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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110516

Dossier : IMM-5165-10

Référence : 2011 CF 554

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 mai 2011

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

HASSAN ALMREI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Le demandeur, M. Hassan Almrei, est arrivé au Canada en janvier 1999 et, en mai 2000, il a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention. En tant que réfugié au sens de la Convention, il a eu la permission de demeurer au Canada en tant que résident permanent, chose qu’il a faite à la fin de 2000. Dans une décision datée du 25 septembre 2002, un agent d’immigration (l’agent) de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a refusé la demande de résidence permanente au Canada du demandeur. Le seul motif donné pour motiver le rejet était que le demandeur était interdit de territoire au Canada, car il faisait l’objet d’un certificat de sécurité (le certificat de sécurité no 1) délivré en vertu du paragraphe 40.1(1) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (l’ancienne loi).

 

[2]               Depuis le rejet de sa demande de résidence permanente, le certificat de sécurité no 1 a été remplacé par un autre certificat de sécurité (le certificat de sécurité no 2), lequel a été infirmé en 2009.

 

[3]               Le demandeur, alléguant qu’il n’a pris connaissance de la décision de l’agent que récemment, cherche à faire annuler la décision du 25 septembre 2002 qui rejette sa demande de résidence permanente au Canada. 

 

II.        Les questions en litige

 

[4]               Les questions principales soulevées par la présente demande sont les suivantes :

 

1.                  Est-ce que le demandeur devrait recevoir une prorogation de délai pour déposer la présente demande de contrôle judiciaire?

 

2.                  Est-ce que la décision de l’agent devrait être annulée en fonction de l’un des motifs suivants :

 

a.                   L’infirmation des certificats de sécurité a rendu la décision nulle;

b.                  La décision devrait être réexaminée, parce que l’agent n’a pas considéré que l’infirmation du certificat de sécurité no 2 constituait un manquement à la justice naturelle?

 

[5]               En raison des motifs suivants, je conclurai que la prorogation de délai devrait être accordée. De plus, je conclurai que la décision de l’agent n’est pas nulle et qu’il n’y a pas eu de manquement à la justice naturelle. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

III.       Le contexte

 

[6]               Il serait laborieux (et sans grand intérêt) de raconter tout l’historique de la présente affaire. Afin d’avoir une idée plus complète de la présente affaire, je renvoie le lecteur à la décision de mon collègue, le juge Mosley, Almrei (Re), 2009 CF 1263 [Almrei no 2]. Ce qui suit dans cette section est un résumé.

 

[7]               Après sa demande de résidence permanente, le certificat de sécurité no 1 a été délivré le 16 octobre 2001, indiquant ainsi que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) et le Solliciteur général du Canada étaient d’avis que le demandeur était visé par les dispositions applicables de l’ancienne loi. Le 19 octobre 2001, le demandeur a été arrêté. Le certificat de sécurité no 1 a été maintenu au début par la juge Tremblay‑Lamer, dans une décision datée du 23 novembre 2001 (voir Almrei (Re), 2001 CFPI 1288 [Almrei no 1]). Ainsi, au moment de la décision faisant l’objet de la présente demande, le certificat de sécurité no 1 était valide.

 

[8]               Le certificat no 1 a été étudié par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CSC 9. Bien que la Cour suprême n’ait pas immédiatement infirmé le certificat no 1, elle a maintenu que la procédure pour la confirmation judiciaire de tels certificats était contraire à la Charte canadienne des droits et libertés et a offert les indications suivantes (au paragraphe 140) :

En revanche, pour donner au législateur le temps de modifier la loi, je suis d’avis de suspendre la prise d’effet de cette déclaration pour une période de un an à compter de la date du présent jugement. […] Après cette période de un an, les certificats visant M. Harkat et M. Almrei [. . .]  perdront le caractère « raisonnable » qui leur a été reconnu et les personnes désignées dans ces certificats pourront en demander l’annulation. Si le gouvernement veut utiliser un certificat après cette période de un an, il devra le soumettre au nouveau processus conçu par le législateur pour en faire confirmer le caractère raisonnable. [Non souligné dans l’original.]

 

[9]               Le certificat de sécurité no 2 a été délivré le 22 février 2008 par le ministre et le Solliciteur général en vertu des dispositions applicables de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Le demandeur a contesté la raisonnabilité du certificat de remplacement. Dans une décision datée du 14 décembre 2009, le juge Mosley a conclu que le certificat de sécurité no 2 n’était pas raisonnable et il a ordonné que ce dernier soit infirmé (Almrei no 2). Il n’y a pas eu appel de cette décision; elle est définitive et obligatoire pour toutes les parties.

 

[10]           Au moyen de lettres datées du 7 janvier 2010 et du 17 février 2010, l’avocat du demandeur a demandé des renseignements concernant l’état de progression de la demande de résidence permanente.

 

[11]           En avril 2010, le demandeur a déposé une demande auprès de la Cour fédérale afin d’obtenir un bref de mandamus (dossier de la Cour no IMM‑1906‑10) afin de forcer le ministre à prendre une décision concernant sa demande de résidence permanente. C’est dans le contexte de cette demande que le demandeur affirme avoir enfin été informé de la décision, qui fait l’objet de la présente demande. La demande d’autorisation a été rejetée. Lorsque le demandeur a reçu la décision relative à la demande d’autorisation, il a déposé la présente demande de contrôle judiciaire de la décision de 2002 rendue par l’agent, ainsi qu’une demande de prorogation de délai.

 

[12]           Le contexte étant établi, je me pencherai maintenant sur les questions qui me sont posées.

 

IV.       La question no 1 : est-ce que le demandeur devrait recevoir une prorogation de délai?

 

A.        Introduction

 

[13]           La décision en litige a été rendue le 25 septembre 2002. En vertu de l’alinéa 72(2)b) de la LIPR, le demandeur doit déposer sa demande de contrôle judiciaire dans les quinze jours suivants « la date où le demandeur en est avisé ou en a eu connaissance ». La présente demande de contrôle judiciaire a été déposée le 7 septembre 2010. La première question à trancher, avant d’examiner le bien‑fondé de la demande, est de savoir si une prorogation de délai devrait être accordée au demandeur lui permettant de présenter sa demande de contrôle judiciaire.

 

[14]           Dans son affidavit, le demandeur explique qu’il n’a jamais été avisé du rejet de sa demande de résidence permanente. Il a cru plutôt que sa demande était demeurée « pendante » dans l’attente du résultat de ses demandes visant l’infirmation des certificats de sécurité no 1 et no 2. Ce n’est que lorsque son avocat a présenté une demande de bref de mandamus (dossier de la Cour no IMM‑1906‑10), qu’il a obtenu une copie de la décision. Dès que cette demande de contrôle judiciaire a été rejetée, le 30 août 2010, le demandeur a déposé un avis de la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

 

[15]           Le ministre semble accepter que le demandeur n’ait reçu de copie de la décision qu’après le dépôt de la demande de bref de mandamus. Cependant, le ministre allègue que le demandeur avait une connaissance implicite du rejet.

 

B.         La question préliminaire

 

[16]           Moins de deux semaines avant l’audition de la présente demande, le ministre a déposé une requête écrite, en application de l'article 369 des Règles des Cours fédérales, pour lui permettre de se fonder sur des extraits de deux documents tirés du dossier de la Cour fédérale nIMM‑3916‑06 concernant le demandeur. Le ministre soutient que les extraits appuient son argument selon lequel le demandeur était au courant du rejet de sa demande de résidence permanente et qu’ainsi il ne devrait pas recevoir une prorogation de délai pour déposer la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[17]           Dans une ordonnance rendue le 27 avril 2011, la protonotaire Milczynski a rejeté la requête. Par la suite, il est apparu que la protonotaire Milczynski n’avait pas reçu de copie des observations du ministre en réplique à la requête avant de rendre sa décision. Conséquemment à cet oubli, j’ai accepté d’examiner si les extraits devraient être admis.

 

[18]           Ayant étudié la question, j’ai conclu que l’intérêt de la justice ne serait pas servi par l’admission de cette nouvelle preuve documentaire.

 

[19]           Tel que je le conçois (en n’ayant pas effectivement étudié les extraits en question, à la demande du ministre), les documents consistent en quelques pages préparées par l’avocat du demandeur de l’époque. Le ministre prétend que ces extraits répondent à la question qui est de savoir si le demandeur avait connaissance, du moins en 2006, que sa demande de résidence permanente avait été rejetée.

 

[20]           J’ai deux objections importantes à ces admissions de dernière minute. Premièrement, le ministre a eu en sa possession ces documents pendant plusieurs années; ni la Cour ni le demandeur n’ont à subir les conséquences d’une tenue de dossier négligée. Deuxièmement, le demandeur pourrait faire l’objet d’un sérieux préjudice par l’admission d’extraits tirés d’un dossier volumineux sans disposer du temps adéquat pour étudier le contexte des extraits. Les documents ne seront pas admis.

 

C.        L’analyse

 

[21]           Les parties s’entendent pour dire que le critère pour accorder une prorogation de délai est décrit dans la décision Canada (Procureur général) c. Hennelly, [1999] ACF no 846 (CA). Dans la décision Hennelly, la Cour a établi quatre volets au critère pour la prorogation de délai : (i) le demandeur doit démontrer une intention continue de poursuivre sa demande; (ii) la demande doit revêtir un certain bien-fondé; (iii) le délai ne doit pas porter préjudice au défendeur; et (iv) il doit y avoir une explication raisonnable au retard.

 

[22]           En l’espèce, étant donné que l’autorisation de déposer la demande a été accordée, je tiens pour acquis que la demande revêtait un « certain bien‑fondé ». De plus, le ministre n’a présenté aucun argument indiquant qu’un tort découlant du retard lui serait causé. Il apparaît donc que les deux volets du critère en question pour la présente demande de prorogation de délai sont les volets no 1 et no 4.

 

[23]           En l’espèce, les volets restants du critère issu de la décision Hennelly sont reliés. J’ai noté que le demandeur avait témoigné qu’il avait la fausse impression que sa demande de résidence permanente avait été mise de côté jusqu’à ce que les questions entourant les certificats de sécurité aient été réglées (voir le paragraphe 7 de l’affidavit du demandeur, à la page 12 du dossier du demandeur). Cela semble expliquer raisonnablement pourquoi le demandeur ne s’est pas informé du statut de sa demande de résidence permanente avant 2009 et donc, compte tenu des circonstances de l’espèce, le fait qu’il n’a pas vérifié le statut de sa demande ne devrait pas être interprété comme l’indication qu’il ne voulait plus poursuivre sa demande de résidence permanente.

 

[24]           Le ministre allègue que le demandeur aurait dû savoir, du fait qu’il avait été arrêté et détenu en vertu d’un certificat de sécurité et que des mesures avaient été prises pour procéder à son renvoi, que sa demande de résidence permanente avait été rejetée. Cet argument ne me convainc pas. Premièrement, tel que je l’ai déjà mentionné, le demandeur pensait que sa demande avait été suspendue. Deuxièmement, j’ai observé que l’historique de la présente affaire démontre que le demandeur contestait activement les certificats de sécurité à chaque étape; sans doute, son statut de personne interdite de territoire était en transition du moment de son arrestation et sa détention jusqu’en 2009, lorsque le litige concernant cette question a cessé. Troisièmement, j’ai noté que, dans les affaires citées par le ministre en appui à l’idée d’un [traduction] « avis implicite » (Peace Hills Trust Co c. Première nation Saulteaux, 2005 CF 1364; Cousins c. Canada (Procureur général), 2007 CF 469), il y avait eu une communication directe ou indirecte avec les demandeurs, ce qui indique clairement qu’une décision avait été rendue, malgré le fait que les demandeurs n’avaient pas reçu un avis officiel de la décision. Finalement, j’ai remarqué que le demandeur avait déclaré que lorsqu’il avait communiqué avec le centre d’appels pour vérifier l’état de sa demande de résidence permanente en 2009, il avait reçu l’information que sa demande avait été [traduction] « arrêtée », pas qu’une décision avait été rendue. En raison de ces motifs, je ne suis tout simplement pas convaincu que le demandeur ait été avisé de la décision, soit directement ou par le truchement du principe de l’[traduction] « avis implicite », permettant à la Cour de conclure qu’il n’avait pas l’intention continue de poursuivre sa demande ou qu’il n’y avait pas d’explication raisonnable au retard.

 

[25]           De plus, le demandeur affirme qu’il a reçu un avis de la décision lorsqu’il a obtenu la réponse à la demande fondée sur l’article 9 au cours de sa demande de bref de mandamus. Le demandeur a allégué, au paragraphe 14 de son affidavit (page 13 dans le dossier du demandeur), que son avocat lui avait conseillé de poursuivre sa demande de bref de mandamus, puisque la décision était nulle, à la suite de l’arrêt Charkaoui, précité, et de la décision Almrei no 2, précitée. Immédiatement après que l’autorisation a été refusée, le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[26]           Je conclus qu’il a été satisfait aux volets identifiés par l’affaire Hennelly et qu’une prorogation de délai pour déposer la présente demande de contrôle judiciaire sera accordée.

 

V.        La question no 2 : est-ce que la décision quant à la demande de résidence permanente

            doit être infirmée?                                                                                                                

 

A.        L’importance de la question

 

[27]           En 2000, il a été conclu que le demandeur était un réfugié au sens de la Convention. Il n’y a pas eu de décision rendue par le ministre pour annuler cette désignation (voir la LIPR, au paragraphe 114(1)). Par conséquent, depuis 2000, le demandeur a eu les droits et les obligations d’une personne reconnue comme réfugiée au sens de la Convention.

 

[28]           L’un des buts ultimes de la plupart des demandeurs d’asile est d’obtenir la résidence permanente et éventuellement de devenir citoyen du Canada. En général, un étranger doit obtenir un statut du Canada avant d’entrer au pays (LIPR, article 11). Une exemption est accordée aux « personnes protégées », notamment les personnes reconnues comme réfugiées au sens de la Convention. Les réfugiés au sens de la Convention n’obtiennent pas automatiquement au Canada le statut de résidents permanents. Cependant, comme le prévoit le paragraphe 21(2) de la LIPR, ces personnes peuvent obtenir la résidence permanente au Canada si un agent d’immigration est convaincu qu’elles : (a) ont demandé le statut de résidence permanente conformément au Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement); et (b) n’emportent pas une interdiction de territoire selon les articles 34, 35, 37 et 38, ainsi que le paragraphe 36(1) de la LIPR. Ce droit était aussi accordé en vertu de l’ancienne loi, qui était en vigueur lorsque le demandeur a été reconnu comme réfugié au sens de la Convention.

 

[29]           Pour le demandeur, la seule autre façon par laquelle il pourrait devenir résident permanent à l’intérieur du pays serait de demander, conformément à l’article 25 de la LIPR, une exemption à l’exigence prévue à l’article 11, statuant qu’il faut faire la demande de l’extérieur du pays. Bien que le résultat, la résidence permanente, puisse être obtenu de cette façon, le processus est différent. Suivant le processus conforme à l’article 25, le demandeur devrait répondre à un nombre de facteurs afin d’établir que, selon des motifs humanitaires, l’exemption devrait lui être accordée. À l’opposé, un examen en application du paragraphe 21(2) exige du demandeur seulement qu’il démontre qu’il n’est pas interdit de territoire pour tous les motifs prévus par cette disposition.

 

[30]           Le demandeur affirme qu’il bénéficierait d’avantages importants s’il pouvait suivre le processus prévu au paragraphe 21(2) de la LIPR.

 

B.         La décision initiale

 

[31]           La décision en question a été rendue en 2002 par l’agent qui s’est fondé sur la preuve ou le dossier dont il était saisi à l’époque. Le dossier consistait, en partie, du certificat de sécurité no 1. Le certificat de sécurité no 1 a été délivré en vertu du paragraphe 40.1(1) de l’ancienne loi et a été confirmé comme raisonnable par la juge Tremblay‑Lamer dans la décision Almrei no 1. L’agent a conclu que la demande de résidence permanente du demandeur devrait être rejetée. Le motif justifiant le rejet était que le demandeur était interdit de territoire au Canada en vertu du certificat de sécurité.

 

[32]           L’ancienne loi était claire. Une attestation (certificat de sécurité) délivrée en application du paragraphe 40.1(1) de l’ancienne loi constituait une « preuve concluante » que la personne envers qui l’attestation était émise était interdite de territoire (l’ancienne loi, au paragraphe 40.1(7)). Une personne qui a été reconnue réfugiée au sens de la Convention, mais qui est interdite de territoire, n’aurait pas droit au statut de résident permanent.

 

[33]           Au moment où la décision a été rendue, il y avait peu de doute qu’elle était raisonnable et correcte. La première question est de savoir si cette décision peut être maintenue étant donné que la preuve sous‑jacente, le certificat de sécurité no 2, a été jugée déraisonnable et a été annulée en 2009 (Almrei no 2). 

 

C.        La décision « nulle »

 

[34]           Le demandeur veut en premier lieu une déclaration de la Cour rendant la décision nulle. En d’autres mots, le demandeur soutient que la décision devrait être traitée comme si elle n’avait jamais existé. Le demandeur prétend qu’il est parfaitement clair en l’espèce que la décision est nulle et non avenue depuis le début. Le demandeur note que l’agent s’est fondé sur la conclusion de la juge Tremblay‑Lamer dans la décision Almrei no 1, voulant que le certificat de sécurité doive être maintenu, pour conclure que le demandeur était interdit de territoire et donc, que sa demande de résidence permanente devait être rejetée. Le demandeur allègue qu’étant donné que le fondement du rejet (le maintien du certificat de sécurité) a été infirmé, toute décision fondée sur ce certificat de sécurité est nulle et non avenue.

 

[35]           Je suis d’accord avec le demandeur que le fondement de la décision de l’agent, le certificat de sécurité n1, n’existe plus. Je suis aussi convaincue que le certificat de sécurité no 2, ayant été infirmé, ne peut être utilisé comme preuve d’interdiction de territoire maintenant. La question à trancher est : quelle conséquence entraîne le fait que le certificat de sécurité n’existe plus?

 

[36]           Le demandeur se sert de la décision Kalicharan c. Canada (Ministre de la Main d’œuvre et de l’Immigration), [1976] ACF no 21 (1ère inst.), comme jurisprudence pour soutenir que si le fondement d’une décision n’existe plus, cette décision devient nulle et non avenue. Dans la décision Kalicharan, la Cour a émis un bref de prohibition ordonnant que la mesure d’expulsion ne soit pas exécutée. L’affaire impliquait un homme qui faisait l’objet d’une mesure d’expulsion en raison de déclarations de culpabilité au criminel, mais qui par la suite a reçu une réhabilitation. La Cour a affirmé que :

[l]a décision de la Cour d'appel de l'Ontario ne constitue pas seulement une nouvelle preuve permettant à l'enquêteur spécial de rouvrir son enquête, ni un simple fait dont la Commission d'appel de l'immigration devra tenir compte si elle entend éventuellement un appel de la décision de l'enquêteur spécial. Au contraire, non seulement entraîne-t-elle la disparition de fait de la raison justifiant l'ordonnance d'expulsion, mais cette dernière est réputée ne jamais avoir existé en droit. Il convient donc en l'espèce d'émettre un bref de prohibition et l'ordonnance demandée sera rendue en conséquence. [Non souligné dans l’original.]

 

[37]           Selon moi, l’affaire Kalicharan n’est pas utile au demandeur. Premièrement, l’affaire impliquait un appel interjeté par M. Kalicharan de la sentence imposée pour une déclaration de culpabilité au criminel. La Cour d’appel de l’Ontario a accueilli l’appel et a accordé à M. Kalicharan une réhabilitation sous conditions. Tel qu’il a été observé par le juge Mahoney, dans ce contexte, le paragraphe 662.1(3) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46 (le Code criminel), prévoyait que l’accusé « n'est pas censé avoir été déclaré coupable de l'infraction ». Il n’y a pas de disposition similaire dans la LIPR.

 

[38]           Deuxièmement, le jugement rendu par la Cour se limitait à un bref de prohibition empêchant l’exécution de la mesure d’expulsion; la décision sous‑jacente n’a pas été infirmée. De plus, selon ma lecture de la décision et des lois pertinentes, le juge Mahoney ne suggérait pas qu’elle le soit. Comme le juge Mahoney l’a affirmé, le fondement de la mesure d’expulsion n’existait plus de fait et, par l’application de la disposition du Code criminel, le fondement (c’est‑à‑dire la déclaration de culpabilité) n’a jamais existé. En appliquant la décision Kalicharan aux faits qui me sont présentés, elle semble soutenir l’argument qu’une mesure d’expulsion, ou autre mesure, visant à renvoyer le demandeur du Canada ne puisse être exécutée, rien de plus. Une conclusion similaire a été tirée dans la décision Saini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 210 (1ère inst.), où le juge Dubé a maintenu qu’une mesure d’expulsion ne pouvait être exécutée après que M. Saini ait reçu une réhabilitation pour les crimes qu’il a commis au Pakistan. 

 

[39]           L’affaire Nagra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] 1 CF 497 (1ère inst.), représente une anomalie. Dans cette affaire, le juge Muldoon a annulé une mesure d’expulsion émise envers M. Nagra qui avait reçu une déclaration de culpabilité pour deux chefs de complot. L’appel de la déclaration de culpabilité s’est retrouvé à la Cour suprême du Canada, où il a été accueilli, la déclaration de culpabilité a été mise de côté et un nouveau procès a été ordonné (R c. Nagra, [1994] 1 RCS 355, au paragraphe 24). Le juge Muldoon a conclu que la mesure d’expulsion n’avait plus un « fondement valable et qu'elle [devait] être annulée » (Nagra, au paragraphe 31).

 

[40]           Depuis l’arrêt Nagra, il y a eu deux affaires qui sont pertinentes quant à l’espèce. Les décisions Smith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 CF 144 (1ère inst.) et Johnson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 2, sont d’une certaine utilité.

 

[41]           Dans la décision Johnson, la demande de résidence permanente de M. Johnson pour des motifs humanitaires avait été accueillie en principe, mais elle a été rejetée par la suite après qu’il eut été déclaré coupable de crimes. À la suite du rejet, la déclaration de culpabilité a été infirmée en appel et la Couronne n’a pas procédé à un nouveau procès. La Cour a déclaré :

[...] en l’espèce, l’agent n’a pas commis d’erreur en rejetant la demande de résidence permanente de M. Johnson. Les déclarations de culpabilité étaient valides lorsque la décision défavorable a été rendue et elles le sont demeurées jusqu’au moment d’être annulées en appel. Une fois de plus, je constate que le fait de confirmer une mesure d’expulsion au motif que la déclaration de culpabilité qui lui a donné lieu était valide lorsque la mesure d’expulsion a été prise a un effet encore plus imminent que le fait de confirmer, par le même raisonnement, une décision défavorable à l’égard d’une demande de résidence permanente présentée de l’intérieur du Canada. Il est possible de présenter une nouvelle demande de résidence permanente de l’intérieur du Canada si un appel est accueilli; l’analogie avec la décision Smith est donc juste.

 

[42]           Le demandeur soutient que l’affaire Johnson se distingue de l’espèce, puisque le fondement de l’affaire reposait sur le fait que M. Johnson pouvait déposer une autre demande pour des motifs humanitaires, ainsi la décision de la Cour n’apportait pas de conséquences graves. En l’espèce, le demandeur remarque qu’il a maintenant perdu son droit d’obtenir sa résidence permanente en vertu du paragraphe 21(2) de la LIPR. Contrairement à ces prétentions, je conçois que la décision Johnson n’a pas été fondée sur la possibilité de M. Johnson de demander une dispense pour motifs humanitaires, mais plutôt sur l’application de principes normaux de contrôle judiciaire, selon lesquels des faits ultérieurs n’annulent pas ou ne rendent pas déraisonnables des décisions antérieures.

 

[43]           L’affaire Smith, précitée, implique un ensemble de faits compliqués. Pour moi, le fait important est que M. Smith a reçu une réhabilitation pour une déclaration de culpabilité après avoir fait l’objet d’une mesure d’expulsion, fondée en partie sur la déclaration de culpabilité. M. Smith avait demandé une ordonnance de certiorari, alléguant que la mesure d’expulsion avait cessé d’exister à la suite de l’obtention de sa réhabilitation. Le juge MacKay a maintenu que la mesure d’expulsion n’avait pas été prise par erreur, nonobstant la réhabilitation qui avait été accordée (Smith, au paragraphe 21). Concernant la requête en ordonnance de certiorari afin d’infirmer la mesure d’expulsion, le juge MacKay l’a commentée ainsi (au paragraphe 40) :

[s]elon moi, la mesure d'expulsion, reconnue comme valide lorsqu'elle a été prise, ne peut pas être annulée par voie d'ordonnance de certiorari. Aucun des motifs prévus au paragraphe 18.1(4) pour obtenir pareille réparation n'a été prouvé en l'espèce. [Non souligné dans l’original.]

 

[44]           Le demandeur soutient que l’affaire Smith se distingue de l’espèce parce que le juge MacKay avait affaire à une réhabilitation ultérieure ce qui, comme il était question dans l’affaire, n’a pas le même effet que l’annulation d’une déclaration de culpabilité au criminel. Je suis d’accord. Cependant, comme l’a remarqué le juge MacKay, au paragraphe 29, que l’on eût eu affaire à un acquittement ou à une réhabilitation, la répercussion sur la décision d’immigration n’aurait pas été différente. La question à laquelle faisait face le juge MacKay (et la Cour en l’espèce) n’était pas de savoir si la réhabilitation avait pour effet d'infirmer dès sa formation une déclaration de culpabilité au criminel, mais la question, relevant du droit administratif, était plutôt de savoir si la décision d’immigration pouvait être infirmée. Le juge MacKay a maintenu qu’elle ne pouvait pas l’être.

 

[45]           Il y a aussi un principe de droit administratif qui s’oppose à ce que la décision précédente soit considérée nulle. Le but du contrôle judiciaire n’est pas de déterminer la justesse d’une décision d’un tribunal administratif en termes absolus, mais de déterminer si la décision du tribunal était raisonnable en fonction du dossier qui lui a été présenté. Le contrôle judiciaire n’est pas un processus pour déposer une nouvelle demande dans lequel l’instance révisionnelle tranche les questions qui sont soulevées au cours du premier examen de la demande par des preuves que le tribunal n’a jamais considérées (Première Nation d’Ochapowace c. Canada (Procureur général), 2007 CF 920; Chopra c. Canada (Conseil du Trésor) (1999), 168 FTR 273; Société Canadian Tire c. Canadian Bicycle Manufacturers Assn, 2006 CAF 56; Brychka c. Canada (Procureur général) (1998), 141 FTR 258). Puisqu’un certificat de sécurité valide avait été présenté à l’agent en 2002, il n’y a pas d’erreur susceptible de contrôle.

 

[46]           Malgré que la question ne soit pas au-dessus de tout doute (Nagra, précitée), il semble que la meilleure position juridique soit de considérer que la décision rendue, avant que ne survienne un changement fondamental de la preuve, n’était pas nulle et non avenue dès sa formation. Cependant, à l’avenir, de telles décisions ne pourront être exécutées, utilisées ni servir de fondement. En l’espèce, la décision de l’agent n’est pas nulle. Ce que je crois cependant, c’est que, en se fondant sur des décisions telles que Kalicharan, le ministre ne peut pas se servir de cette décision pour justifier la prise de mesures additionnelles visant à renvoyer le demandeur du Canada.

 

D.        Le manquement à la justice naturelle

 

[47]           L’argument subsidiaire du demandeur est que la décision de l’agent devrait être revisée, car ne pas le faire constituerait un manquement à la justice naturelle.

 

[48]           Il existe des exceptions à la règle générale voulant que tout document qui n’a pas été présenté au décideur administratif ne puisse être considéré en contrôle judiciaire (voir, par exemple, Abbott Laboratories Ltd c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 354 et Première nation Liidlii Kue c. Canada (Procureur général), [2000] ACF no 1176). Une de ces exceptions s’applique lorsqu’il y a allégation de manquement aux règles d'équité procédurale ou à la justice naturelle. Selon moi, l’espèce ne se situe pas dans le cadre d’une de ces exceptions.

 

[49]           Le demandeur se fonde sur la décision Seyoboka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 488. Cette affaire concernait une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) par laquelle le statut de réfugié de M. Seyoboka avait été infirmé. En vertu de la règle 56 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles), M. Seyoboka avait demandé à la SPR de revoir la décision annulant son statut de réfugié à la lumière de nouveaux éléments de preuve qui s’étaient présentés depuis que la décision d’annulation avait été rendue. Comme l’a noté le juge O’Reilly, la SPR n’a pas la compétence pour rouvrir les procédures simplement parce que de nouveaux éléments de preuve sont présentés (Seyoboka, au paragraphe 24). Toutefois, le paragraphe 56(3) des Règles prévoit une exception à la règle générale pour des affaires où les nouveaux éléments de preuve démontrent qu’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle. Dans l’affaire Seyoboka, le juge O’Reilly a conclu que la SPR n’avait pas considéré « la nature et […] l’importance » des nouveaux éléments de preuve et si ceux-ci démontraient qu’il y avait eu un manquement à la justice naturelle. Selon lui, la SPR devait « s’attarder sur la question de savoir si la preuve du demandeur montr[rait] que la conclusion défavorable rendue à son égard était probablement erronée ». Le juge O’Reilly a infirmé la décision de la SPR parce que cette dernière n’avait pas considéré si la preuve présentée par M. Seyoboka démontrait qu’il y avait eu un manquement à la justice naturelle.

 

[50]           Je tiens compte des commentaires de mon collègue dans l’affaire Seyoboka sur les nouveaux éléments de preuve relatifs à la décision antérieure de la SPR. Cependant, sans me prononcer sur ceux‑ci, je note que l’affaire Seyoboka est de nature très différente de l’espèce. En fin de compte, la décision contestée dans l’affaire Seyoboka a été infirmée parce que la SPR n’avait pas exercé son obligation légale conformément à l’article 56 des Règles. Plus simplement, la SPR n’avait pas étudié les éléments de preuve présentés par M. Seyoboka.

 

[51]           L’espèce ne concerne pas le droit légal du demandeur de faire revoir une décision. Il n’y a pas eu de manquement à la justice naturelle de la part de l’agent au moment du prononcé de la décision et il n’y en a pas maintenant.

 

[52]           De plus, d’un point de vue pratique, je ne peux concevoir comment l’intérêt de la justice peut être servi par la révision d’une décision qui était valide en 2002 et qui l’est encore.

 

E.         Les effets de cette décision

 

[53]           Le demandeur affirme qu’il bénéficie d’avantages importants au fait de pouvoir aller de l’avant en application du paragraphe 21(2) de la LIPR. Je suis d’accord, toutefois, comme il a été mentionné précédemment, que le demandeur n’est pas sans recours. Il peut toujours déposer une demande d’établissement à l’intérieur du pays fondée sur des facteurs humanitaires en application de l’article 25 de la LIPR.

 

[54]           Conformément au paragraphe 21(2) ou à l’article 25, le demandeur devra répondre à la question de son admissibilité au Canada. Le certificat de sécurité n’est peut-être pas le seul motif expliquant pourquoi le demandeur s’est vu interdit de territoire. Si cela est le cas, il pourrait être préférable pour le demandeur de procéder sous le régime de l’article 25, dans le cadre duquel tous les facteurs pertinents seront pris en considération et étudiés.

 

[55]           Le but du demandeur est d’obtenir la résidence permanente. Le refus de la Cour d’infirmer la décision de l’agent de 2002 n’est pas, en soi, un obstacle à l’atteinte de cet objectif.

 

VI.       Conclusion

 

[56]           En raison des motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. La décision de l’agent ne sera pas annulée. De plus, la Cour n’est pas disposée à conclure que la décision devrait être revue pour cause de manquement à la justice naturelle. Le rôle de la Cour n’est pas de reconsidérer les décisions rendues de bonne foi il y a plus de dix ans.

 

[57]           Le ministre demande que je certifie la question suivante :

[traduction]

Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, est‑ce que la validité d’une question peut être contestée en raison d’un changement à un fait matériel qui s’est produit des années après que la décision est été rendue, nonobstant le fait que la décision avait été fondée sur une interprétation correcte des faits tels qu’ils étaient au moment du prononcé de la décision?

 

[58]           Le demandeur s’oppose à la certification de cette question ou de toute autre question.

 

[59]           Je ne suis pas disposée à certifier la question soumise. Les faits de l’espèce sont fortement inhabituels. Je suis d’accord avec le demandeur que la question [traduction] « ne transcende pas les faits individuels de l’espèce et qu’elle est très dépendante de ceux‑ci ». Je conclus que la question soumise n’est pas de « portée générale », tel que l’exige le paragraphe 74(d) de la LIPR.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  Une prorogation de délai est accordée pour la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire;

 

2.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

3.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5165-10

 

INTITULÉ :                                       HASSAN ALMREI c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 2 MAI 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 16 MAI 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Marianne Zoric

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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