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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110614

Dossier : T-245-10

Référence : 2011 CF 687

Ottawa, Ontario, le 14 juin 2011

En présence de monsieur le juge Scott

 

ENTRE :

 

NICOLE LANDRY

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

BANQUE ROYALE DU CANADA

 

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande pour condamnation au paiement de dommages-intérêts aux termes des articles 14 et 16(c) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, LC 2000 c 5 (la « Loi »), par Nicole Landry (la « demanderesse »), suite à la communication d’informations relatives à ses comptes personnels ouverts dans une succursale de la Banque Royale du Canada (« défenderesse »). Aux termes de l’article 14 de la Loi, il s’agit d’un procès de novo (Nammo c TransUnion of Canada, 2010 CF 1284 au para 28 [Nammo]).

 

A.           FAITS

 

[2]               La demanderesse faisait affaire avec la succursale de la défenderesse située au 1875, rue Notre-Dame, L’Ancienne-Lorette, Québec. Le 3 décembre 2007, dans le cadre de la procédure de divorce de la demanderesse, la défenderesse a reçu un subpoena duces tecum de Maître Julie Arsenault, avocate du mari de la demanderesse, Monsieur Jean-Paul Racine. Le subpoena ordonnait à Madame Josette Bouchard, employée de la succursale de L’Ancienne-Lorette de la défenderesse, de comparaître personnellement devant la Cour et d’apporter certains documents touchant les comptes personnels de la demanderesse.

 

[3]               Le subpoena fut remis au Centre de soutien à la clientèle de la défenderesse pour assurer les recherches nécessaires et colliger les documents demandés. Les politiques et procédures internes de la défenderesse exigent qu’un consentement préalable soit accordé par le titulaire d’un compte avant que la banque communique des informations personnelles et confidentielles. Les documents demandés ont été acheminés à la succursale, avec instructions de ne les communiquer que sur obtention du consentement préalable de la demanderesse. Les instructions transmises à la succursale précisaient également qu’à défaut de recevoir le consentement requis du titulaire des comptes, la personne nommée au subpoena devait comparaître à la Cour et y apporter les documents requis. La défenderesse aurait transmis un formulaire de consentement à la demanderesse, le 4 décembre 2007. La demanderesse soutient n’avoir jamais reçu ce formulaire.

 

[4]               Le 5 décembre 2007, Madame Bouchard, préposée de la défenderesse, a transmis par télécopieur les copies des états de comptes détaillés de la demanderesse à Maître Arsenault, malgré l’absence de consentement. La crédibilité de la demanderesse a été remise en cause au cours du procès en divorce devant la Cour Supérieure, compte tenu de son incapacité de répondre aux questions au sujet de ses comptes personnels à la Banque Royale. La demanderesse prétend avoir dénoncé cette situation auprès de Madame Bouchard, laquelle niait toute connaissance de l’incident malgré une preuve subséquente du contraire. Elle lui aurait également mentionné son intention de déposer une plainte à ce sujet.

 

[5]               Le 23 avril 2009, la défenderesse a reçu une lettre de Madame Joan Riznek, enquêteuse au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, l’informant de la plainte déposée par la demanderesse. La défenderesse prétend que ce n’est que sur réception de cette lettre qu’elle a appris que des informations avaient été transmises à Maître Arsenault. La défenderesse aurait ensuite enquêté à l’interne. Une employée de la succursale avait transmis les informations à Maître Arsenault ; la défenderesse aurait appris l’identité de cette employée, en l’occurrence Madame Bouchard, qu’au moment de recevoir l’affidavit de la demanderesse en l’espèce, avec la page couverture de la télécopie. Ce dernier document établit clairement que la préposée de la défenderesse, Madame Bouchard, était responsable de l’envoi à Me Arsenault et ce, en contravention directe à la politique et à la procédure de la Banque.

 

[6]               Puisque son enquête interne n’avait pas identifié l’employée fautive, la défenderesse a tenu une session de réapprentissage pour les employés responsables du « traitement des demandes de tiers ». La défenderesse a remis au Commissariat à la protection de la vie privée une lettre décrivant ses politiques et procédures applicables sur réception d’un subpoena, l’enquête qu’elle a menée dans le dossier de la demanderesse, et les correctifs mis de l’avant pour éviter la répétition de tels incidents.

 

[7]               Le rapport du Commissariat du 13 janvier 2010 conclut que la plainte déposée par la demanderesse était bien fondée et résolue.

 

B.           LÉGISLATION PERTINENTE

 

[8]               Les articles suivants de la Loi sont pertinents:

 

Demande

 

14. (1) Après avoir reçu le rapport du commissaire ou l’avis l’informant de la fin de l’examen de la plainte au titre du paragraphe 12.2(3), le plaignant peut demander que la Cour entende toute question qui a fait l’objet de la plainte - ou qui est mentionnée dans le rapport - et qui est visée aux articles 4.1.3, 4.2, 4.3.3, 4.4, 4.6, 4.7 ou 4.8 de l’annexe 1, aux articles 4.3, 4.5 ou 4.9 de cette annexe tels qu’ils sont modifiés ou clarifiés par la section 1, aux paragraphes 5(3) ou 8(6) ou (7) ou à l’article 10.

 

Application

 

14. (1) A complainant may, after receiving the Commissioner’s report or being notified under subsection 12.2(3) that the investigation of the complaint has been discontinued, apply to the Court for a hearing in respect of any matter in respect of which the complaint was made, or that is referred to in the Commissioner’s report, and that is referred to in clause 4.1.3, 4.2, 4.3.3, 4.4, 4.6, 4.7 or 4.8 of Schedule 1, in clause 4.3, 4.5 or 4.9 of that Schedule as modified or clarified by Division 1, in subsection 5(3) or 8(6) or (7) or in section 10.

 

Délai

 

(2) La demande est faite dans les quarante-cinq jours suivant la transmission du rapport ou de l’avis ou dans le délai supérieur que la Cour autorise avant ou après l’expiration des quarante-cinq jours.

 

Time of application

 

(2) A complainant must make an application within 45 days after the report or notification is sent or within any further time that the Court may, either before or after the expiry of those 45 days, allow.

 

Précision

 

(3) Il est entendu que les paragraphes (1) et (2) s’appliquent de la même façon aux plaintes visées au paragraphe 11(2) qu’à celles visées au paragraphe 11(1).

For greater certainty

 

(3) For greater certainty, subsections (1) and (2) apply in the same manner to complaints referred to in subsection 11(2) as to complaints referred to in subsection 11(1).

 

Réparations

 

16. La Cour peut, en sus de toute autre réparation qu’elle accorde :

 

Remedies

 

16. The Court may, in addition to any other remedies it may give,

 

a) ordonner à l’organisation de revoir ses pratiques de façon à se conformer aux articles 5 à 10;

 

(a) order an organization to correct its practices in order to comply with sections 5 to 10;

 

b) lui ordonner de publier un avis énonçant les mesures prises ou envisagées pour corriger ses pratiques, que ces dernières aient ou non fait l’objet d’une ordonnance visée à l’alinéa a);

 

(b) order an organization to publish a notice of any action taken or proposed to be taken to correct its practices, whether or not ordered to correct them under paragraph (a); and

 

c) accorder au plaignant des dommages-intérêts, notamment en réparation de l’humiliation subie.

(c) award damages to the complainant, including damages for any humiliation that the complainant has suffered.

 

 

 

Le Commissariat a déterminé que la défenderesse avait enfreint le principe 4.3 de l’Annexe 1 de la Loi :

 

4.3 Troisième principe - Consentement

 

Toute personne doit être informée de toute collecte, utilisation ou communication de renseignements personnels qui la concernent et y consentir, à moins qu’il ne soit pas approprié de le faire.

 

Note : Dans certaines circonstances, il est possible de recueillir, d’utiliser et de communiquer des renseignements à l’insu de la personne concernée et sans son consentement. Par exemple, pour des raisons d’ordre juridique ou médical ou pour des raisons de sécurité, il peut être impossible ou peu réaliste d’obtenir le consentement de la personne concernée. Lorsqu’on recueille des renseignements aux fins du contrôle d’application de la Loi, de la détection d’une fraude ou de sa prévention, on peut aller à l’encontre du but visé si l’on cherche à obtenir le consentement de la personne concernée. Il peut être impossible ou inopportun de chercher à obtenir le consentement d’un mineur, d’une personne gravement malade ou souffrant d’incapacité mentale. De plus, les organisations qui ne sont pas en relation directe avec la personne concernée ne sont pas toujours en mesure d’obtenir le consentement prévu. Par exemple, il peut être peu réaliste pour une oeuvre de bienfaisance ou une entreprise de marketing direct souhaitant acquérir une liste d’envoi d’une autre organisation de chercher à obtenir le consentement des personnes concernées. On s’attendrait, dans de tels cas, à ce que l’organisation qui fournit la liste obtienne le consentement des personnes concernées avant de communiquer des renseignements personnels.

 

C.           QUESTIONS EN LITIGE

 

[9]               La demanderesse demande à la Cour de prononcer les ordonnances suivantes:

 

1.      Une ordonnance pour forcer la défenderesse « de changer cette pratique de communiquer des renseignements personnels sans autorisation de la personne concernée. »

2.      Une ordonnance pour le paiement des dommages suivants :

                                                               i.      50 000$ pour atteintes à l’honneur, la dignité et la réputation ;

                                                             ii.      25 000$ pour dommages moraux, troubles et inconvénients ; et

                                                            iii.      25 000$ à titre de dommages exemplaires.

 

D.           ANALYSE

 

a) Pratiques de la Banque

 

Prétentions de la demanderesse

 

[10]           La demanderesse soutient que la défenderesse doit se conformer aux lois régissant la divulgation de renseignements personnels et qu’elle devait obtenir son consentement préalable avant de transmettre quelque document à un tiers.

 

[11]           Bien qu’elle demande à la Cour d’émettre une ordonnance pour forcer la défenderesse à modifier ses pratiques en matière de divulgation de renseignements personnels à des tiers, les représentations de la demanderesse ne précisent aucunement les reproches qu’elle adresse à la politique et aux procédures existantes de la défenderesse, ni les correctifs recherchés.

 

Prétentions de la défenderesse

 

[12]           La défenderesse rappelle à la Cour que la demanderesse ne l’a pas contre-interrogé sur ses affidavits. La défenderesse soutient qu’elle a adopté des politiques et des procédures internes pour assurer la protection des informations confidentielles de ses clients et empêcher leur divulgation à des tiers sans l’obtention du consentement préalable des titulaires de comptes. Elle souligne de plus avoir tenu une session de réapprentissage pour ses employés dès qu’elle a constaté la faute commise dans ce dossier.

 

[13]           La défenderesse rappelle de plus qu’elle n’a pas contesté les allégations de la demanderesse au cours de l’enquête du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. La défenderesse prétend que la demanderesse n’a fourni aucun élément de preuve pour appuyer sa prétention que les politiques et procédures internes de la Banque sont insuffisantes pour assurer la protection des informations confidentielles de ses clients. Par conséquent, l’ordonnance recherchée par la demanderesse à l’effet que la défenderesse devrait modifier ses pratiques en la matière serait sans fondement.

 

Analyse

 

[14]           La Cour reconnaît que la demanderesse n’a pas déposé d’éléments de preuve outre ses allégations factuelles en cette instance, pour établir que les politiques et procédures de la Banque ne protègent pas adéquatement les renseignements personnels de ses clients. Il n’est pas contesté que la Banque a tenu une session de réapprentissage pour ses employés afin d’éviter la répétition de ce genre d’erreur. La demanderesse n’a pas précisé les modifications aux pratiques de la Banque qu’elle désire que cette Cour ordonne. Dans ces circonstances, vu l’absence d’éléments de preuve précis établissant une faille dans les politiques et procédures de la défenderesse, la Cour ne peut émettre l’ordonnance recherchée par la demanderesse.

 

b) Dommages

 

Le droit applicable

 

[15]           Dans Randall c Nubodys Fitness Centres, 2010 CF 681 [Randall], le juge Richard Mosley écrivait ce qui suit au sujet des dommages accordés aux termes de l’article 16 de la Loi :

 

[55] Les dommages-intérêts prévus à l'article 16 de la LPRPDE ne peuvent pas être accordés à la légère. Ils ne doivent l'être que dans les cas les plus flagrants. Or, j'estime que la présente affaire ne constitue pas un cas flagrant.

 

[56] Les tribunaux accordent des dommages-intérêts lorsque la violation est très grave et attentatoire comme dans le cas d’enregistrements vidéos ou d’espionnage téléphonique, qui ne se comparent en rien à la violation qui s’est produite en l’espèce (Malcolm c. Fleming (C.S.C.-B.), greffe de Nanaimo no S17603, [2000] B.C.J. No. 2400; Srivastava c. Hindu Mission of Canada (Québec) Inc. (Q.C.A.), [2001] R.J.Q. 1111, [2001] J.Q. no 1913).

 

[16]           Il faut que le dommage allégué découle directement de la faute commise. Dans Stevens c SNF Maritime Metal Inc, 2010 CF 1137 [Stevens], le juge Michael Phelan de cette Cour a refusé d’accorder des dommages suite à une communication illégale d’informations confidentielles à l’employeur du demandeur malgré que la divulgation ait provoqué le congédiement du demandeur :

 

[28] La source de la plainte du demandeur, c'est la perte de son emploi. Le demandeur réclame même d'être dédommagé de la perte découlant de la perte de son second emploi. Toutes les pertes réclamées, toutefois, sont directement liées à son congédiement justifié. Quoique le congédiement n'aurait peut-être pas eu lieu en l'absence de la divulgation, la perte réclamée est liée au congédiement que le demandeur pouvait tenter de faire déclarer illicite - un droit auquel il a renoncé.

 

[29] Le droit d'action découlant de la LPRPDE ne met pas un terme aux droits existants à des dommages-intérêts. Il s'agit plutôt du droit de réclamer un type différent de dommages-intérêts, soit pour atteinte au droit à la vie privée.

 

[17]           D’ailleurs, dans La responsabilité civile, par Jean-Louis Baudouin (ancien juge de la Cour d’appel du Québec) et Patrice Deslauriers, 7e éd, vol II, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2007, aux para 2-450, 458, tel que cité par la défenderesse, les auteurs nous rappellent que :

 

Le devoir de confidentialité ou de discrétion (art. 1434 C.c.) n’interdit pas totalement à l’institution de fournir de l’information sur ses clients à des tiers. Elle ne peut abuser de ce droit sous peine de voir sa responsabilité contractuelle engagée envers son client, dans la mesure toutefois où il en subit un préjudice.

 

[…]

 

Naturellement, la transmission fautive de l’information doit être causalement reliée au préjudice subi par le tiers.

 

 

[18]           Le juge Russell W. Zinn précisait, dans Nammo, que l’octroi de dommages aux termes de l’article 16(c) de la Loi est discrétionnaire.

 

 

 

 

Prétentions de la demanderesse

 

[19]           La demanderesse décrit en détail, dans ses prétentions écrites, les problèmes auxquels elle fut confrontée suite à la communication de ses informations à l’avocate de son ex-mari. Elle prétend avoir été anéantie et perdue durant le procès de divorce lorsque l’avocate l’a interrogé au sujet de ses comptes personnels détenus à la banque défenderesse. Elle allègue que ses droits ont été lésés par cette divulgation fautive de la défenderesse. Il s’en serait suivi des préjudices majeurs dans sa vie personnelle. Elle connaît maintenant des problèmes avec sa famille et ses amis suite au comportement de son ex-mari qui utilise certains passages du jugement en divorce pour porter atteinte à sa réputation.

 

Prétentions de la défenderesse

 

[20]           La défenderesse prétend que le préjudice subi par la demanderesse découle du jugement en divorce de la Cour supérieure et de l’usage qu’en fait l’ex-mari et non de l’erreur de la défenderesse. La défenderesse cite l’extrait suivant du jugement en divorce de la demanderesse (onglet A-2, Dossier de la défenderesse):

 

[74] Au niveau de l’administration des argents, Nicole Landry change dans les dernières années de vie commune. Elle devient cachottière : bas de laine à l’insu de Jean-Paul Racine, ouverture d’un compte bancaire à l’insu de Jean-Paul Racine. Les faits sont muets non pas sur l’existence mais sur le contenu actuel du bas de laine.

 

La défenderesse souligne que la juge décrit le contenu des comptes personnels de la demanderesse et explique que Monsieur Racine a eu connaissance de ces comptes au procès ou peu de temps avant (para 95-96). La juge expose notamment au paragraphe 96, que lors de son interrogatoire tenu le 9 novembre 2007, la demanderesse a nié détenir d’autres comptes bancaires, à plusieurs reprises.

 

[21]           La défenderesse soumet que cette Cour doit déterminer quel aurait été le déroulement des faits si la faute n’avait pas été commise (Parrot c Thompson et al, [1984] 1 RCS 57 à la page 71). La défenderesse rappelle l’obligation légale, en matières familiales, de fournir tous ses renseignements personnels, y compris ses renseignements financiers. Dans l’arrêt Rick c Brandsema, 2009 CSC 10, la Cour suprême s’est exprimée ainsi :

 

[49] […] Imposer aux conjoints en instance de séparation l’obligation de révéler de manière franche et complète l’existence de tous les biens contribue donc à faire en sorte que l’un et l’autre puissent déterminer dans quelle mesure l’accord correspond aux objectifs d’équité de la législation moderne en matière matrimoniale, ainsi que la mesure dans laquelle ils sont le cas échéant vraiment disposés à s’en écarter.

 

[22]           La défenderesse soumet que la demanderesse devait divulguer tous ses renseignements personnels y compris tous ses actifs. Puisqu’un subpoena duces tecum avait été signifié à la Banque, les documents et renseignements personnels au sujet de la demanderesse auraient été versés au dossier de la Cour Supérieure, même s’ils n’avaient pas été communiqués directement à Maître Arsenault.

 

[23]           La défenderesse rappelle qu’au cours de son interrogatoire en l’instance, la demanderesse a admis avoir été représentée par avocat durant la procédure de divorce et a reconnu avoir nié l’existence de ses comptes personnels, malgré les multiples questions de l’avocate de son ex-mari à ce sujet. Elle ne voulait pas produire les états détaillés de ses comptes personnels mais son avocat ne s’est pas objecté à leur production. La demanderesse a aussi admis que la Cour supérieure avait conclu à la pertinence de la production de ces états de compte détaillés. En plus, ces mêmes états se retrouvent dorénavant dans deux dossiers de cour accessibles au public (cette Cour ainsi que la Cour supérieure du Québec).

 

[24]           La défenderesse soumet que l’affidavit de la demanderesse précise bien que les problèmes occasionnés par son ex-mari découlent de certains extraits du jugement de la Cour Supérieure. La défenderesse cite les extraits de son interrogatoire aux pages 63-64 (Dossier de la défenderesse, onglet C) dans lesquels la demanderesse explique que son ex-mari « se promène avec le jugement de divorce » et qu’il l’a déposé à la Cour des petites créances lorsqu’ils s’y sont présentés.

 

[25]           La défenderesse conclu donc que les dommages allégués découlent du jugement en divorce. Le préjudice subi serait le même si l’employée de la défenderesse n’avait pas communiqué les documents directement à Maître Arsenault, puisqu’en présence d’un subpoena duces tecum lui ordonnant de se présenter à la Cour avec les documents, les états détaillés auraient tout de même été versés au dossier de la Cour Supérieure. Il n’y aurait donc pas de lien direct entre la communication fautive des documents et les dommages subis par la demanderesse. Selon la défenderesse, la demanderesse se sent plutôt lésée en raison des commentaires négatifs à son sujet que l’on retrouve dans le jugement en divorce.

 

[26]           Si la demanderesse a été humiliée durant le procès, elle serait seule fautive aux dires de la défenderesse puisqu’elle a tenté de cacher l’existence de ses comptes de banque personnels malgré ses obligations à l’effet contraire. La défenderesse soumet aussi que la Banque n’a jamais agi de mauvaise foi.

 

[27]           Alternativement, la défenderesse soumet que si la Cour accorde des dommages-intérêts à la demanderesse en raison de la communication prématurée des documents, le quantum devrait être inférieur à 5 000$, le montant accordé récemment dans Nammo. Dans cette affaire, la défenderesse a communiqué de fausses informations financières à des institutions prêteuses de qui le demandeur sollicitait un prêt. La défenderesse prétend que contrairement au demandeur dans Nammo, la demanderesse en l’espèce n’est pas sans reproche. En conséquence, toute condamnation en dommage à un montant qui serait plus que symbolique récompenserait la demanderesse alors qu’elle serait responsable en grande partie du préjudice qu’elle prétend subir.

 

Analyse

 

[28]           Dans Nammo, le juge Zinn fait siennes les conclusions de l’arrêt Randall précité, dans lequel le juge Mosley énumère les éléments à considérer lorsque la Cour accorde des dommages aux termes de l’article 16(c) de la Loi :

 

[71] […] Dans Randall c. Nubodys Fitness Centres, 2010 CF 681, le juge Mosley a conclu que les dommages-intérêts prévus à l'article 16 ne doivent pas être accordés à la légère et qu'ils doivent uniquement être accordés « dans les cas les plus flagrants ». C'est le cas en l'espèce. Dans Randall, décision dans laquelle le demandeur s'était plaint du fait que des renseignements sur sa fréquentation d'un centre de conditionnement physique avaient été révélés à son ancien employeur, le juge Mosley a statué que la divulgation contestée de renseignements personnels était « minime », que le demandeur n'avait pas subi de préjudice justifiant de lui accorder des dommages-intérêts, que la défenderesse n'avait obtenu aucun avantage commercial de sa violation de la Loi, que la défenderesse n'avait pas agit de mauvaise foi et, peut-être plus important encore, qu'il n'y avait aucun lien entre la divulgation et le fait que l'employeur aurait pris des mesures de représailles contre le demandeur. On ne peut en dire autant en l'espèce.

 

Le juge Zinn a condamné la défenderesse à verser 5 000$ à Monsieur Nammo. La Cour est d’avis que la présente instance tient en partie de ces deux scénarios. Il faut reconnaître que tout comme dans Randall, la défenderesse n’a obtenu aucun avantage commercial de la faute commise par une de ses préposées et qu’il n’y a aucune preuve que la défenderesse a agi de mauvaise foi, si ce n’est que Madame Bouchard a nié toute connaissance du dossier alors qu’elle est à l’origine même de la divulgation fautive. La divulgation de renseignements personnels en l’espèce n’est pas anodine ; elle constitue une faute majeure, d’autant plus que l’employée de la Banque a tenté de dissimuler son geste fautif.

 

[29]           La Cour reconnaît que la demanderesse a subi un préjudice en l’espèce. Toutefois, elle a contribué à son propre malheur en tentant de cacher sous serment l’existence de ses comptes personnels alors qu’elle avait l’obligation d’en divulguer l’existence. À sa décharge, la demanderesse prétend avoir été mal conseillée par son procureur. Un titulaire de compte de banque ne s’attend pas à ce que son institution bancaire dévoile à un tiers, sans son consentement préalable, des renseignements sur ses comptes personnels. La faute commise demeure grave même si on tient compte du subpoena duces tecum et de la divulgation qui s’en aurait suivie mais dans un contexte différent.

 

[30]           Il faut également reconnaître toutefois qu’une grande partie du préjudice subi par la demanderesse découle de ses propres actions. La Banque est responsable pour la divulgation directe des informations à l’avocate de l’ex-mari, mais on ne peut lui reprocher que ces renseignements furent versés au dossier de la Cour supérieure. Le subpoena duces tecum obligeait l’employée de la Banque à se présenter en cour munie des documents et des informations pertinentes. La juge en a tiré des conclusions et l’ex-mari utilise ces dernières pour nuire à la demanderesse et détruire sa relation avec sa famille et ses amis.

 

[31]           Dans Stevens, le juge Phelan a déterminé que les principes d’equity s’appliquent à l’octroi de dommages-intérêts et a tenu compte que Monsieur Stevens avait « contribué à ses problèmes par ses propres agissements » (para 24). Le juge Phelan a appliqué la doctrine des « mains propres » dans cette affaire.

 

[32]           En tenant compte de la faute contributive de la demanderesse, qui est partiellement à l’origine de ses propres problèmes, ainsi que du manquement grave de la préposée de la défenderesse et de sa dissimulation subséquente, la Cour en arrive à la conclusion que la demanderesse a subi une humiliation aux termes de l’article 16(c) de la Loi, et que cette faute de la défenderesse mérite une compensation en faveur de la demanderesse, mais ne donne pas lieu à des dommages exemplaires tels que demandés. En conséquence, nous fixons un montant de 4 500$ avec intérêts et dépens à être payé à la demanderesse par la défenderesse.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que pour les motifs susmentionnés, elle condamne la défenderesse à payer un montant de 4 500 $, avec intérêts et dépens, à la demanderesse.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-245-10

 

INTITULÉ :                                       NICOLE LANDRY et BANQUE ROYALE DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               2 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      14 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nicole Landry

 

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Louis Gratton

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nicole Landry

 

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

 

OGILVY RENAULT S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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