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Federal Court


Date : 20110530

Dossier : T-1474-10

Référence : 2011 CF 628

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2011

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

 

ALLEN TEHRANKARI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

   MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Allen Tehrankari présente une demande de contrôle judiciaire de la décision de M. Marc‑Arthur Hyppolite, sous‑commissaire principal (le sous‑commissaire) de Service correctionnel Canada (SCC), par laquelle le grief au troisième palier du demandeur a été rejeté.

 

[2]               Le demandeur s’oppose à l’exigence de maintenir un minimum de 80 $ dans son compte d’épargne avant de pouvoir retirer de l’argent de son compte. Il s’oppose également à ce que soit prélevées des retenues de 0,80 $ par jour où il reçoit un salaire afin qu’il cotise à la Caisse de bienfaisance des détenus pour payer la télévision par câble et les activités des détenus.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, j’accueillerai en partie la demande de contrôle judiciaire. J’accueillerai la partie de la demande portant sur la retenue sur la paye des détenus et je renverrai cette question au décideur pour qu’elle soit tranchée. Je rejetterai la partie de la demande concernant le maintien d’un solde minimum dans le compte d’épargne du détenu.

 

Le contexte

 

[4]               Le demandeur, M. Tehrankari, qui n’était pas représenté par un avocat, était détenu dans l’Unité d’évaluation de l’Établissement fédéral de Millhaven avant d’être transféré au Pénitencier de Kingston le 14 janvier 2010.

 

[5]               Dans sa plainte du délinquant initiale présentée le 12 octobre 2009, le demandeur a voulu avoir accès au « minimum de 80 $ » dans son compte d’épargne. En outre, il a demandé qu’on lui rembourse toutes les retenues de huit dollars prélevées sur son revenu de détenu afin qu’il cotise à la Caisse de bienfaisance des détenus, à moins qu’on lui fournisse une explication juridique valable quant à savoir pourquoi la retenue était nécessaire; il souhaitait que ce remboursement soit rétroactif au 19 mars 2009.

 

[6]               Le chef du service des finances par intérim de SCC a répondu ce qui suit dans une Réponse à la plainte du plaignant le 18 novembre 2009 : [traduction] « Selon l’article 18 de la Directive du commissaire 860, vous devez maintenir un solde de 80 $ dans votre compte d’épargne. »

 

[7]               Le chef du service des finances par intérim a également affirmé ce qui suit :

[traduction]

 

Selon les paragraphes 9b, 33a et 35 de la Directive du commissaire 860, il est permis de prélever une retenue pour une cotisation à la Caisse de bienfaisance des détenus afin de financer des activités pour l’ensemble de la population des détenus et pour payer pour la télévision par câble. À l’Établissement Millhaven, la retenue a été établie à 0,80 $ par jour pour chaque jour où vous recevez une paye. La Directive du commissaire ne prévoit aucune exemption à cette retenue.

 

Le grief au premier palier

 

[8]               Le demandeur a par la suite présenté un grief au premier palier le 25 novembre 2009. Le demandeur a reconnu être au fait de la Directive du commissaire, mais il a allégué qu’aucune explication raisonnable ne lui avait été fournie en ce qui concerne la raison pratique du maintien du solde minimum de 80 $. Le demandeur a ajouté qu’il avait besoin de cette somme pour payer les appels téléphoniques quotidiens qu’il faisait à sa famille. Le demandeur a également contesté la réponse du chef du service des finances par intérim selon laquelle la Caisse de bienfaisance des détenus finançait des activités pour l’ensemble de la population. Il a allégué que les détenus se trouvant dans l’Unité d’évaluation de Millhaven ne faisaient pas partie de la population générale des détenus de l’Établissement Millhaven et que la Caisse de bienfaisance des détenus ne finançait aucune activité pour les détenus se trouvant dans l’Unité d’évaluation de Millhaven. Il a également allégué que la télévision par câble ne devrait pas coûter 0,80 $ par jour, surtout compte tenu du fait qu’il a parfois partagé sa cellule avec un autre détenu. Le demandeur a continué de maintenir que les retenues étaient illégales.

 

[9]               Le directeur a répondu qu’il souscrivait à la réponse du chef du service des finances par intérim et a rejeté le grief au premier palier du demandeur.

 

Le grief au deuxième palier

 

[10]           Le 27 janvier 2010, le demandeur a déposé un grief au deuxième palier. Il a déclaré que la réponse au directeur n’était pas acceptable. Il a présenté une liste des montants des retenues prélevées pour cotiser à la Caisse de bienfaisance des détenus qui, selon lui, devraient lui être remboursées; il a calculé ces montants en détaillant le temps où il a partagé sa cellule avec un autre détenu (temps pour lequel il ne devrait donc payer que la moitié du montant prévu pour la télévision par câble) et le temps où il était en isolement sans avoir l’accès à la télévision. Il a également allégué qu’on ne devrait pas lui faire payer pour la télévision par câble parce qu’il n’avait pas demandé d’avoir ce service.

 

[11]           Le sous‑commissaire adjoint de SCC a rejeté le grief au second palier du demandeur le 31 mars 2010. En particulier, il a invoqué l’article 111 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la Loi) (ce qui plus tard a été reconnu comme étant une erreur, car on aurait dû renvoyer au Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (le Règlement)) :

 

Article 111

 

[…]

 

(3) Aucune somme inscrite au crédit du détenu dans un compte d’épargne du Fonds de fiducie des détenus ne peut être prélevée du compte si le solde de celui­ci est inférieur au montant fixé dans les Directives du commissaire.

 

Le sous-commissaire adjoint a aussi invoqué la Directive du commissaire 860 :

 

Paragraphe 18 : Les détenus doivent maintenir un solde minimal de 80 $ dans leur compte d’épargne. Toutefois, si un détenu donne l’ordre par écrit de retirer des fonds de son compte d’épargne en vue de payer les frais engagés dans le cadre de toute poursuite judiciaire, une telle demande devra être satisfaite sans égard à quelque limite que ce soit. L’ordre de retrait n’est soumis qu’à une vérification raisonnable permettant de s’assurer que les fonds sont effectivement utilisés aux fins indiquées.

 

Paragraphe 9 : Les retenues qui peuvent être prélevées sur le revenu des détenus à être versé au Fonds de fiducie des détenus comprennent, dans l’ordre de priorité de leur énumération :

 

b. les cotisations à la Caisse de bienfaisance des détenus en conformité avec la présente directive;

 

Paragraphe 33 : Les recettes de la Caisse de bienfaisance des détenus proviennent des sources suivantes :

 

a. les retenues prélevées sur la paye des détenus;

 

[12]           Le sous‑commissaire adjoint a rejeté la demande d’exemption du demandeur quant au solde minimum parce que les allégations du demandeur n’ont pas été estimées valables et parce que la politique prévoit un solde minimum pour tous les délinquants.

 

[13]           Il a également rejeté la demande d’exemption du demandeur quant aux retenues d’usage prélevées pour cotiser à la Caisse de bienfaisance des détenus, en affirmant : [traduction] « La politique prévoit que les retenues visent l’ensemble des délinquants. »

 

Le grief au troisième palier

 

[14]           Le demandeur a par la suite présenté un grief au troisième palier. Il a allégué qu’aucune disposition de la Loi n’autorise que des retenues soient prélevées pour cotiser à la Caisse de bienfaisance des détenus, surtout que ce n’est pas prévu par la loi et qu’il n’y a aucune raison valable de le faire. Il a également allégué que la réponse concernant le solde obligatoire minimum de 80 $ devant être maintenu dans le compte d’épargne n’était pas raisonnable.

 

[15]           Le sous‑commissaire principal a rejeté le grief au troisième palier du demandeur le 20 août 2010. Il s’agit de la décision que le demandeur conteste en l’espèce.

 

La décision contestée

 

[16]           Le sous‑commissaire principal a corrigé l’erreur qui avait été commise, et a noté qu’il s’agissait de l’article 111 du Règlement qui prévoyait les dispositions permettant les retenues, dans la mesure où il existe une Directive du commissaire prévoyant une retenue sur la paye.

 

[17]           Le sous‑commissaire principal a affirmé que les retenues étaient prélevées en application des paragraphes 9b et 33a de la Directive du commissaire 860, et qu’il n’existait aucune loi ou politique permettant à un détenu d’être exempté de cotiser à la Caisse de bienfaisance des détenus parce qu’il ne participait pas aux activités financées grâce à la Caisse.

 

[18]           Le sous‑commissaire principal a tout d’abord noté qu’il pouvait y avoir certaines exemptions à la retenue sur la paye si les retenues réduisent la capacité du délinquant d’atteindre les objectifs de son plan correctionnel, de répondre à des besoins essentiels ou de faire face à des responsabilités familiales. Après avoir reconnu pourquoi le demandeur voulait une exemption, soit afin de pouvoir téléphoner à sa famille, le sous‑commissaire principal a noté que le chef de l’établissement avait décidé que le demandeur ne serait pas exempté des retenues sur la paye. Il a conclu que la loi et la politique ne prévoyaient pas le remboursement de sommes versées à la Caisse de bienfaisance des détenus parce que tous les détenus sont assujettis à ces retenues et parce qu’il avait été estimé que le demandeur ne respectait pas les critères pour obtenir une exemption.

 

[19]           Le sous‑commissaire principal s’est également penché sur l’autre question soulevée par le demandeur, soit le solde minimum de 80 $ que les détenus doivent maintenir dans leurs comptes d’épargne. Il a affirmé que le paragraphe 111(3) du Règlement prévoyait qu’aucune somme ne pouvait être prélevée du compte si le solde était inférieur au montant fixé dans les Directives du commissaire. Le paragraphes 18 de la Directive du commissaire prévoit que le solde minimum est de 80 $ et que l’on pouvait seulement en être exempté si l’argent était utilisé pour payer des frais engagés dans une poursuite judiciaire.

 

[20]           En réponse à l’observation du demandeur selon laquelle il avait droit à une explication raisonnable quant au maintien du solde minimum, le sous‑commissaire principal a expliqué que l’objet du régime des griefs internes ne consistait qu’à déterminer si la loi et la politique avaient été respectées et qu’il ne s’agissait pas d’une tribune pour débattre du fond des dispositions.

 

[21]           Le sous‑commissaire principal a donc rejeté le grief au troisième palier du demandeur.

 

Les dispositions législatives et réglementaires applicables

 

[22]           Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi)

78. (1) Le commissaire peut autoriser la rétribution des délinquants, aux taux approuvés par le Conseil du Trésor, afin d’encourager leur participation aux programmes offerts par le Service ou de leur procurer une aide financière pour favoriser leur réinsertion sociale.

 

 

 

 

(2) Dans le cas où un délinquant reçoit la rétribution mentionnée au paragraphe (1) ou tire un revenu d’une source réglementaire, le Service peut :

a) effectuer des retenues en conformité avec les règlements d’application de l’alinéa 96z.2) et les directives du commissaire;

 

b) exiger du délinquant, conformément aux règlements d’application de l’alinéa 96z.2.1), qu’il verse à Sa Majesté du chef du Canada, selon ce qui est fixé par directive du commissaire, jusqu’à trente pour cent de ses rétribution et revenu bruts à titre de remboursement des frais engagés pour son hébergement et sa nourriture pendant la période où il reçoit la rétribution ou tire le revenu ainsi que pour les vêtements de travail que lui fournit le Service

 

 

 

96. Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements :

[…]

z.2) précisant l’objet des retenues visées à l’alinéa 78(2)a) et en fixant le plafond ou le montant, ou permettant au commissaire de fixer ces derniers par directive;

z.2.1) prévoyant les modalités de recouvrement de la somme prévue à l’alinéa 78(2)b), notamment le transfert à Sa Majesté de l’argent déposé dans les comptes en fiducie créés conformément à l’alinéa 96q), et permettant au commissaire de prendre des directives pour en fixer le montant — en pourcentage ou autrement — et pour prévoir les circonstances dans lesquelles le versement n’en est pas exigé;

78. (1) For the purpose of

(a) encouraging offenders to participate in programs provided by the Service, or

(b) providing financial assistance to offenders to facilitate their reintegration into the community,

the Commissioner may authorize payments to offenders at rates approved by the Treasury Board.

 

(2) Where an offender receives a payment referred to in subsection (1) or income from a prescribed source, the Service may

(a) make deductions from that payment or income in accordance with regulations made under paragraph 96(z.2) and any Commissioner’s Directive; and

(b) require that the offender pay to Her Majesty in right of Canada, in accordance with regulations made pursuant to paragraph 96(z.2.1) and as set out in a Commissioner’s Directive, an amount, not exceeding thirty per cent of the gross payment referred to in subsection (1) or gross income, for reimbursement of the costs of the offender’s food and accommodation incurred while the offender was receiving that income or payment, or for reimbursement of the costs of work-related clothing provided to the offender by the Service.

 

96. The Governor in Council may make regulations

(z.2) prescribing the purposes for which deductions may be made pursuant to paragraph 78(2)(a) and prescribing the amount or maximum amount of any deduction, which regulations may authorize the Commissioner to fix the amount or maximum amount of any deduction by Commissioner’s Directive;

(z.2.1) providing for the means of collecting the amount referred to in paragraph 78(2)(b), whether by transferring to Her Majesty moneys held in trust accounts established pursuant to paragraph 96(q) or otherwise, and authorizing the Commissioner to fix, by percentage or otherwise, that amount by Commissioner’s Directive, and respecting the circumstances under which payment of that amount is not required;

 

[23]           Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (le Règlement)

104.1 (7) Lorsque le directeur du pénitencier détermine, selon les renseignements fournis par le délinquant, que des retenues ou des versements prévus dans le présent article réduiront excessivement la capacité du délinquant d’atteindre les objectifs de son plan correctionnel, de répondre à des besoins essentiels ou de faire face à des responsabilités familiales ou parentales, il réduit les retenues ou les remboursements ou y renonce pour permettre au délinquant d’atteindre ces objectifs, de répondre à ces besoins ou de faire face à ces responsabilités.

 

111. (1) Le Service doit veiller à ce que l’argent que possède le détenu à son admission au pénitencier et les sommes reçues par lui pendant son incarcération soient déposés à son crédit dans un fonds de fiducie, connu sous le nom de Fonds de fiducie des détenus.

 

 

(2) Le Fonds de fiducie des détenus doit comprendre un compte courant et un compte d’épargne pour chaque détenu.

(3) Aucune somme inscrite au crédit du détenu dans un compte d’épargne du Fonds de fiducie des détenus ne peut être prélevée du compte si le solde de celui-ci est inférieur au montant fixé dans les Directives du commissaire.

(4) Aucune somme inscrite au crédit du détenu dans un compte du Fonds de fiducie des détenus ne peut être virée au compte d’un autre détenu, sauf s’il existe un lien de parenté entre ces deux détenus

104.1 (7) Where the institutional head determines, on the basis of information that is supplied by an offender, that a deduction or payment of an amount that is referred to in this section will unduly interfere with the ability of the offender to meet the objectives of the offender’s correctional plan or to meet basic needs or family or parental responsibilities, the institutional head shall reduce or waive the deduction or payment to allow the offender to meet those objectives, needs or responsibilities.

 

 

 

111. (1) The Service shall ensure that all moneys that accompany an inmate when the inmate is admitted into a penitentiary and all moneys that are received on the inmate’s behalf while the inmate is in custody are deposited to the inmate’s credit in a trust fund, which fund shall be known as the Inmate Trust Fund.

(2) The Inmate Trust Fund shall comprise a current account and a savings account in respect of each inmate.

(3) No moneys standing to the credit of an inmate’s savings account in the Inmate Trust Fund shall be paid out of that account if the balance of the account is lower than the amount provided for in Commissioner’s Directives.

(4) No moneys in the Inmate Trust Fund standing to the credit of an inmate shall, except where a family relationship exists, be transferred to the credit of another inmate.

 

La norme de contrôle applicable

 

[24]           La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale et d’interprétation de la loi est la décision correcte. Cependant, le bien‑fondé des décisions rendues par SCC en matière de griefs des délinquants doit être contrôlé selon la norme de contrôle de la raisonnabilité : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir); Crawshaw c. Canada (Attorney General), 2010 FC 1110, paragraphe 39 (Crawshaw).

 

Les questions en litige

 

[25]           La décision du sous‑commissaire principal de rejeter le grief au troisième palier du demandeur concernant le solde minimum que doit maintenir les détenus dans leur compte d’épargne et les retenues sur la paye des détenus, était‑elle raisonnable?

 

Analyse

 

Le solde minimum dans le compte d’épargne des détenus

 

[26]           Le demandeur soutient qu’il n’y a aucune raison pratique de maintenir le solde minimum de 80 $ dans son compte d’épargne, parce qu’il purge une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant au moins 25 ans. Il affirme qu’il a besoin de cet argent maintenant afin de pouvoir téléphoner à sa famille et vu la longue durée de sa peine, il n’y a aucune raison de lui interdire l’accès à cet argent.

 

[27]           Le défendeur invoque le paragraphe 111(3) du Règlement qui prévoit qu’un tel solde minimum peut être établi dans les Directives du commissaire. Il fait également valoir la Directive du commissaire 860 qui établit que le solde minimum est de 80 $.

 

[28]           Le paragraphe 111(3) du Règlement est ainsi libellé :

 

Aucune somme inscrite au crédit du détenu dans un compte d’épargne du Fonds de fiducie des détenus ne peut être prélevée du compte si le solde de celui­ci est inférieur au montant fixé dans les Directives du commissaire.

 

[29]           La Directive du commissaire 860 établit l’exigence quant au solde minimum qui doit se trouver dans le compte d’épargne des détenus :

 

18. Les détenus doivent maintenir un solde minimal de 80 $ dans leur compte d’épargne. Toutefois, si un détenu donne l’ordre par écrit de retirer des fonds de son compte d’épargne en vue de payer les frais engagés dans le cadre de toute poursuite judiciaire, une telle demande devra être satisfaite sans égard à quelque limite que ce soit. L’ordre de retrait n’est soumis qu’à une vérification raisonnable permettant de s’assurer que les fonds sont effectivement utilisés aux fins indiquées.

 

 

[30]           Le sous‑commissaire principal a cerné les dispositions pertinentes de la loi et de la politique et les a appliquées à la situation du demandeur. Il a noté que la seule exemption possible visait des frais juridiques.

 

[31]           Même si le demandeur peut ne pas souscrire à la politique, il était loisible au sous‑commissaire principal de rejeter le grief du demandeur en concluant que ni la loi ni la politique ne prévoient une exemption pour la situation du demandeur. Le sous‑commissaire principal a correctement interprété la loi et la Directive du commissaire et les a appliquées à la situation du demandeur.

 

[32]           Par conséquent, je conclus que la décision du sous‑commissaire principal concernant le solde minimum devant se trouver dans le compte d’épargne du demandeur était raisonnable.

 

Les retenues prélevées sur la paye des détenus

 

[33]           Le demandeur soutient que SCC retient illégalement l’argent sur sa paye de détenu afin de cotiser à la Caisse de bienfaisance des détenus. En particulier, le demandeur affirme que la somme retenue pour la Caisse de bienfaisance des détenus est excessive, puisque ses calculs montrent que les retenues autorisées pour la télévision par câble ne devraient pas dépasser les 0,10 $ à 0,20 $ par jour de travail. Le demandeur fait valoir qu’on ne devrait pas lui charger le plein montant pour la télévision par câble pour le temps où il a partagé sa cellule avec un autre détenu ou pour le temps où il a été en isolement sans télévision.

 

[34]           Le défendeur souligne le fondement légal des retenues sur la paye du demandeur, lesquelles tirent leur source dans l’article 78 de la Loi. Cette disposition donne à SCC le pouvoir de faire de telles retenues en application de la Directive du commissaire 860, qui établit la politique relative à ces retenues et établit le montant des cotisations à la Caisse de bienfaisance des détenus.

 

[35]           Le défendeur soutient que le sous‑commissaire principal a clairement cerné la question dont il était saisi et a examiné les documents qui avaient été analysés, y compris les observations du demandeur, le dossier du demandeur, la réponse, la politique et les dispositions législatives réglementaires applicables. Le défendeur soutient donc que le sous‑commissaire principal a correctement établi la loi et la politique applicables et les a appliquées à la situation du demandeur.

 

[36]           Pendant ses observations orales, le demandeur a contesté le montant retenu parce qu’il dépassait le maximum des retenues autorisées par le paragraphes 35 de la Directive du commissaire 860. En réponse, le défendeur soutient que le montant était retenu pour des circonstances particulières, à savoir le coût du service de télévision par câble pour les détenus.

 

[37]           La Directive du commissionnaire 860 établit la somme pouvant être retenue :

 

35. Le montant des cotisations à la Caisse de bienfaisance des détenus pour des activités autorisées sera établi par le directeur en fonction du nombre de détenus dans l’établissement et des frais de télévision, y compris la câblodistribution et la télévision par satellite. À moins de circonstances particulières, cette cotisation variera entre $ 0,10 et $ 0,60 par journée de rémunération, jusqu’à concurrence de 6 $ par période de paye.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[38]           Le défendeur affirme à juste titre que la Directive du commissaire prévoit bien les retenues qui peuvent être prélevées sur la paye des détenus pour les services de câblodistribution. Dans cette mesure, je conclus que la validité des retenues sur la paye des détenus en application de la Directive du commissaire ne fait l’objet d’aucun débat.

 

[39]           Il y a toutefois un problème. Le montant prévu au paragraphe 35 de la Directive du commissaire se situe entre 0,10 $ et 0,60 $ par jour où le détenu reçoit une paye. Les retenues de 0,80 $ prélevées sur la paye du demandeur chaque jour de paye à l’Établissement Millhaven dépassaient l’échelle prévue dans la Directive du commissaire 860. Cette dernière prévoit que ce montant peut être dépassé pour des « circonstances particulières ». Je ne sais pas quelles circonstances particulières pourraient justifier des retenues dépassant le montant maximal prévu par la directive.

 

[40]           Dans un résumé du grief de délinquant rédigé le 24 juin 2010, il était affirmé que le montant supplémentaire était utilisé pour payer la facture de câblodistribution. Le sous‑commissaire principal n’a pas expliqué pourquoi la retenue de 0.80 $ dépassait l’échelle établie dans la Directive du commissaire. Il n’a ni mentionné ni expliqué quelles étaient les circonstances particulières. J’ai tendance à penser qu’une facture de câblodistribution élevée ne constitue pas des « circonstances particulières » vu qu’il est prévu par la Directive du commissaire que les retenues d’usage s’échelonnant de 0,10 $ à 0,60 $ devraient inclure « des frais de télévision, y compris la câblodistribution et la télévision par satellite ».

 

[41]           La présente question a été soulevée pour la première fois dans le contrôle judiciaire. Le demandeur a reconnu expressément être au fait des dispositions de la Directive du commissaire, y compris le paragraphe 35, lorsqu’il a déposé son grief au premier palier. Il n’avait pas soulevé la question de la limite de la cotisation établie par ce paragraphe auparavant. Il a plutôt continué d’affirmer qu’on devait le rembourser parce qu’il n’avait pas demandé d’avoir des services de télévision ou qu’on devrait lui rembourser la moitié des retenues pour le temps où il avait partagé sa cellule avec un autre détenu et la totalité des retenues pour le temps passé en isolation. Le demandeur n’est pas représenté par un avocat et ce n’est que dans ses observations orales à l’audience qu’il a contesté les circonstances particulières.

 

[42]           Le sous‑commissaire principal était, pour sa part, bien placé pour connaître la Directive du commissaire. Je me serais attendu à ce qu’il soit en mesure d’expliquer toutes circonstances particulières qui justifieraient des retenues sur la paye des détenus dépassant l’échelle prévue dans la directive. Il ne l’a pas fait.

 

[43]           La décision du sous‑commissaire principal de rejeter le grief du demandeur était‑elle raisonnable? Les décisions du commissaire doivent être appuyées par des motifs justifiés, transparents et intelligibles, tels que l’exige l’arrêt Dunsmuir, paragraphe 47. Il n’était pas raisonnable que le sous‑commissaire principal affirme pour l’essentiel que la retenue de 0,80 $ par jour de paye du demandeur était justifiée par la loi et la politique qui autorisent une retenue d’au plus 0,60 $ par jour.

 

[44]           Puisque la décision du sous‑commissaire principal ne fournit aucune explication quant à savoir pourquoi les retenues de la paye du demandeur dépassent l’échelle établie dans la Directive du commissaire, je conclus que la décision à cet égard est déraisonnable. Les motifs du sous‑commissaire principal doivent appuyer sa décision de rejeter le grief au troisième palier du demandeur : voir, par exemple, Crawshaw, aux paragraphes 41 à 45.

 

[45]           Puisque la présente question n’a pas été soulevée précédemment, j’estime qu’il n’est pas nécessaire qu’elle soit renvoyée à un autre décideur pour qu’il tranche la question.

 

Conclusion

 

[46]           J’accueillerai la partie de la demande portant sur la retenue sur la paye des détenus et je renverrai cette question pour qu’elle soit tranchée. Je rejetterai la partie de la demande concernant le maintien d’un solde minimum dans le compte d’épargne du détenu.

 

[47]           La question des retenues sur la paye des détenus sera renvoyée au décideur qu’il tranche la question.

 

[48]           Le demandeur n’était pas représenté par un avocat. Il purge actuellement une peine d’emprisonnement à perpétuité au Pénitencier de Kingston. Dans ces circonstances, je n’adjugerai aucuns dépens.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie. J’accueille la partie de la demande portant sur la retenue sur la paye des détenus et je renvoie cette question au décideur pour qu’elle soit tranchée.

 

2.                  Je rejette la partie de la demande concernant le maintien d’un solde minimum dans le compte d’épargne du détenu.

 

3.                  Je n’adjuge aucuns dépens.

 

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1474-10

 

 

INTITULÉ :                                       ALLEN TEHRANKARI c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 MARS 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 30 MAI 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Allen Tehrankari

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Peter Nostbakken

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

S/O

 

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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