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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 


Date : 20110608

Dossier : IMM-6200-10

Référence : 2011 CF 654

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2011

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

 

XI SHUN ZHANG

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 23 septembre 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux fins des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch.27 (la Loi), comme il n’était pas crédible et n’était pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans sa ville natale en Chine.

 

LES FAITS

Le contexte

[2]               Le demandeur, âgé de 57 ans, est citoyen de la Chine et originaire de la province du Fujian. Il est arrivé au Canada le 13 mai 2009. Le demandeur a demandé l’asile parce que, comme il est chrétien pratiquant, il craint d’être persécuté pour des motifs religieux dans sa province.

 

[3]               À la suggestion d’un ami d’enfance, Jun Lin, et en vue de surmonter une dépression et un problème d’alcool ayant suivi une tentative ratée de lancer un commerce, le demandeur a assisté à son premier service religieux le 6 avril 2008; il a immédiatement été subjugué. Il a par la suite assisté chaque semaine à un service religieux. Le demandeur a déclaré que l’église fréquentée était « clandestine » et que ses pratiques n’étaient pas sanctionnées par le gouvernement chinois. L’église a donc pris de nombreuses précautions pour demeurer secrète et veiller sur la sécurité de ses fidèles.

 

[4]               Le 19 avril 2009, des agents du Bureau de la sécurité publique (BSP) ont fait une descente à l’église alors que le demandeur assistait au service religieux. Le demandeur a pu s’enfuir grâce à l’avertissement donné par un guetteur. Il a cherché refuge chez un parent parce qu’il craignait de retourner dans sa demeure. Pendant que le demandeur se tenait caché, son épouse l’a informé que des agents du BSP étaient venus chez lui à sa recherche. Aux dires du demandeur, les agents ont continué de se rendre chez lui et d’informer son épouse qu’il aurait à payer le prix de sa violation de la loi. Le demandeur et son épouse en ont conclu que celui-ci ne pourrait retourner à la maison. Le demandeur a alors décidé de fuir son pays.

 

[5]               Le demandeur a emprunté 46 000 $ à des parents pour obtenir un faux passeport d’un passeur et prendre l’avion à destination du Canada; il y est arrivé le 13 mai 2009. L’épouse a rapporté que les autorités chinoises continuaient depuis de venir à la maison, toujours à la recherche du demandeur.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[6]               La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur le 23 septembre 2010. La Commission a résumé comme suit sa principale conclusion, au paragraphe 4 de sa décision :

¶4.       Des problèmes de crédibilité ont été relevés en ce qui concerne le service non autorisé au cours duquel il y avait eu une descente et quant à la question de savoir si les autorités s’intéressaient au demandeur d’asile.

 

[7]               La Commission a conclu plus particulièrement que, ce qui portait un coup fatal à la demande d’asile, c’était le fait que le demandeur n’avait pu produire la moindre preuve documentaire montrant que la police était bien à sa recherche. La Commission a reconnu que, selon la preuve documentaire, un mandat d’arrestation ou une assignation n’était pas toujours laissé à la maison d’un suspect, mais elle a néanmoins conclu que la preuve documentaire indiquait, pour l’essentiel, que les policiers auraient vraisemblablement laissé chez le demandeur une forme quelconque d’assignation :

¶7.       Bien que la preuve documentaire soit mitigée, il est raisonnable de conclure que les autorités ont mené une enquête qui les a incitées à identifier le demandeur d’asile comme membre d’une église clandestine. De plus, comme les autorités auraient continué à se renseigner au sujet du demandeur d’asile, il est raisonnable de s’attendre, compte tenu de la preuve documentaire, à ce qu’un mandat d’arrestation ou une assignation soit donné à la famille du demandeur d’asile.

 

[8]               La Commission a en outre conclu que le demandeur n’avait pas démontré l’existence de la moindre persécution à l’endroit des églises clandestines dans sa province du Fujian. La Commission a passé en revue la preuve documentaire sur la persécution des chrétiens membres d’églises clandestines en Chine – dont le nombre serait de 50 à 70 millions. La Commission a conclu que même si les plus petites « maisons-églises », comme celle fréquentée par le demandeur, n’avaient pas à être officiellement inscrites auprès du gouvernement, il était vrai que des fonctionnaires locaux venaient y perturber les réunions de fidèles. La Commission a conclu que les églises clandestines subissaient un traitement variable; ainsi, nombre de ces églises dans les régions urbaines restreignaient le nombre de leurs membres pour éviter le harcèlement, tandis que celles des régions rurales pouvaient compter un grand nombre de fidèles. La Commission a aussi conclu que les policiers étaient davantage susceptibles de prendre pour cibles les églises clandestines à plus large congrégation qui avaient établi les liens les plus importants avec la collectivité et avec l’étranger. La Commission a reconnu que, selon la documentation, les membres d’églises non inscrites étaient exposés à du harcèlement et à de sévères représailles, notamment à des sévices et à des actes de torture lorsqu’ils étaient détenus, dans certaines parties de la Chine.

 

[9]               Quant à la province du Fujian où habitait le demandeur, a conclu la Commission, la preuve révélait qu’on rapportait moins d’incidents de persécution dans les provinces de la côte Est dont elle faisait partie. Cela pouvait toutefois signifier soit que ces provinces étaient « plus ouvertes », soit que les incidents y survenant étaient tout simplement moins souvent signalés. La Commission a reconnu qu’une église avait été démolie dans la province du Fujian en 2006, mais aucune preuve n’expliquait le motif de cette démolition.

 

[10]           La Commission a toutefois statué que, comme la preuve d’incidents de persécution dans des régions plus éloignées que la province du Fujian était disponible, l’absence de pareils renseignements sur la persécution dans cette province montrait que la persécution n’y sévissait pas :

¶11.     Le tribunal sait très bien que le nombre d’incidents de persécution est vraisemblablement plus élevé compte tenu de la censure à laquelle sont soumises les communications et même de la possibilité que les commentateurs n’aient pas eu accès à tous les renseignements pertinents. À la lumière de tous ces facteurs, le tribunal conclut, étant donné la quantité importante de renseignements portant sur des exemples très précis dans des régions beaucoup plus éloignées et difficiles d’accès que le Fujian, ce qui comprend non seulement des exemples flagrants de persécution comme des arrestations, mais aussi d’autres formes de persécution telles que des amendes, des détentions à court terme et la confiscation de biens, qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il lui soit présenté des éléments de preuve convaincants étayant l’allégation voulant que des groupes comme celui du demandeur d’asile, qui sont petits et ne sont pas tenus de s’enregistrer, aient fait l’objet de descentes et que des personnes aient été emprisonnées ou aient subies d’autres formes de persécution dans la province de Fujian. La preuve documentaire convainc le tribunal, selon la prépondérance des probabilités, que la maison‑église non enregistrée du demandeur d’asile n’a pas fait l’objet d’une descente et appuie la conclusion selon laquelle les autorités ne recherchent pas le demandeur d’asile.

 

 

[11]           La Commission a aussi conclu que, selon ce que la preuve documentaire révélait, un nombre grandissant – de 50 à 70 millions – de Chinois étaient membres d’églises non sanctionnées par l’État, et que de plus en plus ces églises clandestines agissaient au grand jour sans être inquiétées.

 

[12]           Ainsi, tout en acceptant que le demandeur était bien un chrétien pratiquant, la Commission a conclu qu’il n’était pas exposé à de la persécution pour ce motif dans la province chinoise du Fujian.

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES PERTINENTES

[13]           L’article 96 de la Loi confère protection, comme suit, aux réfugiés au sens de la Convention :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country

 

[14]           L’article 97 de la Loi confère protection, comme suit, aux personnes qui, par leur renvoi, seraient exposées à un risque de torture, à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;  

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or  

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[15]           Le demandeur soulève les deux questions suivantes :

a.       Était-il déraisonnable pour la Commission de conclure que les autorités chinoises ne recherchaient pas le demandeur parce que celui-ci n’avait produit ni mandat d’arrestation ni assignation démontrant qu’elles s’intéressaient ainsi à lui?

b.      Était-il raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur pouvait pratiquer sa religion en Chine sans être exposé à davantage qu’une possibilité sérieuse de persécution?

 

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[16]           Selon la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62, lorsque la cour de révision procède à l’analyse relative à la norme de contrôle, la première étape consiste à vérifier si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » (voir aussi à Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, 1 R.S.C. 339 (le juge Binnie, paragraphe 53)).

 

[17]           Les conclusions en matière de crédibilité et de vraisemblance et l’analyse de la preuve par la Commission constituent des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit qui appellent la norme de contrôle de la raisonnabilité (Wu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 929, paragraphe 17; Khokhar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 449, paragraphes 17 à 20; Dong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 55, paragraphe 17).

 

[18]           En procédant au contrôle de la décision de la Commission en l’espèce, en fonction de la norme de la raisonnabilité, la Cour s’attardera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, paragraphe 47; Khosa, précité, paragraphe 59).

 

ANALYSE

1re question en litigeÉtait-il déraisonnable pour la Commission de conclure que les autorités chinoises ne recherchaient pas le demandeur parce que celui-ci n’avait produit ni mandat d’arrestation ni assignation démontrant qu’elles s’intéressaient ainsi à lui?

[19]           Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour la Commission de s’être fondée sur la preuve documentaire qu’elle avait invoquée pour conclure que les autorités auraient laissé à un membre de sa famille un mandat d’arrestation ou une assignation si elles avaient véritablement été à sa recherche. Le demandeur soutient que, d’après la preuve documentaire citée par la Commission, bien qu’un adulte habitant dans la demeure d’un suspect puisse recevoir les documents judiciaires, assignations et avis divers, ce n’était toutefois pas toujours là la procédure choisie par les autorités elles-mêmes en raison de l’écart existant entre le texte de la loi et son application en Chine. La même preuve documentaire révélait en outre qu’on ne se conformait pas en Chine aux normes de l’État de droit, et que les policiers n’y respectaient pas toujours la loi.

 

[20]           Le demandeur soutient que son témoignage selon lequel on n’avait laissé à sa famille aucun mandat d’arrestation ni aucune assignation n’était donc pas réfuté par la preuve. Le demandeur ajoute qu’en l’espèce son témoignage était totalement compatible avec la preuve documentaire, et que les choses ont donc très bien pu se passer comme il les avait décrites.

 

[21]           Le défendeur soutient pour sa part que la Commission a bien pris en compte la preuve présentée par le demandeur, mais a conclu selon la prépondérance de la preuve que ce dernier n’était pas recherché par la police. Il était raisonnable pour la Commission, selon le défendeur, de tirer cette conclusion.

 

[22]           La Commission a renvoyé expressément à des éléments de preuve fiables et vérifiables au soutien de sa conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas recherché par les autorités chinoises. Cette conclusion ne s’appuyait pas sur ce que la Commission aurait supposé être un comportement rationnel. La Commission a aussi pleinement pris en compte les éléments de preuve pouvant réfuter les conclusions qu’elle a finalement tirées. La Commission a ainsi reconnu que les policiers ne laissaient pas toujours des assignations ou des mandats d’arrestation chez la famille des suspects. Elle a toutefois conclu qu’étant donné le nombre de fois où, aux dires du demandeur, des visites de la police avaient été faites chez lui, on aurait pu s’attendre d’après la preuve documentaire à ce que les policiers laissent un document quelconque à un moment ou à un autre. On déclarait ainsi ce qui suit dans la preuve dont la Commission était saisie :

RÉPONSES AUX DEMANDES D’INFORMATION

 

Le 1er juin 2004

 

Chine : information sur les circonstances dans lesquelles une assignation est délivrée et les autorités responsables de la délivrance; droit procédural; information indiquant si les assignations sont remises à des personnes ou à des ménages; dimensions et apparence; information indiquant s'il est possible d'en contester la légalité; sanctions pour défaut de se conformer à une assignation (1998-2004) Direction des recherches, Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Ottawa

 

[…]

 

De plus, un représentant de Droits de la personne en Chine (Human Rights in China - HRIC), établi à New York, a fourni l'information suivante sur a) la signification d'assignations, b) le refus de signification et c) la comparution de témoins, qu'il a reçue d'un collègue de Hong Kong, avocat spécialiste en droit chinois :

 

[traduction]

a) L’article 81 du code de procédure pénale régit la signification d'assignations aux témoins. Les assignations, les avis et autres documents procéduraux doivent être remis au destinataire en personne. Si le destinataire est absent, le document peut être remis en son nom à un membre adulte de sa famille ou à un responsable de son unité.

 

[…]

 

[…] en Chine, les policiers laissent très souvent les assignations auprès de membres de la famille (ou même d'amis proches, mais cette pratique est moins courante) en les avisant de remettre l'assignation à la personne dont le nom est inscrit sur cette dernière. La personne acceptant l'assignation doit signer un accusé de réception.

 

 

[23]           Il est loisible à la Commission d’apprécier la preuve documentaire en regard du témoignage du demandeur, et de conclure que cette preuve étaye une conclusion contraire à ce témoignage.

 

2e question en litige – Était-il raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur pouvait pratiquer sa religion en Chine sans être exposé à davantage qu’une possibilité sérieuse de persécution?

[24]           C’est erronément, selon le demandeur, que le tribunal a conclu qu’il n’y avait pas eu de descente à son église et que lui-même pouvait pratiquer sa religion au sein d’une église clandestine en Chine. Le demandeur soutient que, d’après la preuve documentaire examinée par la Commission, les églises clandestines et leurs membres font fréquemment l’objet de persécution de la part des autorités chinoises. Le demandeur fait plus particulièrement valoir un passage non cité par la Commission d’un document – Réponse aux demandes d’information – invoqué par elle :

[traduction]

[s]i l’on considère précisément le Fujian et le Guangdong, il est totalement incorrect de conclure que la liberté de culte est respectée dans ces provinces […]. [L]es persécutions sont sporadiques et ne sont pas entièrement prévisibles, mais elles se produisent encore. Même les menaces de répression par le gouvernement constituent un moyen de persécution. À tout moment, les maisons-églises du Fujian et du Guangdong, comme toutes les autres en Chine, sont exposées au risque terrifiant d’être fermées, ou de voir leurs membres subir des sanctions. Il est certain que la liberté de culte n’est pas respectée dans ces provinces, étant donné qu’elle ne l’est pas dans le reste du pays.

 

[25]           La Cour conclut qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure, selon la prépondérance de la preuve, qu’il n’y avait pas eu de descente de police à l’église du demandeur et que celui-ci pouvait continuer de pratiquer sa religion au sein d’une église clandestine dans la province du Fujian. Les éléments de preuve que la Commission a mis en balance étaient, d’un côté le témoignage du demandeur relativement à la descente et aux visites faites chez lui par la police, de l’autre côté la preuve documentaire traitant de la fréquence et de la vraisemblance des descentes de police visant des églises clandestines dans la province du Fujian, où habitait le demandeur. La Cour a conclu après examen de cette preuve que certaines églises étaient plus susceptibles que d’autres de faire l’objet de descentes, en particulier les églises de certaines régions du pays, celles comptant plus de membres, celles ayant établi des liens avec l’étranger et celles s’adonnant au prosélytisme. La Commission n’a trouvé aucune preuve montrant que les églises de la province du Fujian étaient prises pour cibles.

 

[26]           La Cour fédérale a examiné dans nombre d’affaires des prétentions semblables à celles du demandeur. Dans la décision Yu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 310, le juge Zinn s’est penché sur l’interaction entre la présomption de véracité du témoignage du demandeur et la preuve documentaire corroborante. Je souscris à ses commentaires qui sont d’application en l’espèce. Le juge Zinn a déclaré qu’il n’y avait rien de déraisonnable dans la décision de la Commission de préférer la preuve documentaire au témoignage d’un demandeur après examen attentif de la preuve :

26.     Le demandeur a raison lorsqu’il soutient que « [q]uand un requérant jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter », Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.). Il en découle que si la Commission avait des raisons de douter de la véracité générale du témoignage du demandeur, elle avait « l’obligation de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de la crédibilité [du demandeur] », Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.). [Non souligné dans l’original.]

 

27.     En l’espèce, le demandeur note correctement que la Commission n’a pas tiré de conclusion défavorable explicite au sujet de la crédibilité de son témoignage. Il soutient que la Commission a plutôt préféré la preuve documentaire et a conclu que « selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a pas eu de [descente] à l’[église clandestine]. » Il soutient que la Commission ne pouvait tirer cette conclusion que si elle avait d’abord établi un motif pour conclure que le témoignage n’était pas crédible. Je ne souscris pas à l’avis du demandeur.

[…]

¶31.     En l’espèce, la seule preuve qui a été présentée à la Commission au sujet de la descente à l’église clandestine du demandeur était le témoignage de celui-ci. Aucune preuve corroborant ce récit n’a été présentée. Bien que la Commission ait conclu que le demandeur était crédible, puisqu’elle a accepté qu’il était chrétien et qu’il fréquentait une église clandestine dans la province du Fujian, la Commission était saisie d’autres éléments de preuve qui mettaient en doute son récit au sujet de la descente.

 

32.     L’autre preuve était la preuve documentaire. Elle ne contredisait pas directement le témoignage du demandeur, puisqu’elle ne prétendait pas qu’aucune église clandestine n’avait jamais fait l’objet d’une descente dans la province du Fujian. Cela n’est pas surprenant, puisqu’il est peu probable qu’on puisse trouver un rapport au sujet de quelque chose qui n’est pas arrivé, puisque ce sont les événements, et non les non-événements, qui font l’objet de rapports. Néanmoins, la preuve documentaire permet de supposer qu’aucune descente n’a eu lieu. Elle permet cette conclusion, comme la Commission l’a noté, pour de nombreuses raisons, notamment :

1. Il existe un énorme écart dans la façon dont les églises clandestines sont traitées en Chine. Dans certaines parties du pays, des églises clandestines qui ont une grande congrégation exercent leurs activités ouvertement, sans objection des autorités, alors que dans d’autres parties du pays, des églises clandestines qui ont de petites congrégations sont visées par les autorités.

2. Les chrétiens protestants qui tentent de se réunir en larges groupes, qui se déplacent en Chine et à l’extérieur de la Chine pour des rencontres religieuses sont plus à risque d’être visés par les autorités.

3. Il existe des preuves documentaires de persécution religieuse des églises clandestines et de leurs membres dans de nombreuses parties de la Chine, y compris dans des régions éloignées, mais il n’existe que très peu de preuve d’une telle persécution dans la province du Fujian.

4. La preuve existante de persécution religieuse dans la province du Fujian porte sur l’église catholique.

 

33.     En l’espèce, la Commission a choisi de préférer la preuve documentaire indépendante au témoignage du demandeur. En lisant la décision dans son ensemble, il est évident qu’elle a préféré la preuve d’un « grand nombre de commentateurs différents […] qui n’ont aucun intérêt direct dans le traitement de demandes d’asile individuelles » au témoignage du demandeur à l’appui de sa propre demande de protection. Je ne peux pas conclure que l’appréciation de la preuve était déraisonnable. Comme la Commission était d’avis que la preuve documentaire était plus solide et serait préférée, elle n’avait pas besoin de tirer une conclusion explicite selon laquelle le témoignage du demandeur à ce sujet n’était pas crédible, puisqu’elle l’a fait indirectement.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

Ce qu’on a souligné dans les motifs du juge Zinn est directement applicable en l’espèce. Le juge Zinn a examiné en profondeur s’il était vraisemblable qu’une descente ait été effectuée dans une église clandestine de la province du Fujian.

 

 

[27]           La Cour conclut qu’en l’espèce la Commission a apprécié la preuve dont elle était saisie. La Cour n’a pas à intervenir lorsqu’au vu de la preuve, il était raisonnable pour la Commission de tirer les conclusions qui ont été les siennes.

 

CONCLUSION

[28]           La conclusion de la Commission était raisonnable au vu de la preuve. Quoique la Commission aurait pu en arriver à une conclusion contraire tout aussi raisonnable, il n’y a pas lieu que la Cour intervienne. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

QUESTION CERTIFIÉE

[29]           Les deux parties ont informé la Cour que la présente affaire ne soulevait aucune question grave de portée générale à certifier. La Cour est du même avis.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6200-10

 

INTITULÉ :                                       Xi Shun Zhang c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hart A. Kaminker

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lorne McClenaghan

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hart A. Kaminker

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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