre) d’enrayer la consommation d’alcool et de drogues au sein des FC ne constituent pas, en l’absence de préoccupations notables à l’égard de la sécurité du public, des motifs suffisants, au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels, de procéder à des tests de dépistage. »

L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a estimé que l’objet du chapitre 20, tel qu’il est énoncé à l’article 20.03 (Objet), comprenait notamment la sécurité et la santé des membres des Forces canadiennes et du public, de même que la sécurité des établissements de défense et des renseignements classifiés. L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a déclaré en outre que l’objectif concernant la santé et la sécurité était renforcé par la note relative à l’article 20.11 des ORFC, d’après laquelle le but des analyses prévues dans cette disposition est « de promouvoir les objectifs spécifiés à l’article 20.03 (Objet) …[pour que] dans le cas où l’on dépiste de la drogue dans l’échantillon d’urine du militaire, il pourra alors être pris des mesures administratives ou disciplinaires visant à empêcher que ce dernier fasse ultérieurement usage de drogues et à réduire les risques reliés à l’usage antérieur ». Le Comité a conclu que les préoccupations liées à la santé et à la sécurité dont traite le chapitre 20 étaient des justifications légitimes, et que cette disposition ne contrevenait pas à la Loi sur la protection des renseignements personnels.

4.      Les dispositions des ORFC sur la libération sont‑elles de nature quasi criminelle? Quatrièmement, l’Autorité de dernière instance en matière de griefs s’est demandé si le fait que le demandeur aurait pu être libéré des Forces canadiennes en vertu du chapitre 15 des ORFC pour avoir contrevenu au chapitre 20, signifiait qu’un manquement à cette disposition constituait un acte « quasi criminel ». S’il en était ainsi, le demandeur faisait alors valoir qu’il devait bénéficier des protections liées aux instances criminelles.

L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a conclu qu’en dépit des stigmates qu’une libération des Forces canadiennes peut entraîner, les dispositions des ORFC sur la libération sont [traduction] « clairement administratives » et n’appellent pas des mesures de protection présentes en matière criminelle : elles sont contenues au chapitre 15 (Libération) du volume 1 des ORFC, lui‑même intitulé « Administration ». Elles ne créent pas d’infraction aux termes du Code de discipline militaire des Forces canadiennes et ne prévoient pas de peines disciplinaires relatives à la libération. L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a estimé que les cas soumis par le demandeur à l’appui de sa position ne lui étaient d’aucune utilité pour statuer sur la question. Elle a néanmoins fait remarquer que les membres libérés pour usage de drogues illicites le sont généralement aux termes des dispositions du chapitre 15 sur la « libération honorable ».

5.      Preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même : Cinquièmement, l’Autorité de dernière instance en matière de griefs s’est demandé si l’échantillon d’urine était une « preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même » — c’est‑à‑dire, [traduction] « une preuve incriminant un individu accusé d’avoir commis un crime, qu’il est forcé de fournir dans le cadre d’une procédure criminelle en violation de ses droits ». L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a déclaré qu’[traduction] « [une telle preuve] devait être exclue pour assurer une audition équitable ». Elle a conclu, toutefois, que ce concept de preuve ne s’appliquait nullement au grief du demandeur, car son échantillon d’urine avait été obtenu dans le cadre d’une procédure administrative, sans la moindre intention de déposer des accusations criminelles.

6.      Nécessité d’un mandat : L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a conclu que l’article 273.2 de la Loi sur la défense nationale ne s’appliquait pas à l’échantillon d’urine fourni par le demandeur; elle a donc estimé qu’il importait peu de savoir si la définition de « biens » à cet article s’étendait à l’urine. L’article 20.11 des ORFC autorise d’ailleurs les analyses d’urine sans exiger de mandat, à condition qu’elles soient fondées sur des motifs raisonnables. Du reste, que l’urine du demandeur soit considérée comme un bien ou autre chose, l’Autorité a estimé que son grief ne visait que l’analyse d’urine et ses aveux, et qu’il ne soulevait donc que des questions touchant la constitutionnalité de ces lois.

7.      Sécurité de la personne : Septièmement, le demandeur soutenait que la menace d’une mesure disciplinaire en cas de refus du test de dépistage de drogue ou de résultat positif, portait atteinte à son droit à la sécurité de la personne, tel qu’il est protégé par la Déclaration des droits et par la Charte canadienne des droits et libertés. L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a rejeté la jurisprudence soumise par le demandeur à l’appui de ses observations, estimant que les faits étaient différents en l’espèce. Les deux décisions soumises par le demandeur concernaient les droits de détenus menacés de mesures disciplinaires si les résultats de tests de dépistages de drogue aléatoires s’avéraient positifs. L’Autorité a conclu que les principaux éléments distinctifs étaient les suivants : 1) l’article 20.11 exige que la demande de dépistage de drogue soit fondée sur des motifs raisonnables, et 2) la liberté du demandeur n’a jamais été compromise, et des accusations n’ont jamais été envisagées, que ce soit sur le plan disciplinaire ou criminel.

L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a jugé que l’article 7 de la Charte n’entrait pas en jeu puisque la vie, la liberté et la sécurité du demandeur n’avaient jamais été menacées. Elle a ajouté que l’insécurité économique pouvant découler de la libération des Forces canadiennes ne suffisait pas à menacer la « sécurité », au sens de l’article 7. L’Autorité a conclu, pour les mêmes raisons, que la disposition de la Déclaration des droits qui protège « la vie, la liberté, la sécurité de la personne ainsi que la jouissance de ses biens » n’intervenait pas.

8.      Exclusion de l’analyse d’urine : Même si elle a conclu que les droits du demandeur protégés par la Charte n’entraient pas en jeu et donc que la question de l’exclusion de sa preuve au motif qu’elle avait été obtenue au mépris de « l’application régulière de la loi » ne se posait pas, l’Autorité de dernière instance en matière de griefs s’est ensuite demandé si l’équité procédurale exigeait que les résultats de l’analyse d’urine du demandeur et ses aveux ne soient pas pris en compte.

Exclusion pour partialité : premièrement, l’Autorité de dernière instance en matière de griefs s’est demandé si l’article 20.11 instaurait une partialité institutionnelle réelle ou possible en faisant intervenir un commandant à plusieurs stades de l’investigation et des décisions consécutives dans le cadre d’une enquête sur l’usage de drogues. L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a estimé que le demandeur avait [traduction] « mal saisi la portée » de l’article, et indiqué qu’en vertu de l’article 20.11, les commandants ne peuvent ni ordonner la tenue d’enquêtes ni en assurer la supervision. Dans le cas du demandeur, l’Autorité de dernière instance en matière de griefs a conclu que c’était le militaire de rang responsable du détachement de la police militaire de l’Unité de soutien de secteur London qui avait ordonné l’ouverture d’une enquête. C’est lui qui, en effet, avait ordonné à un détachement de la police militaire d’enquêter sur le demandeur. Bien que le commandant se soit prononcé sur les motifs raisonnables liés à l’utilisation de drogues par le demandeur et qu’il se soit appuyé sur ces motifs pour ordonner qu’un échantillon d’urine soit fourni, cette décision a été prise en tenant compte de la mesure administrative envisagée, et non dans le cadre d’une enquête sur une infraction ou pendant l’arbitrage d’une plainte. De plus, l’Autorité a estimé que c’était le Directeur – Administration (Carrières militaires), qui était habilité à prendre toutes les mesures administratives requises en cas d’usage illicite de drogues, et qui pouvait, en tant que décideur indépendant, déterminer si une mise en garde et une surveillance, ou quelque autre mesure administrative, étaient indiquées.

L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a conclu que l’article 20.11 énonce clairement les exigences auxquelles les commandants sont soumis, ainsi que les critères qu’ils sont tenus de respecter pour décider s’il convient d’ordonner un test de dépistage de drogue.

Exclusion pour manquement à l’équité procédurale – absence de motifs raisonnables : deuxièmement, l’Autorité de dernière instance en matière de griefs a cherché à savoir si le commandant avait contrevenu à l’équité procédurale en omettant de se demander 1) s’il avait des « motifs raisonnables » pour ordonner le test, ou 2) si le test était ordonné à un moment où l’usage de drogues aurait pu « être raisonnablement dépisté au moyen d’une analyse d’urine », conformément au paragraphe 20.11(1). L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a examiné les divers documents dont disposait le commandant pour décider s’il était raisonnable de s’attendre à ce que l’analyse d’urine révèle la présence de drogues : elle a estimé qu’il était légitime de conclure que le commandant avait reçu, par l’entremise du rapport oral lui ayant été transmis par la police militaire qui avait interrogé M. Lindner la veille de sa propre rencontre avec le demandeur, le compte rendu de ce M. Lindner sur le type de drogue que le demandeur consommait et la fréquence de cet usage. L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a jugé que ces renseignements constituaient des motifs raisonnables suffisants.

            L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a en outre estimé que le commandant n’avait pas été informé qu’il était difficile de détecter des stéroïdes au moyen d’une analyse d’urine, contrairement au capitaine‑adjudant. Par ailleurs, même si le commandant l’avait su, il aurait probablement ordonné le test malgré tout, car il soupçonnait le demandeur d’en avoir pris très récemment. L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a jugé qu’une telle conclusion était raisonnable :

[traduction] Comme j’ai déjà conclu que les informations livrées par Jeffrey Lindner avaient été transmises à votre commandant par la PM le 7 octobre 2004, votre commandant se serait douté que vous vous étiez injecté des stéroïdes aussi récemment que le vendredi 8 octobre 2004, ou le jeudi précédent. Puisque votre commandant avait idée de votre consommation récente de stéroïdes, et qu’il savait par le paragraphe 18 de l’annexe B de l’OAFC 19‑21 qu’il est impossible de connaître avec précision le délai durant lequel une substance peut être détectée par analyse d’urine après usage, j’estime que ce dernier avait des motifs de croire que cette méthode permettrait raisonnablement de déceler les drogues que vous aviez prises.

Exclusion pour équité procédurale – entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire : troisièmement, l’Autorité de dernière instance en matière de griefs s’est demandé si le commandant avait limité son propre pouvoir discrétionnaire en estimant que le refus du demandeur de répondre à ses questions durant l’entrevue du 8 octobre 2004 était une des raisons d’ordonner l’analyse d’urine. L’Autorité a conclu que le commandant avait commis une erreur en tenant compte du refus du demandeur de confirmer ou de nier son usage allégué de stéroïdes pour déterminer s’il avait des motifs raisonnables d’ordonner l’analyse d’urine. L’importance que le commandant a accordée à ce facteur étant incertaine, l’Autorité de dernière instance en matière de griefs a néanmoins considéré qu’il lui était suffisant de conclure que ce dernier disposait d’assez d’informations provenant d’autres sources pour lui fournir des motifs raisonnables. L’Autorité a donc estimé que l’impact de l’erreur du commandant sur ce point était sans pertinence eu égard à la décision d’ordonner l’analyse d’urine :

[traduction] Tel qu’indiqué dans la section précédente, j’ai conclu que votre commandant avait des motifs raisonnables de croire que vous aviez consommé des drogues interdites, et qu’il a raisonnablement estimé qu’une analyse d’urine révélerait que vous preniez des stéroïdes. Même si votre mutisme sur la question de votre utilisation alléguée de drogues durant les entrevues avec votre capitaine‑adjudant et votre commandant n’aurait pas dû entrer en ligne de compte, votre dossier de grief ne me permet pas d’établir si l’impact de votre silence a été un simple élément ou la base même des motifs raisonnables formés par votre commandant. Ne pouvant trancher là‑dessus, je renvoie à la conclusion formulée plus haut, à savoir que votre commandant avait des motifs raisonnables de vous ordonner de fournir un échantillon d’urine aux fins d’analyse, nonobstant votre silence sur les allégations concernant votre utilisation de drogues.

 

L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a conclu que le commandant n’avait contrevenu à aucun droit protégé par la Charte en tenant compte du silence du demandeur : l’Autorité de dernière instance en matière de griefs avait déjà conclu que le droit au silence visé par l’article 7 de la Charte n’était pas pertinent en l’espèce puisque la vie, la liberté et la sécurité du demandeur n’étaient pas en jeu.

Exclusion pour équité procédurale – participation indue du commandant : quatrièmement, l’Autorité de dernière instance en matière de griefs s’est demandé si le commandant avait contrevenu à l’article 273.4 de la Loi sur la défense nationale qui, comme nous l’indiquions plus haut, interdit au commandant qui mène ou supervise directement une investigation de délivrer un mandat à moins qu’il n’y ait aucun autre commandant en mesure de décider sans délai de l’opportunité de le délivrer. Comme elle avait conclu que le commandant du demandeur n’avait ni ordonné ni supervisé d’enquêtes sur sa consommation de drogues, l’Autorité de dernière instance en matière de griefs a jugé que l’article 273.4 n’avait pas lieu de s’appliquer. Elle a fait d’ailleurs remarquer que cette disposition ne s’applique qu’aux mandats autorisés par l’article 273.3 de la Loi sur la défense nationale. L’Autorité s’est dite d’avis que l’article 273.3, qui se rapporte aux perquisitions de logements, de cases, espaces de rangement ou biens meubles ou personnels, ne concernait pas l’urine, ayant déjà conclu que cette substance n’était pas un « bien » au sens de l’article 273.3.

Exclusion pour absence d’autorisation légale : cinquièmement, l’Autorité de dernière instance en matière de griefs a cherché à savoir si l’article 20.11 des ORFC autorisait effectivement un commandant à ordonner une analyse d’urine. L’Autorité a estimé que c’était le cas en se référant à la note relative à l’article 20.11 des ORFC, qui précise que ces analyses sont permises s’il existe des motifs raisonnables, de manière à promouvoir les objectifs spécifiés à l’article 20.03. Pour l’Autorité de dernière instance en matière de griefs, le fait que l’article 273.4 de la Loi sur la défense nationale prévoit une autre procédure de délivrance de mandat n’enlève rien à la clarté de cette disposition.

Exclusion pour fouille ou saisie indue : sixièmement, l’Autorité de dernière instance en matière de griefs s’est demandé s’il fallait, en vertu de l’article 8 de la Charte, délivrer un mandat avant d’ordonner de se soumettre à une analyse d’urine. L’Autorité de dernière instance en matière de griefs, s’appuyant sur l’arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, de la Cour suprême du Canada, a estimé que l’article 8 exigeait que les fouilles soient « raisonnables », c’est‑à‑dire autorisées par une loi elle‑même raisonnable, et conduites de manière raisonnable. L’Autorité a conclu que l’article 20.11 des ORFC est une disposition qui permet d’ordonner une analyse d’urine, que cet article est raisonnable parce qu’il est d’ordre administratif et non criminel ou quasi criminel, et donc que [traduction] « la pondération de la vie privée d’une personne et des besoins de la société obéit alors à un critère moins rigoureux ». L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a estimé que la fouille elle‑même était raisonnable.

9.      Exclusion de la lettre d’aveu : neuvièmement, l’Autorité de dernière instance en matière de griefs s’est demandé s’il fallait tenir compte ou non de la lettre d’aveu du demandeur pour décider de l’opportunité d’avoir ordonné l’analyse d’urine ou de l’avoir astreint au régime de mise en garde et de surveillance.

Exclusion pour violation de l’alinéa 2d) de la Déclaration des droits et de l’article 10 de la Charte : l’Autorité de dernière instance en matière de griefs s’est demandé si, en acceptant la lettre d’aveu du demandeur, le commandant avait contrevenu à l’alinéa 2d) de la Déclaration des droits ou à l’article 10 de la Charte qui garantissent une protection contre l’auto‑incrimination et le droit à un avocat. L’Autorité a conclu que l’ordre ne faisait intervenir aucune de ces dispositions. L’article 10 de la Charte n’entrait pas en jeu, car le demandeur n’a été ni arrêté ni détenu. Pour l’Autorité de dernière instance en matière de griefs, l’alinéa 2d) de la Déclaration des droits n’a donc pas été violé puisqu’on n’a enfreint aucun droit.

Exclusion pour influence indue ou confession involontaire : l’Autorité de dernière instance en matière de griefs a reconnu que le demandeur se trouvait dans un état mental précaire lorsqu’il a rédigé et envoyé par courriel sa lettre d’aveu le 8 octobre 2004, à cause de la santé défaillante de sa mère et du stress résultant de l’enquête sur l’usage de drogues. Elle a estimé que la règle interdisant l’utilisation d’aveux involontaires dans des poursuites se rapportant à des instances criminelles ou disciplinaires ne s’appliquait pas en matière administrative. Quand bien même ce serait le cas, l’Autorité a indiqué que la confession n’était pas « involontaire » au sens de cette règle. Elle a jugé que le demandeur n’était pas mentalement incapable de prendre des décisions rationnelles ce jour‑là, compte tenu de son état d’esprit. L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a conclu que l’allégation du demandeur voulant qu’on l’ait menacé de le libérer s’il n’avouait pas ou n’exprimait pas de remords, n’était pas suffisamment corroborée par la preuve, et que rien n’indiquait que ces prétendues menaces l’aient indûment influencé (renvois omis) :

[traduction] Je vois que vous avez fourni une déclaration solennelle datée du 2 février 2007, pour appuyer votre version de ce qui s’est passé entre votre capitaine‑adjudant et vous‑même le 8 octobre 2004. Cependant, vous n’évoquez nulle part dans cette déclaration la question de la libération. Comme votre argument voulant qu’on vous ait menacé de libération n’est pas suffisamment corroboré, au point qu’il m’est impossible de me prononcer de manière définitive sur sa validité, je ne puis conclure que cette question vous a indûment influencé de telle manière que votre confession du 8 octobre 2004 soit involontaire.

Exclusion pour violation du droit à un avocat : l’Autorité de dernière instance en matière de griefs a conclu que le chapitre 20 des ORFC n’exigeait nullement qu’un militaire soit représenté par un avocat avant de lui ordonner de fournir un échantillon d’urine, bien qu’on ait pu se prévaloir d’une telle assistance dans certains cas lors d’instances administratives.

10.  Idées suicidaires : l’Autorité de dernière instance en matière de griefs s’est demandé si le commandant ou son personnel avait contrevenu à l’OAFC 19‑44 en n’intervenant pas immédiatement après les menaces de suicide du demandeur. Cette ordonnance prévoit qu’une intervention, notamment la confrontation, la consultation d’un spécialiste et l’hospitalisation, doit être mise en place dès les premiers signes de comportement suicidaire possible. L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a estimé que le capitaine‑adjudant avait eu vent des idées suicidaires du demandeur au moins dès le milieu de l’après‑midi du 10 octobre 2004, et qu’il a pris alors les mesures appropriées en faisant intervenir l’aumônier concerné. Toujours d’après l’Autorité, entre le 9 et le 10 octobre, le capitaine‑adjudant savait seulement que le demandeur était [traduction] « enragé », mais pas qu’il avait des idées suicidaires. En outre, le demandeur avait menacé de se suicider parce qu’il craignait de perdre son poste au sein de l’armée, et comme il n’en était pas encore là, la menace de suicide n’était pas imminente et aucune intervention immédiate ne s’imposait. L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a conclu que les actes du capitaine‑adjudant étaient conformes à l’OAFC 19‑44.

11.  Annulation de la mesure administrative : l’Autorité de dernière instance en matière de griefs a examiné les observations du demandeur appelant à l’annulation du régime de mise en garde et de surveillance.

Non-respect des attentes légitimes du demandeur en matière de conduite équitable : l’Autorité de dernière instance en matière de griefs s’est demandé si l’OAFC 19‑21 créait une [traduction] « attente légitime » que le demandeur soit traité [traduction] « équitablement », en lui remettant notamment un résumé écrit de la preuve ayant fondé l’ordre d’analyse d’urine et en lui offrant la possibilité d’y répondre. L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a réitéré ses conclusions selon lesquelles le commandant s’était conformé aux exigences de l’article 20.11 et que le capitaine‑adjudant avait fourni au demandeur un résumé oral des motifs en vertu desquels on lui ordonnait de fournir un échantillon d’urine. L’Autorité a néanmoins estimé que [traduction] « comme la procédure prévue au paragraphe 24 de l’annexe B de l’OAFC 19‑21 n’a pas été respectée, la doctrine de l’équité procédurale commande que vous ayez la possibilité de présenter des observations sur ce manquement ». Ayant qualifié celui‑ci d’[traduction] « omission technique », l’Autorité de dernière instance en matière de griefs a estimé que le résumé requis était suffisant sous forme orale. Elle a ajouté qu’en lui demandant de s’expliquer durant ses rencontres avec le capitaine‑adjudant et le commandant, on avait donné au demandeur une opportunité raisonnable de répondre.

Violation de l’OAFC 26‑17 (Avertissement écrit, mise en garde et surveillance) : l’OAFC 26‑17 exige que le commandant divulgue toutes les informations sur lesquelles s’appuie l’ordre suggéré, avant d’ordonner la mise en garde et la surveillance. L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a estimé que le demandeur avait reçu un dossier de renseignements le 16 décembre 2004, où figuraient les renseignements dont s’était servi le Directeur – Administration (Carrières militaires) pour ordonner la mise en garde et la surveillance, à savoir les résultats de l’analyse d’urine et la lettre d’aveu du demandeur. De plus, ce dernier avait reçu des informations additionnelles dans une lettre datée du 21 janvier 2005.

Violation de l’article 20.07 des ORFC (ordre d’analyse d’urine) : l’Autorité de dernière instance en matière de griefs s’est demandé si le fait de n’avoir pas montré au demandeur une copie de l’ordre qui allait être donné constituait un manquement à l’article 20.07 des ORFC. L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a jugé que, bien qu’il ne l’ait pas demandée, le demandeur avait reçu une copie de l’ordre écrit avant de fournir son échantillon d’urine.

 

Défaut de corriger les manquements : puisqu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale, l’Autorité de dernière instance en matière de griefs a conclu que la question des [traduction] « correctifs » était sans pertinence.

Perte des enregistrements DVD : l’Autorité de dernière instance en matière de griefs s’est demandé si la perte de l’enregistrement DVD de la première entrevue de la police militaire avec M. Lindner contrevenait à l’équité procédurale. L’Autorité a rappelé que le commandant n’avait pas tenu compte du DVD dans ses motifs raisonnables – ce DVD n’était pas mentionné dans le rapport oral qui lui a été fourni, et qu’il n’avait pas consulté le rapport final de la police militaire avant de prononcer l’ordonnance. L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a dès lors estimé qu’il n’était pas nécessaire de divulguer le DVD au demandeur, et que les questions ayant trait à sa disparition n’étaient donc pas pertinentes eu égard aux enjeux de cette demande.

But illégitime : l’Autorité de dernière instance en matière de griefs s’est demandé si le commandant avait recommandé la mise en garde et la surveillance dans un but illégitime – à savoir pour provoquer un [traduction] « déclic ». Le paragraphe 5 de l’OAFC 26‑17 décrit la mise en garde et la surveillance comme des outils de politique administrative conçus pour relever une performance inadéquate à un seuil acceptable, et comme une mesure sérieuse destinée à corriger les lacunes d’un militaire. Dans son courriel de réponse aux questions de l’agent des griefs, le commandant rapportait en ces termes sa rencontre du 13 ou 14 octobre avec le demandeur et son père :

[traduction] L’impression que m’a laissée cette rencontre est qu’il regrettait beaucoup ce qui s’était passé et que c’était le déclic dont il avait besoin pour remettre sa vie sur les rails.

L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a estimé que cette déclaration n’était pas censée expliquer pourquoi le commandant avait recommandé la mise en garde et la surveillance. Elle a d’ailleurs répété que c’était le Directeur – Administration (Carrières militaires) et non le commandant qui avait décidé d’imposer la mise en garde et la surveillance au demandeur. La mesure administrative n’obéissait donc à aucun but illégitime.

Renvoi devant un autre commandant : l’Autorité de dernière instance en matière de griefs a réitéré sa conclusion selon laquelle le commandant du demandeur n’était pas celui qui avait pris la décision de lui imposer une mise en garde et une surveillance. La question de savoir si l’affaire aurait dû être renvoyée devant un autre commandant ne se posait donc pas.

 

[51]           L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a conclu que le Programme des Forces canadiennes sur le contrôle des drogues était légalement valide et constitutionnel, que le commandant du demandeur avait agi de manière raisonnable et respecté les ordres administratifs, les procédures légales et les principes de justice naturelle pertinents, à ceci près qu’il avait omis de remettre au demandeur un résumé écrit de la preuve retenue contre lui le 8 octobre, ce qui ne constituait pas un grave manquement à l’équité procédurale.

 

[52]           L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a également conclu qu’elle n’avait pas le pouvoir d’accorder au demandeur tous les redressements qu’il sollicitait. En vertu de l’article 19.41 des ORFC, l’Autorité de dernière instance en matière de griefs ne peut accepter de responsabilité au nom de l’État, régler une action en responsabilité ou effectuer des versements relativement à ce type d’action. Elle n’était donc pas habilitée à accorder des dommages‑intérêts relativement aux actions civiles intentées par le demandeur. L’Autorité de dernière instance en matière de griefs lui a recommandé de demander réparation au Directeur – Réclamations et contentieux des affaires civiles s’il estimait avoir une action valide à faire valoir contre la Couronne.

 

LÉGISLATION

[53]           Les dispositions pertinentes de la Loi sur la défense nationale, L.R.C., 1985, ch. N‑5, des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) et des Ordonnances administratives des Forces canadiennes (OAFC) sont reproduites en annexe 1. La Cour signale que, bien que l’OAFC pertinente ait depuis été mise à jour, la version pertinente est celle qui était en vigueur au moment où l’analyse d’urine a été ordonnée.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[54]           Le demandeur soulève les questions suivantes dans sa demande :

1.      Quels sont la nature et les effets de la prohibition des drogues au sein des Forces canadiennes?

2.      Y a-t-il eu manquement à la justice naturelle au cours du processus administratif?

1.      Le rôle du commandant à plusieurs stades de l’enquête, de la saisie de l’échantillon d’urine à la mesure administrative finale;

2.      la multitude d’exemples d’inconduite et de buts illégitimes manifestes à tous les stades de l’affaire

soulèvent‑ils une crainte de partialité?

1.     L’absence de divulgation écrite ou orale avant le prélèvement d’échantillon d’urine du demandeur et durant la phase d’examen administratif;

2.     l’omission de divulguer l’enregistrement DVD perdu du témoignage du témoin principal à l’occasion des entrevues menées par la police militaire durant l’enquête, et l’omission de divulguer les notes du capitaine‑adjudant rendant compte de l’enquête et des mesures administratives

constituent‑elles un manquement à la règle audi alteram partem?

3.      L’analyse d’urine du demandeur doit‑elle être exclue?

4.      Les observations du demandeur doivent‑elles être exclues?

5.      Quelles sont les conséquences des manquements allégués plus haut?

 

 

[55]           Comme le présent contrôle judiciaire concerne la décision par laquelle l’Autorité de dernière instance en matière de griefs a rejeté le grief du demandeur, le défendeur fait valoir que la Cour ne devrait considérer que les deux principales questions qu’a soulevées le demandeur dans son grief : l’absence d’un résumé écrit des motifs raisonnables pour lesquels l’analyse d’urine a été ordonnée, et le fait qu’il ne lui pas été possible de présenter des observations avant d’être astreint au régime de mise en garde et de surveillance.

 

[56]           La question dont est saisie la Cour en cas de contrôle judiciaire est de savoir si la décision attaquée a été prise conformément au droit. La Cour ne se prononcera pas sur les questions factuelles tranchées par l’Autorité de dernière instance en matière de griefs, mais se demandera plutôt si cette dernière a rendu une décision conforme au droit.

 

[57]           L’historique de cette affaire est long et compliqué. Le demandeur s’est représenté lui‑même d’un bout à l’autre de l’instance, et la Cour est consciente des difficultés additionnelles que cela représentait. Comme le cas est alambiqué, la Cour croit utile de résumer les principales questions en litige. Le demandeur souhaite voir infirmer la décision par laquelle il a été astreint à un régime de mise en garde et de surveillance et soulève, dans ses griefs comme devant la Cour, des arguments touchant l’équité et la justice naturelle.

 

[58]           Le demandeur prétend que le Directeur – Administration (Carrières militaires) n’aurait pas dû pouvoir se fonder sur les résultats de son analyse d’urine, car l’échantillon utilisé à cette fin avait été obtenu en contravention de l’article 20.11 des ORFC et de ses droits en matière d’équité procédurale. Le demandeur fait aussi valoir que le Directeur – Administration (Carrières militaires) n’aurait pas dû s’appuyer sur sa lettre d’aveu, également obtenue en violation de ses droits. Si ces éléments de preuve avaient été exclus, le demandeur soutient qu’il ne se serait pas vu imposer une mise en garde et une surveillance.

 

[59]           La Cour formule ainsi les questions dont elle est saisie :

1.      Le Programme des Forces canadiennes sur le contrôle des drogues contenu au chapitre 20 des ORFC relève‑t‑il de la compétence du gouverneur en conseil en vertu du paragraphe 12(1) de la Loi sur la défense nationale?

2.      L’échantillon d’urine du demandeur a‑t‑il été prélevé en contravention de l’article 20.11?

a.       L’ordre d’analyse d’urine a‑t‑il été donné en contravention de l’article 20.11, attendu que le demandeur n’a pas eu droit à une instruction équitable (c.‑à‑d. qu’il n’a pas obtenu un résumé des motifs raisonnables et qu’il n’a pas eu la possibilité de répondre) avant le prélèvement de son échantillon d’urine?

b.      L’ordre d’analyse d’urine a‑t‑il été donné en contravention de l’article 20.11, attendu que le commandant ne pouvait pas avoir la conviction raisonnable requise que le test révélerait que le demandeur prenait des stéroïdes?

3.      La manière dont l’enquête a été menée soulève‑t‑elle une crainte raisonnable de partialité ou signale‑t‑elle une véritable partialité à l’échelle institutionnelle ou individuelle?

4.      La lettre d’aveu du demandeur a‑t‑elle été obtenue en violation de ses droits?

5.      Le demandeur a‑t‑il été privé de son droit à une audition équitable parce que les résultats de son analyse d’urine et sa lettre d’aveu ont servi de preuves pour ordonner la mise en garde et la surveillance?

 

NORME DE CONTRÔLE

[60]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a estimé, au paragraphe 62, que la première étape de l’analyse concernant la norme de contrôle consistait à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » : voir aussi Khosa c. Canada (MCI), 2009 CSC 12, le juge Binnie, par. 53.

 

[61]           Les questions d’équité procédurale sont examinées suivant la norme de la décision correcte : Dunsmuir, aux paragraphes 55 et 90; Khosa, au paragraphe 43. En l’espèce, la Cour doit s’assurer que le demandeur a bénéficié tout au long de l’enquête et du processus de grief d’un degré convenable d’équité procédurale.

 

[62]           Les questions de droit peuvent être examinées suivant la norme de la raisonnabilité ou de la décision correcte. Bien que les questions de droit soient généralement tranchées suivant la norme de la décision correcte, le critère de la raisonnabilité peut s’appliquer lorsque la question juridique se rapporte à la loi constitutive du décideur ou à son domaine d’expertise. La Cour d’appel fédérale expliquait récemment en ces termes la distinction dans l’arrêt Democracy Watch c. Campbell, 2009 CAF 79, au paragraphe 22 :

Dans le cas où une question de droit isolable est en litige dans un processus de contrôle judiciaire et que cette question est « d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre », la norme appropriée sera celle de la décision correcte : voir [page 151] Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77, au paragraphe 62; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 60. D’autre part, lorsque la question de droit est soulevée alors que le tribunal interprète « sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie », la norme appropriée peut être celle de la raisonnabilité : voir Dunsmuir, au paragraphe 54.

 

 

[63]           En l’espèce, la question juridique de savoir si les ORFC étaient autorisées par la loi, et si la procédure qu’elles instaurent crée une réelle partialité ou soulève une crainte raisonnable en la matière, ne relève pas de l’expertise de l’Autorité de dernière instance en matière de griefs. De plus, les deux questions sont d’une importance cruciale pour l’ensemble du système judiciaire, parce qu’elles visent le processus par lequel les membres des Forces canadiennes peuvent tomber sous le coup d’accusations criminelles ou de mesures disciplinaires pour usage de substances illicites. La question de savoir si le commandant avait les motifs raisonnables nécessaires pour ordonner l’analyse d’urine est donc également de nature juridique. Ces questions seront examinées suivant la norme de la décision correcte.

 

[64]           Les questions mixtes de fait et de droit doivent être abordées suivant la norme de la raisonnabilité : Cohen c. Canada (Procureur général), 2008 CF 676, par. 14 à 20. Il en va de même des questions de fait.

 

[65]           Pour revoir la décision du Comité à la lumière de la norme de la raisonnabilité, la Cour s’intéressera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi « qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, au paragraphe 47; Khosa, au paragraphe 59.

 

ANALYSE

Question no 1 :      Le Programme des Forces canadiennes sur le contrôle des drogues contenu au chapitre 20 des ORFC relève‑t‑il de la compétence du gouverneur en conseil en vertu du paragraphe 12(1) de la Loi sur la défense nationale?

[66]           Comme l’a indiqué l’Autorité de dernière instance en matière de griefs, les ORFC sont adoptées en vertu du paragraphe 12(1) de la Loi sur la défense nationale, qui autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements concernant, entre autres, la discipline, l’efficacité et la bonne administration des Forces canadiennes. L’article 20.03 des ORFC énonce l’objet du Programme des Forces canadiennes sur le contrôle des drogues, lequel est en tous points conforme aux objectifs en regard desquels le gouverneur en conseil est habilité à prendre des règlements.

 

[67]           Par conséquent, la Cour reconnaît avec l’Autorité de dernière instance en matière de griefs que le Programme des Forces canadiennes sur le contrôle des drogues établi par le chapitre 20 des ORFC a été adopté conformément au pouvoir conféré par le paragraphe 12(1) de la Loi sur la défense nationale.

 

[68]           Dans ses observations écrites, le demandeur semblait contester la constitutionnalité de la définition du terme « drogue » contenue au chapitre 20. Comme il n’a pas développé cet argument devant la Cour, nous n’en tiendrons pas compte. Notons que l’article 57 des Règles des Cours fédérales DORS/98‑106 exige, en règle générale, que le procureur général du Canada et ceux des provinces soient avisés au cas où la constitutionnalité d’une loi est en cause. Le demandeur a reconnu cette exigence et précisé à l’audience qu’il ne contestait pas la validité constitutionnelle de la législation en cause dans cette demande.

 

Question no 2 :      L’échantillon d’urine du demandeur a‑t‑il été prélevé en contravention de l’article 20.11?

[69]           Le demandeur a soutenu que l’ordre l’obligeant à fournir un échantillon d’urine était illégal. Comme je l’ai mentionné plus haut, le demandeur a précisé à l’audience qu’il n’entendait pas présenter d’arguments d’ordre constitutionnel, même si ses observations écrites paraissaient contester la constitutionnalité de l’article 20.11 des ORFC. Il fait néanmoins valoir que l’ordre de fournir un échantillon d’urine aux fins d’analyse était illégal pour deux raisons : 1) le commandant ne l’a pas informé des motifs raisonnables sur lesquels cet ordre était fondé, et 2) le commandant ne pouvait pas avoir la conviction raisonnable requise que l’analyse révélerait que le demandeur prenait des stéroïdes.

 

[70]           Le demandeur n’a soulevé aucun de ces arguments devant le Directeur – Administration (Carrières militaires). La Cour estime par conséquent qu’il a renoncé à ses droits de formuler des objections : voir Affaire intéressant la compétence d’un tribunal des droits de la personne pour continuer son enquête et la plainte de la section locale 916 du Syndicat des travailleurs de l’énergie et de la chimie en date du 27 avril 1979 présentée en vertu de l’article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (S.C. 1976‑77, chap. 33 et modifications) c. Énergie atomique du Canada Limitée, [1986] 1 C.F. 103, 24 D.L.R. (4th) 675; Jackson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 89, par. 39 à 41, où l’on précise qu’il faut faire valoir dès que possible les arguments touchant la justice naturelle.

 

[71]           Entre le moment où l’analyse d’urine a été ordonnée et celui où il a informé le Directeur – Administration (Carrières militaires) qu’il acceptait d’être placé sous mise en garde et surveillance, c’est‑à‑dire entre le 8 octobre 2004 et le 21 janvier 2005, le demandeur a eu presque quatre mois pour penser à sa ligne de conduite. Il avait reçu le dossier de renseignements qui contenait entre autres les résultats de son analyse d’urine et sa lettre d’aveu. Il n’a pas soulevé l’ombre d’une objection devant le Directeur voulant que les résultats de l’analyse d’urine et la lettre d’aveu aient été obtenus illégalement ou injustement. De plus, la preuve indique que le demandeur a remis en question la « constitutionnalité » de l’analyse d’urine le jour où elle a été effectuée, et qu’il a choisi d’exercer son droit de ne pas s’auto‑incriminer. Par conséquent, la Cour estime que le demandeur connaissait, dès le 8 octobre, ces motifs potentiels d’objection, et qu’il ne lui est pas donné d’invoquer ensuite son ignorance pour arguer qu’il n’a pas renoncé à ses droits.

 

[72]           Comme l’a déclaré la Cour dans Jackson, précitée, « c’est une règle de droit bien connue que celle selon laquelle il faut alléguer à la première occasion toute violation d’un principe de justice naturelle ». Le demandeur n’a pas soulevé ces questions devant le Directeur et la Cour conclut qu’il a de ce fait renoncé à la possibilité de formuler plus tard des objections.

 

[73]           Quoi qu’il en soit, la Cour examinera les observations du demandeur et considérera tour à tour les objections qu’il a soulevées au sujet de l’analyse d’urine.

 

Question no 2a) : L’ordre d’analyse d’urine a‑t‑il été donné en contravention de l’article 20.11, attendu que le demandeur n’a pas eu droit à une instruction équitable avant le prélèvement de son échantillon d’urine?

[74]           L’article 20.11 des ORFC autorise un commandant à ordonner une analyse d’urine obligatoire pour déceler la présence d’une drogue illicite, de manière à pouvoir décider des mesures administratives ou disciplinaires qui s’imposent. Une analyse effectuée en vertu de cette disposition peut être utilisée comme preuve contre un officier, notamment dans le cadre d’instances disciplinaires ou criminelles. Notons que cet article diffère en cela de plusieurs autres dispositions du même chapitre, en vertu desquelles les résultats d’analyse ne peuvent pas être utilisés comme preuve dans des instances disciplinaires : voir l’article 20.15.

 

[75]           Certes, le demandeur avait droit à l’équité procédurale au stade de l’enquête, mais les garanties fournies en ce sens par l’article 20.11 des ORFC sont suffisantes. Cette disposition exige que le militaire reçoive, avant que l’analyse d’urine ne soit ordonnée, un « résumé écrit ou oral » des motifs raisonnables sur lesquels l’ordre est fondé, et qu’on lui permette d’y répondre s’il le souhaite. Bien que l’OAFC 19‑21 requière un résumé écrit, notons qu’il s’agit là d’une politique administrative qui n’est pas juridiquement contraignante. Compte tenu des facteurs énumérés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.S. no 39, [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour estime que le résumé oral et la possibilité d’y répondre garantis par l’article 20.11 suffisent à dissiper les préoccupations liées à la justice naturelle. Au stade de l’enquête, les droits du demandeur à la protection de ses renseignements personnels entraient en jeu, mais la décision d’ordonner une analyse d’urine n’était pas susceptible de porter atteinte à ses autres droits.

 

[76]           En l’espèce, l’Autorité de dernière instance en matière de griefs a conclu que le demandeur avait reçu un résumé oral des motifs sur lesquels l’ordre d’analyse d’urine était fondé. Pour parvenir à cette conclusion, l’Autorité s’est appuyée sur les courriels envoyés les 13 et 18 octobre 2006 par le capitaine‑adjudant du demandeur en réponse aux demandes de renseignements de l’Autorité de dernière instance en matière de griefs. Dans son courriel du 18 octobre 2006, le capitaine‑adjudant décrit la [traduction] « séquence des événements » et le [traduction] « résumé oral » qu’il a présentés au demandeur durant leur rencontre du 8 octobre 2004 :

[traduction] Je lui ai expliqué que quelqu’un qu’il connaissait très bien avait révélé à la PM [police militaire] qu’il utilisait des stéroïdes. Je lui ai dit que cette personne avait déclaré qu’il lui avait montré une fiole de stéroïdes. Je lui ai expliqué que cette personne avait fourni des détails sur sa consommation de stéroïdes qu’il tenait du militaire (McBain) même. Je lui ai dit quels étaient les trois types de stéroïdes mentionnés dans le rapport initial adressé au NCSM Star (Equipoise, Sustanon et D‑Bol). Je lui ai ensuite expliqué le processus ainsi que le Programme des Forces canadiennes sur le contrôle des drogues (OAFC 19‑21). Je lui ai demandé s’il en voulait une copie, ce à quoi il a répondu par la négative, indiquant qu’il le connaissait bien à cause de son instruction.

 

[77]           L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a aussi noté que la manière dont le demandeur avait été traité ne trahissait aucun motif pour lequel le commandant ou le capitaine‑adjudant lui auraient dissimulé des éléments de preuve dont ils disposaient (c’est moi qui souligne) :

[traductionEn dehors de vos assertions, je ne vois rien dans votre dossier de grief qui soit susceptible de démontrer que votre capitaine‑adjudant ou votre commandant ne vous ont pas fourni un résumé des motifs sur lesquels le commandant s’est fondé pour vous ordonner de fournir un échantillon d’urine le 8 octobre 2004. Je ne vois pas non plus pourquoi il vous l’aurait refusé, ni quels avantages le commandant ou le capitaine‑adjudant auraient tirés en vous le dissimulant. Par conséquent, compte tenu de la prépondérance des probabilités, je conclus qu’on vous a fourni un résumé des informations qui formeraient les motifs raisonnables pour lesquels on vous a ordonné de fournir un échantillon d’urine aux fins d’analyse.

 

 

[78]           La Cour estime que l’Autorité de dernière instance en matière de griefs pouvait raisonnablement conclure que le demandeur avait reçu un résumé oral de la preuve et qu’il ne nous appartient pas d’intervenir.

 

[79]           De plus, même s’il n’a pas été informé de l’existence de l’enregistrement DVD de l’entrevue de la police militaire avec son témoin clé, ou d’autres allégations avancées mais non maintenues, la Cour estime que cela n’entame en rien la valeur du résumé que le demandeur a reçu. Il n’était pas indispensable qu’il sache quelle forme avait la preuve pour en connaître le contenu. Il a reçu un résumé de tous les éléments clés de l’enquête, ce qui est conforme à la règle en vertu de laquelle il a le droit de connaître ce qui lui est reproché. Aucun décideur ne s’est fondé sur le DVD ou sur les autres allégations contenues dans le rapport de la police militaire, ces éléments sont donc dépourvus de pertinence.

 

[80]           Enfin, la Cour signale que l’essentiel de cet argument est théorique. Dans sa lettre d’aveu et d’excuse datée du 8 octobre 2004, M. McBain déclarait :

[traduction] […] Notre altercation (avec son ancien camarade de chambrée) la nuit précédente m’a appris l’essentiel des détails de l’enquête sur laquelle s’appuyaient les conclusions de la PM […]

 

[81]           M. McBain savait donc que son camarade de chambrée avait signalé aux autorités militaires qu’il prenait des stéroïdes. Par conséquent, M. McBain admet dans cette lettre, le jour même de l’analyse d’urine, qu’il connaissait les motifs raisonnables en vertu desquels l’analyse d’urine avait été ordonnée.

 

Question no 2b) : L’ordre d’analyse d’urine a‑t‑il été donné en contravention de l’article 20.11, attendu que le commandant ne pouvait pas avoir la conviction raisonnable requise que le test révélerait que le demandeur prenait des stéroïdes?

[82]           L’article 20.11 des ORFC autorise un commandant à ordonner des analyses d’urine s’il « croit, pour des motifs raisonnables, que [le militaire] a fait usage d’une drogue […] au cours de la période durant laquelle un tel usage aurait pu être raisonnablement dépisté au moyen d’une analyse d’urine ».

 

[83]           Le demandeur a fait valoir que le commandant ne pouvait pas avoir de « motifs raisonnables » d’ordonner l’analyse d’urine, car l’article 20.11 exige qu’il ait la conviction raisonnable que l’analyse donnera des résultats. Il ajoute que si le commandant s’était enquis de la probabilité de dépistage des stéroïdes au moyen d’une analyse d’urine, il aurait appris qu’elle était faible.

 

[84]           À l’instar de l’Autorité de dernière instance en matière de griefs, la Cour estime que le commandant a pu, parce qu’il connaissait les habitudes de consommation du demandeur, établir le moment probable où il avait fait le plus récemment usage de stéroïdes. Comme l’analyse d’urine a révélé la présence de stéroïdes et que le demandeur a reconnu dans sa lettre d’aveu qu’il s’attendait à ce résultat, la Cour ne saurait souscrire à cet argument.

 

Question no 3 :      La manière dont l’enquête a été menée soulève‑t‑elle une crainte raisonnable de partialité ou signale‑t‑elle une véritable partialité à l’échelle institutionnelle ou individuelle?

[85]           Les allégations de partialité, comme celles qui concernent les autres droits procéduraux, doivent être soulevées à la première occasion : voir les décisions citées plus haut. En l’espèce, le demandeur connaissait les faits sous‑tendant ses allégations actuelles de manquements à l’équité procédurale des mois avant son audience devant le Directeur – Administration (Carrières militaires). En ne soulevant pas la question à ce moment‑là, le demandeur a renoncé à son droit de le faire dans une instance subséquente, notamment devant la Cour. Quoi qu’il en soit, même si elle devait se prononcer là‑dessus, la Cour conclurait à l’absence de partialité.

 

[86]           Le demandeur soutient que le processus d’enquête prévu à l’article 20.11 crée une partialité d’ordre institutionnel. Le demandeur fait remarquer qu’en vertu du régime instauré par la politique, le commandant ordonne la tenue d’une enquête, détermine s’il existe des motifs raisonnables d’ordonner l’analyse et reçoit les observations du militaire visé par l’enquête. Pour le demandeur, ces rôles multiples entravent l’indépendance et l’impartialité du décideur.

 

[87]           Puisque le mandat de perquisition des quartiers ou d’autres biens entreposés doit normalement être délivré par un autre officier, le demandeur soutient qu’il est illogique que l’officier chargé de l’enquête puisse ordonner lui‑même le prélèvement d’un échantillon d’urine, d’autant qu’une analyse d’urine est bien plus importune qu’une perquisition de quartiers. Comme l’article 20.11 n’indique pas si l’analyse d’urine doit être ordonnée par le même commandant ou non, la Cour devrait en inférer, si l’on en croit le demandeur, que l’ordre doit provenir d’un autre commandant.

 

[88]           La Cour estime que même si le commandant était tenu informé de l’enquête, l’Autorité de dernière instance en matière de griefs pouvait raisonnablement conclure qu’il ne la dirigeait pas. L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a jugé que la preuve démontrait plutôt que c’était la police militaire qui menait l’enquête. C’est d’ailleurs le Directeur – Administration (Carrières militaires), et non le commandant du demandeur, qui a décidé quelles conséquences la violation de la politique sur l’usage de drogues aurait sur le demandeur. En l’espèce, la Cour convient avec l’Autorité de dernière instance en matière de griefs que le commandant n’a pas outrepassé son pouvoir légal et n’a pas agi de manière à susciter une crainte de partialité.

 

[89]           Même s’il n’a pas allégué que son commandant avait personnellement fait preuve de partialité, la Cour attire l’attention sur la lettre très positive et favorable que ce dernier a rédigée à l’occasion du transfert du demandeur à Halifax, et sur les autres commentaires qu’il a formulés et qui ont été versés en preuve et cités plus tôt. Le commandant a maintes fois parlé du demandeur comme d’un [traduction] « officier remarquable » qui a dû surmonter de graves difficultés personnelles, mais qui regrettait sa conduite et méritait de faire carrière dans les Forces canadiennes. Cela prouve que le commandant n’était pas partial envers le demandeur.

 

[90]           Par conséquent, la Cour conclut que le régime législatif créé par l’article 20.11 des ORFC et par l’OAFC 19‑21 n’entraîne pas de partialité réelle ou de risque de partialité. Une personne bien informée qui examinerait l’affaire de manière réaliste et pragmatique ne concevrait pas une crainte raisonnable de partialité ou de manque d’indépendance, qu’on ne constate d’ailleurs pas en pratique.

 

Question no 4 :      La lettre d’aveu du demandeur a‑t‑elle été obtenue en violation de ses droits?

[91]           À l’audience devant la Cour, le demandeur n’a présenté aucune observation au sujet de la lettre d’aveu. La Cour s’appuiera néanmoins sur ses observations écrites pour se prononcer sur ce point.

 

[92]           Le demandeur a fait valoir que la lettre d’aveu a été obtenue par suite d’une [traduction] « influence indue », en violation de ses droits, et qu’elle a enfreint son droit de ne pas s’auto‑incriminer, un droit constitutionnel protégé par l’article 10 de la Charte.

 

[93]           En ce qui a trait à l’observation du demandeur selon laquelle sa lettre d’aveu a été obtenue par suite d’une [traduction] « influence indue », la Cour estime que la doctrine n’a pas lieu de s’appliquer ici. Le demandeur se fonde sur la décision du protonotaire Hargrave dans Khaper c. Canada, [1999] A.C.F. no 1735, dans laquelle la Cour a défini l’expression « influence indue » comme un concept en equity servant à annuler une transaction où une partie n’a donné son consentement que parce qu’elle subissait de la part de l’autre partie une influence telle qu’elle se trouvait « privée de son libre‑arbitre ». La Cour ne voit pas en quoi le demandeur est ici partie à une « transaction », au sens où ce terme est entendu par le concept en equity de l’influence indue; il n’y a rien que la Cour puisse annuler.

 

[94]           L’Autorité de dernière instance en matière de griefs a estimé que, par ses observations à cet égard, le demandeur se réclamait de la règle contre l’auto‑incrimination inscrite à l’article 10 de la Charte (et à l’alinéa 2d) de la Déclaration des droits), en insinuant que son aveu était involontaire. Après avoir jugé en premier lieu que la règle contre l’auto‑incrimination ne s’appliquait pas compte tenu de l’absence de menaces criminelles, l’Autorité de dernière instance en matière de griefs a conclu que : [traduction] « Je puis fort bien concevoir que vous étiez soucieux et peiné le 8 octobre 2004 à cause de la santé défaillante de votre mère, mais vous n’avez présenté aucune preuve qui suggère que vous étiez incapable de prendre des décisions rationnelles, compte tenu de votre état d’esprit. »

 

[95]           La règle contre l’auto‑incrimination s’applique en cas de détention ou de déclaration involontaire par l’accusé. La Cour estime que le demandeur n’était pas en détention lorsqu’il a envoyé sa lettre d’aveu. D’ailleurs, même s’il était en présence de ses commandants et apparemment soumis à leur influence, le demandeur a refusé de dire quoi que ce soit. Il a rédigé cette lettre plus tard ce soir‑là, dans le confort de son foyer, et l’a envoyée par courriel au personnel concerné. Quoique la « détention » puisse s’étendre à l’influence psychologique, la conduite du demandeur dans cette affaire démontre qu’il n’était pas intimidé par ses supérieurs lorsqu’il a envoyé la lettre : voir R. c. Grant, [2009] 2 R.C.S. 353.

 

[96]           La Cour estime que la conclusion de l’Autorité de dernière instance en matière de griefs selon laquelle le demandeur était sain d’esprit, quoique bouleversé, lorsqu’il a rédigé la lettre était raisonnable, et elle ne reviendra pas dessus. Le type d’incapacité mentale envisagé par la doctrine de la contrainte, de l’influence indue et des aveux involontaires est bien plus grave que celui dont fait état la preuve soumise par le demandeur à l’Autorité de dernière instance en matière de griefs. Dans la mesure où il aurait pu subir d’autres pressions, ces observations témoignent de la portée qu’il convient d’accorder à la lettre d’aveu.

 

Question no 5 :      Le demandeur a‑t‑il été privé de son droit à une audition équitable parce que les résultats de son test d’urine et sa lettre d’aveu ont servi de preuves pour ordonner la mise en garde et la surveillance?

[97]           Le demandeur fait valoir que l’examen administratif qui s’est soldé par l’imposition de la mise en garde et de la surveillance était fautif, car il était fondé sur une preuve obtenue en contravention de ses droits. Le demandeur soutient notamment que la décision du Directeur était erronée parce qu’il n’avait pas encore consulté le rapport de la police militaire contenant les allégations à l’origine de l’enquête initiale, et qu’il ignorait l’existence du DVD ou des notes de la police militaire concernant l’enquête. Comme je l’ai indiqué plus tôt, le demandeur n’a soulevé aucune de ces questions devant le Directeur – Administration (Carrières militaires).

 

[98]           Le demandeur a bénéficié d’une audition équitable devant le Directeur. Toute la preuve sur laquelle ce dernier s’est appuyé lui a été divulguée, et il a présenté ses propres observations écrites, où il n’a contesté que l’allégation selon laquelle il avait menacé M. Lindner et son père. Il n’a formulé aucune autre objection, et, comme nous l’avons mentionné plus haut, a accepté la recommandation touchant la mise en garde et la surveillance.

 

[99]           La Cour estime que le Directeur – Administration (Carrières militaires) ne s’est pas fondé sur le rapport militaire; d’ailleurs, il n’aurait eu aucune raison de le faire puisqu’il disposait de la lettre d’aveu du demandeur, des résultats positifs de l’analyse d’urine et de la lettre de réponse au dossier de renseignements dans laquelle le demandeur acceptait d’être astreint au régime de mise en garde et de surveillance.

 

[100]       La Cour a conclu plus tôt que les droits du demandeur relatifs à l’équité procédurale n’avaient pas été violés. Elle estime d’autre part qu’en ne formulant pas ses objections devant le Directeur – Administration (Carrières militaires), le demandeur a renoncé à son droit d’en faire valoir ultérieurement au stade du grief.

 

CONCLUSION

[101]       Pour tous ces motifs, la Cour rejette la demande.

 

DÉPENS

[102]       Le demandeur a soutenu au début de l’audience que les dépens ne devaient pas être adjugés contre lui parce qu’il est étudiant au doctorat, que ses moyens financiers sont limités et que cette demande devant la Cour fédérale devait lui permettre de [traduction] « tourner la page ». Le défendeur a néanmoins demandé que les dépens lui soient accordés puisque cette affaire lui a imposé un lourd fardeau financier. Il est évident que cette affaire a coûté des dizaines de milliers de dollars en ressources aux Forces canadiennes.

 

[103]       L’audience devant la Cour a démontré que les droits du demandeur à la justice naturelle et à l’équité n’ont pas été violés, et qu’il a bénéficié en fait du soutien et de la compassion des Forces canadiennes. Malheureusement, le demandeur était bouleversé pendant cette période, puis il a quitté volontairement les Forces canadiennes parce qu’il était [traduction] « dégoûté et consterné que l’armée ne soit pas intervenue » lorsqu’il a menacé de se suicider.

 

[104]       Lorsqu’une partie introduit une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, elle est légalement responsable des frais engagés par le défendeur si la demande n’aboutit pas. D’habitude, les dépens pour une affaire aussi importante, notamment les frais d’avocat et les débours, sont de l’ordre de 20 000 $ à 30 000 $. Dans les circonstances de l’affaire, la Cour ordonne, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, que le montant des dépens soit réduit à 5 000 $, payables par le demandeur au défendeur en un versement unique.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

La demande de contrôle judiciaire de la décision de l’Autorité de dernière instance en matière de griefs datée du 30 août 2010 est rejetée; les dépens sont réduits à un montant de 5 000 $ payables par le demandeur au défendeur.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 

 


ANNEXE 1 : DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Le paragraphe 12(1) de la Loi sur la défense nationale, L.R. 1985, ch. N‑5, autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements en vue de l’administration des Forces canadiennes :

12. (1) Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements concernant l’organisation, l’instruction, la discipline, l’efficacité et la bonne administration des Forces canadiennes et, d’une façon générale, en vue de l’application de la présente loi.

12. (1) The Governor in Council may make regulations for the organization, training, discipline, efficiency, administration and good government of the Canadian Forces and generally for carrying the purposes and provisions of this Act into effect.

 

 

L’article 18 de la Loi sur la défense nationale autorise le chef d’état‑major de la défense à donner des instructions en vue de l’application du règlement :

18. (1) Le gouverneur en conseil peut élever au poste de chef d’état‑major de la défense un officier dont il fixe le grade. Sous l’autorité du ministre et sous réserve des règlements, cet officier assure la direction et la gestion des Forces canadiennes.

 

 

 

(2) Sauf ordre contraire du gouverneur en conseil, tous les ordres et directives adressés aux Forces canadiennes pour donner effet aux décisions et instructions du gouvernement fédéral ou du ministre émanent, directement ou indirectement, du chef d’état‑major de la défense.

18. (1) The Governor in Council may appoint an officer to be the Chief of the Defence Staff, who shall hold such rank as the Governor in Council may prescribe and who shall, subject to the regulations and under the direction of the Minister, be charged with the control and administration of the Canadian Forces.

 

(2) Unless the Governor in Council otherwise directs, all orders and instructions to the Canadian Forces that are required to give effect to the decisions and to carry out the directions of the Government of Canada or the Minister shall be issued by or through the Chief of the Defence Staff.

 

L’article 20.01 des Ordonnances et règlements royaux des Forces canadiennes (ORFC) définit ainsi le mot « drogue » :

«drogue» Selon le cas :

 

a) une substance désignée tel que le définit la Loi

réglementant certaines drogues et autres substances

(Lois du Canada (1996), chapitre 19);

 

b) toute autre substance, à l’exclusion de l’alcool, dont

l’usage peut affaiblir les facultés physiques ou mentales

et dont l’usage a été interdit par le chef d’état‑major de la défense.

 

 

“drug” means :

 

(a) a controlled substance as defined in the

Controlled Drugs and Substances Act (Statutes of

Canada, 1996, Chapter 19); or

 

 

(b) any other substance, except for alcohol, the use of

which can impair normal psychological or physical

functioning and the use of which has been prohibited

by the Chief of the Defence Staff;

L’article 20.03 des ORFC énonce l’objet du Programme des Forces canadiennes sur le contrôle des drogues :

Le programme des Forces canadiennes sur le contrôle des

drogues a pour objet de maintenir :

 

a) l’état de préparation opérationnel des Forces

canadiennes;

b) la sécurité des militaires des Forces canadiennes et du

public;

c) la santé des militaires des Forces canadiennes et du

public;

d) la sécurité des établissements de défense, des

matériels et des biens publics ou privés;

e) la sécurité des renseignements classifiés pour des raisons d’intérêt national ou de ceux protégés de toute

autre manière par la loi;

f) la discipline au sein des Forces canadiennes;

g) la fiabilité des militaires des Forces canadiennes;

 

h) la cohésion et le bon moral au sein des Forces

canadiennes.

 

 

The purpose of the Canadian Forces Drug Control

Program is the maintenance of :

 

(a) the operational readiness of the Canadian Forces;

 

(b) the safety of members of the Canadian Forces and

the public;

(c) the health of members of the Canadian Forces and

the public;

(d) the security of defence establishments, materiel

and other public or private property;

(e) the security of information classified in the

national interest or otherwise protected by law;

 

(f) discipline within the Canadian Forces;

(g) the reliability of members of the Canadian Forces;

and

(h) cohesion and morale within the Canadian Forces

L’article 20.04 des ORFC interdit l’usage de drogues :

Il est interdit à un officier ou à un militaire du rang de faire usage de toute drogue, sauf dans les cas suivants :

a) un médecin ou dentiste qualifié a autorisé le militaire à faire usage d’une drogue à des fins de traitements médicaux ou de soins dentaires;

b) la drogue fait partie intégrante d’un médicament disponible sans ordonnance dont le militaire fait usage en conformité avec les instructions du médicament;

c) le militaire est tenu de faire usage d’une drogue dans l’accomplissement de ses tâches militaires.

 

 

No officer or non‑commissioned member shall use any drug unless :

 

(a) the member is authorized to use the drug by a qualified medical or dental practitioner for the purposes of medical treatment or dental care;

(b) the drug is contained in a non‑prescription medication used by the member in accordance with the instructions accompanying the medication; or

(c) the member is required to use the drug in the course of military duties.

 

L’article 20.07 des ORFC prévoit les conditions dans lesquelles l’ordre d’analyse d’urine est donné :

(1) Tout ordre donné en vertu de toute disposition des articles 20.08 (Dissuasion par l’analyse d’urine) à 20.13 (Analyse d’urine sur une base anonyme) en vue d’une analyse obligatoire est émis par écrit.

(2) L’ordre doit contenir, à tout le moins, les renseignements suivants :

a) une description suffisamment détaillée permettant d’identifier les officiers ou les militaires du rang assujettis à l’ordre;

b) l’article en vertu duquel l’analyse d’urine est ordonnée;

c) la période pendant laquelle les échantillons d’urine doivent être fournis;

d) si une seule personne est autorisée à recevoir des échantillons d’urine, le nom ou le poste de cette personne et, si plus d’une personne est autorisée à les recevoir, le nom ou le poste de la personne qui doit superviser la collecte des échantillons.

(3) Tout officier ou militaire du rang a, sur demande, le droit de consulter une copie de l’ordre lui enjoignant de remettre un échantillon d’urine.

 

 

(1) An order for mandatory urine testing made pursuant to any of articles 20.08 (Deterrent Testing) to 20.13 (Blind Testing) shall be issued in writing.

 

 

(2) The order shall contain, as a minimum,

 

(a) information sufficient to clearly identify the officers or non‑commissioned members who are subject to the order;

 

(b) the article under which the testing is ordered;

(c) the time period within which the urine samples are to be obtained; and

(d) where only one person is authorized to obtain urine samples, the name or designation of that person and, where more than one person is authorized to obtain samples, the name or designation of the person who is to supervise the obtaining of the samples.

(3) Any officer or non‑commissioned member subject to testing pursuant to an order shall be shown a copy of the order on request.

L’article 20.11 des ORFC autorise le commandant à ordonner une analyse pour un motif valable :

(1) Un commandant peut ordonner à un officier ou à un militaire du rang de fournir un échantillon d’urine s’il croit, pour des motifs raisonnables, que le militaire a fait usage d’une drogue en contravention avec l’article 20.04 (Interdiction) au cours de la période durant laquelle un tel usage aurait pu être raisonnablement dépisté au moyen d’une analyse d’urine.

(2) Avant qu’un commandant décide s’il y a des motifs raisonnables d’ordonner à un militaire de fournir un échantillon d’urine, il doit satisfaire aux conditions suivantes :

a) remettre au militaire un résumé écrit ou verbal des renseignements constituant les motifs pour lesquels la décision serait fondée;

b) donner une occasion raisonnable au militaire de lui fournir tout renseignement additionnel et de lui présenter des observations sur la question de savoir s’il devrait ordonner au militaire de fournir un échantillon d’urine.

(3) L’alinéa (2) n’oblige pas un militaire à fournir au commandant des renseignements additionnels ou à lui présenter ses observations.

(4) L’alinéa (2) n’a pas pour effet d’obliger la communication de renseignements qui auraient pu être valablement exemptés ou exclus si le militaire avait fait une demande de renseignements en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels ou de la Loi sur l’accès à l’information.

(5) Les résultats d’analyse d’urine obtenus aux termes de tout autre article de la présente section ne peuvent servir de motifs raisonnables pour justifier en vertu du présent article l’émission d’un ordre en vue d’une analyse d’urine.

 

 

(1) Where a commanding officer has reasonable grounds to believe that an officer or non‑commissioned member has used a drug contrary to article 20.04 (Prohibition) within a time period during which that use could reasonably be detected by urine testing, the commanding officer may order the member to provide a sample of urine.

 

(2) Before a commanding officer decides whether reasonable grounds exist to order that the member provide a urine sample, the commanding officer shall cause the member to be :

(a) provided with a written or oral summary of the information that forms the grounds upon which the decision would be based; and

(b) given a reasonable opportunity to provide additional information and submissions to the commanding officer concerning whether the member should be ordered to provide a urine sample.

(3) There is no obligation on the member under paragraph (2) to provide additional information and make submissions should the member not wish to do so.

(4) Nothing in paragraph (2) requires the release of information that could properly have been exempted or excluded from release had the member requested that information pursuant to the Privacy Act or Access to Information Act.

 

 

 

(5) The results of a urine test obtained under any other article in this section do not constitute reasonable grounds to order testing pursuant to this article.

En vertu de l’article 20.14 des ORFC, il est obligatoire de fournir un échantillon lorsque l’ordre en est donné :

(1) Il est interdit à un officier ou à un militaire du rang de faire défaut ou de refuser de fournir, sans excuse raisonnable, un échantillon d’urine lorsqu’il en reçoit l’ordre en conformité avec le présent chapitre.

(2) Le défaut ou le refus de fournir un échantillon d’urine en conformité avec le présent chapitre peut entraîner des mesures disciplinaires et administratives.

 

 

(1) No officer or non‑commissioned member shall, without reasonable excuse, fail or refuse to provide a urine sample when required to do so in accordance with this chapter.

 

(2) Failure or refusal to provide a urine sample in accordance with this chapter may result in disciplinary or administrative action, or both.

L’annexe B de l’Ordonnance administrative des Forces canadiennes 19‑21 (OAFC 19‑21) prévoit les procédures administratives relatives à l’analyse d’urine obligatoire. L’OAFC 19‑21 établit qu’avant de donner un ordre aux termes de l’article 20.11 des ORFC, un commandant doit fournir un résumé écrit des renseignements sur lesquels l’ordre est fondé :

23.              [] Avant de décider s’il existe des motifs raisonnables permettant d’ordonner à un militaire de fournir un échantillon d’urine en vertu de l’article 20.11 des ORFC, un Cmdt doit à la fois :

                                                                                                 a.      Remettre au militaire intéressé une copie de l’ordre qu’il se propose d’émettre, lequel figure à l’appendice 3, ainsi qu’un résumé des renseignements établissant les motifs sur lesquels la décision serait fondée []

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1634‑10

 

INTITULÉ :                                                   M. JORDAN J. MCBAIN c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 7 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 22 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jordan McBain

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Craig Collins‑Williams

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jordan McBain

Sudbury (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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