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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110606

Dossier : IMM-5486-10

Référence : 2011 CF 645

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 juin 2011

En présence de monsieur le juge O'Reilly

 

 

ENTRE :

 

PUTHENPURACKAL GOPI PRASAD

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Aperçu

[1]               M. Puthenpurackal Prasad, un citoyen de l’Inde, a présenté une demande de résidence permanente au Canada en tant que travailleur qualifié. Un agent des visas au Haut-Commissariat du Canada à Londres a conclu que M. Prasad n’a pas atteint le seuil des 67 points requis pour l’acceptation de la demande. M. Prasad soutient qu’il aurait obtenu le nombre de points requis si l’agent avait apprécié correctement ses études. Il me demande d’infirmer la décision de l’agent et d’ordonner qu’un autre agent effectue un réexamen.

[2]               Je suis d’accord avec M. Prasad que l’agent a erré et j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[3]               La question principale est de savoir si l’agent a attribué le bon nombre de points dans la catégorie des études.

 

II.   La décision de l’agent

 

[4]               M. Prasad a suivi trois années d’études dans un collège polytechnique et a obtenu un diplôme en informatique après avoir fait des études secondaires supérieures. Au total, il a fait 15 années d’études à temps plein.

[5]               L’agent des visas a conclu que M. Prasad aurait pu s’inscrire au programme en informatique après sa dixième année. Il n’avait pas besoin de faire sa onzième et sa douzième année pour pouvoir s’inscrire à ce programme. Par conséquent, l’agent a conclu qu’il devait attribuer des points pour un total de 13 années seulement d’études à temps plein à M. Prasad.

 

[6]               M. Prasad avait d’abord eu l’intention de s’inscrire à l’université et non à un collège technique, ce qui l’avait mené à faire ses études secondaires supérieures. Un diplôme d’études secondaires supérieures est requis pour l’inscription à l’université en Inde. En fin de compte, les notes de M. Prasad n’étaient pas assez bonnes pour qu’il puisse s’inscrire à l’université; il a donc décidé de s’inscrire au collège. Il a par la suite obtenu une maîtrise ès science (technologie de l’information), mais ce fut après avoir présenté sa demande.

 

[7]               Selon le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), un demandeur doit recevoir 15 points s’il a obtenu un diplôme postsecondaire nécessitant une année d’études et a accumulé un total de 13 années d’études à temps plein complètes (sous-alinéa 78(2)c)(i)) (voir l’annexe ci-jointe). Il s’agit de la disposition sur laquelle l’agent s’est appuyé en ce qui concerne la demande de M. Prasad. L’agent a conclu que, parce que M. Prasad aurait pu s’inscrire à son programme après 10 années d’études, les deux autres années ne devaient pas être comptées dans le total des années complètes d’études à temps plein parce qu’elles étaient superflues pour l’obtention de son diplôme.

 

[8]               M. Prasad soutient que l’agent aurait plutôt dû invoquer le sous-alinéa 78(2)e)(i). Cette disposition prévoit qu’un demandeur doit recevoir 22 points s’il a obtenu un diplôme postsecondaire nécessitant trois années d’études et a accumulé un total de 15 années d’études à temps plein complètes.

III.   La jurisprudence sur l’interprétation du Règlement

[9]               Le ministre s’appuie sur des décisions dans lesquelles la Cour a conclu que le Règlement ne reconnaît pas toutes les années d’études dans le nombre total des années d’études menant à un diplôme. Par exemple, les années d’un certificat d’études obtenu après avoir obtenu une maîtrise ne peuvent pas être accumulées dans le nombre total des années d’études d’un demandeur qui a obtenu une maîtrise, parce que cela n’a pas contribué à l’obtention de son plus haut niveau de scolarité : Bhuiya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 878. Dans cette décision, la juge Anne Mactavish a conclu que le « fait que Mlle Bhuiya ait pu suivre une année supplémentaire d’études après avoir obtenu sa maîtrise ne transforme pas sa maîtrise de 16 années en une maîtrise de 17 années » (au paragraphe 19). (Voir également Roberts c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 518; Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 617.)

[10]           Le ministre réfère également aux décisions de la juge Elizabeth Heneghan dans lesquelles elle a conclu que les années passées à obtenir une deuxième maîtrise ne peuvent être comptées dans le nombre total des années d’études d’un demandeur parce que le Règlement (l’alinéa 78(3)a)) prévoit que les points ne peuvent être additionnés les uns aux autres du fait qu’un demandeur possède plus d’un diplôme : Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 983; Kabir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 995.

[11]           Essentiellement, par conséquent, le ministre soutient que seules les années qui sont strictement requises pour l’obtention du plus haut niveau de scolarité d’un demandeur doivent être comptées dans le total des années d’études du demandeur.

[12]           Toutefois, dans deux affaires récentes, la Cour s’est écartée des décisions rendues dans Khan et dans Kabir, sur lesquelles le ministre s’appuie. Dans la première, le juge Douglas Campbell a conclu que tous les antécédents d’études devaient être pris en compte, pas seulement les années d’études qui avaient contribué à l’obtention du plus haut niveau de scolarité : Hasan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1206. Le juge Campbell a conclu que les années d’études suivies par le demandeur pour obtenir sa seconde maîtrise devaient être incluses dans le nombre total des années d’études. De même, dans la seconde affaire, le juge Simon Noël a conclu que les années d’études requises pour l’obtention d’une seconde maîtrise devaient être comptées : Rabeya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 370.

[13]           Peut-être que l’affaire la plus semblable à celle de M. Prasad est McLachlan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 975. Dans cette affaire, le juge Leonard Mandamin a conclu qu’une agente avait erré en omettant d’évaluer si la douzième des années d’études à temps plein du demandeur qui avaient précédé un diplôme de deux années pouvait être comptée, bien que le demandeur aurait pu faire ces études en onze ans. Le demandeur avait décidé de suivre une douzième année afin d’améliorer ses notes. Le juge Mandamin a conclu que l’agente aurait dû tenir compte du paragraphe 78(4) du Règlement, lequel s’applique lors de circonstances spéciales dans lesquelles un demandeur est titulaire d’un diplôme reconnu, mais n’a pas accumulé le nombre d’années d’études prévu. Si elle l’avait fait, elle aurait additionné ces deux années d’études pour le diplôme, pour un total de quatorze années d’études à temps plein (au paragraphe 35).

[14]           Le juge Russel Zinn s’en est tenu à une approche similaire dans Marr c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 367. Dans cette affaire, il a conclu que l’agent aurait dû évaluer si le paragraphe 78(4) s’appliquait, après avoir conclu qu’il manquait une année d’études au demandeur (au paragraphe 48).

 

IV.  L’agent a-t-il interprété le Règlement correctement?

[15]           La présente affaire repose sur l’interprétation de la disposition applicable du Règlement. Je peux infirmer la décision de l’agent si je conclus que l’interprétation de l’agent est incorrecte.

[16]           Aucune des affaires citées ne comporte précisément le même contexte factuel que la présente affaire. Cependant, le ministre considère tout de même que l’agent, en ne tenant compte que des années d’études requises pour l’obtention du diplôme collégial de M. Prasad, respectait l’approche utilisée dans Bhuiya, Khan et Kabir, précitées. Il est soutenu que cette approche requiert que seules les années d’études menant à l’obtention directe du plus haut niveau de scolarité du demandeur doivent être comptées. Par contre, M. Prasad soutient qu’il n’y a rien dans le Règlement qui appuie expressément la conclusion de l’agent. De plus, M. Prasad s’appuie sur les décisions dans McLachlan, Hasan, et Rabeya.

[17]           La question principale est de savoir si deux années d’études de M. Prasad qui n’étaient pas requises pour l’obtention de son diplôme collégial sont tout de même des [traduction] « études ». À mon avis, les motifs présentés dans d’autres affaires pour ne pas attribuer des points pour des années d’études d’un demandeur ne s’appliquent pas ici. Plus particulièrement, M. Prasad n’est pas titulaire de deux diplômes du même niveau de scolarité, contrairement à la situation dans Khan et dans Kabir. Il n’a pas non plus obtenu un diplôme d’un niveau inférieur après avoir obtenu son plus haut niveau de scolarité, contrairement à la situation dans Bhuiya. Les principes d’interprétation mentionnés dans ces affaires ne semblent pas s’appliquer ici. Toutefois, même si l’approche de l’agent était correcte, il avait l’obligation de prendre le paragraphe 78(4) en compte. Selon McLalchlan et Marr, même s’il manque au demandeur quelques années d’études au nombre requis, l’agent d’immigration doit déterminer s’il existe des circonstances spéciales qui permettent au demandeur de recevoir le nombre de points correspondant à son niveau de scolarité. Dans la présente affaire, l’agent n’a pas tenu compte du paragraphe 78(4) et cette erreur seule requiert que j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire.

V.     Conclusion et décision

[18]           Pour ces motifs, je conclus que l’agent a fait une erreur de droit et je devrai, par conséquent, accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner qu’un autre agent effectue un réexamen de la demande de M. Prasad. Les parties s’entendent pour certifier la question suivante :

[traduction]

 

En attribuant les points pour les études, en application du paragraphe 78(4) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, un agent des visas doit-il attribuer des points pour les années d’études équivalent temps plein qui n’ont pas contribué à l’obtention du diplôme évalué?

 

[19]           Je conclus que la présente question est une question grave de portée générale et, par conséquent, qu’elle doit être énoncée. Le demandeur a demandé des dépens, mais je conclus qu’il n’y a aucune circonstance spéciale qui justifie l’adjudication de dépens.


JUGEMENT

LA COUR statue comme suit :

 

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour réexamen.

2.                  La question suivante est énoncée :

En attribuant les points pour les études, en application du paragraphe 78(4) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, un agent des visas doit-il attribuer des points pour les années d’études équivalent temps plein qui n’ont pas contribué à l’obtention du diplôme évalué?

 

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


 

Annexe

 

 

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

  78. (2) Un maximum de 25 points d’appréciation sont attribués pour les études du travailleur qualifié selon la grille suivante :

 

[…]

 

c) 15 points, si, selon le cas :

 

(i) il a obtenu un diplôme postsecondaire — autre qu’un diplôme universitaire — nécessitant une année d’études et a accumulé un total de treize années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein,

[…]

 

e) 22 points, si, selon le cas :

 

(i) il a obtenu un diplôme postsecondaire — autre qu’un diplôme universitaire — nécessitant trois années d’études et a accumulé un total de quinze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein,

 

Résultats

(3) Pour l’application du paragraphe (2), les points sont accumulés de la façon suivante :

 

a) ils ne peuvent être additionnés les uns aux autres du fait que le travailleur qualifié possède plus d’un diplôme;

Circonstances spéciales

 

(4) Pour l’application du paragraphe (2), si le travailleur qualifié est titulaire d’un diplôme visé à l’un des alinéas (2)b), des sous-alinéas (2)c)(i) et (ii), (2)d)(i) et (ii) et (2)e)(i) et (ii) ou à l’alinéa (2)f) mais n’a pas accumulé le nombre d’années d’études à temps plein ou l’équivalent temps plein prévu à l’un de ces alinéas ou sous-alinéas, il obtient le nombre de points correspondant au nombre d’années d’études à temps plein complètes — ou leur équivalent temps plein — mentionné dans ces dispositions.

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

 

  78. (2) A maximum of 25 points shall be awarded for a skilled worker’s education as follows:

 

 

(c) 15 points for

 

(i) a one-year post-secondary educational credential, other than a university educational credential, and a total of at least 13 years of completed full-time or full-time equivalent studies, or

 

(e) 22 points for

 

(i) a three-year post-secondary educational credential, other than a university educational credential, and a total of at least 15 years of completed full-time or full-time equivalent studies, or

 

Multiple educational achievements

(3) For the purposes of subsection (2), points

 

(a)   shall not be awarded cumulatively on the basis of more than one single educational credential; and



Special circumstances

 

(4) For the purposes of subsection (2), if a skilled worker has an educational credential referred to in paragraph (2)(b), subparagraph (2)(c)(i) or (ii), (d)(i) or (ii) or (e)(i) or (ii) or paragraph (2)(f), but not the total number of years of full-time or full-time equivalent studies required by that paragraph or subparagraph, the skilled worker shall be awarded the same number of points as the number of years of completed full-time or full-time equivalent studies set out in the paragraph or subparagraph.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5486-10

 

INTITULÉ :                                       PUTHENPURACKAL GOPI PRASAD

                                                            c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 6 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Matthew Jeffery

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Tamrat Gebeyehu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Matthew Jeffery

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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