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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110420

Dossier : T-1266-10

Référence : 2011 CF 484

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2011

En présence de madame la juge Johanne Gauthier

 

ENTRE :

 

David TRAINOR

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Monsieur Trainor, le demandeur, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du comité d’appel du Tribunal des anciens combattants (révision et appel)[1] (le comité d’appel), qui a confirmé la décision de lui accorder une pension de deux cinquièmes à l’égard de son psoriasis, au motif que cette affection n’était que partiellement liée à son service dans la force régulière.

 

[2]               En dépit de la solide argumentation de l’avocate du demandeur et de la sympathie qu’éprouve la Cour à l’égard de la situation de ce dernier, la Cour ne peut convenir que la décision soumise au contrôle contient une erreur susceptible de révision.

 

Le contexte factuel[2]

[3]               Le demandeur, qui est maintenant âgé de 29 ans, est entré au service des Forces canadiennes le 21 juin 2001.[3] Le rapport de son médecin de famille, qui a rempli la Demande de communication de renseignements médicaux en date du 22 février 2001, indiquait que le demandeur souffrait depuis 1996 d’[traduction] « eczéma [aux] deux mains et aux pieds ». Cette affection a été diagnostiquée en tant qu’eczéma dysidrosique et traitée au moyen de crème Betnovate 0.1 % (une crème topique à base de stéroïdes). On a établi un pronostic de [traduction] « dermatite stable et continue ».

 

[4]               En juin 2001, alors qu’il participait à un camp d’entraînement militaire, M. Trainor a dû utiliser une substance simplement appelée CLP (un mélange de produit de nettoyage, de lubrifiant et d’agent de préservation) pour nettoyer son arme à feu et celles de ses collègues. Il semble qu’il ait été exposé à ce produit pendant deux à trois heures sans avoir pu se laver les mains immédiatement. Monsieur Trainor a affirmé que ses mains ont commencé à démanger et à brûler, et qu’elles sont devenues rouges.[4] Rien n’indique que le demandeur a été de nouveau exposé au CLP à quelque moment que ce soit par la suite.

 

[5]               Par ailleurs, aucune preuve documentaire n’atteste que le demandeur a immédiatement cherché à obtenir des soins médicaux en ce qui a trait à son affection. Le dossier médical qui a été établi le plus tôt, et qui figure au dossier, date du 10 juillet 2002, alors que M. Trainor s’était rendu dans une clinique à St-Jean. Selon les notes prises à ce moment-là, M. Trainor souffrait d’eczéma intense aux mains et aux pieds (traduction libre).[5]

 

[6]               Un rapport daté de juillet 2003[6] indique que M. Trainor vivait « récemment » un stress considérable en raison de graves problèmes familiaux, qu’il n’est pas nécessaire de préciser ici. Ce stress était tel qu’à compter d’octobre 2003, on lui a accordé un congé sans solde. Dans une lettre datée du 13 novembre 2003 figure une description complète des conséquences de ce stress sur ses études. Il convient de noter que, lorsqu’il s’était enrôlé dans les Forces canadiennes, M. Trainor fréquentait l’Université de Waterloo, où il était un étudiant exceptionnel qui avait remporté des bourses d’études[7] grâce à des résultats scolaires de très haut niveau en mathématiques. Mais en raison du stress qu’il subissait et de son état mental et physique à compter de 2001, il lui manquait encore trois cours pour obtenir son diplôme au moment d’achever ses études, en 2004.

 

[7]               Le premier rapport de dermatologue versé au dossier est daté du 24 septembre 2004 (dossier certifié, page 23), date à laquelle on a diagnostiqué un psoriasis vulgaire chez M. Trainor.

 

[8]               Malgré ce diagnostic, des notes médicales ultérieures ont continué de faire allusion à l’affection touchant ses mains et ses pieds en tant qu’eczéma. Par exemple, le 23 septembre 2004, on notait dans un rapport d’urgence que M. Trainor avait consulté[8] pour [traduction] « ++ eczéma » aux deux mains. D’après les notes médicales, à ce moment-là, M. Trainor était à court de crème depuis peu, et paraissait bien réagir aux immunosuppresseurs (ou immunomodulateurs). Le médecin a imposé des restrictions à l’exposition de M. Trainor, en déclarant que ses mains ne devraient pas être exposées à des produits chimiques ou à des solvants, ni submergées dans l’eau.

 

[9]               Au début de novembre 2004, M. Trainor a été recommandé à un interniste, le Dr Cook.[9].Ce spécialiste a généralement fait référence au fait que M. Trainor souffrait de plusieurs troubles médicaux (lesquels sont mieux décrits dans son premier rapport d’évaluation psychiatrique daté du 30 novembre 2004,[10] en tant qu’hypertension, fracture du métacarpien,[11] psoriasis ayant auparavant fait l’objet d’un diagnostic d’eczéma, lequel diagnostic a été modifié récemment). Au cours de sa consultation avec le Dr Cook, le demandeur a signalé que son affection aux mains et aux pieds avait été [traduction] « facilement maîtrisée » au moyen de stéroïdes topiques en crème, jusqu’à il y a environ 15 mois (c’est-à-dire à l’été 2003). Le Dr Cook a noté qu’il ne croyait pas que son affection était vraiment du psoriasis, mais plutôt un eczéma invalidant grave et persistant, considéré comme « secondaire au stress, ou du moins aggravé par celui-ci ».

 

[10]           Fin octobre 2004, M. Trainor a été suivi de façon régulière par un psychiatre (le Dr Ewing). Sa première évaluation psychiatrique en date de novembre 2004 ne fait aucune mention d’un facteur de stress lié à son travail dans les forces armées.

 

[11]           Il semble que le Dr Cook ait dirigé M. Trainor vers le Dr Bertoia (un chirurgien orthopédiste qu’on a prié d’évaluer l’état de M. Trainor en ce qui a trait à son métacarpien et à sa polyarthrite psoriasique).[12] Quant à son affection cutanée, le Dr Bertoia a simplement relevé que M. Trainor souffrait d’un psoriasis très prononcé, [traduction] « bien maîtrisé jusqu’ici, bien qu’il me dise que son psoriasis présente souvent des fissures et des saignements. Il reçoit les soins d’un dermatologue ». Le Dr Bertoia a proposé qu’il soit examiné par un rhumatologue, ce qui a été le cas en 2005, lorsque M. Trainor a vu le Dr Amba, qui a conclu que rien ne laissait croire qu’il souffrait de polyarthrite psoriasique (objet de la consultation), mais qu’il présentait en revanche du psoriasis en phase active au paumes et aux orteils.[13]

 

[12]           D’après un rapport médical daté du 25 avril 2005, il semble que M. Trainor était toujours aux prises avec des problèmes familiaux difficiles.[14] Or, à la fin de 2004 et en 2005, il est devenu clair que le demandeur était également stressé au sujet de sa carrière dans les Forces canadiennes, en raison de son affection et des contraintes qu’elle lui imposait. Il n’avait pas l’impression que ses supérieurs prenaient en considération comme il se devait les limites fixées par son médecin en décembre 2004. Il a d’ailleurs déposé plusieurs griefs à cet égard.

 

[13]           Ces facteurs de stress liés au travail sont expressément mentionnés dans les documents au dossier à compter du 17 décembre 2004 environ (dossier certifié, p. 36), jusqu’à la date de sa libération, en janvier 2007[15], à l’âge de 25 ans.[16]

 

[14]           En 2005, M. Trainor a changé de dermatologue et a commencé à consulter Dre Fiala, qui, le 4 novembre 2005, a indiqué croire que son [traduction] « stress au travail contribu[ait] à son problème ».[17] Il n’est pas clair si Dre Fiala a été informée de ses précédents problèmes familiaux.

 

[15]           Le 31 mars 2006, le demandeur a présenté une demande de prestations d’invalidité. Dans cette demande, il a indiqué qu’il avait été exposé au CLP au cours de l’été 2001, qu’il avait reçu des soins médicaux à St-Jean[18] et qu’à partir de ce moment, son état était allé de mal en pis. Il a souligné que son psoriasis s’était développé [traduction] « simultanément » aux mains et aux pieds, et que le stress empirait son psoriasis. Il a en outre précisé que le stress lié à son travail aggravait son trouble médical en entraînant de graves changements au niveau de son psoriasis aux pieds, un problème qui demeurait entier à ce jour.

 

[16]           La fiche technique sur la sécurité des substances – EIU versée au dossier confirmait que le CLP était susceptible de causer des rougeurs modérées et qu’[traduction] « un contact prolongé ou répété avec la peau » pouvait entraîner une irritation et une dermatite. Selon une étude détaillée portant sur la [traduction] « caractérisation de la pénétration cutanée d’une huile d’entretien pour armes à feu à base d’hydrocarbures » publiée en septembre 2006, aucun rapport n’a été publié au sujet de corrosion cutanée, de sensibilisation de contact ou d’effet général chez les [traduction] « utilisateurs routiniers ».[19] Cela indiquerait, selon les auteurs, que si de tels problèmes de santé liés au travail devaient jamais faire leur apparition, ils se limiteraient à des personnes sensibles. Dans l’article, on affirmait également que la matière pourrait provoquer une dermatite allergique de contact si elle adhérait aux cellules qui se trouvent dans la couche suprabasale de l’épiderme.

 

[17]           Ainsi qu’on l’a fait valoir au comité d’appel et à la Cour, le psoriasis n’est pas une affection parfaitement comprise; divers facteurs environnementaux sont importants et peuvent déclencher la maladie. L’avocate agissant pour le compte de M. Trainor a tout de même déposé une preuve sur l’étiologie et les effets du psoriasis. Elle a produit une feuille de renseignements et divers extraits tirés de publications médicales. Ces éléments de preuve indiquaient que chez environ le tiers des patients atteints de psoriasis, les traumatismes cutanés donnaient lieu à l’apparition de lésions psoriasiques à l’endroit du traumatisme. Bien qu’il ne fasse aucun doute que de tels traumatismes physiques puissent causer des dommages cutanés, la nature de la blessure semble n’avoir aucune importance. Il peut aussi bien s’agir de la piqûre d’un taon que d’un tatouage ou d’une excoriation due à l’équitation.[20]

 

[18]           Il était aussi expressément mentionné qu’il [traduction] « ne fait aucun doute que, chez les patients génétiquement prédisposés au psoriasis, le stress peut précipiter le psoriasis et aggraver le trouble existant ».

 

[19]           Sur la foi de cette preuve, le comité d’examen de l’admissibilité (premier niveau d’appel – ci-après le comité d’examen), après avoir noté que M. Trainor souhaitait obtenir [traduction] « un droit à pension de trois à quatre cinquièmes pour l’aggravation de son invalidité, au motif que celle‑ci était directement rattachée à son service militaire », a tranché que la preuve soumise, même en tenant compte de l’obligation d’origine légale de trancher en faveur du demandeur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande, conformément aux articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18 (la Loi), justifiait seulement l’octroi d’une pension de deux cinquièmes pour l’aggravation modérée de son psoriasis allégué. En effet, le comité d’examen a estimé nécessaire de retenir une partie du droit à pension du demandeur au motif que son affection, de par sa nature, existait déjà avant qu’il entre au service des Forces canadiennes.

 

[20]           M. Trainor a interjeté appel de cette décision (au moyen d’observations écrites) devant le comité d’appel, et un questionnaire médical supplémentaire daté du 5 novembre 2009 a été soumis à ce décideur. Dans ledit document, le Dr Middlestadt[21] a confirmé le diagnostic de psoriasis et la gravité de l’état du demandeur. Il a également traité des graves conséquences de l’affection du demandeur sur son mode de vie, compte tenu qu’elle était toujours visible par le public en général, et que même quelque chose d’aussi élémentaire qu’une poignée de main était, d’un point de vue social, aussi contrariant pour le demandeur que pour les autres. Il a ajouté que M. Trainor était considérablement limité dans toutes les activités nécessitant l’usage de ses mains, notamment des tâches simples comme nouer ses lacets, ouvrir un pot, etc. Il a également confirmé ce que M. Trainor avait déclaré dans ses observations présentées à la Cour, à savoir que son affection était bien plus douloureuse qu’il n’y paraissait, compte tenu du nombre élevé de terminaisons nerveuses présentes dans les épidermes palmaire et plantaire.

 

[21]           Dans sa décision figurant dans la section intitulée [traduction] « Les éléments de preuve et les arguments », le comité d’appel a mentionné que l’argument principal de l’avocate était que la preuve justifiait l’octroi d’au moins deux cinquièmes supplémentaires du droit à pension, parce que l’exposition du demandeur au CLP avait déclenché le traumatisme cutané à l’origine du développement du psoriasis, et que le stress lié au travail était aussi un facteur important. Le comité d’appel a ensuite mentionné la preuve attestant que l’affection du demandeur existait déjà avant son enrôlement. Il a pris acte de la preuve ayant trait à l’exposition au CLP, et du fait qu’après avoir initialement fait l’objet d’un diagnostic d’eczéma, le demandeur s’est ensuite vu diagnostiquer du psoriasis vulgaire et de l’arthrite par un dermatologue. Il a ajouté qu’un rapport de visites médicales daté de juillet 2003 montrait que le demandeur vivait un stress considérable dû à une situation non liée au service. Le comité d’appel a également fait référence au rapport clinique du Dr Cook, qui indiquait que l’affection de M. Trainor pouvait être consécutive au stress ou exacerbée par celui-ci. Enfin, le comité d’appel a reconnu que le rapport de Dre Fiala daté du 4 novembre 2005 mentionnait la possibilité que le stress lié au travail soit un problème contribuant à la situation, en rappelant qu’au cours de son témoignage antérieur, le demandeur avait attribué une grande partie de son stress à des facteurs liés au service.[22]

 

[22]           Dans la section intitulée [traduction] « Analyse et motifs », le comité d’appel, après avoir confirmé : i) qu’il avait examiné de façon approfondie tous les éléments de preuve dont il disposait; ii) que la pension de deux cinquièmes avait été accordée de manière à tenir compte d’un lien causal relativement au contact avec le CLP et à divers facteurs de stress liés au service; et iii) que le précédent décideur avait retenu une partie du droit à pension en raison de la nature « préexistante »[23] de l’affection; a conclu que la preuve établissait que le demandeur était [traduction] « prédisposé » à l’affection qu’on lui avait finalement diagnostiquée, et que certains éléments de preuve montraient que les facteurs de stress liés au service avaient contribué à aggraver son état.

 

[23]           De l’avis du comité d’appel, le rôle joué par le CLP était plus problématique, compte tenu qu’il n’existait clairement aucune preuve établissant que le produit avait été en contact avec les pieds du demandeur. Bien qu’il ait reconnu que le produit nettoyant avait sans nul doute aggravé temporairement l’état des mains de M. Trainor, le comité d’appel a posé la question de savoir en quoi le produit avait pu contribuer d’une quelconque façon à une aggravation permanente de son état, surtout compte tenu du fait qu’il n’y avait aucune preuve d’un contact avec les pieds. Cela étant, le comité d’appel a conclu que le droit à pension actuellement fixé à deux cinquièmes tenait pleinement compte des facteurs liés au service.

 

Analyse

[24]           Le demandeur a soulevé deux questions. Premièrement, le comité d’appel ne disposait d’absolument aucune preuve pour étayer sa conclusion que le demandeur était [traduction] « prédisposé » à l’affection qu’on avait fini par lui diagnostiquer. Il a fait observer que la Cour avait reconnu que le comité d’appel ne possédait aucune expertise particulière en matière médicale[24] et qu’aucune preuve directe n’attestait que l’eczéma, en soi, prédisposait le demandeur au psoriasis.

 

[25]           Deuxièmement, le demandeur a soutenu que le comité d’appel avait omis de fournir des motifs suffisants à l’appui de sa décision.

 

[26]           Au cours de l’audience, le demandeur a confirmé que, même si dans son mémoire, il avait glissé mot du fait que le comité d’appel aurait dû réclamer des éléments de preuve médicaux supplémentaires, il n’y avait pas lieu de retenir cet argument. Il a également confirmé que, dans le cadre de la présente instance, sa contestation à l’égard de l’évaluation du niveau de pension (deux cinquièmes) par le comité était entièrement basée sur l’absence de preuve à l’appui de la conclusion qu’il était [traduction] « prédisposé » à son affection. Enfin, le demandeur a confirmé qu’il ne demandait pas à la Cour de donner des directives particulières au comité d’appel, mais seulement d’annuler la décision et d’ordonner l’adjudication de dépens et le renvoi de l’affaire devant le comité d’appel.

 

[27]           Il convient de noter que dans la décision, la question à trancher était formulée comme suit : [traduction] « la preuve justifie-t-elle un niveau de droit à pension plus élevé que celui précédemment accordé? »

 

[28]           Il est bien établi que la question de savoir si un problème de santé est consécutif ou rattaché directement au service militaire est une question mixte de fait et de droit qui appelle la norme de la décision raisonnable (Goldsworthy c. Canada (PG), 2008 CF 380, aux paragraphes 10 à 14; Wannamaker c. Canada (PG), 2007 CAF 126, au paragraphe 12; Boisvert c. Canada (PG), 2009 CF 735, aux paragraphes 33 à 36). C’est également cette norme qu’il convient d’appliquer pour déterminer si le décideur s’est correctement appuyé sur l’article 39 de la Loi au cours de son analyse (Wannamaker, au paragraphe 13). L’appréciation et l’interprétation d’éléments de preuve médicaux contradictoires ou peu concluants sont également susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (avant l’arrêt Dunsmuir, la norme de contrôle applicable était la décision manifestement déraisonnable : Nolan c. Canada (PG), 2005 CF 1305, au paragraphe 10).

 

[29]           Cela signifie que la Cour ne peut simplement substituer sa propre appréciation de la preuve à celle du décideur, mais doit plutôt déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

 

[30]           En ce qui a trait à l’insuffisance des motifs fournis, même si l’avocate du demandeur a présenté la question en tant que question d’équité procédurale à laquelle s’applique la norme de la décision correcte, la Cour ne sait pas exactement si, dans les faits, M. Trainor conteste simplement la décision au motif que celle-ci ne respectait pas les exigences de « transparence et d’intelligibilité » que suppose une décision raisonnable (Administration de l’aéroport international de Vancouver c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, au paragraphe 16; Newfoundland and Labrador (Treasury Board) c. Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, 2010 NLCA 13, au paragraphe 12).

 

[31]           Cela dit, quelle que soit la manière de décrire la question, ma réponse demeurera la même.

 

[32]           Les dispositions pertinentes de la Loi, en particulier les dispositions 3, 38(1) et (2), 39a), b) et c), de même que le paragraphe 21(9)[25] de la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P-6, figurent dans l’Annexe A ci-jointe.

 

[33]           Le paragraphe 21(2.1) de la Loi sur les pensions [26] prévoit ce qui suit :

 

 

 

 

a) Le caractère raisonnable de la décision

[34]           Il ressort clairement de la décision que le comité d’appel n’a pas accepté la position de M. Trainor selon laquelle le stress lié au service était un facteur de causalité important. Le comité d’appel a noté que, selon [traduction] « certains éléments de preuve », ce facteur avait joué un rôle dans l’aggravation de son état, et que le niveau de pension qu’on lui avait accordé en tenait pleinement compte.

 

[35]           Le comité d’appel a également dit juger ténu le lien allégué entre le CLP et le psoriasis.

 

[36]           En examinant le contexte de la décision, y compris le dossier de preuve soumis au décideur (Vancouver International Airport Authority, précitée, au paragraphe 17), on constate ce qui suit :

i)                    le temps qui s’est écoulé entre l’incident isolé mettant en cause le CLP (juin 2001) et le premier dossier médical concernant l’aggravation (juillet 2002);

ii)                   le fait que l’affection de M. Trainor s’est aggravée simultanément sur ses mains et ses pieds, alors que ses pieds n’ont pas été en contact avec le CLP;

iii)                 le fait que le diagnostic de psoriasis a été émis bien avant la première mention consignée des événements stressants au travail, auxquels le rapport de Dre Fiala et le témoignage de M. Trainor faisaient référence;

et que tous ces éléments vont dans le sens contraire de la conclusion qu’une part importante de l’affection de M. Trainor est liée à son service dans les Forces canadiennes.

 

[37]           Contrairement à l’argument soumis au comité d’appel par l’avocate de M. Trainor (voir au bas de la page 4 des observations : dossier certifié, p. 152), l’allusion, par la Dre Fiala, à des problèmes de stress qui auraient contribué aux difficultés du demandeur ne constituait pas la première mention d’un lien entre son affection cutanée et le stress. En effet, le Dr Cook, peu après que M. Trainor ait reçu un diagnostic de psoriasis, avait clairement précisé que son affection cutanée était apparue ou avait été aggravée en raison du stress. À ce moment-là, rien n’établissait l’existence de facteurs de stress liés au travail, mais une preuve abondante révélait des problèmes liés à la famille et aux études.

 

[38]           Il convient de signaler que M. Trainor a soutenu ce qui suit [27] devant le comité d’appel :

 

[traduction]

Nous croyons qu’un droit à pension pour aggravation majeure à sévère représente une indemnité raisonnable au vu de la preuve d’une sensibilité cutanée congénitale mais de l’absence d’indication d’une affection qui existait avant l’enrôlement[28].

 

                                                            [Non souligné dans l’original]

 

[39]           Compte tenu de l’argument soumis et de la façon particulière dont les motifs ont été exprimés, il semble que le comité d’appel ait employé le terme [traduction] « prédisposé » au lieu de parler d’une affection [traduction] « préexistante » pour signaler que le paragraphe 21(9) de la Loi sur les pensions ne s’appliquait pas en l’espèce, ainsi que M. Trainor l’a fait valoir à la Cour.

 

[40]           La Cour est convaincue que des éléments de preuve appuyaient une telle conclusion. De fait, la preuve au dossier permettait de conclure que M. Trainor était prédisposé au psoriasis à deux égards. Premièrement, si, comme l’a laissé entendre M. Trainor, sa réaction au CLP a été un élément déclencheur ou du moins un facteur aggravant, elle était due à sa sensibilité ou à son affection cutanée particulières en juin 2001. Deuxièmement, on pouvait raisonnablement conclure, d’après la preuve concernant l’étiologie du psoriasis, que pour qu’un stress lié au travail soit un facteur pertinent, M. Trainor devait appartenir au groupe de personnes décrites dans la documentation en tant que [traduction] « génétiquement prédisposées ». Le fait que M. Trainor ait affirmé que son affection avait été causée par des facteurs de stress liés au travail implique, ainsi que l’a souligné l’avocate, l’existence d’une affection congénitale. La Cour est d’avis qu’une telle conclusion ne relevait pas de la conjecture, mais constituait plutôt une conclusion raisonnable qu’il était loisible au décideur de tirer.

 

[41]           Lors de l’audience, le demandeur a insisté sur le fait qu’aucune preuve n’établissait de lien potentiel entre l’eczéma et le psoriasis. La Cour ne peut souscrire à ce point de vue. Si l’eczéma n’était pas expressément cité dans la liste des traumatismes décrits en page 105 du dossier certifié, l’irritation cutanée due au CLP ou à d’autres produits chimiques ne l’était pas non plus. Ainsi, dans la mesure où la preuve peut appuyer le point de vue de M. Trainor selon lequel le traumatisme causé par son contact avec le CLP a pu déclencher ou aggraver son psoriasis, elle peut également étayer le fait que son eczéma a pu être le traumatisme à l’origine du déclenchement ou de l’aggravation de son affection. Aussi bien l’un que l’autre correspondent à la description du genre de blessures jugées suffisantes pour causer des lésions psoriasiques.

 

En fait, il est très clair que, n’eût été de l’application des articles 3 et 39 de la Loi, la demande de M. Trainor aurait bien pu être rejetée, ainsi qu’elle l’a été par le tout premier décideur auprès duquel il a fait appel, ou qu’il aurait obtenu moins de 50 % de l’indemnisation qu’il demandait.

 

[42]           Dans les circonstances de l’espèce, la Cour estime que la conclusion tirée faisait partie des issues possibles et pouvait se justifier au regard des faits et du droit.

 

b) Le caractère suffisant des motifs

[43]           Contrairement à l’argument qu’a fait valoir le demandeur devant la Cour, la décision doit être examinée dans son ensemble. On ne saurait limiter cet examen à la section intitulée [traduction] « Analyse et motifs », en page 4.

 

[44]           Le comité d’appel a clairement compris la question qu’il avait à trancher; il a pris en considération la totalité des facteurs environnementaux appuyés par des éléments de preuve versés au dossier. Il ne lui était pas nécessaire de renvoyer expressément à l’ensemble de la preuve, ni de préciser davantage le poids accordé à chacun des éléments.

 

[45]           Comme bon nombre de décisions semblables, celle qui nous occupe aurait pu être mieux rédigée, mais les décisions ne doivent pas être jugées en fonction du style, ni du nombre de mots.

 

[46]           La Cour ne peut convenir avec le demandeur qu’en l’espèce, les motifs sont trop brefs pour être intelligibles. La Cour n’a eu aucune peine à procéder au contrôle judiciaire de la décision. Le demandeur n’a eu aucune difficulté véritable à faire valoir ses arguments en ce qui concerne le caractère déraisonnable de la décision (plutôt que l’insuffisance des motifs).

 

[47]           La Cour ne peut souscrire à l’opinion du demandeur relativement au fait que le comité d’appel s’est contenté d’approuver automatiquement la décision de la précédente instance. Bien au contraire, ainsi qu’on l’a mentionné, le comité d’appel a exprimé son propre point de vue selon lequel le lien avec le CLP était ténu, et qu’il s’agissait certainement en l’espèce d’une question ayant donné lieu à l’application de l’article 39 par le précédent décideur. Le comité d’appel a procédé à sa propre analyse de la situation et, en définitive, a simplement conclu que rien ne justifiait l’octroi d’un plus grand pourcentage de droit à pension.

 

[48]           En l’espèce, il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale, pas plus que la décision n’était déraisonnable parce que dénuée d’intelligibilité et de transparence. Comme l’a mentionné le défendeur, le seul véritable objet du litige est la déception ou le désaccord de M. Trainor à l’égard du poids accordé par le comité à ce qu’on a désigné en tant que facteurs liés au service.

 

[49]           À la lumière de ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

« Johanne Gauthier »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice

 

 

 

 

 


ANNEXE A

 

 

Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P-6

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1266-10

 

INTITULÉ :                                       David TRAINOR

 

                                                            c.

 

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 avril 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Yehuda Levinson

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ayesha Laldin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Levinson & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Deuxième niveau d’appel.

[2] À l’évidence, la Cour n’entend pas livrer une description complète de l’ensemble de la preuve au dossier. Néanmoins, compte tenu des questions soulevées, il est nécessaire de relater certains incidents dans l’ordre chronologique.

[3] Dossier certifié, p. 3.

[4] Voir le dossier certifié, p. 91, où le comité d’examen de l’admissibilité résume le témoignage du demandeur devant lui.

[5] Dossier certifié, p. 132.

[6] Dossier certifié, p. 17.

[7] Dossier certifié, p. 33.

[8] Dossier certifié, p. 22.

[9] Voir le dossier certifié, pp. 25 et 170.

[10] Dossier certifié, pp. 33 et 62.

[11] En 2003, dans un accès de frustration, il a frappé une porte en acier de son poing.

[12] Dossier certifié, p. 43.

[13] Dossier certifié, p. 53.

[14] Dossier certifié, p. 51.

[15] Selon le dossier certifié, en page 91, il aurait servi dans la force régulière du 23 juin 2001 au mois de janvier 2007.

[16] Voir le dossier certifié, pp. 39, 51, 55, 138, 139, 140, 141 et 145.

[17] Dossier certifié, p. 66.

[18] Tel que mentionné, les premières notes médicales sont datées de juillet 2002 (Dossier certifié, p. 132).

[19] Dossier certifié, p. 128.

[20] Dossier certifié, p. 101.

[21] Dossier certifié, p. 156.

[22] M. Trainor a été jugé digne de foi aux deux niveaux d’appel.

[23] Cela pourrait déclencher l’application du paragraphe 21(9) de la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P-6.

[24] Cela n’est pas contesté; voir Rivard c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 704, aux paragraphes 38 et 40.

[25] Bien que le demandeur ait insisté sur cette disposition, la Cour n’estime pas qu’elle trouve son application en l’espèce, car elle ne considère pas que la décision laisse entendre que le psoriasis existait avant l’enrôlement du demandeur, mais plutôt que l’état du demandeur diagnostiqué au moment de son enrôlement le prédisposait à l’affection pour laquelle il demande une pension.

[26] Il ne semble pas sérieusement contesté que l’état du demandeur est grave et a entraîné une importante modification de son mode de vie, compte tenu qu’il a dû quitter les Forces canadiennes. D’après le Manuel des politiques – Pension du Ministère des Anciens combattants, ce genre d’aggravation importante appellerait normalement une indemnisation de quatre cinquièmes. Il est admis que cette indemnisation à hauteur de quatre cinquièmes a été réduite en raison de l’opinion du décideur selon laquelle on ne saurait considérer l’aggravation comme entièrement attribuable au service militaire du demandeur.

[27] Voir la page 3 de ses observations écrites : dossier certifié, p. 151.

[28] Il est question ici de psoriasis, et non d’eczéma.

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