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Date : 20110526

Dossier : IMM-5413-10

Référence : 2011 CF 614

 

[Traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

WU XIN WANG

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision datée du 16 août 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR]. Compte tenu des nombreuses incohérences entre son témoignage oral et son formulaire de renseignements personnels (FRP), la Commission n’a pas jugé crédibles les allégations du demandeur selon lesquelles il fréquentait une église chrétienne clandestine en Chine et qu’il était recherché par le Bureau de la sécurité publique (BSP).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

 

I.          Contexte

 

A.        Contexte factuel

 

[3]               Le demandeur, Wu Xin Wang, est un citoyen chinois arrivé au Canada en avril 2007 grâce à un permis de travail temporaire. Le 7 janvier 2008, il présentait une demande d’asile fondée sur la persécution dont il serait victime en Chine du fait de ses croyances religieuses.

 

[4]               Le demandeur a déclaré dans son FRP qu’il souffrait de lombalgie basse chronique. Un de ses amis lui a fait découvrir Jésus-Christ et a commencé à prier pour lui. Le demandeur croit que c’est ce qui a guéri sa lombalgie. Cet ami s’est employé à enseigner la prière au demandeur et lui a parlé de la Bible. Du fait de sa croyance et de son intérêt grandissant, le demandeur a commencé à fréquenter une église chrétienne clandestine en novembre 2004. Il prétend qu’après cela, il lisait la Bible et priait quotidiennement. Il lui arrivait parfois de monter la garde durant l’office.

 

[5]               Trois jours après son arrivée au Canada en avril 2007, son employeur a recommandé une église au demandeur et celui-ci s’est mis à la fréquenter régulièrement. Le demandeur prétend avoir reçu le 3 janvier 2008 un appel téléphonique de son épouse qui l’informait que des agents du BSP s’étaient rendus chez lui pour lui demander de collaborer à une enquête sur les activités des églises illégales. On lui a ordonné de rentrer chez lui dès que possible. Peu après, l’épouse du demandeur apprenait que l’église clandestine qu’il fréquentait avait fait l’objet d’une descente de police le 25 décembre 2007 et que certains membres avaient été arrêtés puis condamnés à des peines d’emprisonnement. C’est à ce moment-là que le demandeur a commencé à craindre pour sa vie s’il retournait en Chine, et il a donc déposé une demande d’asile.

 

B.         Décision contestée

 

[6]               Au moment d’évaluer sa demande d’asile, la Commission s’est concentrée sur la crédibilité des allégations du demandeur voulant qu’il soit membre d’une église clandestine en Chine et véritable chrétien pratiquant au Canada. Le demandeur s’est montré incapable de convaincre la Commission de la véracité de l’une ou l’autre de ces allégations. La Commission a relevé plusieurs incohérences entre la preuve fournie par le demandeur dans son FRP, le rapport de contrôle au point d’entrée et son témoignage oral à l’audience. La preuve du demandeur était incohérente notamment sur ces points :

                     la raison pour laquelle les agents du BSP se sont rendus chez lui la première fois – dans son FRP, le demandeur prétendait qu’ils réclamaient sa collaboration à une enquête alors qu’à l’audience, il a expliqué qu’ils voulaient l’arrêter;

                     le nombre de visites que les agents du BSP ont effectuées chez lui – son FRP mentionne sept visites alors qu’à l’audience, il a été question de quatre;

                     le moment auquel il a recruté son ami pour qu’il se joigne à l’église clandestine – sur son FRP, le demandeur situe cet événement en janvier 2006 alors qu’à l’audience, il a affirmé que cela s’était produit en juin 2005;

                     les personnes qu’il s’est efforcé de recruter au sein de l’église clandestine – il a déclaré à l’audience qu’il avait tenté, quoique sans succès, d’attirer son épouse, son fils et plusieurs de ses collègues à l’église; dans son FRP, il ne mentionne que la conversion réussie de son ami.

 

[7]               La Commission a estimé que le demandeur n’était pas un témoin crédible et digne de foi. Elle a donc exigé des éléments de preuve pour étayer sa demande d’asile. Cependant, le demandeur n’a produit ni sommation ni mandat d’arrestation, ni affidavit de son épouse. La Commission en a conclu qu’il n’était pas recherché par le BSP en Chine.

 

[8]               La Commission a questionné le demandeur pour tenter d’évaluer la sincérité de sa foi chrétienne telle qu’il la pratiquait en Chine et au Canada. Le demandeur a répondu à de nombreuses questions, mais s’est montré incapable de décrire devant la Commission à quoi ressemblait Jésus ou d’exposer certaines croyances fondamentales de l’église pentecôtiste. Dans un premier temps, le demandeur n’a pas expliqué que son église avait prévu un plan de fuite par mesure de précaution; par ailleurs, la Commission a estimé qu’il était douteux qu’il ne sache pas pourquoi ce culte était illégal en Chine étant donné son expérience et son engagement au sein de l’église. La Commission a estimé que ses connaissances limitées discréditaient la sincérité de sa foi et de sa pratique du christianisme.

 

[9]               Enfin, la Commission a considéré la lenteur avec laquelle le demandeur a présenté une demande d’asile au Canada. La Commission n’a guère été convaincue par l’explication selon laquelle il ne craignait rien à son arrivée au Canada parce que son église n’avait jamais fait l’objet d’une descente de police. Elle a aussi estimé que le caractère tardif de la demande d’asile entamait le bien-fondé de sa crainte et l’allégation voulant qu’il fût un chrétien pratiquant en Chine.

 

[10]           Compte tenu de l’ensemble de la preuve, la Commission a conclu que les croyances et pratiques religieuses déclarées du demandeur visaient simplement à appuyer une demande d’asile fondée sur des motifs religieux.

 

II.         Question en litige

 

[11]           Le demandeur remet en question la raisonnabilité de plusieurs conclusions de la Commission au regard de la crédibilité. À ce titre, la principale question à trancher en l’espèce est la suivante :

a)         La Commission s’est-elle fondée sur des constatations tatillonnes ou sur une mauvaise appréciation de la preuve pour conclure que le demandeur n’était pas un témoin crédible?

 

III.       Norme de contrôle

 

[12]           Il est bien établi que les décisions de la Commission en matière de crédibilité sont de nature factuelle et donc qu’une grande déférence leur est due. La norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité (Lawal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 558, par. 11; Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, 42 ACWS(3d) 886 (CAF), par. 4).

 

[13]           Comme il est énoncé dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, le critère de la raisonnabilité tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

IV.       Argumentation et analyse

 

A.        Les conclusions de la Commission en matière de crédibilité étaient-elles raisonnables?

 

[14]           Le demandeur fait valoir que la Commission a commis une erreur en se montrant tatillonne ou en rejetant des éléments de preuve lorsqu’elle a tiré des inférences négatives quant à sa crédibilité à partir de son témoignage concernant :

                     la raison pour laquelle le BSP le recherchait la première fois;

                     le fait qu’il n’ait pas produit des preuves documentaires corroborantes, comme une sommation;

                     la question de savoir comment était Jésus en tant que personne et la réponse qu’il a offerte;

                     les personnes à qui il a parlé de l’église alors qu’il avait négligé de mentionner son épouse, son fils et ses collègues de travail dans son FRP;

                     le fait qu’il n’ait pas mentionné que l’église clandestine qu’il fréquentait avait prévu un plan de fuite;

                     la raison pour laquelle son église n’était pas enregistrée;

                     le fait qu’il n’ait pas présenté de demande d’asile dès son arrivée au Canada;

                     les croyances fondamentales liées à la foi pentecôtiste.

 

[15]           Le demandeur a présenté des observations sur chacun de ces points, alléguant tour à tour que ces conclusions étaient tatillonnes, déraisonnables, ou non fondées sur la preuve. Par exemple, il prétend qu’en attaquant sa crédibilité sous le prétexte qu’il avait affirmé dans son FRP que le BSP était d’abord venu lui demander de collaborer à une enquête alors qu’il avait déclaré à l’audience qu’ils étaient venus l’arrêter, la Commission a été tatillonne. Il ajoute que la Commission s’est trompée en qualifiant un plan de fuite de mesure préventive, et que les conclusions défavorables qu’elle a tirées quant à sa crédibilité parce qu’il n’en avait pas parlé lorsqu’il a décrit les précautions prises par son église étaient donc déraisonnables. Le demandeur considère qu’un plan de fuite n’est pas d’ordre préventif puisqu’il ne peut pas empêcher une descente de police, mais qu’il n’est déclenché que lorsque la descente commence.

 

[16]           Le défendeur fait valoir que les arguments présentés par le demandeur signifient simplement que la Commission aurait dû parvenir à d’autres conclusions. Cependant, pour que les conclusions de la Commission soient jugées déraisonnables, le demandeur doit démontrer qu’elles ne sont aucunement étayées par la preuve (Sinan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 87, 128 ACWS (3d) 1173, par. 11). Se contenter d’affirmer que d’autres conclusions sont possibles ou préférables à ses yeux ne suffit pas à justifier un contrôle judiciaire.

 

[17]           J’ai examiné la transcription. Je ne peux pas dire que les conclusions critiquées par le demandeur n’appartiennent pas aux issues acceptables selon la norme de la raisonnabilité. La norme de la raisonnabilité est empreinte de déférence. Le commissaire était le mieux placé pour apprécier la crédibilité du demandeur, et je ne puis convenir avec ce dernier que les conclusions de la Commission étaient tatillonnes ou déraisonnables. En outre, comme l’a souligné le défendeur, aucune des conclusions relatives à la crédibilité n’était en soi déterminante quant à l’issue de la demande d’asile. Le demandeur n’a pas évoqué toutes les conclusions de la Commission se rapportant aux contradictions; il n’a pas offert d’explications au sujet de la conclusion de la Commission selon laquelle son témoignage concernant la date à laquelle il a fait découvrir l’église clandestine à son ami ou le nombre de visites que le BSP a effectuées chez lui était incohérent, et il ne s’est pas opposé à cette conclusion. La Commission s’est fondée sur l’intégralité de la preuve, et est parvenue à une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur en se basant sur la somme des multiples incohérences. Même si je me rangeais à l’avis du demandeur concernant son témoignage sur le plan de fuite, la Cour a conclu que les analyses tatillonnes du tribunal n’invalident pas une décision qui, tout bien considéré, est raisonnable (He c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 525, par. 12).

 

[18]           Il est assurément difficile d’évaluer la sincérité des croyances religieuses d’un demandeur d’asile, la Commission l’a reconnu dans ses motifs. Elle est chargée de cette tâche délicate en qualité de juge des faits, et la Cour ne peut décider, lors du contrôle judiciaire, de revoir en fait les résultats de ce qui peut commencer à ressembler à une ronde de jeu-questionnaire biblique. La Commission a reconnu que le demandeur avait quelques connaissances sur la foi chrétienne, et elle a examiné des documents attestant sa présence et sa participation aux activités de l’église. Cependant, la Commission a signalé que ces documents n’étaient pas à même d’établir les mobiles qui étaient alors ceux du demandeur, et qu’ils ne pouvaient pas se substituer à sa propre évaluation (Cao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1174, 172 ACWS (3d) 464).

 

[19]           Je conviens avec le demandeur que la question de la Commission sur le genre d’être humain qu’était Jésus était quelque peu maladroite, en ce sens qu’il est difficile d’entrevoir la réponse qu’elle attendait ou qu’elle aurait jugé satisfaisante. Cette série de questions commence à la page 757 du dossier certifié du tribunal :

[Traduction
Commissaire : Parlez-moi maintenant de Jésus comme personne. Comment était-il?

Demandeur d’asile : Jésus est le fils de Dieu.

Commissaire : Je ne vous demande pas qui il était ou ce qu’il a fait. Je vous demande de me le décrire comme personne.

Demandeur d’asile : Jésus a été conçu par le Saint-Esprit avant de naître dans ce monde.

Commissaire : Encore une fois, je ne vous demande pas qui il était ou ce qu’il a fait. Je vous demande de me le décrire comme personne. Car après tout n’importe qui peut mémoriser et réciter le credo. Je m’intéresse à ce que vous croyez et à ce que vous savez de la personne de Jésus.

Demandeur d’asile : Dans mon cœur, il est mon sauveur.

 

Commissaire : Ce n’est pas… encore une fois, décrivez-moi la personne de Jésus, c’est la dernière fois que je vous pose la question.

Demandeur d’asile : Je suis désolé, je ne sais vraiment pas comment répondre.

 

[20]           Toutefois, cette série de questions illustre plutôt la difficulté de l’évaluation à laquelle la Commission doit se livrer. Elle ne laisse voir aucune erreur qui justifierait d’infirmer sa décision. Tant qu’il n’est pas établi que la preuve a été ignorée ou qu’il y a eu un malentendu sur les faits, je ne suis pas disposé à revenir sur la conclusion de la Commission à cet égard – encore une fois, la déférence est de mise. La Commission ne s’est pas prononcée sur la sincérité de la foi du demandeur en se fiant uniquement à son incapacité à évoquer les attributs humains de Jésus. Les réponses à d’autres questions touchant la foi pentecôtiste étaient vagues et pauvres en détails. Comme le fait valoir le défendeur, un témoignage privé des détails qu’il est raisonnable d’attendre de la part d’une personne se trouvant dans la situation du demandeur d’asile justifie la conclusion que la demande n’est pas crédible, même si le demandeur a su répondre correctement et très précisément à d’autres questions.

 

[21]           Comme la Commission a fourni des motifs transparents, intelligibles et justifiés par la preuve, que la décision est fondée sur la preuve et qu’elle appartient aux issues acceptables pouvant se justifier en regard des faits et du droit, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

V.        Conclusion

 

[22]           Aucune question à certifier n’a été proposée et aucune ne se pose.

 

[23]           Compte tenu des conclusions précédentes, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5413-10

 

INTITULÉ :                                                   WU XIN WANG c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 6 AVRIL 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 26 MAI 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hart Kaminker

 

POUR LE DEMANDEUR

Ladan Shahrooz

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hart Kaminker

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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