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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110620

Dossier : T-749-10

Référence : 2011 CF 727

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2011

En présence de madame la juge Bédard

 

 

ENTRE :

 

RAMANAN THAMBIAH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

L’ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES

 

 

 

 

défenderesse

 

 

SYNDICAT DES DÉBARDEURS DU PORT

DE MONTRÉAL

 

 

 

intervenant

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, d’une décision rendue le 15 avril 2010 par le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal), dans laquelle le Tribunal a rejeté la plainte du demandeur selon laquelle la défenderesse aurait fait preuve de discrimination à son endroit.

 

I. Le contexte factuel de la demande

 

[2]               À l’époque des faits allégués, le demandeur travaillait en tant que débardeur au Port de Montréal. En octobre 2005, il est devenu admissible à un poste dans la première réserve, ce qui aurait pu lui donner à terme une sécurité d’emploi et de meilleurs avantages sociaux. Pour être nommé dans la première réserve, le demandeur devait réussir un examen afin qu’il puisse obtenir la qualité d’« opérateur de camion ». Il a passé l’examen à deux reprises, mais il a échoué les deux fois. L’Association des employeurs maritimes (la défenderesse) a conclu que le demandeur avait échoué la première fois (le 25 janvier 2006) parce qu’il avait accroché un conteneur et la seconde fois (le 26 janvier 2006) parce qu’il n’avait pas été capable de réussir certaines manœuvres.

 

[3]               Devant le Tribunal et la Cour, le demandeur a soutenu que, lors de son premier essai, l’évaluateur l’a dérangé et a intentionnellement nui à sa performance. Il allègue, que lors de son second essai, les reflets du soleil ont frappé son miroir d’une telle façon qu’ils l’ont empêché de réussir certaines manœuvres. En outre, le demandeur avance que les freins de la remorque étaient défectueux et que l’évaluateur a injustement refusé de lui permettre de repasser une troisième fois l’examen.

 

[4]               Le demandeur a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), dans laquelle il allègue avoir été victime de discrimination sur la base de son « ethnicité », de son « âge » et de sa « situation familiale ». Pendant l’audience devant le Tribunal, le demandeur a laissé tomber la partie de sa plainte portant sur les deux premiers motifs de discrimination, à savoir l’« ethnicité » et l’« âge ». Le demandeur a continué d’alléguer avoir fait l’objet de discrimination sur la base de sa « situation familiale ». Il a plaidé le népotisme. Selon le demandeur, la défenderesse aurait écarté sa candidature au profit de candidats qui avaient des liens familiaux avec des dirigeants et des employés de la défenderesse. Le demandeur soutient pour l’essentiel que, parce qu’il n’avait aucun lien familial avec un employé de la défenderesse, on a fait en sorte qu’il échoue à ses deux premiers examens de conduite, et qu’on ne lui a pas donné l’occasion de passer l’examen une troisième fois. Il aurait donc fait l’objet d’un traitement différent et discriminatoire.

 

[5]               Avant de déposer sa plainte à la Commission, le demandeur a présenté une plainte contre son syndicat auprès du Conseil canadien des relations industrielles. Il prétendait dans sa plainte que son syndicat ne l’avait pas représenté de façon adéquate parce que le syndicat avait refusé de déposer un grief visant à contester la façon dont la défenderesse avait traité le demandeur dans le processus de promotion. Cette plainte a été rejetée parce qu’elle avait été déposée en dehors du délai établi et parce qu’elle n’était pas fondée (dossier numéro 2076-C).

 

II. La décision du Tribunal

 

[6]               Le Tribunal a rejeté la plainte du demandeur et a conclu que ce dernier n’avait pas été victime de discrimination sur la base de sa situation familiale. La décision du Tribunal était fondée sur plusieurs conclusions.

 

[7]               Premièrement, le Tribunal a conclu que la crédibilité du demandeur était « très faible ». Cette conclusion était fondée sur plusieurs contradictions dans le témoignage du demandeur. Le Tribunal a fait état de son appréciation de la crédibilité du demandeur de la façon suivante :

[48]      Il laisse l’impression d’une personne dépassée par les conséquences de son échec, qui tente désespérément de comprendre ce qui a bien pu lui arriver. Au cours de l’audience, il expose tout haut le fruit de cette réflexion. Il en arrive à formuler un certain nombre d’hypothèses.

 

[49]      Selon lui, la discrimination et le sabotage de la part du formateur et de l’évaluateur expliqueraient en partie ses deux échecs. Plusieurs facteurs externes expliqueraient également ces mêmes échecs. Lorsqu’il témoigne, il tire donc dans toutes les directions. Ses hypothèses sont parfois difficilement imaginables et encore moins vérifiables.

 

[50]      Finalement, le plaignant formule peu de faits concrets pour soutenir sa position et se réfugie principalement derrière des hypothèses ou sur du ouï-dire.

 

[51]      Par son témoignage, le plaignant démontre clairement avoir de la difficulté à distinguer entre les faits de son cas et les hypothèses qui pourraient expliquer ces faits.

 

[52]      En dernier ressort, il est difficile d’accorder beaucoup de poids à la version du plaignant lorsque celle-ci est confrontée à celle d’un témoin qui témoigne sur des faits dont il a une connaissance personnelle.

 

[53]      Bref, selon nous, la crédibilité du plaignant est très faible

 

[8]               Deuxièmement, l’appréciation de la preuve par le Tribunal, y compris une vidéo, l’a mené à tirer les conclusions suivantes :

·        Le plaignant a effectivement accroché un conteneur à son premier essai, ce qui constitue un échec automatique;

·        La condition des freins du camion ne peut pas expliquer l’échec du demandeur à son second examen, et rien dans la preuve ne révèle que les représentants de la défenderesse ont posé quelque geste délibéré que ce soit afin de le faire échouer;

·        La règle de deux essais maximums était en vigueur avant que le demandeur passe l’examen, et elle était appliquée sans égard à l’âge, à l’ethnicité ou aux liens familiaux des employés de la défenderesse;

·        La règle de deux essais maximums a été appliquée sans discrimination envers le demandeur;

·        Rien ne révèle que les pratiques d’embauche sont viciées par du népotisme ou du favoritisme. Les explications sur les circonstances spéciales qui ont poussé la défenderesse à offrir un troisième essai à certains candidats étaient satisfaisantes et ne révélaient ni népotisme ni favoritisme;

·        Le Tribunal a souligné qu’il n’avait « pris connaissance d’aucun cas où un débardeur a pu obtenir la classification camion à cause des liens de famille qui ont pu le lier à des membres, dirigeants ou actionnaires de l’AEM [la défenderesse] ».

 

III. Les questions en litige

 

[9]               Le demandeur a fait plusieurs allégations visant la décision du Tribunal, lesquelles portaient pour l’essentiel sur la question de savoir si le Tribunal avait commis une erreur dans l’appréciation de la preuve et, en particulier, dans son évaluation de la vidéo et de la crédibilité du demandeur.

 

IV. La norme de contrôle

 

[10]           Toutes les questions soulevées par le demandeur portent sur l’examen de la preuve et sur l’appréciation de la crédibilité du demandeur auxquels s’est livré le Tribunal. Il est bien établi que la Cour doit faire preuve de retenue envers l’appréciation, par un tribunal administratif, de la preuve et de la crédibilité et que la norme de contrôle applicable aux conclusions tirées à cet égard est la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir); Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339). Le rôle de la Cour lors du contrôle d’une décision selon la raisonnabilité a été énoncé de la façon suivante au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir :

47        La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

V. Analyse

 

[11]           Le demandeur soutient que le Tribunal a commis un certain nombre d’erreurs dans son appréciation de la preuve :

·        La crédibilité du demandeur a été minée par la décision de la Commission canadienne des relations industrielles, décision qui, à son tour, était fondée sur des [traduction] « mensonges » du syndicat;

·        Le Tribunal a commis une erreur dans son appréciation de la preuve portant sur les faits qui ont mené à l’échec du demandeur aux deux examens;

·        Le Tribunal a commis une erreur dans son appréciation de la preuve lorsqu’il a conclu qu’aucun traitement de faveur n’avait été offert à un autre candidat lors de l’évaluation;

·        Le Tribunal n’a pas écouté au complet la vidéo et ne l’a pas comprise;

·        Le Tribunal a commis une erreur dans son appréciation de la preuve sur la règle de deux essais maximums et sur l’application de cette règle au demandeur.

 

[12]           Après un examen minutieux de la preuve, de la vidéo et de la décision du Tribunal, je suis d’avis que la présente demande n’est pas fondée.

 

[13]           Les prétentions du demandeur révèlent qu’il est en profond désaccord avec le Tribunal quant à l’appréciation de la preuve, ce qui n’est pas suffisant pour justifier l’intervention de la Cour. Il n’appartient pas à la Cour de réexaminer la preuve ou de substituer sa propre appréciation de la preuve à celle du Tribunal administratif. La Cour n’intervient que si les conclusions du Tribunal sont fondées sur des conclusions de fait tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve. Rien ne me permet de conclure que le Tribunal a apprécié la preuve de façon abusive ou arbitraire, et ses conclusions sont étayées par la preuve et sont raisonnables. En outre, son raisonnement est clair, et les conclusions sont bien motivées et appartiennent « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, paragraphe 47). Rien ne justifie l’intervention de la Cour. La présente demande sera rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-749-10

 

INTITULÉ :                                       RAMANAN THAMBIAH c. L’ASSOCIATION DES

                                                            EMPLOYEURS MARITIMES

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ramanan Thambiah

 

POUR LE DEMANDEUR

Daniel Leduc

 

POUR LA DÉFENDERESSE

Annick Desjardins

POUR L’INTERVENANT

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ramanan Thambiah

Montréal, Québec

 

POUR LE DEMANDEUR

Ogilvy Renault, s.e.n.c.r.l., s.r.l.

Montréal, Québec

 

POUR LE DÉFENDEUR

Annick Desjardins

 

POUR L’INTERVENANT

 

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