Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa, Ontario, le 9 juin 2011
En présence de monsieur le juge Simon Noël
ENTRE :
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ALKHALI MAHAMAT SALEH, HABABA MAHAMAT SALEH, ZENABA MAHAMAT SALEH, MAHAMAT AL MOUKHTAR MAHAMAT SALEH, MOHAMAD AMINE MAHAMAT SALEH
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La Cour est appelée à statuer sur la validité d’une décision de la Section de la Protection des Réfugiés (SPR), datée du 17 septembre, refusant la qualité de réfugiés et de personnes à protéger au demandeur principal et sa famille au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).
[2] La demande d’asile a été refusée en raison de la crédibilité jugée problématique du demandeur principal et, à certains égards, celle de sa femme. En ce sens, la SPR a relevé des incohérences, contradictions et omissions relevant tant du témoignage du demandeur principal que la preuve documentaire.
[3] La persécution alléguée par le demandeur résulte des actes de l’Agence Nationale de Sécurité (ANS) du Tchad, le pays d’origine des demandeurs. Le demandeur principal était Vice-président à la Chambre de Commerce du Tchad. En revenant d’une conférence au Québec, le demandeur principal s’est arrêté à Paris, d’abord pour une réunion, puis pour rendre visite à son cousin. Or, son cousin est Acheck Ibn Omar, un dissident tchadien en exil et supposément actif dans la subversion du gouvernement du Tchad. En raison de son contact renouvelé avec son cousin, le demandeur principal aurait été pris à partie par l’ANS dès son retour de Paris. Il aurait été emprisonné, maltraité et battu, voire torturé.
Questions en Litige et Normes de Contrôle
[4] Les demandeurs soumettent trois questions déterminantes qui vicieraient la décision de la SPR. D’abord, il est soumis que l’appréciation de la crédibilité du demandeur est erronée, notamment en raison du statut reconnu de « personne vulnérable » du demandeur principal. L’évaluation de la crédibilité d’un demandeur d’asile est une question de faits, au sujet de laquelle la Cour doit se montrer déférente envers la SPR. Ainsi, la décision à ce titre est évaluée selon la norme de la décision raisonnable, par laquelle la décision doit faire partie des décisions défendables en faits et en droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Semextant c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 29; Bunema c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 774). Plus précisément, cette question comporte deux volets en l’espèce. D’abord, la SPR a-t-elle omis d’apprécier la qualité de « personne vulnérable » au demandeur lors de l’évaluation de son témoignage? Aussi, la question de la présence ou non d’un interprète à l’entrevue au point d’entrée se poserait quant à l’évaluation de la crédibilité.
[5] Par ailleurs, les demandeurs soumettent qu’au-delà de l’évaluation de la crédibilité, la SPR a omis de trancher la question à savoir s’ils étaient des personnes à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR et qu’à ce titre, la décision devrait être révisée. En lumière des arguments soulevés et au vu de la décision de la SPR, il s’agit d’une question de droit à savoir si une fois que la crédibilité a été reconnue comme déficiente, si la SPR doit analyser les motifs possibles sous l’article 97. Cet aspect s’évalue selon la norme de la décision correcte (voir Meija c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 FC 410 et Plancher c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1283 pour des exemples du traitement de cette question de droit).
Analyse
Crédibilité des demandeurs
[6] La décision de la SPR porte presqu’exclusivement sur cette question. La Commissaire de la SPR a notamment relevé les incongruités suivantes, et n’a pas été satisfaite des réponses fournies par le demandeur et sa femme :
i. La présence du demandeur principal à Washington pour la tenue d’une conférence alors qu’il avait allégué être en détention au Tchad pendant cette période. Les explications quant à l’omission d’inclure ce voyage à l’entrevue au point d’entrée et avoir pris 2 mois avant d’en informer son avocate de ce voyage n’ont pas été jugées satisfaisantes. Ce voyage a été qualifié « d’important » dans son récit, mais n’a été inclus que lors d’une seconde modification au FRP.
ii. Les circonstances du départ du Tchad du demandeur et ses enfants étaient contradictoires entre ce que la femme du demandeur alléguait et ce que le demandeur principal a fourni comme récit.
iii. Lors du séjour à Paris, le demandeur principal a d’abord indiqué n’avoir été en présence que de son cousin. Puis, lorsqu’interrogé, il a révélé que plusieurs personnes avaient visité l’appartement de son cousin pendant cette période.
iv. Des contradictions quant au rôle du directeur de l’ANS dans ses interrogations et abus au Tchad ont été relevées.
v. Le caractère vraisemblable du récit du demandeur a été remis en question à plusieurs égards.
[7] Ces conclusions factuelles sur la crédibilité des demandeurs sont-elles raisonnables, selon la norme de contrôle applicable?
[8] La décision de la SPR est longue, détaillée et s’appuie raisonnablement sur les témoignages des demandeurs, leur documentation déposée au soutien de la demande d’asile ainsi que sur le déroulement du processus de demande d’asile en tant que tel. Cette décision est raisonnable, voire exemplaire, en ce qui a trait à l’évaluation de la crédibilité et la justification de celle-ci.
[9] Deux questions se posent alors. D’abord, l’absence ou la présence d’un traducteur à l’entrevue au point d’entrée justifie-t-elle l’intervention de la Cour et le refus des motifs au soutien de l’évaluation de la crédibilité? Ceci s’avère pertinent pour le demandeur principal, car il allègue que le stress, le voyage avec des enfants et les circonstances sont telles que son entrevue au point d’entrée n’est pas des plus fiables et ne devrait pas être considérée négativement, notamment quant à l’omission d’avoir indiqué s’il avait voyagé aux États-Unis.
[10] Or, il est risqué pour la Cour de trancher quant à la présence d’un traducteur, au vue des éléments dans la documentation. Ainsi, la question n’est pas tellement si le demandeur a été bien compris ou s’il s’est bien exprimé pour expliquer son récit. Au contraire, il s’agit plutôt de ce qui n’a pas été dit quant à sa présence aux États-Unis alors qu’il était supposément en détention. Que ce soit en arabe tchadien ou en français, le demandeur n’a pas indiqué ceci à l’entrevue, et n’a rectifié le tir que très tardivement, par un second amendement à son FRP. De surcroît, les explications fournies n’ont pas été jugées suffisantes. La Cour est satisfaite que la décision de la SPR à cet égard soit raisonnable.
[11] Ensuite, le demandeur principal s’est vu reconnaître la qualité de « personne vulnérable » au sens de la Directive applicable. Il apparaît toutefois que les accommodements procéduraux ont bel et bien été pris par la Commissaire : début de l’audience par l’avocate du demandeur; arrêts fréquents de l’audience pour vérifier l’état du demandeur; facilitation du témoignage. De plus, la décision de la SPR relate que la qualité de personne vulnérable a été réellement tenue en compte.
[12] D’emblée, la SPR n’est pas liée par de telles directives, et le défaut de suivre une Directive n’est pas en soi un motif de révision judiciaire (Munoz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1273; Balasingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), (1998) 157 FTR 143 (CF); Sy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 379). Ainsi, comme il transparait clairement des motifs de la décision que la vulnérabilité psychologique du demandeur a été considérée, il ne s’agit pas d’un motif de révision que cette Cour accepte en l’espèce. La vulnérabilité et l’état psychologique du demandeur principal en l’espèce ne sont pas suffisants pour pallier aux sévères lacunes relevées dans l’évaluation de sa crédibilité.
[13] Les conclusions quant à la crédibilité des demandeurs sont donc maintenues.
L’analyse de l’article 97
[14] Il a été soulevé que la SPR avait omis de considérer l’analyse de l’article 97 de la LIPR. De l’avis des demandeurs, cette analyse s’imposait et la décision en est viciée. Ainsi, une analyse des risques subis en raison des liens familiaux avec Acheck Ibn Omar et en raison de l’origine ethnique des demandeurs s’imposait.
[15] Or, il est de jurisprudence constante qu’une « conclusion défavorable quant à la crédibilité, tirée en rapport avec l’article 96, écarte souvent le besoin de prendre en considération l’article 97 » (Meija, ci-haut, au para 20, citant Plancher, ci-haut et Emamgongo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 208). En l’espèce, il semble que l’analyse de l’article 97 s’est inscrite en filigrane aux motifs. En ce sens, la SPR a conclu que l’absence de menaces vécues avant juin 2008 et le succès professionnel du demandeur supportaient le fait qu’il ne vivrait vraisemblablement pas de risques au sens de l’article 97.
[16] Ainsi, cette question n’est pas une question de droit : il s’agit plutôt d’une contestation des inférences négatives quant à la crédibilité et leurs impacts sous l’analyse de l’article 97. Bien que sommaire, une analyse sous l’article 97 est faite, mais en raison des préoccupations quant à la crédibilité et d’autres éléments factuels, cette analyse n’a pas été plus étoffée. Ceci est raisonnable en faits, et correct en droit.
Conclusion
[17] La décision de la SPR est donc raisonnable quant aux conclusions tirées et s’appuie sur des assises juridiques bien établies. La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée. Aucune question n’a été proposée pour fins de certification.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5907-10
INTITULÉ : DJIDDA MAHAMAT ACHE ET AL
v MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal, Québec
DATE DE L’AUDIENCE : Le 31 mai 2011
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE SIMON NOËL
DATE DES MOTIFS : Le 9 juin 2011
COMPARUTIONS :
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Me Anne-Renée Touchette |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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Le sous-procureur général du Canada Montréal (Québec) |
POUR LE DÉFENDEUR |