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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

Date : 20100225

 

Dossier : T-1537-08

 

Référence : 2010 CF 226

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 25 février 2010

 

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

 

 

et

 

 

 

MICHAEL PEPPER

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le procureur général demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 5 septembre 2008 par Michele A. Pineau, arbitre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (Michael Pepper c. Administrateur général (Ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 71). La décision se rapporte à l’indemnité compensatoire qu’a accordée l’arbitre sur le fondement d’un grief de Michael Pepper, qu’elle avait accueilli auparavant.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le fonctionnaire s’estimant lésé, Michael Pepper, est technicien en systèmes électroniques au sein du ministère de la Défense nationale (le MDN) à Cape Scott, en Nouvelle-Écosse. Il était employé du MDN depuis 1977.

 

[3]                L’emploi de M. Pepper a pris fin le 14 juillet 2006 parce qu’il était incapable de se présenter au travail pour raisons médicales. Il était alors en congé de maladie depuis 1999. Au moment de son licenciement, il était en congé de maladie sans solde.

 

[4]               M. Pepper a déposé deux griefs auprès de l’arbitre. Dans le premier grief, déposé le 16 janvier 2002, il était allégué que les mauvais traitements qu’auraient fait subir à M. Pepper ses gestionnaires l’auraient fait tomber malade et l’auraient rendu incapable de s’acquitter de ses fonctions. La médiation à l’égard de ce grief de harcèlement, qui s’est déroulée entre le 11 septembre 2003 et le 17 mars 2006, s’est avérée infructueuse. M. Pepper a été licencié quatre mois plus tard.

 

[5]               Dans le second grief de M. Pepper, déposé le 16 juillet 2006, il était allégué que son licenciement était illégal.

 

[6]                L’arbitre a rejeté le grief de harcèlement mais a conclu que le licenciement de M. Pepper était illégal du fait de la violation, par l’employeur, de la confidentialité du processus de médiation. Elle a conclu que l’employeur s’était fondé sur des renseignements médicaux fournis dans le contexte privilégié de la médiation pour mettre fin à l’emploi de M. Pepper. L’arbitre a aussi conclu que l’employeur avait omis de prendre, jusqu’au point où il aurait pu en résulter une contrainte excessive pour lui, des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire s’estimant lésé. Les motifs de l’arbitre sont exposés dans la décision Pepper c. Conseil du Trésor (Ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 8 (la décision Pepper 1).

 

[7]               L’arbitre a ordonné que M. Pepper soit réintégré dans le poste qu’il occupait au moment de son licenciement, « avec droit aux avantages sociaux et au traitement qu’il aurait eus le cas échéant ». L’arbitre est demeurée saisie de la question des dommages-intérêts, accordant aux parties un délai de 60 jours pour conclure une entente sur l’indemnité.

 

[8]               Les parties ne sont pas arrivées à conclure une entente sur l’indemnité. Après que les parties eurent échangé leurs observations écrites à ce sujet, l’arbitre a accordé à M. Pepper son traitement, les avantages sociaux et les occasions perdues d’effectuer des heures supplémentaires, et ce, rétroactivement à la date de son licenciement, un dédomagement de 9 000 $ au titre du préjudice moral subi, 8 000 $ d’indemnisation supplémentaire et des intérêts.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[9]               La partie contestée de la décision de l’arbitre est celle qui a trait à l’octroi rétroactif à la date du licenciement du traitement, des avantages sociaux et des occasions perdues d’effectuer des heures supplémentaires. Les autres indemnités accordées par l’arbitre en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la LCDP), et les autres réparations ne sont pas contestées.

 

[10]           Pour en arriver à sa décision à l’égard des dommages-intérêts compensatoires, l’arbitre a d’abord examiné la décision qu’elle avait rendue dans le cadre de l’arbitrage relatif au licenciement, dans laquelle elle a écrit :

Je réserve ma décision à l’égard des dommages-intérêts compensatoires. J’accorde aux parties 60 jours pour conclure une entente sur l’indemnité qui pourrait être due au fonctionnaire s’estimant lésé. Si elles étaient incapables d’arriver à cette entente, elles devront me soumettre leurs arguments sur l’indemnité compensatoire en échangeant des observations écrites, au plus tard 90 jours après la publication des présents motifs.

[…]

Le fonctionnaire s’estimant lésé est réintégré dans le poste qu’il occupait au moment de son licenciement, avec droit aux avantages sociaux et au traitement qu’il aurait eus le cas échéant. Je demeure saisie de la question des dommages-intérêts compensatoires à verser dans le dossier de la CRTFP 566-02-767 pour une période de 90 jours.

 

 

 

[11]           L’arbitre a ensuite examiné les positions respectives des parties. Le fonctionnaire s’estimant lésé réclamait, au titre des pertes de traitement et d’avantages sociaux qu’il a subies, une indemnisation rétroactive à sa date de réintégration, un dédommagement des pertes subies par suite de l’annulation de ses avantages sociaux, rétroactif à la date du début de son congé pour raisons médicales, et un congé payé rétroactif au 1er avril 2005, date à laquelle la CRTFP a été autorisée à interpréter et à appliquer les dispositions de la LCDP.

 

[12]           Le défendeur (à présent le demandeur) avait fait valoir que la somme de 7 000 $ et la réintégration du fonctionnaire s’estimant lésé suffisaient amplement à l’indemniser du préjudice lié à son licenciement. L’arbitre a réitéré la position du défendeur :

[15] […] En outre, au moment de son licenciement, le fonctionnaire s’estimant lésé était en congé sans solde et, avec la restriction selon laquelle il aurait droit aux avantages sociaux et au traitement « qu’il aurait eus le cas échéant », comme il est dit au paragraphe 169 de la décision 2008 CRTFP 8, ma décision envisage clairement que le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas médicalement apte à se trouver au lieu de travail au moment de son licenciement. En conséquence, il devrait être réintégré en retrouvant le statut qui était le sien avant son licenciement.

[…]

[26] Le défendeur soutient la thèse que, puisque le fonctionnaire s’estimant lésé était en congé non payé au moment de son licenciement, je ne peux que le remettre dans la situation où il se trouvait au moment du licenciement, soit celle d’employé en congé sans solde, et donc qu’aucun dédommagement n’est payable à ce titre.

 

 

[13]           L’arbitre a rejeté la thèse du défendeur qui reposait en partie sur l’article 2 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la LRTFP) :

 

[27] Dans les circonstances de l’espèce, j’estime que les dommages-intérêts dus au fonctionnaire s’estimant lésé par suite de son licenciement ne relèvent pas uniquement du non-respect par l’employeur de la LCDP, mais aussi du pouvoir général de redressement que me confère, à titre d’arbitre de grief, le paragraphe 208(2) de la LRTFP, comme à toute autre affaire de licenciement. En temps normal, un employé réintégré dans ses fonctions est en droit d’être dédommagé de ses pertes, rétroactivement à la date de son licenciement. Par conséquent, le fonctionnaire s’estimant lésé a droit à son traitement, aux occasions manquées d’effectuer des heures supplémentaires, aux avantages sociaux et à toute perte subie par suite de l’annulation de ses avantages sociaux, et ce, rétroactivement à la date de sa réintégration. …

 

[28] Dans ma décision, au paragraphe 169, j’ai dit que « [l]e fonctionnaire s’estimant lésé est réintégré dans le poste qu’il occupait au moment de son licenciement, avec droit aux avantages sociaux et au traitement qu’il aurait eus le cas échéant [je souligne] ». Je crois comprendre que, lors de l’arbitrage de ses griefs, le fonctionnaire s’estimant lésé touchait des indemnités pour accident du travail. En conséquence, aucun dédommagement n’est dû par le défendeur avant la date de licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé, puisque ce dernier recevait des indemnités prévues par la loi, prestations dont il avait fait la demande.

 

 

[14]           Dans son examen de la demande d’indemnisation pour préjudice moral, l’arbitre est revenue sur la question du congé sans solde du fonctionnaire s’estimant lésé, précisant :

 

[31] […] J’ai aussi retenu que, bien que le fonctionnaire s’estimant lésé était en congé pour raisons médicales liées au travail, le défendeur ne s’est pas soucié de l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé jusqu’à ce qu’il décide de mettre fin à son emploi et que, à ce moment-là, le défendeur n’avait pas tenu compte des recommandations du médecin du fonctionnaire s’estimant lésé selon lesquelles il était possible d’accommoder son retour au travail.

 

 

[15]           En plus des dommages-intérêts pour préjudice moral accordés en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP et de l’indemnisation supplémentaire accordée en vertu du paragraphe 228(2) de la LRTFP et du paragraphe 53(3) de la LCDP, l’arbitre a ainsi accordé au fonctionnaire s’estimant lésé :

1)                  le traitement rétroactif à la date du licenciement, en vertu du paragraphe 228(2) de la LRTFP;

 

2)                  les occasions perdues d’effectuer des heures supplémentaires, rétroactivement à la date du licenciement, en vertu du paragraphe 228(2) de la LRTFP;

 

3)                  les avantages sociaux, rétroactivement à la date de licenciement, en vertu du paragraphe 228(2) de la LRTFP.

 

 

[16]           L’arbitre est demeurée saisie, aux fins de son exécution, de tous les aspects de la décision remédiatrice pendant une période de 60 jours.

 

 

LA LÉGISLATION

 

[17]           Les articles pertinents de la LRTFP prévoient :

 

223.  (1) La partie qui a renvoyé un grief à l’arbitrage en avise la Commission en conformité avec les règlements. Elle précise dans son avis si un arbitre de grief particulier est déjà désigné dans la convention collective applicable ou a été autrement choisi par les parties, ou, à défaut, si elle demande l’établissement d’un conseil d’arbitrage de grief.

 

(2) Sur réception de l’avis par la Commission, le président :

a) soit renvoie l’affaire à l’arbitre de grief désigné dans la convention collective au titre de laquelle le grief est présenté;

 

b) soit, dans le cas où les parties ont choisi un arbitre de grief, renvoie l’affaire à celui-ci;

c) soit institue, sur demande d’une partie et à condition que l’autre ne s’y oppose pas dans le délai éventuellement fixé par règlement, un conseil d’arbitrage de grief auquel il renvoie le grief;

d) soit, dans tout autre cas, renvoie le grief à un arbitre de grief qu’il choisit parmi les membres de la Commission.

[…]

228.  (1) L’arbitre de grief donne à chaque partie au grief l’occasion de se faire entendre.

 

(2) Après étude du grief, il tranche celui-ci par l’ordonnance qu’il juge indiquée. Il transmet copie de l’ordonnance et, le cas échéant, des motifs de sa décision :

a) à chaque partie et à son représentant ainsi que, s’il y a lieu, à l’agent négociateur de l’unité de négociation à laquelle appartient le fonctionnaire qui a présenté le grief;

 

 

b) au directeur général de la Commission.

 

 

233.  (1) La décision de l’arbitre de grief est définitive et ne peut être ni contestée ni révisée par voie judiciaire.

(2) Il n’est admis aucun recours ni aucune décision judiciaire — notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto — visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action de l’arbitre de grief exercée dans le cadre de la présente partie.

223.  (1) A party who refers a grievance to adjudication must, in accordance with the regulations, give notice of the reference to the Board and specify in the notice whether an adjudicator is named in any applicable collective agreement or has otherwise been selected by the parties and, if no adjudicator is so named or has been selected, whether the party requests the establishment of a board of adjudication.

(2) On receipt of the notice by the Board, the Chairperson must

(a) if the grievance is one arising out of a collective agreement and an adjudicator is named in the agreement, refer the matter to the adjudicator;

(b) if the parties have selected an adjudicator, refer the matter to the adjudicator;

(c) if a board of adjudication has been requested and the other party has not objected in the time provided for in the regulations, establish the board and refer the matter to it; and

(d) in any other case, refer the matter to an adjudicator designated by the Chairperson from amongst the members of the Board.

228.  (1) If a grievance is referred to adjudication, the adjudicator must give both parties to the grievance an opportunity to be heard.

(2) After considering the grievance, the adjudicator must render a decision and make the order that he or she considers appropriate in the circumstances. The adjudicator must then

(a) send a copy of the order and, if there are written reasons for the decision, a copy of the reasons, to each party, to the representative of each party and to the bargaining agent, if any, for the bargaining unit to which the employee whose grievance it is belongs; and

(b) deposit a copy of the order and, if there are written reasons for the decision, a copy of the reasons, with the Executive Director of the Board.

233.  (1) Every decision of an adjudicator is final and may not be questioned or reviewed in any court.

(2) No order may be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an adjudicator in any of the adjudicator’s proceedings under this Part.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[18]           La Cour suprême du Canada a établi, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (l’arrêt Dunsmuir) qu’il existe deux normes de contrôle : la décision correcte et la raisonnabilité. Les anciennes normes de décision raisonnable simpliciter et de décision manifestement déraisonnable ont été fondues en une seule, la norme de raisonnabilité (au paragraphe 45 de l’arrêt Dunsmuir). La Cour suprême a aussi fait valoir que lorsque la norme de contrôle applicable à une question a déjà été établie, il n’est pas nécessaire de se livrer à une nouvelle analyse quant à la norme de contrôle à appliquer (au paragraphe 57 de l’arrêt Dunsmuir).

 

[19]           L’une et l’autre partie sont d’accord que la norme de contrôle qui s’applique à la décision de l’arbitre est la raisonnabilité.

 

[20]           Il a été établi que la norme de contrôle applicable à la décision d’un arbitre qui a agi dans les limites de la compétence que lui confère la LRTFP est la raisonnabilité : Bellavance c. Canada (Développement des ressources humaines), [2000] A.C.F. no 1284, aux paragraphes 38 à 41; Robillard c. Canada (Procureur général), 2008 CF 510, aux paragraphes 23 à 24.

 

[21]           En conséquence, je réviserai la décision de l’arbitre selon la norme déférente de raisonnabilité.

 

ANALYSE

[22]           Le demandeur soutient que la décision de l’arbitre d’accorder le traitement, les avantages sociaux et les occasions perdues de faire des heures supplémentaires à un employé qui n’était pas apte à réintégrer ses fonctions était déraisonnable. Il soutient en outre que l’analyse de l’arbitre était sommaire et que ses motifs étaient rudimentaires.

 

[23]           Le demandeur fait valoir que l’arbitre, ayant reconnu que le défendeur n’était pas apte à retourner au travail et qu’il recevait des indemnités pour accident du travail, ne justifie en aucune façon l’octroi rétroactif à la date du licenciement du traitement, des avantages sociaux et des occasions perdues de faire des heures supplémentaires.

                                                

[24]           Le demandeur soutient que l’arbitre aurait dû ordonner que le défendeur soit réintégré dans son poste tel qu’il l’occupait au moment de son licenciement, soit en congé sans solde.

 

[25]           Le demandeur soutient que l’arbitre ne s’est livrée à aucune analyse ni à aucun examen de la jurisprudence relative à l’octroi de dommages-intérêts pour licenciement illégal, notamment les arrêts Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39, et Bedirian c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 221. Il avance en outre que l’indigence des motifs justifie également l’intervention de la Cour, citant à l’appui la décision rendue par le juge Martineau dans l’affaire Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, au paragraphe 32 :

Or, c’est bien là que le bât blesse. En effet, le principal vice de la décision sous étude résulte du manque total d’analyse de la situation personnelle du demandeur. Il ne suffit pas non plus que la Commission fasse état, dans sa décision, du fait qu’elle a considéré toute la preuve documentaire. […] De plus, à cause du caractère laconique des motifs de rejet que l’on retrouve dans la décision, ceux-ci ne peuvent résister à un examen assez poussé.

 

[26]           Le défendeur fait valoir que les motifs de l’arbitre doivent être interprétés à la lumière de la décision Pepper 1, par laquelle l’arbitre avait précédemment conclu à l’illégalité du licenciement du défendeur.

 

[27]           Je partage le point de vue du défendeur. L’arbitre a amplement motivé sa décision précédente. Elle est demeurée saisie de la question des dommages-intérêts compensatoires tout en accordant aux parties un délai pour conclure une entente sur l’indemnité. Les parties n’étant pas arrivées à s’entendre, l’arbitre leur a donné l’occasion de lui présenter des observations écrites avant qu’elle rende la décision remédiatrice ici en cause, qui comprenait le traitement, les avantages sociaux et la perte d’occasions de faire des heures supplémentaires octroyés rétroactivement à la date du licenciement.

 

[28]           Dans ses motifs, l’arbitre a fait référence à sa décision précédente :

[…] J’ai aussi retenu que, bien que le fonctionnaire s’estimant lésé était en congé pour raisons médicales liées au travail, le défendeur ne s’est pas soucié de l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé jusqu’à ce qu’il décide de mettre fin à son emploi et que, à ce moment-là, le défendeur n’avait pas tenu compte des recommandations du médecin du fonctionnaire s’estimant lésé selon lesquelles il était possible d’accommoder son retour au travail.

 

[29]           Dans les circonstances, je ne vois aucune raison de considérer la décision qu’a prise l’arbitre à l’égard des dommages-intérêts, isolément de celle qu’elle avait prise antérieurement à l’égard du licenciement illégal.

 

[30]            Ayant examiné les motifs de sa décision antérieure, je conclus que l’arbitre a tiré une conclusion claire relativement au manquement du demandeur à son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du défendeur. L’arbitre a accepté le témoignage du psychiatre traitant du défendeur concernant la capacité du défendeur de retourner au travail dans un délai d’environ trois mois si les problèmes qui y avaient cours étaient résolus. Après une analyse détaillée, l’arbitre a conclu que le demandeur avait omis de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du défendeur :

157 J’en arrive donc inévitablement à la conclusion que l’employeur a décidé de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé sans prendre les mesures nécessaires pour que sa décision soit éclairée. En d’autres termes, il n’a pas cherché à obtenir du Dr Rosenberg des renseignements qui lui auraient été utiles pour prendre sa décision et n’a pas tenté non plus de déterminer s’il pouvait offrir à l’intéressé un emploi qui lui aurait convenu et qui lui aurait permis de retourner au travail.

158 L’employeur prétend que la longueur de l’absence du fonctionnaire s’estimant lésé de son travail constituait en soi une mesure d’adaptation à ses besoins, puisque M. Pepper a longtemps été incapable de se présenter au travail. Bien sûr, les avantages sociaux des employés comprennent des congés de maladie, des congés non payés et même des congés d’invalidité, mais cela ne signifie pas que l’employeur se soit acquitté, dans cette affaire, de son obligation de prendre des mesures d’adaptation aux besoins du fonctionnaire s’estimant lésé tant qu’il n’en résultait pas une contrainte excessive pour lui. Rien n’indique que l’employeur ait régulièrement communiqué avec l’intéressé durant son absence, ni qu’il ait consacré des ressources financières ou autres à répondre à ses besoins, indépendamment de ces avantages sociaux. En fait, le fonctionnaire s’estimant lésé touchait des prestations d’invalidité à cause d’un accident de travail. L’employeur a attendu deux ans avant de chercher à obtenir des renseignements médicaux à jour sur lui, et ce, au moment où il a décidé de le licencier. Compte tenu de l’ampleur de son organisation, de l’importance de ses ressources et de toutes les compétences auxquelles il a accès, j’ai du mal à comprendre pourquoi l’employeur n’a pas pris plus d’initiatives pour répondre comme il se devait aux besoins du fonctionnaire s’estimant lésé avant de prendre sa décision finale de le licencier. Adresser à quelqu’un un ultimatum en le justifiant par la longueur d’un processus de médiation sans rapport avec son éventuel licenciement n’est pas un argument qu’on avance en prétendant prendre des mesures d’adaptation à ses besoins. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas le droit de s’attendre à une solution parfaite, mais il avait quand même le droit qu’on tienne pleinement compte des restrictions applicables en raison de son état de santé et qu’on envisage des mesures d’adaptation, compte tenu des politiques de l’employeur et des emplois disponibles.

159 Je conclus par conséquent que l’employeur n’a pas pris de mesures d’adaptation aux besoins du fonctionnaire s’estimant lésé jusqu’au point où il aurait pu en résulter une contrainte excessive pour lui.

[Non souligné dans l’original.]

 

[31]           L’arbitre a manifestement conclu que le défendeur était apte à retourner au travail, dans des circonstances appropriées, et que le demandeur avait manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du défendeur.

 

[32]           Dans la décision Bellavance c. Canada (Développement des ressources humaines), [2000] A.C.F. no 1284, le juge Blais, alors qu’il siégeait à la Cour fédérale, a examiné le degré de retenue que commandent les décisions rendues par les commissaires de la Commission des relations de travail de la fonction publique concernant des affaires de licenciement de fonctionnaires. Il a souligné, aux paragraphes 38 à 40 :

La norme de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission des relations de travail a été soulevé dans l’arrêt Fraser c. Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique), [1985] 2 R.C.S. 455, où le juge en chef a déclaré à la page 464 :

Il est essentiel que les tribunaux adoptent une attitude modérée à l’égard de la modification des décisions des tribunaux administratifs spécialisés, particulièrement dans le contexte des relations de travail, s’ils doivent respecter les intentions et les politiques du Parlement et des assemblées législatives des provinces qui les ont amenés à créer ces tribunaux.

La Cour suprême a également maintenu dans l’arrêt Canada (P.G.) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614 aux pages 661 et 662 :

Il ressort que la Commission a pour raison d’être de résoudre les différends ouvriers-patronaux qui peuvent survenir entre le gouvernement fédéral et ses employés. Le domaine d’expertise de la Commission est dans le domaine des relations de travail entre le gouvernement fédéral et ses employés.

[...]

La Commission a obtenu des pouvoirs étendus ainsi que la protection d’une clause privative. Ses membres sont expérimentés et compétents dans le domaine des relations de travail. Le législateur a établi clairement que les conflits de travail, comme ceux qui se présentent en l’espèce, devaient être réglés par la Commission. La Cour ne devrait pas s’empresser d’intervenir.

En expliquant la raison d’être d’une telle norme, la Cour suprême a indiqué dans l’arrêt Canada (P.G.) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, aux pages 961 et 962 :

Il existe plusieurs raisons pour lesquelles les cours de justice devraient faire preuve de retenue à l’égard des décisions rendues par la Commission dans les limites de sa compétence. En premier lieu, le législateur a, au moyen de la clause privative contenue dans la loi constitutive de la Commission, indiqué que la décision de celle-ci est définitive. En second lieu, il faut reconnaître que la Commission est composée d’experts parmi lesquels se trouvent représentés et les employés et le patronat. Ceux-ci sont conscients de la complexité des relations du travail et de la nécessité de maintenir entre les parties un équilibre délicat au bénéfice de la société. Dans bien des cas, le mérite de ces experts leur aura valu la confiance des parties. Or, chaque fois qu’une cour de justice modifie une décision d’un tribunal administratif, il y a perte de confiance de la part non seulement des parties qui doivent comparaître devant la Commission, mais aussi de la part de la collectivité en général. Par ailleurs, l’un des plus grands avantages qu’offre la Commission est la rapidité avec laquelle elle peut tenir une audience et rendre une décision. Si les cours de justice se mettaient à intervenir régulièrement dans les décisions de la Commission, la partie victorieuse serait toujours celle qui était le mieux en mesure d’attendre et de supporter le coût d’un litige à n’en plus finir. Le système judiciaire lui-même connaîtrait des retards inacceptables en raison de l’augmentation de la charge de travail qu’amènerait toute tentative de contrôle systématique.

[...]

Il ne suffit pas que la décision de la Commission soit erronée aux yeux de la cour de justice; pour qu’elle soit manifestement déraisonnable, cette cour doit la juger clairement irrationnelle.

[Non souligné dans l’original.]

 

[33]           L’arbitre était nettement au courant de la position du demandeur selon laquelle le défendeur devait être réintégré en congé sans solde. L’arbitre a rejeté cette position. Je préciserai que la proposition du demandeur équivaudrait à revenir à l’impasse qui l’a justement mené à licencier le défendeur. Il m’est d’avis qu’il était loisible à l’arbitre appelée à trancher le conflit de travail d’envisager des solutions qui allaient au-delà de l’impasse qui avait fait naître ce conflit.

 

[34]           Le libellé du paragraphe 228(2) de la LRTFP confère expressément à l’arbitre un pouvoir discrétionnaire : « Après étude du grief, il tranche celui-ci par l’ordonnance qu’il juge indiquée ». [Non souligné dans l’original.]

 

[35]           Les arrêts de la Cour suprême et la disposition privative de la LRTFP sont clairs : l’expertise des arbitres en matière de relations de travail dans la fonction publique exige une grande retenue de la part des cours de révision.

 

[36]           L’arbitre a examiné et tranché une affaire qui relevait tout à fait de son domaine d’expertise. Elle a fondé sa décision sur les faits établis par la preuve dont elle était saisie. L’arbitre a soigneusement examiné les circonstances de l’espèce et avait exposé ses conclusions dans les motifs qu’elle avait fournis à l’appui de la décision Pepper 1. L’octroi du traitement, des avantages sociaux et des occasions perdues d’effectuer des heures supplémentaires relevait tout à fait de sa compétence et de son pouvoir discrétionnaire.

 

[37]           Je conclus que la décision de l’arbitre d’accorder rétroactivement à la date du licenciement le traitement, les avantages sociaux et les occasions perdues de faire des heures supplémentaires est raisonnable.

 

CONCLUSION

[38]           La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[39]           Les dépens seront adjugés au défendeur.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Les dépens sont adjugés au défendeur.

 

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-1537-08

 

 

INTITULÉ :                                       PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                            c.

                                                            MICHAEL PEPPER

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 JUILLET 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 25 FÉVRIER 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Neil McGraw

 

POUR LE DEMANDEUR

David Mombourquette

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Pink Breen Larkin

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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