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Date : 20110614

Dossier : IMM‑4722‑10

Référence : 2011 CF 693

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

ROBERT ROCKY FACI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision, en date du 12 juillet 2010 (la décision), par laquelle une représentante du ministre a déféré le dossier du demandeur pour enquête à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié conformément au paragraphe 44(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Le rapport d’interdiction de territoire daté du 14 avril 2010 (le rapport), établi en application du paragraphe 44(1) de la Loi et adopté à titre de motifs par la représentante du ministre, mentionnait que le demandeur était un résident permanent du Canada interdit de territoire pour grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la Loi en raison du fait qu’il avait été déclaré coupable, en juillet 2008, d’avoir commis un vol qualifié, proféré des menaces et omis de comparaître en cour.

 

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de l’ex‑Yougoslavie âgé de 25 ans. Son père est d’origine albanaise et sa mère, d’origine serbe. Il est arrivé au Canada avec sa famille en 1990 et s’est vu accorder le statut de résident permanent à titre de réfugié au sens de la Convention. Il est célibataire et n’a pas d’enfant; il n’a aucun parent connu à l’extérieur du Canada. Il s’entend bien avec ses parents, qui le soutiennent affectivement et financièrement. Il purge actuellement une peine de quatre ans et sept mois à l’Établissement de Drumheller pour trois chefs de vol qualifié, deux chefs d’omission de comparaître en cour et un chef de menaces; il a été déclaré coupable le 23 juillet 2008.

 

[3]               Le demandeur a été déclaré coupable d’infractions criminelles à l’adolescence et à l’âge adulte et, outre les infractions susmentionnées, il a notamment été déclaré coupable des infractions suivantes : méfait, entrave dans l’exécution des fonctions d’un agent de la paix, incendie criminel, introduction par effraction, vol, possession de biens criminellement obtenus d’une valeur inférieure à 5000 $ et d’une valeur supérieure à 5000 $, voies de fait, prise d’un véhicule à moteur sans consentement, omission de comparaître en cour et défaut de se conformer à une ordonnance de probation.

 

[4]               Le demandeur est toxicomane. Il a commencé à consommer de la marijuana au début de son adolescence et il a plus tard eu de graves problèmes de cocaïne. Il s’est abstenu de consommer des stupéfiants pendant deux ans, à partir de la fin de 2005, période durant laquelle il n’a fait l’objet d’aucune déclaration de culpabilité au criminel. Sa rechute a marqué la réapparition de son comportement criminel. Lorsqu’il a commencé à purger sa peine à Drumheller, le demandeur a subi un test de contrôle pour la marijuana qui s’est révélé positif. Toutefois, il a par la suite suivi au complet le Programme national de traitement de la toxicomanie ‑ Intensité modérée (PNTT‑IM) et le Programme de prévention de la violence ‑ Intensité élevée (PPV‑IE). Il a été placé dans une unité « sans drogue », fait l’objet de tests de dépistage administrés de façon aléatoire et fréquente (qu’il subit systématiquement avec succès) et participe régulièrement aux rencontres des Narcotiques Anonymes. De plus, à Drumheller, le demandeur a étudié et réussi l’équivalent de ses études secondaires.

 

[5]               Le 20 juillet 2009, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a envoyé au demandeur une lettre requise par l’équité qui lui fournissait des renseignements généraux sur le déroulement de l’enquête et l’invitait à présenter des observations écrites dans un délai de 15 jours suivant la réception de la lettre.

 

[6]               Le 1er mars 2010, soit plus de sept mois plus tard, le demandeur a répondu à l’ASFC par l’intermédiaire de son avocat. Il a présenté 20 pages d’observations écrites et 118 pages de documents justificatifs et demandé que son dossier ne soit pas déféré pour enquête. À l’appui de ses observations, il a notamment présenté une évaluation psychologique effectuée par M. Patrick Baillie, datée du 11 décembre 2009, et un rapport sur les résultats obtenus dans le cadre du programme suivi à l’Établissement de Drumheller, daté du 4 février 2010. Le 4 mars 2010, l’avocat du demandeur a envoyé une mise à jour de l’évaluation de M. Baillie, datée du 2 mars 2010, qui a été rédigée après que le demandeur eut suivi le PPV‑IE.

 

[7]               Le 14 avril 2010, l’ASFC a établi, en application du paragraphe 44(1) de la Loi, un rapport d’interdiction de territoire (le rapport) qui désignait le demandeur comme étant interdit de territoire pour criminalité. Le 12 juillet 2010, la représentante du ministre a examiné le rapport et décidé de déférer l’affaire pour enquête à la Section de l’immigration afin que celle‑ci détermine si le demandeur est bel et bien interdit de territoire au Canada parce qu’il est une personne décrite au paragraphe 36(1) de la Loi. C’est cette décision de la représentante du ministre qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

DÉCISION CONTESTÉE

 

[8]               Le rapport constitue les motifs de la décision. Il passe en revue le contexte de l’immigration du demandeur et le casier judiciaire de celui‑ci et énumère les facteurs jugés pertinents pour l’enquête.

 

[9]               Le demandeur n’a aucune personne à charge et aucun parent connu à l’extérieur du Canada. Il s’entend bien avec ses parents, qui le décrivent comme une [traduction] « personne qui n’est plus la même ». Le demandeur soutient qu’il devra faire face à beaucoup de difficultés en Serbie parce qu’il est d’origine ethnique albanaise et qu’il ne connaît ni le pays ni la langue qui y est parlée.

 

[10]           Le juge qui a prononcé les peines à la suite des déclarations de culpabilité de 2008 a formulé à l’égard du demandeur des observations pertinentes qui ont été inscrites dans le rapport. Ainsi, le juge Meagher a noté que le demandeur avait un lourd casier judiciaire et que les crimes les plus récents avaient été commis pendant sa mise en liberté provisoire relative à d’autres accusations. Ces faits ont été considérés comme des facteurs aggravants. Toutefois, le juge Meagher a souligné que le jeune âge du demandeur, le fait qu’il a présenté des plaidoyers de culpabilité sans tarder et le fait qu’il n’a pas encore été incarcéré dans un établissement correctionnel fédéral étaient des facteurs atténuants. Le rapport souligne également que le rapport sur le profil criminel du demandeur, établi en février 2009, conclut qu’il présente un risque modéré de récidive.

 

[11]           Le rapport établit un certain nombre de points sur lesquels il existe une preuve contradictoire. Le rapport de février 2009 sur son profil criminel mentionne qu’il n’a pas bien répondu aux programmes de surveillance et de soutien dans la collectivité puisqu’il a eu de la difficulté à se conformer aux règles et a récidivé. Par ailleurs, le plan correctionnel de février 2009 indique que les problèmes de toxicomanie du demandeur ont joué un rôle important dans ses antécédents criminels et qu’il semble désireux de régler ces problèmes. La preuve concernant le comportement du demandeur est également contradictoire; certains rapports le décrivent comme étant [traduction] « agréable et respectueux » et d’autres comme étant [traduction] « grossier » et [traduction] « en colère ». M. Baillie conclut que le demandeur [traduction] « posera un risque relativement moins élevé de récidive à sa libération s’il réussit à continuer de s’abstenir de consommer des drogues illicites et de l’alcool. Il est motivé à y arriver [...]. [I]l est tout à fait possible que le risque de récidive soit gérable dans la collectivité. »

 

[12]           Le rapport conclut comme suit :

[traduction]

Malgré les progrès que M. Faci a réalisés en détention, je note qu’il a de fait récidivé par le passé après avoir été déclaré coupable de multiples infractions criminelles. Il s’est en effet bâti un lourd casier judiciaire au fil des ans. M. Faci avait cessé de consommer des drogues mais il a rechuté après deux ans, et a commis d’autres infractions [...]. Il y a une escalade de la gravité des crimes commis par M. Faci [...]. [S]on dossier révèle plusieurs manquements aux conditions imposées par le tribunal. Compte tenu du comportement de M. Faci par le passé, je ne suis pas convaincu qu’il ne consommera plus de drogues et qu’il ne commettra plus de crimes une fois mis en liberté.

 

L’expulsion serait très difficile pour sa famille sur le plan affectif, mais je note que M. Faci n’a aucune personne à sa charge au Canada. [...]. [I]l serait certainement très difficile pour M. Faci de s’adapter à un pays qu’il a quitté à un très jeune âge et où il ne connaît personne. Par ailleurs, M. Faci s’est piètrement intégré à la société canadienne tel qu’en fait foi son manque de respect à l’égard des lois canadiennes. Dans l’ensemble, je suis d’avis que l’interdiction de territoire et le lourd casier judiciaire de M. Faci l’emportent sur les considérations d’ordre humanitaire de l’affaire.

 

M. Faci a allégué qu’il risquerait d’être persécuté parce qu’il ferait partie de la minorité albanaise en Serbie. M. Faci est un réfugié au sens de la Convention au Canada et il ne peut être renvoyé en Serbie à moins qu’il ne soit décidé qu’il constitue un danger pour le public, auquel cas un examen des risques sera effectué avant qu’une ordonnance d’expulsion ne puisse être exécutée contre lui.

 

[13]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, le rapport recommandait que l’affaire soit déférée pour enquête sur l’interdiction de territoire pour grande criminalité.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[14]           Le demandeur soulève les questions suivantes dans son argumentation :

a.                   La représentante du ministre a‑t‑elle omis de considérer adéquatement tous les facteurs pertinents lorsqu’elle a décidé de déférer l’affaire pour enquête?

b.                  Les motifs de la représentante du ministre, exposés dans le rapport, sont‑ils suffisants?

c.                   La décision a‑t‑elle été prise dans le respect de l’équité procédurale?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[15]           Les dispositions législatives suivantes s’appliquent dans la présente instance :

 

Grande criminalité

 

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

 

 

 

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

 

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

 

 

 

 

[...]

 

Rapport d’interdiction de territoire

 

44. (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

 

 

 

Suivi

 

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

 

Serious criminality

 

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

 

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

 

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

 

 

[...]

 

Preparation of report

 

 

44. (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

 

 

Referral or removal order

 

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well‑founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

 

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[16]           Dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a indiqué qu’une analyse de la norme de contrôle applicable n’est pas toujours nécessaire. Ainsi, lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque la recherche dans la jurisprudence se révèle vaine que la cour de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs de l’analyse de la norme de contrôle.

 

[17]           Notre Cour a statué dans Lasin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1356, aux paragraphes 18 et 19, et dans Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 158, au paragraphe 20, que la décision de déférer l’affaire pour enquête en application du paragraphe 44(2) est susceptible de révision suivant la norme de la décision manifestement déraisonnable. Dans Dunsmuir, précité, la Cour suprême du Canada a déclaré que la norme de la décision raisonnable simpliciter et la norme de la décision manifestement déraisonnable devraient se fondre en une seule norme de la raisonnabilité. Par conséquent, la norme de contrôle applicable à la question est la norme de la décision raisonnable. Voir également Richter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 806, et Ranu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 87. Par ailleurs, notre Cour et la Cour d’appel fédérale ont fourni beaucoup d’éléments d’orientation sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 44(2).

 

[18]           Les questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire sont celles de savoir si la représentante du ministre a omis d’examiner adéquatement tous les facteurs pertinents lorsqu’elle a décidé de déférer l’affaire pour enquête en application du paragraphe 44(2), si les motifs qu’elle a fournis (ceux exposés dans le rapport) étaient suffisants et si elle a pris sa décision dans le respect de l’équité procédurale.

 

[19]           Deux facteurs sont particulièrement pertinents pour déterminer l’étendue du pouvoir discrétionnaire de la représentante du ministre dans les circonstances : le fait que M. Faci est un résident permanent et non un étranger, et le fait qu’il a été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité (par opposition, par exemple, au fait de rester au Canada après la période autorisée par un visa de visiteur). Comme la Cour d’appel fédérale l’affirme dans Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, au paragraphe 23 :

L’immigration est un privilège et non un droit. Les non‑citoyens ne disposent pas du droit absolu d’entrer au pays et d’y demeurer. Le législateur fédéral a le droit d’adopter des textes légaux prévoyant les conditions en vertu desquels les non‑citoyens pourront entrer et demeurer au Canada. La Loi et le Règlement traitent donc les citoyens différemment des résidents permanents, qui eux‑mêmes sont traités différemment des réfugiés au sens de la Convention, qui eux‑mêmes enfin sont traités différemment des autres étrangers [...]

 

[20]           Le représentant du ministre peut déférer l’affaire pour enquête, s’il « estime », selon le libellé du paragraphe 44(2) de la Loi, que le rapport est bien fondé. Il ressort clairement de la jurisprudence que ce mot sous‑entend une norme de déférence, conclusion qui est étayée dans certaines affaires par une analyse du droit d’appel restreint, l’expertise du représentant du ministre, les intérêts de la société comparativement à ceux du demandeur et la nature contextuelle et fortement tributaire des faits de la question.

 

[21]           La détermination de l’étendue du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 44(2) de la Loi dont jouirait le représentant du ministre est une question de droit qui exige l’application de la norme de la décision correcte. Voir l’arrêt Cha, précité, au paragraphe 16.

 

[22]           Il ressort également de la jurisprudence que l’étendue du pouvoir discrétionnaire conféré au représentant du ministre au paragraphe 44(2) varie selon les faits de l’espèce.

 

[23]           La décision Awed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 469, s’appuie sur l’arrêt Cha pour étayer l’affirmation selon laquelle l’étendue du pouvoir discrétionnaire du représentant du ministre prévu au paragraphe 44(2) peut varier selon les arguments présentés ou selon que l’intéressé est un résident permanent ou un étranger. Toutefois, la Cour conclut de façon générale dans Awed que l’étendue du pouvoir discrétionnaire dans les deux cas est « très étroite, ce qui traduit l’intention du législateur : les non‑citoyens qui commettent certains types de crimes ne doivent pas rester au Canada ».

 

[24]           Dans l’arrêt Cha, le juge Décary de la Cour d’appel fédérale affirme : « Dans certains cas mais pas dans d’autres, il peut y avoir une marge d’appréciation. C’est pour cette raison qu’il a été sage de la part du législateur d’utiliser le terme “peut” [au paragraphe 44(2)] ». Toutefois, il conclut ensuite au paragraphe 37, que le pouvoir discrétionnaire est restreint par la Loi :

Je ne peux concevoir que le législateur ait mis autant de soins pour préciser, aux articles 36 et 44 de la Loi, de manière objective, les cas où les auteurs de certaines infractions bien définies commises au Canada doivent être renvoyés du pays, pour ensuite offrir la possibilité à un agent d’immigration ou à un représentant du ministre de permettre à ces personnes de rester au Canada pour des motifs autres que ceux prévus par la Loi ou le Règlement. Il n’appartient pas [...] au représentant du ministre lorsqu’il [...] donne suite [au rapport], de se pencher sur des questions visées par les articles 25 (motif d’ordre humanitaire) et 112 (examen des risques avant renvoi) de la Loi [...].

 

[25]           Il ressort des décisions Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 158, et Richter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 806 (confirmée par la Cour d’appel fédérale), que le représentant du ministre peut disposer d’un certain pouvoir discrétionnaire pour tenir compte de facteurs d’ordre humanitaire, mais que la décision prise en application du paragraphe 44(2) n’est pas un véritable examen des considérations humanitaires. Il semble, de l’avis général, que la Loi prévoit ailleurs des possibilités pour le demandeur de soulever des questions d’ordre humanitaire.

 

[26]           Dans Tran c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CF 1078, le juge Mosley s’est appuyé sur la décision qu’il a rendue dans Richter pour conclure que le devoir d’agir équitablement dans le cadre d’une instance qui se déroule en application du paragraphe 44 est moins strict et est constitué du droit de soumettre des observations et d’obtenir une copie du rapport.

 

[27]           Dans Richter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 806, Mme Richter était, à l’instar de M. Faci, une résidente permanente du Canada qui avait notamment été déclarée coupable d’une infraction grave (dans son cas, le trafic d’armes à feu). Pendant qu’elle était en prison, elle a été interrogée par une agente d’immigration concernant son statut d’immigrante. L’agente a ensuite rédigé un rapport qui recommandait que le dossier de Mme Richter soit déféré pour enquête. Le représentant du ministre a examiné le rapport et décidé, en application du paragraphe 44(2), que le rapport était bien fondé et que l’affaire devrait être déférée pour enquête.

 

[28]           Le contrôle judiciaire visait la décision de l’agente d’établir un rapport et la décision du représentant du ministre de déférer l’affaire pour enquête. Le juge Mosley fait remarquer que les paragraphes 44(1) et (2) de la Loi prévoient que le décideur a le pouvoir d’agir lorsqu’il « estime » que les conditions applicables sont remplies, ce qui, à son avis, indique l’intention du législateur qu’il y ait déférence à l’égard des décisions. Par conséquent, il a conclu que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agente et à la décision du représentant du ministre était la norme de la décision raisonnable.

 

[29]           Aux paragraphes 11 à 13, le juge Mosley s’appuie sur Correia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 782, pour conclure que le pouvoir discrétionnaire de l’agente, sous le régime du paragraphe 44(1), de ne pas établir un rapport est extrêmement limité. Il invoque la décision qu’il a lui‑même rendue dans Awed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 469, comme fondement à l’affirmation selon laquelle l’entrevue réalisée en application du paragraphe 44(1) a pour objet de simplement confirmer s’il existe ou non des faits qui peuvent amener à conclure que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire.

 

[30]           Le juge Mosley conclut que, lorsque les faits soutiennent pareille conclusion, l’agent d’immigration doit établir un rapport; la Loi ne l’autorise pas à exercer un pouvoir discrétionnaire. La Loi ne l’autorise pas non plus à évaluer les facteurs liés à la situation personnelle du demandeur. S’il procède à pareille évaluation mais que celle‑ci n’a aucune incidence sur la décision d’établir un rapport, il n’est cependant pas nécessaire d’annuler cette décision. Le juge Mosley a ajouté au paragraphe 22 que le fait que le demandeur ait exprimé des remords ou non n’est pas pertinent en ce qui a trait à l’obligation de l’agent découlant du paragraphe 44(1) :

Rien dans le libellé clair de la disposition ne tend à indiquer que le législateur voulait donner aux agents un pouvoir discrétionnaire, dans leur décision d’établir ou non un rapport, leur permettant d’examiner si les condamnés regrettaient leurs crimes et devaient donc être exemptés de l’application des dispositions de la LIPR relatives à l’interdiction de territoire.

 

[31]           Le juge  Mosley se penche ensuite sur la décision du représentant du ministre de déférer l’affaire pour enquête. Il s’appuie sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, pour conclure que l’étendue du pouvoir discrétionnaire du représentant du ministre dépend de la question de savoir si l’intéressé est un étranger ou un résident permanent. Dans le cas d’un étranger, le représentant du ministre n’a pas le pouvoir discrétionnaire de déférer l’affaire pour enquête. Dans le cas d’un résident permanent, la Cour d’appel « a laissé en suspens la question de savoir si le [représentant du ministre] disposait d’un pouvoir discrétionnaire [minimal] ». Voir la décision Richter de la Cour fédérale, au paragraphe 14. Dans le cas de Mme Richter, le juge Mosley conclut que le représentant du ministre avait de fait examiné les considérations d’ordre humanitaire et que la décision de déférer l’affaire pour enquête était raisonnable. Cela m’amène à conclure que le juge Mosley estime que le représentant du ministre peut exercer un « pouvoir discrétionnaire minimal » et examiner les considérations d’ordre humanitaire sans que la décision de déférer l’affaire pour enquête ne devienne déraisonnable.

 

[32]           En ce qui a trait à l’équité procédurale, le juge Mosley conclut, aux paragraphes 18, 19 et 24, que le devoir d’agir équitablement relatif à la procédure prévue à l’article 44 est « moins strict », conformément à la décision Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, et est constitué du droit de soumettre des observations et d’obtenir une copie du rapport. Le devoir des agents d’immigration d’agir équitablement n’est pas accru lorsqu’ils ont affaire à des personnes détenues, même si la liberté de ces personnes est restreinte. Il affirme de plus que les motifs sont suffisants s’ils permettent à la personne qui a fait l’objet de la décision d’en comprendre le fondement.

 

[33]           Dans Richter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 73, une décision de 11 paragraphes, la Cour d’appel fédérale a conclu que le juge Mosley n’avait commis aucune erreur donnant matière à révision et elle a en grande partie souscrit à ses motifs.

 

[34]           Dans Tran, précité, M. Tran, tout comme M. Faci, était un résident permanent du Canada. Une ordonnance d’expulsion avait été prononcée à la suite de la tenue d’une audience où il avait été déclaré interdit de territoire. Les motifs, rédigés par le juge Mosley, traitaient de l’équité procédurale dans le cadre de trois mesures : 1) la décision d’établir un rapport sur l’interdiction de territoire en application du paragraphe 44(1); 2) la décision de déférer l’affaire pour enquête en vertu du paragraphe 44(2); 3) l’ordonnance d’expulsion.

 

[35]           Dans Tran, le demandeur avait reçu une lettre l’informant de la tenue de l’enquête et l’invitant à soumettre des observations, ce qu’il a fait. L’agente a tenu une entrevue avec le demandeur et pris des notes. Elle a obtenu confirmation des déclarations de culpabilité du demandeur et rédigé un rapport dans lequel elle déclarait qu’il était interdit de territoire. Ce rapport a été envoyé à la représentante du ministre, qui en a fait ses motifs de décision et a déféré l’affaire pour enquête. L’enquête a eu lieu et une mesure d’expulsion a été prise.

 

[36]           Dans Tran, le demandeur alléguait que le rapport et les notes que l’agente avait prises au cours de l’entrevue auraient dû lui être communiqués avant que la représentante du ministre ne prenne la décision de déférer l’affaire pour enquête. Il faisait valoir que, s’il avait reçu ces documents, il aurait pu soumettre des observations sur les renseignements qu’ils contenaient et peut‑être convaincre la représentante du ministre de ne pas déférer l’affaire. Le juge Mosley a souligné que le demandeur n’avait pas demandé le rapport et qu’il n’avait pas non plus demandé les notes que l’agente avait prises durant l’entrevue.

 

[37]           Le juge Mosley a conclu qu’il n’y avait pas eu manquement à l’équité procédurale. Les renseignements contenus dans le rapport et les notes étaient des renseignements que le demandeur avait ou connaissait déjà. Le juge Mosley s’est appuyé sur la décision qu’il a rendue dans Richter pour conclure que le devoir d’agir équitablement dans le cadre d’une instance qui se déroule en application du paragraphe 44 est moins strict et est constitué du droit de soumettre des observations et d’obtenir une copie du rapport. Il n’y a pas eu manquement à ce devoir à l’égard du demandeur dans cette affaire. Le juge Mosley a affirmé ce qui suit au paragraphe 21 :

 

Le demandeur n’a pas demandé de façon claire et précise que ces documents soient transmis, soit avant la décision de déférer l’affaire soit avant la tenue de l’enquête. Il n’a pas demandé que l’on explique les décisions prises en vertu des paragraphes 44(1) et (2). À mon avis, le demandeur ne peut pas se plaindre maintenant que l’on a omis de communiquer les notes de l’agente ou de fournir des explications, alors qu’il n’a pas demandé que ces informations soient produites.

 

[38]           Lorsqu’une décision est contrôlée suivant la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

ARGUMENTS

            Le demandeur

                        La représentante du ministre a omis de tenir compte de facteurs pertinents

 

[39]           Le demandeur soutient que la représentante du ministre a fait erreur en omettant de prendre en compte deux facteurs pertinents : la situation dans le pays d’origine du demandeur et la réadaptation du demandeur. Dans une affaire semblable à la présente, la Cour a affirmé clairement qu’une décision raisonnable est une décision où le représentant du ministre a examiné tous les facteurs pertinents. Voir Poonawalla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 371, au paragraphe 15, et la décision Lee, précitée, au paragraphe 53. De plus, il est clairement indiqué au chapitre 6 du guide portant sur l’exécution de la loi au pays (l’ENF 6) que, avant de déférer pour enquête le dossier d’un résident permanent, le représentant du ministre devrait considérer plusieurs facteurs pertinents, notamment la situation qui règne dans le pays d’origine du résident permanent.

 

[40]           Dans la présente affaire, le demandeur a présenté une preuve documentaire détaillée qui faisait état des difficultés importantes auxquelles se heurtent les ressortissants d’origine albanaise et de l’insuffisance de la protection offerte par les autorités serbes. L’omission d’aborder ce facteur très pertinent dans le rapport et l’omission de la représentante du ministre d’en tenir compte ressortent d’une observation formulée dans le rapport, selon laquelle le demandeur ne peut être renvoyé en Serbie avant qu’un examen des risques ne soit entrepris puisqu’il est un réfugié au sens de la Convention. Cela ne constitue pas une prise en considération appropriée; la représentante du ministre a permis que l’obligation qui lui incombait de soupeser ce facteur soit transférée à un agent d’examen des risques avant renvoi à une date ultérieure.

 

[41]           La représentante du ministre a également omis d’examiner attentivement le facteur pertinent de la réadaptation. Le rapport mentionne que [traduction] « [c]ompte tenu du comportement de M. Faci par le passé, je ne suis pas convaincue qu’il ne consommera plus de drogues et qu’il ne commettra plus de crimes une fois mis en liberté ». L’ENF 6 indique que le représentant du ministre doit examiner plus particulièrement la question de savoir si un demandeur a terminé un programme de réadaptation. Dans la présente affaire, le demandeur a suivi au moins deux programmes directement liés à sa réadaptation : le PNTT‑IM et le PPV‑IE. Le rapport n’a même pas fait mention de ce dernier programme. Il ne mentionne même pas non plus que, s’il est vrai que le demandeur avait rechuté précédemment, il n’avait alors reçu ni traitements ni assistance structurés pour lutter contre sa dépendance.

 

[42]           De plus, la mise à jour de l’évaluation psychologique de M. Baillie effectuée en mars 2010, qui avait été rédigée après que le demandeur eut suivi le PPV‑IE, ne figure pas dans la liste des documents examinés par la représentante du ministre. Le demandeur soutient que la seule conclusion possible est que ces documents n’ont pas été examinés par la représentante du ministre. Il s’agit là d’omissions flagrantes. Le PPV‑IE était l’élément central des efforts de réadaptation du demandeur. La mise à jour de l’évaluation de M. Baillie démontrait que la participation du demandeur au PPV‑IE réduirait davantage les risques de récidive. La représentante du ministre aurait dû en tenir compte et, comme elle ne l’a pas fait, la décision est déraisonnable.

 

Le défendeur

            La représentante du ministre a examiné tous les facteurs pertinents

                        La situation dans le pays d’origine

 

[43]           Le défendeur conteste, en invoquant trois motifs, la déclaration du demandeur selon laquelle la représentante du ministre a commis une erreur donnant matière à révision en ne tenant pas compte de la situation qui règne dans le pays d’origine du demandeur.

 

[44]           Premièrement, les motifs de la représentante du ministre, exposés dans le rapport, font bel et bien état des [traduction] « allégations de risques de persécution du fait que le demandeur ferait partie de la minorité albanaise en Serbie ». Le rapport conclut que le demandeur ne peut être renvoyé en Serbie à moins qu’il ne soit décidé qu’il constitue un danger pour le public, auquel cas il sera d’abord procédé à un examen des risques.

 

[45]           Deuxièmement, le demandeur n’est pas fondé à s’appuyer sur l’ENF 6. Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, il s’agit d’un guide, et non d’un décret ou d’une loi. De plus, les considérations de politique générale dont il est question dans le guide ne lient pas le ministre et ses représentants. Voir Ziaei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1169, au paragraphe 20; la décision Lee, précitée, aux paragraphes 44 à 50, et Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, 137 D.L.R. (3d) 558.

 

[46]           Troisièmement, la situation qui règne dans le pays d’origine du demandeur n’est ni un facteur approprié ni un facteur pertinent pour la présente décision. Comme l’indique à juste titre le rapport, il existe des régimes distincts et parallèles pour la mesure de renvoi et l’examen des risques avant renvoi visant les personnes comme le demandeur. Le rapport du paragraphe 44(1) et le suivi au paragraphe 44(2) précèdent la mesure de renvoi. Les risques liés au renvoi sont examinés dans une décision distincte susceptible de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 115(2) de la Loi. Voir les décisions Lasin, précitée, aux paragraphes 17 à 19; Lee, précitée, aux paragraphes 26 à 29; Richter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 806, aux paragraphes 12 à 15, décision confirmée à 2009 CAF 73.

 

Réadaptation

 

[47]           Le demandeur fait valoir que la représentante du ministre a commis une deuxième erreur donnant matière à révision en omettant de tenir compte de sa réadaptation. Le défendeur soutient de nouveau que le rapport aborde cette question de façon claire et précise. L’argument du demandeur invite en fait la Cour à soupeser de nouveau le facteur de la réadaptation. Ce n’est cependant pas l’objet du contrôle judiciaire. La question n’est pas de savoir si la représentante du ministre a accordé suffisamment d’importance aux facteurs pertinents ou si elle a bien appliqué les lignes directrices. La question qui se pose est celle de savoir si la preuve démontre que la représentante du ministre a véritablement omis d’examiner les facteurs appropriés. Le défendeur soutient que la preuve présentée en l’espèce ne permet pas de le démontrer. Voir les décisions Poonawalla, précitée, aux paragraphes 14 et 15, et Lee, précitée, au paragraphe 46.

 

[48]           Contrairement à ce qu’a fait observer le demandeur, la section du rapport énumérant les documents joints mentionne expressément le rapport du PPV‑IE. Même si ce n’était pas le cas, le défaut de mentionner un document particulier ne porte pas un coup fatal à la décision. On présume que la représentante du ministre a examiné l’ensemble de la preuve, à moins que le contraire ne soit établi. Voir Akram c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 629, au paragraphe 15.

 

[49]           Le défendeur reconnaît que la mise à jour de l’évaluation psychologique de M. Baillie, datée du 2 mars 2010, ne figure pas dans la section du rapport énumérant les documents joints. Toutefois, même en supposant que la représentante du ministre ne l’ait pas examinée, l’omission n’est pas « flagrante »; elle est sans importance pour les trois motifs exposés ci‑dessous.

 

[50]           Premièrement, la conclusion de la mise à jour de l’évaluation est presque exactement la même que celle de l’évaluation datée du 11 décembre 2009, dont il a été tenu compte et qui concluait qu’il [traduction] « est tout à fait possible que le risque de récidive [du demandeur] soit gérable dans la collectivité. ». La mise à jour de l’évaluation conclut que [traduction] « la participation au programme est susceptible d’avoir une incidence positive sur la réduction des risques de récidive [du demandeur] ». Bref, la mise à jour de l’opinion de M. Baillie ne comporte rien de nouveau et n’aurait pas eu de répercussions importantes sur la décision.

 

[51]           Deuxièmement, la mise à jour de l’évaluation ne fait que résumer le PPV‑IE qui avait été porté à la connaissance de la représentante du ministre.

 

[52]           Troisièmement, sur le plan de l’équité procédurale, cet argument implique que le demandeur a non seulement le droit de soumettre des observations avant que le rapport du paragraphe 44(1) ne soit établi, mais aussi celui de soumettre des observations additionnelles (et tardives). Par ailleurs, comme la Cour l’a affirmé à maintes reprises, « [l]e devoir d’agir équitablement dans les procédures au titre de l’article 44 est moins strict et est constitué du droit de soumettre des observations et d’obtenir une copie du rapport ». Voir la décision Richter, précitée, au paragraphe 18, confirmée à 2009 CAF 73; Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 1078, au paragraphe 16.

 

Conclusion

 

[53]           Le défendeur soutient que la Cour suprême du Canada a déclaré dans Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, [1992] A.C.S. no 27 (QL), à la page 715, que le Parlement a le droit d’édicter une loi prescrivant les conditions à remplir par les non‑citoyens pour demeurer au Canada. Suivant l’une de ces conditions, ils ne doivent pas être déclarés coupables d’une infraction pour laquelle une peine d’emprisonnement de dix ans ou plus peut être infligée. La Cour a affirmé à l’unanimité que cette condition représente un choix légitime et non arbitraire du législateur. Si un non‑citoyen viole délibérément cette condition, le fait de mettre effectivement fin à son droit de demeurer au Canada ne va nullement à l’encontre de la justice fondamentale. L’expulsion est le moyen qui permet d’y mettre fin. Il n’est pas nécessaire, pour se conformer aux exigences de la justice fondamentale, de chercher, au‑delà de la déclaration de culpabilité pour une infraction grave, des circonstances aggravantes ou atténuantes.

 

La réponse du demandeur

 

[54]           Le demandeur soutient que, même si le rapport mentionne qu’une évaluation des risques devra être réalisée avant que le demandeur ne puisse être expulsé, une déclaration concernant des événements futurs ne dégage pas la représentante du ministre de son obligation d’examiner tous les facteurs pertinents, y compris la situation qui règne dans le pays d’origine du demandeur.

 

Observations écrites additionnelles du défendeur

 

[55]           Le défendeur conteste l’argument du demandeur selon lequel la représentante du ministre avait l’obligation d’examiner la situation qui règne dans le pays d’origine et les risques liés au renvoi. Le demandeur interprète mal le texte législatif et confond le pouvoir discrétionnaire relativement étroit conféré au paragraphe 44(2) avec le pouvoir discrétionnaire plus étendu prévu à l’alinéa 115(2)a), qui est décrit en détail dans Hasan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1069, aux paragraphes 10, 21 et 22. Bref, l’argument du demandeur est prématuré. Il exige la prise en considération de facteurs qui pourront être convenablement évalués seulement après qu’une décision aura été prise concernant l’interdiction de territoire et que l’alinéa 115(2)a) sera entré en jeu.

 

[56]           Le défendeur conteste également l’affirmation du demandeur voulant que la mise à jour de l’évaluation de M. Baillie, datée du 2 mars 2010, soit [traduction] « très pertinente » et que l’omission de la représentante du ministre de l’examiner avant de prendre sa décision constitue une [traduction] « omission flagrante » et une erreur donnant matière à révision. Le défendeur souligne que, dans un affidavit souscrit le 11 janvier 2011, la représentante du ministre confirme que la mise à jour de l’évaluation et la lettre l’accompagnant n’avaient pas été portées à sa connaissance lorsqu’elle a pris sa décision mais que ni l’un ni l’autre de ces documents n’aurait changé sa décision puisqu’ils n’ajoutaient aucun [traduction] « nouveau fait important ». La mise à jour de l’évaluation et la lettre l’accompagnant sont donc dépourvues de pertinence.

 

[57]           Enfin, le défendeur fait remarquer que la Cour suprême du Canada, dans Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, au paragraphe 10, reconnaît que la Loi a fait de la sécurité une priorité et que, ce faisant, elle exige des résidents permanents comme le demandeur qu’ils respectent les lois canadiennes :

Les objectifs explicites de la LIPR révèlent une intention de donner priorité à la sécurité. Pour réaliser cet objectif, il faut empêcher l’entrée au Canada des demandeurs ayant un casier judiciaire et renvoyer ceux qui ont un tel casier, et insister sur l’obligation des résidents permanents de se conformer à la loi pendant qu’ils sont au Canada. Cela représente un changement d’orientation par rapport à la loi précédente, qui accordait plus d’importance à l’intégration des demandeurs qu’à la sécurité [...]. Considérés collectivement, les objectifs de la LIPR et de ses dispositions relatives aux résidents permanents traduisent la ferme volonté de traiter les criminels et les menaces à la sécurité avec moins de clémence que le faisait l’ancienne Loi.

 

Le défendeur soutient que, compte tenu de la conclusion de la Cour suprême du Canada, le comportement criminel du demandeur justifie la tenue d’une enquête.

 

ANALYSE

 

[58]           Le demandeur affirme que la décision est déraisonnable parce que la représentante du ministre a omis de prendre en compte des facteurs pertinents.

 

[59]           Tout d’abord, s’appuyant sur l’ENF 6, le demandeur affirme que la représentante du ministre a omis de tenir compte de la situation qui règne dans son pays d’origine.

 

[60]           Il ressort clairement du rapport que la représentante du ministre s’est en fait intéressée à cette question, mais qu’elle a décidé que l’évaluation des risques pourrait faire l’objet d’une décision ultérieure pour la raison suivante :

[traduction] M. Faci est un réfugié au sens de la Convention au Canada et il ne peut être renvoyé en Serbie à moins qu’il ne soit décidé qu’il constitue un danger pour le public, auquel cas un examen des risques sera effectué avant qu’une ordonnance d’expulsion ne puisse être exécutée contre lui.

 

[61]           Le demandeur affirme que la représentante du ministre n’aurait pas dû trancher la question de cette manière et qu’elle aurait dû examiner les documents décrivant la situation dans le pays d’origine qui avaient été soumis et en tenir compte.

 

[62]           Même si j’étais d’accord avec le demandeur pour dire que, au moment de déterminer si le dossier d’un résident permanent doit être déféré pour enquête, le représentant du ministre peut examiner tous les facteurs « pertinents » pour prendre sa décision, je suis d’avis que la situation en Serbie n’était pas un facteur pertinent dans la présente décision parce que le demandeur ne peut être renvoyé en Serbie. Le représentant du ministre n’est pas obligé de s’interroger quant à savoir comment et quand une éventuelle expulsion pourrait se dérouler. Les documents sur la situation dans le pays d’origine que le demandeur a soumis pourraient bien ne pas s’appliquer lorsque l’expulsion sera considérée, le cas échéant. Il est évident que les risques auxquels serait exposé le demandeur devront être examinés de manière approfondie en temps opportun avant qu’il ne puisse être expulsé.

 

[63]           La jurisprudence de notre Cour indique clairement que, pour décider si la tenue d’une enquête doit être recommandée, le représentant du ministre a le pouvoir discrétionnaire, et non l’obligation, de prendre en considération les facteurs énoncés dans l’ENF 6. Voir la décision Lee, précitée, au paragraphe 44; Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, aux paragraphes 22 et 23. Dans la présente affaire, la représentante du ministre a conclu à juste titre qu’il n’y avait pas lieu de considérer la situation dans le pays d’origine à cette étape du processus parce qu’une évaluation des risques devrait être faite avant que le demandeur ne puisse être renvoyé.

 

[64]           Le demandeur affirme que la représentante du ministre a également omis de tenir compte de sa réadaptation.

 

[65]           Il ressort clairement du rapport que la représentante du ministre a examiné d’une manière considérablement détaillée la réadaptation du demandeur. En fait, la section du rapport énumérant les documents joints fait état du rapport du 4 février 2010 sur le PPV‑IE dont, au dire du demandeur, il n’aurait pas été tenu compte. Rien dans le rapport d’interdiction de territoire ne porte à croire que la représentante du ministre a omis de prendre en compte le PPV‑IE ou le fait que le demandeur n’avait jamais reçu de traitements jusqu’à ce qu’il suive le PNTT‑IM et le PPV‑IE à l’Établissement de Drumheller, lorsqu’elle a examiné en détail le facteur de la réadaptation. En fait, le rapport d’interdiction de territoire précise que le demandeur a [traduction] « réussi les programmes de réadaptation »; des extraits du rapport sur le PPV‑IE y sont même cités.

 

[66]           Le demandeur affirme également que la représentante du ministre a omis de prendre en compte la mise à jour de l’évaluation psychologique de M. Baillie de mars 2010, qui a été rédigée après que le demandeur eut suivi le PPV‑IE.

 

[67]           Dans l’affidavit qu’elle a souscrit le 11 janvier 2011, la représentante du ministre confirme que la mise à jour de l’évaluation de M. Baillie et la lettre de l’avocat qui l’accompagnait n’avaient pas été portées à sa connaissance lorsqu’elle a pris sa décision. Le rapport est daté du 14 avril 2010, la décision, de juillet 2010, et la lettre de l’avocat qui accompagnait la mise à jour de l’évaluation, du 4 mars 2010. Ni l’une ni l’autre des parties n’a expliqué pourquoi la mise à jour de l’évaluation n’avait pas été portée à la connaissance de la représentante du ministre. Celle‑ci n’a pas été contre‑interrogée sur son affidavit. À l’audience, il est devenu évident que les documents avaient été soumis après que le délai imparti de 15 jours eut été prolongé jusqu’au 1er mars 2010 et que l’avocat n’a pas fait le suivi pour savoir si la production tardive était acceptable ou pour demander une autre prolongation. Dans ces circonstances, je ne peux pas dire qu’il y a eu iniquité dans la procédure, particulièrement compte tenu de la nature « moins stricte » de l’équité procédurale dans le présent contexte. Voir la décision Tran, précitée.

 

[68]           Le défendeur affirme que la mise à jour de l’évaluation psychologique et les observations de l’avocat sont dépourvues de pertinence parce qu’elles n’auraient pu avoir une incidence sur la décision. La représentante du ministre affirme la même chose dans son affidavit. Je n’examinerai pas cet aspect de l’affidavit.

 

[69]           La représentante du ministre avait de toute évidence eu connaissance du rapport du 4 février 2010 sur le PPV‑IE. Ainsi, la question de la pertinence dans le présent contexte dépend des affirmations de M. Baillie dans la mise à jour du 2 mars 2010.

 

[70]           Dans son évaluation du 11 décembre 2009, M. Baillie avait conclu que le demandeur [traduction] « posera un risque relativement moins élevé de récidive à sa libération s’il réussit à continuer de s’abstenir de consommer des drogues illicites et de l’alcool » et qu’il [traduction] « est tout à fait possible que le risque de récidive [du demandeur] soit gérable dans la collectivité ». Dans la mise à jour du 2 mars 2010, il conclut que [traduction] « la participation au programme est susceptible d’avoir une incidence positive sur la réduction des risques de récidive [du demandeur] ».

 

[71]           Il est difficile de dire exactement ce que la mise à jour de M. Baillie ajoute de nouveau à l’opinion précédente. Il cite et résume le rapport, que la représentante du ministre a lu, et ajoute un bref paragraphe sur ce que le rapport lui indique. Il semble affirmer que le PPV‑IE suivi par le demandeur est un autre facteur positif qui corrobore son évaluation de la motivation sincère du demandeur et que le risque de récidive est faible et [traduction] « gérable dans la collectivité ». Autrement dit, l’évaluation des risques de M. Baillie ne change pas. Elle est simplement davantage corroborée par le rapport sur le PPV‑IE.

 

[72]           L’évaluation des risques effectuée par M. Baillie est décrite en détail dans le rapport d’interdiction de territoire et prise en compte dans l’évaluation générale. J’estime donc que la mise à jour du rapport de M. Baillie n’a pas changé la situation générale décrite dans son évaluation de la réadaptation et de la probabilité de récidive du demandeur. Par voie de conséquence, je ne crois pas que des éléments importants aient été passés sous silence dans le processus décisionnel et qu’il y ait eu manquement à l’équité procédurale du fait que la représentante du ministre n’a pas examiné la mise à jour du document de M. Baillie. Elle disposait du rapport sur le PPV‑IE et de l’évaluation de M. Baillie sur la réadaptation. Les deux documents ont été pris en compte dans les conclusions.

 

[73]           Le demandeur a soulevé des motifs inadéquats comme moyen de révision, mais il n’a présenté aucune observation à cet égard. Quoi qu’il en soit, il n’y a rien d’inadéquat dans les motifs.


 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4722‑10

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                        ROBERT ROCKY FACI c.
LE MINISTRE DE
LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 17 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT :                                                LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 14 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

G. Michael Sherritt

 

POUR LE DEMANDEUR

W. Brad Hardstaff

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sherritt Greene

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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