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Date : 20110516

Dossier : T-348-08

Référence : 2011 CF 556

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 mai 2011

En présence de madame la juge Heneghan

 

INSTANCE PAR REPRÉSENTATION

ENTRE :

 

VICTOR WHITE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

Introduction

[1]               M. Victor White (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire d’une décision au deuxième palier rendue par M. Wade Hiscock (le directeur ou M. Hiscock), directeur du Bureau des services fiscaux de Terre‑Neuve‑et‑Labrador de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), représentée ici par le procureur général du Canada (le défendeur). Dans cette décision datée du 6 février 2008, le directeur rejetait la demande au deuxième palier présentée par le demandeur pour qu’il exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la LIR ou la Loi) d’octroyer une dispense à l’égard des délais normaux pour l’établissement de nouvelles cotisations d’impôt sur le revenu en vue de réduire l’impôt à payer.

 

[2]               Le demandeur sollicitait un allègement en vertu des dispositions d’équité afin que lui soit remboursée une partie des impôts payés à l’égard de sommes reçues en 1999 au titre du Programme de retrait de permis de pêche du poisson de fond de l’Atlantique (le PRPPA). Le demandeur a considéré l’intégralité de la somme comme un gain en capital, puis a appris que d’autres bénéficiaires de ce programme n’avaient été imposés que sur la moitié du versement.

 

Contexte

(i) Contexte procédural

[3]               Le demandeur plaide en son nom et au nom de 751 autres pêcheurs résidant dans la province de Terre‑Neuve‑et‑Labrador et le long de la Côte‑Nord, au Québec. Son statut de représentant découle de l’ordonnance rendue le 8 mars 2010 par le protonotaire Morneau, dans laquelle il était nommé représentant demandeur en application de l’article 114 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles).

 

[4]               L’ordonnance du 8 mars 2010 prévoyait notamment, en préambule :

[traduction

Attendu que le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire et qu’il souhaite engager l’instance à titre de représentant de toutes les personnes nommées à l’annexe A jointe à la présente ordonnance;

 

Et attendu que les parties conviennent que :

 

a) les points de droit et de fait soulevés sont communs au demandeur et aux personnes appelées à être représentées, sans viser de façon particulière seulement certaines de celles‑ci;

 

b) le demandeur est autorisé à agir au nom des personnes représentées;

 

c) le demandeur peut représenter leurs intérêts de façon équitable et adéquate;

 

d) l’instance par représentation constitue la façon juste de procéder, la plus efficace et la moins onéreuse.

 

 

[5]               Il est d’ailleurs mentionné dans le corps de l’ordonnance que le demandeur est [traduction] « nommé à titre de représentant des personnes inscrites à l’annexe A de la présente ordonnance ».

 

[6]               Le 4 mars 2008, le demandeur a introduit la présente demande de contrôle judiciaire. Comme nous l’avons noté dans le paragraphe introductif des présents motifs, cette demande se rapporte à une décision rendue par l’ARC à l’égard d’une « demande d’équité » présentée par le demandeur en vertu du paragraphe 152(4.2) de la LIR. Outre la présente demande, d’autres demandes de contrôle judiciaire ont été déposées par les personnes suivantes :

T-1213-09 - Junior Antsey

T-1214-09 - Ronald J. Decker

T-1215-09 - Richmond Gallichon

T-1216-09 - Gerald King

T-1217-09 - J. Ralph Lethbridge

T-1219-09 - Harvey Pearce

T-1220-09 - Curtis G. Stone

 

[7]               Par ordonnance datée du 20 janvier 2010, le protonotaire Morneau a fait droit à la requête du demandeur visant à différer le dépôt de son affidavit, des pièces documentaires et de son dossier [traduction] « jusqu’à ce qu’il soit statué sur une requête en vue de faire autoriser la présente instance comme recours collectif, conformément au paragraphe 334.15(1) » des Règles, recours à l’égard duquel le demandeur souhaitait être nommé représentant demandeur. Cette ordonnance visait également les sept autres demandes de contrôle judiciaire.

 

[8]               Le 18 février 2010, le demandeur a déposé une requête en vue de faire autoriser la présente instance comme recours collectif. L’objectif de cette requête était d’obtenir la nomination de M. White à titre de représentant demandeur des parties intéressées.

 

[9]               À la suite d’une conférence de gestion de l’instance présidée par le protonotaire Morneau, ce dernier a rendu, le 8 mars 2010, une ordonnance nommant M. White à titre de représentant demandeur conformément à l’article 114 des Règles. La requête en autorisation a ensuite été ajournée sine die.

 

 (ii) Le dossier du tribunal

[10]           La transmission du dossier du tribunal est prévue à l’article 318 des Règles, qui dispose :

318. (1) Dans les 20 jours suivant la signification de la demande de transmission visée à la règle 317, l’office fédéral transmet :

 

a) au greffe et à la partie qui en a fait la demande une copie certifiée conforme des documents en cause;

 

b) au greffe les documents qui ne se prêtent pas à la reproduction et les éléments matériels en cause.

318. (1) Within 20 days after service of a request under rule 317, the tribunal shall transmit

 

 

 

(a) a certified copy of the requested material to the Registry and to the party making the request; or

 

(b) where the material cannot be reproduced, the original material to the Registry.

 

 

 

 

[11]           Dans l’arrêt Ralph c. Procureur général du Canada (2010), 410 N.R. 175 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a formulé, aux paragraphes 29 à 32, les commentaires suivants sur l’absence de dossier du tribunal :

[29] Il y avait une certaine confusion devant la Cour quant à la question de savoir quelle preuve avait été présentée à l’Office. Cette incertitude découlait du fait qu’aucun dossier certifié du tribunal n’a été demandé ou déposé relativement à la demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Chaque partie a plutôt déposé un affidavit à la Cour fédérale. On ne sait pas avec certitude si les exposés des faits contenus dans les affidavits se limitaient aux renseignements présentés à l’Office ni si les documents dans le cahier d’appel avaient été soumis à l’Office.

 

[…]

 

[31] Une telle confusion devrait être évitée dans les affaires à venir. L’article 317 des Règles des Cours fédérales (les Règles) permet à une partie de demander la transmission de documents ou d’éléments matériels en la possession du décideur. Le demandeur d’un contrôle judiciaire à la Cour fédérale doit inclure une telle demande de transmission dans son avis de demande. L’article 318 des Règles oblige alors le décideur à transmettre à la Cour et à la personne ayant déposé la demande de transmission une copie certifiée des documents et des éléments matériels demandés dans les 20 jours suivant la signification de la demande visée à l’article 317 des Règles.

 

[32] En l’espèce, l’appelant a demandé à l’Office de transmettre au greffe de la Cour d’appel fédérale une copie du dossier dont disposait l’Office. Cette demande de transmission était contenue dans l’avis d’appel déposé à la Cour. Cette forme de requête n’est ni régulière ni efficace. Des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés à la Cour fédérale ne peuvent pas l’être en appel devant notre Cour, sauf lorsqu’une ordonnance est rendue en vue de permettre à une partie de présenter de nouveaux éléments de preuve (voir l’article 351 des Règles). Le moment opportun pour invoquer l’article 317 des Règles est celui où une demande de transmission de documents ou d’éléments matériels est présentée dans l’avis de demande à la Cour fédérale.

 

 

[12]           Solliciter le dossier du tribunal permet à la Cour d’examiner les documents dont disposait effectivement l’office fédéral lorsqu’il a rendu sa décision; voir Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), [1998] 1 C.F. 337, au paragraphe 26.

 

[13]           En ce qui concerne la présente demande de contrôle judiciaire, le défendeur n’a produit aucun dossier du tribunal. L’avis de demande modifié, délivré le 5 avril 2010 conformément à l’ordonnance du protonotaire Morneau du 8 mars 2010, ne contenait aucune demande en vue de la production de ce dossier. Les faits pertinents seront tirés des affidavits, incluant les pièces, déposés pour le compte des parties.

 

[14]           Le demandeur et le défendeur ont tous deux déposé des affidavits à l’appui de leurs positions respectives. Le dossier de demande déposé par le demandeur, après que la présente demande eut été reconnue comme recours collectif, comprend les affidavits du demandeur et de M. Donald Sweetapple, son comptable.

 

[15]           Le dossier de demande déposé par le défendeur comprenait notamment l’affidavit de M. Wade Hiscock. Ce dernier y décrit son rôle en tant que décideur ayant rendu en vertu de la Loi la décision au deuxième palier.

 

(iii) Les faits

[16]           Le demandeur réside à Terre‑Neuve‑et‑Labrador. Après avoir servi dans les Forces armées canadiennes entre 1965 et 1969, il est devenu pêcheur côtier à temps plein en avril 1969. Le demandeur a travaillé dans cette industrie jusqu’à la fermeture de la pêche de la morue du Nord en 1992. Dans sa demande, il plaide en son nom et au nom de 751 autres pêcheurs résidant dans la province de Terre‑Neuve‑et‑Labrador et le long de la Côte‑Nord, au Québec.

 

[17]           En juin 1998, le gouvernement du Canada a instauré le PRPPA, aux termes duquel les pêcheurs du Canada atlantique et du Québec pouvaient proposer un prix de vente pour leurs permis de pêche de poisson de fond au gouvernement fédéral et renoncer définitivement à la pêche. À Terre‑Neuve‑et‑Labrador, les pêcheurs devaient également rendre leurs certificats de pêcheurs professionnels. Le montant de l’offre visait à dédommager les pêcheurs pour le retrait de leur permis de pêche du poisson de fond et l’abandon définitif de leurs activités dans l’industrie de la pêche.

 

[18]           Le demandeur et tous ceux qu’il représente ont présenté des demandes au titre du PRPPA. L’offre moyenne se chiffrait à 120 000 $. Le ministère des Pêches et des Océans (le MPO) a communiqué à Revenu Canada les renseignements financiers se rapportant aux montants reçus par les pêcheurs au titre du PRPPA. L’ancienne Agence des douanes et du revenu du Canada a alors transmis à tous les retraités du programme des instructions concernant la façon dont ils devaient traiter ces revenus aux fins d’imposition. Ces instructions étaient contenues dans une lettre du directeur régional de la Direction des politiques et des services économiques du MPO. La lettre adressée au demandeur était datée du 21 mars 2000. Les paiements effectués aux termes du PRPPA devaient être [traduction] « considérés comme des gains en capital découlant de la disposition de biens en immobilisation ».

 

[19]           Dans son affidavit, M. Sweetapple a décrit les circonstances entourant le dépôt de la déclaration de revenus du demandeur pour l’année 1999. Cela s’est fait conformément aux instructions contenues dans la lettre du 21 mars 2000 adressée au demandeur par le MPO, lui recommandant de traiter la somme reçue au titre du PRPPA comme un gain en capital découlant de la disposition de biens en immobilisation. En 1999, le taux d’inclusion des gains en capital était de 75 p. 100; le demandeur a donc payé des impôts sur 75 p. 100 de la somme reçue au titre du PRPPA. D’après l’affidavit de M. Hiscock, la cotisation établie à l’égard du demandeur pour l’année 1999 correspondait à la déclaration de revenus qu’il a produite le 20 avril 2000.

 

[20]           Dans l’interprétation technique externe 2000-0023275 (E) (l’« interprétation technique »), datée du 22 septembre 2000, l’ARC a avisé le MPO de ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

Traitement du retrait d’un permis

 

Un permis de pêche détenu par une entreprise de pêche constitue un bien en immobilisation admissible à l’égard de cette entreprise. Le produit issu du retrait du permis sera considéré comme le produit de la disposition d’un bien en immobilisation admissible. […]

 

Le montant cumulatif des immobilisations admissibles à l’égard d’une entreprise représente, dans les faits, un compte de dépenses se rapportant au bien en immobilisation admissible de l’entreprise. […]

 

Plus précisément, lorsqu’une personne renonce à son permis de pêche directement au profit du MPO, le produit reçu doit figurer comme revenu de son entreprise de pêche aux termes du sous‑alinéa 14(1)a)(v), pour autant que ce produit génère un « excédent » au sens du paragraphe 14(1) […] cet « excédent » résultant du renoncement direct au profit du MPO sera imposable à titre de revenu d’une entreprise de pêche, plutôt que considéré comme un gain en capital […]

 

[21]           D’après l’interprétation technique, les sommes perçues au titre du PRPPA sont des revenus d’entreprise, et non des gains en capital. Cette interprétation technique est publique, et est annexée comme pièce I à l’affidavit de M. Hiscock.

 

[22]           Vers la fin de 2003 et tout au long de l’année 2004, le demandeur a appris que d’autres membres de sa collectivité avaient été imposés différemment. D’autres retraités du PRPPA ont déposé des avis d’opposition et interjeté appel devant la Cour de l’impôt. Le 11 décembre 2003, l’ARC a fait des offres en vue de régler hors cours un certain nombre de ces appels.

 

[23]           On en trouve un exemple dans une lettre expurgée datée du 9 février 2004 adressée à un pêcheur ayant accepté l’offre qui lui était faite. La lettre est annexée comme pièce M à l’affidavit de M. Hiscock. D’après ce document, une instance avait été introduite devant la Cour de l’impôt, et un consentement au jugement était requis de la part du contribuable et de l’ARC pour procéder au règlement proposé en décembre 2003.

 

[24]           Pour le dernier groupe, l’ARC était disposée à reconnaître que la moitié des sommes versées au titre du PRPPA se rapportaient à l’abandon volontaire de l’industrie de la pêche, et l’autre moitié à celui du permis de pêche. Cela signifiait que la moitié de ces sommes ne serait pas imposable. D’après la lettre jointe à l’affidavit de M. Hiscock, l’autre moitié serait considérée comme un gain en capital. En 2000, le taux d’inclusion pour les gains en capital a été réduit à 50 p. 100. Ce groupe a donc été imposé sur 25 p. 100 du versement total du PRPPA, plutôt que sur 75 p. 100.

 

[25]           Le 14 janvier 2005, le demandeur, qui n’était pas représenté par un avocat à l’époque, a demandé par écrit à l’ARC l’établissement hors délai d’une nouvelle cotisation en vertu des dispositions d’équité. Il signalait que certains pêcheurs n’avaient pas payé les mêmes montants d’impôts sur le revenu que d’autres au titre du PRPPA.

 

[26]           Le 23 novembre 2006, le directeur adjoint de la Division de la vérification du Bureau des services fiscaux de Terre‑Neuve‑et‑Labrador a rejeté par écrit la demande de M. White. La lettre, annexée comme pièce F à l’affidavit de M. Hiscock, indique ce qui suit :

[traduction] L’Agence n’accorde pas de remboursement d’impôt sur le revenu uniquement sur la base d’une décision rendue dans une autre affaire saisie par les tribunaux. Après examen, nous constatons que la période durant laquelle il vous était loisible de déposer un avis d’opposition en vertu de la Loi a expiré avant la date de votre demande : il n’y a donc pas lieu de l’examiner plus en détail.

 

 

[27]           Le 6 mars 2007, l’honorable Carol Skelton, alors ministre du Revenu national, a écrit aux autres pêcheurs qui s’étaient plaints du traitement fiscal préférentiel. Elle les a informés que le directeur examinerait les décisions en équité des pêcheurs qui avaient demandé une révision.

 

[28]           Le demandeur a alors retenu les services d’un avocat. Dans une lettre datée du 14 mars 2007, ce dernier a adressé au directeur une demande d’examen au deuxième palier. Le 1er mai de la même année, le directeur lui a répondu et lui a demandé de fournir d’autres observations, que le demandeur a transmises par lettres datées du 6 juin et du 10 juillet 2007.

 

[29]           Le 21 novembre 2007, la Cour canadienne de l’impôt a rendu la décision dans Winsor c. R., 2007 CCI 692. Dans cette affaire, les parties s’étaient entendues sur un exposé conjoint des faits suivant lequel la moitié des sommes reçues au titre du PRPPA représentait une allocation de retraite non imposable. La Cour a conclu que l’autre moitié devait être considérée comme un gain en capital, plutôt qu’un revenu.

 

[30]           Le 22 novembre 2007, le directeur a informé le demandeur de la publication d’une nouvelle circulaire d’interprétation : la Circulaire d’information en matière d’impôt sur le revenu IC07‑1 – Dispositions d’allègement pour les contribuables (IC07‑1). Le demandeur a présenté de nouvelles observations le 13 décembre 2007.

 

[31]           Dans une lettre datée du 6 février 2008, le directeur a informé l’avocat du demandeur que la décision au premier palier rejetant la demande d’allègement présentée en vertu des dispositions d’équité était confirmée.

 

[32]           Le 4 mars 2008, le demandeur a introduit la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[33]           À l’automne 2008, la législature de Terre‑Neuve‑et‑Labrador a adopté une résolution appelant l’ARC à accorder le même traitement fiscal à l’ensemble des retraités du PRPPA. Le ministre du Revenu national alors en poste, l’honorable Gordon O’Connor, a par la suite déclaré que la décision Winsor s’appliquerait à toutes les oppositions analogues relatives au PRPPA encore en instance.

 

[34]           Le demandeur a sollicité un examen au troisième palier. Le 2 décembre 2008, le directeur a refusé de l’effectuer, arguant que les déclarations du ministre O’Connor ne changeaient rien à la position de l’ARC. Le 29 mai 2009, le ministre du Revenu national a déposé une réponse aux pétitions, indiquant que le traitement fiscal des sommes perçues au titre du PRPPA avait été arrêté dans la décision Winsor.

 

(iv) La décision

[35]           Dans son affidavit, M. Hiscock décrit, en sa qualité de décideur, la décision au deuxième palier, rendue en vertu de la Loi, dans laquelle il a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur et de proroger les délais en vue de l’établissement d’une nouvelle cotisation à l’égard de déclarations de revenus pour réduire l’impôt à payer. Évoquant en termes généraux la nature du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 152(4.2) de la Loi, le directeur a dressé la liste des [traduction] « renseignements et documents » portés à sa [traduction] « connaissance » dans le cadre de l’examen de la demande de M. White. Ces documents sont énumérés au paragraphe 4 de son affidavit et incluent notamment la correspondance suivante :

(i) une lettre, datée du 14 janvier 2005, adressée par le demandeur à Bev Curran, employé de l’ARC, dans laquelle le demandeur sollicite l’examen de la déclaration de revenus pour l’année 1999 concernant le PRPPA;

 

(ii) une lettre, datée du 24 mai 2006, adressée par le demandeur à Kevin Flynn, employé de l’ARC, dans laquelle il sollicite l’examen de sa déclaration de revenus pour l’année 1999 en vertu des dispositions d’équité;

 

(iii) une lettre, datée du 13 juillet 2006, adressée par M. Eli Baker, avocat du demandeur, à Kevin Flynn ainsi qu’au chef des appels du centre fiscal de St. John’s et à Valerie Miller, directrice des Services du droit fiscal du ministère de la Justice du Canada;

 

(iv) une lettre, datée du 23 novembre 2003, de M. Gord Kelland, directeur adjoint de la Division de la vérification du Bureau des services fiscaux de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, en réponse à celle du demandeur datée du 14 janvier 2005, dans laquelle il rejette la demande d’équité du demandeur en ce qui a trait à la disposition de son permis de pêche en 1999;

 

(v) une lettre, datée du 29 novembre 2006, adressée par M. Baker à M. Hiscock, demandant l’examen de la décision de M. Kelland;

 

(vi) une lettre, datée du 5 janvier 2007, adressée par M. Baker à M. Hiscock, à laquelle était jointe la copie d’une lettre datée du 21 mars 2000 adressée au demandeur par le directeur régional de la Direction des politiques et des services économiques du ministère des Pêches et des Océans (MPO);

 

(vii) une lettre, datée du 10 janvier 2007, adressée par M. Hiscock à M. Baker, à laquelle est jointe une copie de l’interprétation technique datée du 22 septembre 2000, transmise par l’ARC au MPO et se rapportant au traitement fiscal des sommes perçues au titre du PRPPA;

 

(viii) une lettre, datée du 14 mars 2007, adressée par M. Baker au directeur, sollicitant un examen des décisions en équité au premier palier rendues à l’égard d’un groupe d’anciens pêcheurs qu’il représentait, dont le demandeur;

 

(ix) une lettre, datée du 1er mai 2007, adressée par M. Hiscock à M. Baker, réclamant de plus amples renseignements sur chaque demande d’équité présentée pour le compte des 883 clients de M. Baker;

 

(x) une lettre, datée du 6 juin 2007, adressée par M. Baker au directeur en réponse à sa lettre du 1er mai 2007, dans laquelle il demandait conseil sur la manière de procéder à l’égard des nombreuses demandes d’équité et fournissait des renseignements précis au sujet de quatre personnes, dont le demandeur, en vue d’un examen au deuxième palier;

 

(xi) une lettre, datée du 10 juillet 2007, adressée par M. Baker à M. Hiscock, contenant des observations additionnelles sur la demande d’équité au deuxième palier présentée au nom de ses clients, dont le demandeur, et à laquelle sont joints des documents à l’appui des observations;

 

(xii) une lettre, datée du 11 juillet 2007, adressée par le directeur à M. Baker en réponse à sa lettre du 6 juin 2007, dans laquelle il indique qu’il n’était pas en mesure de conseiller M. Baker sur la manière de procéder, car cela reviendrait à lui donner un [traduction] « avis juridique », et qu’il examinerait, une fois reçues, les quatre demandes individuelles d’équité dont il est question dans la lettre du 6 juin 2007;

 

(xiii) une lettre, datée du 13 juillet 2007, adressée par M. Baker au directeur, l’informant que la première demande d’équité présentée pour le compte du demandeur lui avait été transmise;

 

(xiv) une lettre, datée du 22 novembre 2007, adressée par le directeur à M. Baker, l’avisant que sa réponse à la demande d’équité était en cours et l’informant de la publication de la circulaire IC07‑1 du 31 mai 2007;

 

(xv) une lettre, datée du 13 décembre 2007, adressée par M. Baker au directeur, contenant d’autres observations relativement au paragraphe 88 de la circulaire IC07‑1;

 

(xvi) un rapport au deuxième palier sur l’allègement pour les contribuables préparé par Vicki Stokes et signé le 8 février 2008 par Mme Stokes et d’autres membres du comité d’examen.

 

 

[36]           Au paragraphe 5 de son affidavit, le directeur énumère dix‑huit facteurs dont il a tenu compte pour rejeter la demande d’équité au deuxième palier présentée par le demandeur. Cette décision a été communiquée à ce dernier dans une lettre datée du 6 février 2008.

 

[37]           Dans sa décision du 6 février 2008 faisant suite à la demande d’examen au deuxième palier de la demande d’équité, le directeur a renvoyé à trois lettres qu’il avait reçues de l’avocat du demandeur. Ces lettres étaient datées du 10 juillet, du 13 juillet et du 13 décembre 2007. Il a énoncé ainsi le fondement de la demande d’examen au deuxième palier présentée par le demandeur :

[traduction]

 

(i) seulement 50 p. 100 de la somme de 130 000 $ reçue par le demandeur au titre du PRPPA doit être considérée comme un produit de disposition;

 

(ii) ce traitement fiscal a été accordé à un groupe de dossiers réglés par l’ARC;

 

(iii) le demandeur a déposé sa déclaration de revenus conformément à la lettre du MPO, qui a été rédigée après consultation avec l’ARC.

 

[38]           Le directeur a ensuite renvoyé à diverses dispositions de la Loi, à commencer par le paragraphe 152(4), qui autorise l’établissement de nouvelles cotisations dans les trois années suivant la période normale de nouvelle cotisation; pour le demandeur, cette période a expiré le 20 avril 2005. Le directeur a affirmé qu’il lui était [traduction] « impossible d’accorder un allègement » aux termes de cette disposition.

 

[39]           En outre, le directeur a fait remarquer que le paragraphe 165(1) de la Loi prévoyait le délai pour le dépôt d’un avis d’opposition à une cotisation ou à une nouvelle cotisation et que le demandeur aurait pu déposer une opposition valide jusqu’au 15 juin 2001. Par ailleurs, le demandeur aurait pu solliciter une prorogation du délai de dépôt de l’avis d’opposition, conformément aux paragraphes 166.1(1) et 166.1(7) de la Loi. Le délai alloué pour une telle demande est d’un an, et expirait, dans le cas du demandeur, le 15 juin 2002. Le directeur a relevé que le demandeur n’avait ni déposé d’avis d’opposition ni sollicité de prorogation de délai pour le faire.

 

[40]           Le directeur a abordé ensuite le paragraphe 152(4.2) de la Loi et a renvoyé aux paragraphes 71 et 73 de la circulaire IC07‑1.

 

[41]           Il a noté que, dans sa déclaration de revenus pour l’année 1999, le demandeur avait inscrit 100 p. 100 des sommes perçues au titre du PRPPA comme « produit de disposition ». Le directeur a pris acte de la lettre du 21 mars 2000 que le demandeur avait reçue du MPO, qui faisait état de l’avis que l’ARC lui avait transmis sur le traitement fiscal des sommes perçues au titre de ce programme.

 

[42]           Le directeur a formulé la conclusion suivante :

[traduction] Nous estimons et avons toujours estimé que M. White a déposé sa déclaration de revenus de manière appropriée. Cependant, même s’il ne souscrivait pas à l’avis exprimé dans cette lettre, celle-ci n’empêchait nullement M. White ou son représentant de déposer sa déclaration conformément à sa compréhension du droit. Si le ministre avait été en désaccord, votre client aurait pu alors exercer son droit d’opposition puis d’appel à l’égard de l’établissement de la cotisation pour sa déclaration de 1999. Comme nous l’avons souligné, M. White a déclaré le produit de la disposition et, après avoir reçu l’avis d’établissement de la cotisation, il n’a ni déposé d’avis d’opposition ni interjeté appel.

 

 

[43]           Le directeur a ensuite cité le paragraphe 88 de la circulaire IC07‑1. Finalement, il explique comme suit sa décision de rejeter la demande du demandeur :

[traduction] En résumé, après examen, je constate que M. White a déposé sa déclaration de revenus pour l’année 1999 en inscrivant 100 p. cent du produit de disposition reçu aux termes du Programme de retrait de permis de pêche du poisson de fond de l’Atlantique. Sa déclaration a été examinée par l’Agence du revenu du Canada le 20 avril 2000. Il n’y a eu aucune autre correspondance jusqu’au 19 janvier 2005, date à laquelle l’Agence du revenu du Canada a reçu une lettre datée du 14 janvier de la même année, dans laquelle M. White demandait que son dossier soit examiné au titre des dispositions d’équité. Les délais qui lui étaient accordés pour déposer un avis d’opposition ou un appel relativement à cette affaire étaient déjà expirés. J’ai examiné le dossier à la lumière des dispositions d’allègement pour les contribuables, notamment sa demande initiale d’allègement au titre des dispositions d’équité. Je comprends votre position, mais je me dois de confirmer la décision.

 

Questions en litige

[44]           Le demandeur soulevait initialement deux questions. Premièrement, l’agent du fisc a‑t‑il commis une erreur en refusant d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré au paragraphe 152(4.2) de la Loi et d’autoriser l’établissement d’une nouvelle cotisation à l’égard du demandeur pour l’année d’imposition 1999? Le cas échéant, la Cour devrait‑elle annuler la décision du décideur au deuxième palier conformément au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7 et renvoyer l’affaire à un autre décideur pour qu’il procède à un nouvel examen?

 

[45]           Cependant, à la fin du mémoire écrit, le demandeur a énuméré douze questions distinctes. À mon avis, toutes ces questions peuvent être reformulées comme suit :

a) Le directeur a‑t‑il commis une erreur en trompant les attentes légitimes du demandeur?

b) Le directeur a‑t‑il commis une erreur en entravant l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré?

c) Le directeur a‑t‑il omis de fournir des motifs adéquats?

d) Le directeur a‑t‑il tiré une conclusion de fait erronée?

e) La décision du directeur était‑elle raisonnable?

 

Analyse et décision

[46]           Les dispositions législatives pertinentes pour la présente demande de contrôle judiciaire se trouvent au paragraphe 152(4.2) de la Loi, qui dispose :

Malgré les paragraphes (4), (4.1) et (5), pour déterminer, à un moment donné après la fin de la période normale de nouvelle cotisation applicable à un contribuable — particulier, autre qu’une fiducie, ou fiducie testamentaire — pour une année d’imposition le remboursement auquel le contribuable a droit à ce moment pour l’année ou la réduction d’un montant payable par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie, le ministre peut, si le contribuable demande pareille détermination au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de cette année d’imposition, à la fois :

 

a) établir de nouvelles cotisations concernant l’impôt, les intérêts ou les pénalités payables par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie;

 

b) déterminer de nouveau l’impôt qui est réputé, par les paragraphes 120(2) ou (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 122.7(2) ou (3), 127.1(1), 127.41(3) ou 210.2(3) ou (4), avoir été payé au titre de l’impôt payable par le contribuable en vertu de la présente partie pour l’année ou qui est réputé, par le paragraphe 122.61(1), être un paiement en trop au titre des sommes dont le contribuable est redevable en vertu de la présente partie pour l’année.

Notwithstanding subsections (4), (4.1) and (5), for the purpose of determining, at any time after the end of the normal reassessment period of a taxpayer who is an individual (other than a trust) or a testamentary trust in respect of a taxation year, the amount of any refund to which the taxpayer is entitled at that time for the year, or a reduction of an amount payable under this Part by the taxpayer for the year, the Minister may, if the taxpayer makes an application for that determination on or before the day that is ten calendar years after the end of that taxation year,

 

 

 

 

(a) reassess tax, interest or penalties payable under this Part by the taxpayer in respect of that year; and

 

 

 

(b) redetermine the amount, if any, deemed by subsection 120(2) or (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 122.7(2) or (3), 127.1(1), 127.41(3) or 210.2(3) or (4) to be paid on account of the taxpayer’s tax payable under this Part for the year or deemed by subsection 122.61(1) to be an overpayment on account of the taxpayer’s liability under this Part for the year.

 

 

 

[47]           Bien que les directives ministérielles n’équivalent pas à des textes de loi, plusieurs paragraphes de la circulaire IC07‑1 sont pertinents quant à la présente demande de contrôle judiciaire :

¶ 9. Un contribuable peut demander un allègement conformément aux dispositions de la Loi énumérées dans ce paragraphe. Après l’examen des faits et des circonstances pertinents, un fonctionnaire délégué de l’ARC (voir le paragraphe 17) décidera s’il est approprié de :

[…]

d) autoriser une nouvelle cotisation ou une nouvelle détermination à l’égard d’un particulier (autre qu’une fiducie) ou d’une fiducie testamentaire au‑delà de la période normale de nouvelle cotisation de trois ans en vertu du paragraphe 152(4.2) lorsque le rajustement résulterait en un remboursement ou une réduction d’un montant payable.

 

[…]

¶ 71. L’ARC peut émettre un remboursement ou réduire le montant dû si elle est convaincue qu’un tel remboursement ou une telle réduction aurait été accordé si la déclaration ou la demande avait été produite ou présentée à temps et à condition que la cotisation à établir soit conforme à la Loi et qu’elle n’ait pas déjà été accordée.

[…]

¶ 73. Le but d’une demande de rajustement en vertu du paragraphe 152(4.2) n’est pas de contester ou de remettre en question l’exactitude ou la validité d’une cotisation antérieure. La capacité de l’ARC de permettre un rajustement de montants pour une année d’imposition frappée de prescription ne devrait pas être utilisée pour effectuer un nouvel examen des points en cause, tel qu’une nouvelle cotisation à la suite d’une vérification, lorsque le particulier ou la fiducie testamentaire a choisi de ne pas contester les points en cause au moyen des processus d’opposition et d’appel normaux ou lorsque les points en cause ont déjà été traités dans le cadre d’une opposition ou d’un appel […]

 

¶ 87. La politique de l’ARC ne permet pas l’établissement d’une nouvelle cotisation à l’égard d’une déclaration frappée de prescription si la demande est motivée par une décision judiciaire (pour obtenir de plus amples renseignements, veuillez consulter la circulaire d’information IC75‑7R3, Nouvelle cotisation relative à une déclaration de revenus). Les demandes visant l’établissement d’une nouvelle cotisation à l’égard d’une déclaration frappée de prescription fondée uniquement sur le fait qu’un autre contribuable a obtenu gain de cause dans le cadre d’un appel ne seront pas acceptées en vertu du paragraphe 152(4.2).

 

¶ 88. De même, la connaissance d’un règlement négocié d’un autre contribuable visant à régler une opposition, ou d’un consentement à jugement à l’égard d’un appel d’un autre contribuable ne pourra être utilisée pour permettre l’établissement d’une nouvelle cotisation à l’égard de la déclaration frappée de prescription d’un contribuable en vertu du paragraphe 152(4.2) lorsque le contribuable a choisi de ne pas protéger son droit de faire opposition ou d’interjeter appel.

 

[48]           Comme la présente instance concerne un examen effectué par un décideur administratif, la première question à résoudre doit se rapporter à la norme de contrôle applicable. Cette norme variera suivant la nature des questions précises qui sont soulevées.

 

[49]           D’après les arrêts de la Cour suprême Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, les décisions rendues par des organes décisionnels établis par la loi sont susceptibles de révision selon l’une ou l’autre des deux normes de contrôle, à savoir la décision correcte ou la raisonnabilité. Les véritables questions de droit seront sujettes à révision suivant la norme de la décision correcte tandis que les questions de droit relevant de l’expertise du décideur répondront à la norme de la raisonnabilité, conformément à l’arrêt plus récent de la Cour suprême du Canada Smith c. Alliance Pipeline Ltd. (2011), 328 D.L.R. (4th) 1.

 

[50]           Les questions d’équité procédurale doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte; voir Khosa, au paragraphe 43.

 

[51]           Les questions de fait doivent être contrôlées suivant la norme de la raisonnabilité. Il en va de même du caractère raisonnable de la décision dans son ensemble.

 

[52]           Par ailleurs, la Cour suprême faisait remarquer au paragraphe 57 de l’arrêt Dunsmuir que lorsque la norme de contrôle applicable est établie par la jurisprudence, il est possible d’y recourir. Dans l’arrêt Lanno c. Canada (Agence des douanes et du revenu) (2005), 334 N.R. 348 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a estimé que les décisions discrétionnaires prises en vertu du paragraphe 152(4.2) de la LIR devaient être contrôlées suivant la norme de la raisonnabilité.

 

[53]           Les questions en litige reformulées peuvent aisément se répartir en deux catégories : les questions d’équité procédurale, assujetties à la norme de la décision correcte, et les questions de fait ou de fait et de droit, à l’égard desquelles s’applique la norme de la raisonnabilité. J’aborderai d’abord les questions d’équité procédurale.

 

[54]           Le directeur a‑t‑il commis une erreur en trompant les attentes légitimes du demandeur?

 

[55]           Le demandeur soutient que le directeur a fait fi des attentes raisonnables qu’ont créées les déclarations de deux ministres du Revenu national, Mme Skelton et M. O’Connor, faites respectivement au printemps 2007 et à l’automne 2008. Il allègue que le directeur a d’ailleurs commis une erreur en ne respectant pas les instructions du ministre du Revenu national énoncées dans la réponse à la pétition déposée au Parlement le 29 mai 2009.

 

[56]           Le défendeur fait valoir que la réponse à la pétition n’a pas été régulièrement soumise à la Cour, puisqu’elle est simplement annexée en tant que pièce au mémoire du demandeur au lieu de figurer comme pièce jointe à un affidavit. De même, il soutient que la déclaration de 2008 du ministre O’Connor n’a pas été régulièrement soumise à la Cour parce qu’elle est postérieure à la décision en question.

 

[57]           Dans sa lettre, la ministre Skelton indique simplement que le directeur examinerait la décision en équité au premier palier.

 

[58]           Je souscris à la position du défendeur selon laquelle la réponse à la pétition et la déclaration du ministre O’Connor faite à l’automne 2008 n’ont pas été régulièrement soumises à la Cour. Ces documents ne sont devenus accessibles qu’après que le directeur eut rendu sa décision relativement à l’examen au deuxième palier visée par la présente demande de contrôle judiciaire. Ces documents ne seront pas pris en compte.

 

[59]           Quoi qu’il en soit, la doctrine des attentes légitimes se rapporte au processus et non à l’issue. À cet égard, je renvoie à l’arrêt de la Cour suprême du Canada Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 26 :

Au Canada, la reconnaissance qu’une attente légitime existe aura une incidence sur la nature de l’obligation d’équité envers les personnes visées par la décision. Si le demandeur s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie, l’obligation d’équité exigera cette procédure. De même, si un demandeur s’attend légitimement à un certain résultat, l’équité peut exiger des droits procéduraux plus étendus que ceux qui seraient autrement accordés. Néanmoins, la doctrine de l’attente légitime ne peut pas donner naissance à des droits matériels en dehors du domaine de la procédure. Cette doctrine, appliquée au Canada, est fondée sur le principe que les « circonstances » touchant l’équité procédurale comprennent les promesses ou pratiques habituelles des décideurs administratifs, et qu’il serait généralement injuste de leur part d’agir en contravention d’assurances données en matière de procédures, ou de revenir sur des promesses matérielles sans accorder de droits procéduraux importants. [Renvois omis.]

 

[60]           Cet argument du demandeur ne peut être retenu. Les déclarations des ministres n’ont pas créé d’attente légitime concernant une procédure que l’ARC n’aurait pas suivie.

 

[61]           Le directeur a‑t‑il commis une erreur en entravant l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré? À cet égard, le demandeur fait valoir que le directeur a considéré que les paragraphes 73 et 88 de la circulaire IC07‑1 ne permettraient pas d’accueillir sa demande d’équité.

 

[62]           Le défendeur réplique que la décision du directeur mentionne plusieurs facteurs dont il a tenu compte, comme le fait que le demandeur a déposé sa déclaration de revenus pour 1999 [traduction] « de manière appropriée ». Il ajoute que rien ne prouve que le directeur a considéré que les paragraphes 73 et 88 énonçaient des règles générales.

 

[63]           Le défendeur soutient que le directeur a examiné plusieurs facteurs. Il a indiqué que l’ARC était d’avis que le demandeur avait déposé sa déclaration de revenus correctement. Or, à part cela, le directeur a simplement dit que le demandeur aurait pu déposer un avis d’opposition mais ne l’avait pas fait.

 

[64]           J’estime que les prétentions du défendeur ne peuvent être retenues. Le directeur n’a pas examiné « plusieurs facteurs ». Il appert de la décision qu’il a considéré l’expiration du délai de dépôt de l’avis d’opposition, visé au paragraphe 73 de la circulaire IC07‑1, comme une règle générale de nature à justifier le refus de l’allègement.

 

[65]           De façon similaire, le directeur cite le paragraphe 88 de la circulaire IC07‑1 ayant trait à la connaissance d’un règlement ou de l’établissement d’une nouvelle cotisation au profit d’un autre contribuable, mais sans s’y attarder. Le directeur répète plutôt que le demandeur avait la possibilité de présenter une opposition, mais qu’il ne l’a pas fait. Il confirme simplement la décision précédente.

 

[66]           À mon avis, le directeur n’a pas évalué les paragraphes 73 et 88, reproduits plus haut, ou réfléchi à ce sujet. Il semble avoir considéré ces dispositions comme des règles plutôt que comme des directives, ce qui est contraire aux dispositions de la circulaire IC07‑1 et à l’esprit de la législation pertinente, à savoir le paragraphe 152(4.2) de la LIR. Ce faisant, le directeur a, d’après moi, entravé à tort l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré.

 

[67]           Le directeur a‑t‑il omis de fournir des motifs adéquats?

 

[68]           Le demandeur soutient que le directeur a omis de fournir des motifs adéquats, et que, comme dans l’arrêt Lanno, il n’a pas expliqué pourquoi il avait été traité différemment de certains autres contribuables. Il ajoute que le directeur n’a fourni aucune indication quant à la raison du changement de la politique sur le traitement fiscal des sommes perçues au titre du PRPPA.

 

[69]           En réponse, le défendeur affirme que l’avocat du demandeur avait indiqué, dans la lettre du 13 décembre 2007, que la demande d’allègement était fondée sur une recommandation erronée transmise par le MPO et pas uniquement sur la décision Winsor. Le défendeur fait valoir que la question de la différence de traitement préférentiel n’avait pas été soulevée par le demandeur et que le directeur n’était donc pas tenu de l’examiner.

 

[70]           À mon avis, la lettre du demandeur datée du 13 décembre 2007 présentait clairement l’argument selon lequel le paragraphe 88 de la circulaire IC07‑1 n’était pas déterminant, puisque la demande du demandeur était fondée sur une recommandation erronée transmise par le MPO.

 

[71]           Quoi qu’il en soit, la lettre de décembre 2007 ne peut être interprétée de façon indépendante et séparée de la correspondance antérieure entre le demandeur et le directeur.

 

[72]           À cet égard, je renvoie à la lettre du 6 juin 2007 qui contient le titre [traduction] « Nous réclamons un traitement fiscal égal » et un exposé sur le sujet. Par la suite, le 10 juillet 2007, l’avocat du demandeur a résumé sa position selon laquelle [traduction] « cette démarche vise en fin de compte à garantir le même traitement fiscal à toutes les personnes du groupe particulier susmentionné ». Le traitement égal était manifestement une des questions litigieuses dont le directeur était saisi, mais il a complètement négligé d’expliquer pourquoi le demandeur avait été traité différemment des autres contribuables. J’en conclus donc que les motifs du directeur sont inadéquats.

 

[73]           Je me pencherai à présent sur les questions à contrôler selon la norme de la raisonnabilité, soit celles de savoir si le directeur a fait une constatation erronée et si, dans l’ensemble, sa décision est raisonnable. Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a dit ceci au paragraphe 47 :

Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

[74]           Le demandeur soutient que le directeur a commis un certain nombre d’erreurs précises de fait et de droit. Certaines de ces erreurs présumées procèdent de prétendues conclusions implicites. J’ai examiné tous les arguments du demandeur et les contre‑arguments du défendeur. Il ne me paraît pas nécessaire d’aborder chacun des arguments du demandeur pour statuer sur la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[75]           À mon avis, la décision du directeur ne satisfait pas à la norme de raisonnabilité car les motifs qu’il a exposés sont dépourvus de justification, de transparence et d’intelligibilité. Bien que la décision du directeur rendue en vertu du paragraphe 152(4.2) de la LIR soit discrétionnaire, elle doit être justifiée en droit. Dans l’arrêt Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, la Cour suprême du Canada a écrit, à la page 140 :

[traduction] […] La décision quant au refus ou à l’annulation d’un tel privilège est laissée à la « discrétion » de la Commission; mais ceci signifie que cette décision doit se fonder sur l’examen des considérations reliées à l’objet de cette administration.

 

 

[76]           À mon avis, le directeur a négligé d’évaluer plusieurs éléments pertinents, ce qui constitue une erreur susceptible de révision. Je donnerai des exemples précis de cette omission dans les paragraphes suivants.

 

[77]           Le directeur n’a pas expliqué pourquoi le demandeur avait été traité d’une façon différente des autres contribuables qui ont reçu des versements au titre du PRPPA. Il s’est contenté d’indiquer qu’une demande d’équité présentée aux termes du paragraphe 152(4.2) de la Loi ne pouvait se fonder uniquement sur le règlement dont a bénéficié un autre contribuable, et que le demandeur n’avait pas déposé d’avis d’opposition à la cotisation établie par l’ARC relativement à sa déclaration de revenus pour 1999.

 

[78]           Le PRPPA était un programme de rachat de permis et de retraite destiné à un nombre précis de pêcheurs travaillant dans une industrie et une région géographique délimitée; ceux qui ont reçu des versements dans le cadre de ce programme constituaient donc un groupe distinct de contribuables. Le raisonnement du directeur n’établit de différence qu’entre les pêcheurs qui ont déposé des avis d’opposition et ceux qui ne l’ont pas fait. Comme nous l’expliquions plus haut, le directeur était clairement saisi de la question des traitements différents. À mon avis, il aurait dû aborder cette question, et il a commis une erreur en ne le faisant pas.

 

[79]           Quant à la circulaire IC07‑1, le directeur se contente d’en citer des paragraphes sans s’étendre sur leur rapport avec la situation du demandeur ou sur les facteurs opposés. Le directeur prend acte des préoccupations du demandeur au sujet de l’avis fourni par l’ARC et le MPO en mars 2000, mais uniquement pour déclarer qu’à son avis le demandeur a déposé sa déclaration pour 1999 de manière appropriée.

 

[80]           Le défendeur qualifie la lettre de mars 2000 qu’a adressée le MPO au demandeur d’« avis » de l’ARC, et ajoute que s’il était en désaccord avec son contenu, il lui était loisible de déposer sa déclaration de revenus pour 1999 en conséquence. Quoi qu’il en soit, j’estime que la lettre de mars 2000 ne représentait pas simplement un avis, un énoncé de politique ou une interprétation technique de l’ARC, mais qu’elle avait plutôt qualité de directive.

 

[81]           Citant le paragraphe 73 de la circulaire IC07‑1, le directeur laisse entendre qu’un allègement ne saurait être accordé, car le demandeur ne s’est pas opposé à la cotisation établie pour sa déclaration de 1999. Ce raisonnement me paraît douteux et injustifié. Le demandeur a déclaré qu’il n’avait aucune raison de présenter une opposition puisqu’il avait déposé sa déclaration de 1999 conformément aux instructions de l’ARC. Le directeur a ignoré cette explication contenue dans les observations du demandeur en vue d’obtenir un allègement.

 

[82]           Qui plus est, en estimant que le demandeur avait déposé sa déclaration de revenus pour 1999 [traduction] « de manière appropriée », le directeur fait peu de cas des règlements que l’ARC a conclus avec d’autres contribuables ayant reçu des versements dans le cadre du PRPPA, de l’interprétation technique et de la décision Winsor rendue par la Cour de l’impôt.

 

[83]           Dans l’arrêt Cohen c. R., [1980] C.T.C. 318, 80 DTC 6250 (C.A.F.), au paragraphe 5, la Cour d’appel fédérale a déclaré :

 

À mon avis le juge de première instance a à bon droit rejeté cet argument. «… le Ministre a l’obligation, aux termes de la Loi, de fixer le montant de l’impôt exigible d’après les faits qu’il établit et en conformité de son interprétation de la loi. Il s’ensuit qu’il ne peut établir une cotisation pour un certain montant fixé afin de donner effet à un compromis … » La convention par laquelle le Ministre accepterait de cotiser pour les fins de l’impôt sur le revenue autrement que suivant la loi serait à mon avis illicite. Il s’ensuit que même si le dossier corroborait la prétention de l’appelant lorsqu’il affirme que le Ministre a accepté de considérer le gain ici en cause comme un gain de capital, cette convention ne saurait obliger le Ministre et ne lui interdirait pas de cotiser la contribution que doit verser l’appelant conformément aux exigences de la Loi. [Non souligné dans l’original.]

 

[84]           En d’autres termes, le ministre n’est pas autorisé à conclure avec des contribuables des règlements infondés en droit. En décembre 2003, l’ARC a proposé de considérer la moitié des sommes perçues au titre du PRPPA par un certain nombre de pêcheurs comme non imposable, et l’autre moitié comme des gains en capital. Cette offre était donc nécessairement conforme à la manière dont l’ARC comprenait la Loi et son application aux versements liés au programme.

 

[85]           Le fait que la moitié du versement du PRPPA relatif aux permis de pêche ait été considérée comme la disposition d’un bien en immobilisation entraînant un gain en capital contredit l’interprétation technique de septembre 2000 dont nous avons traité précédemment. L’ARC y formulait l’avis que la cession du permis de pêche au MPO correspondait à la disposition d’un bien en immobilisation admissible, imposable à titre de revenu d’entreprise.

 

[86]           Dans la décision Winsor, la Cour de l’impôt s’est fondée sur l’entente des parties selon laquelle la moitié des sommes perçues au titre du PRPPA se rapportait à la retraite volontaire des pêcheurs. La Cour a ensuite établi que l’autre moitié des sommes devait être considérée comme un gain en capital, ce qui ne correspondait pas à l’interprétation technique.

 

[87]           Il ressort des documents dont disposait le directeur que l’ARC a adopté des positions différentes en ce qui concerne la partie imposable des versements du PRPPA et la façon dont il fallait les traiter : revenu d’entreprise ou gain en capital?

 

[88]           Initialement, en mars 2000, l’ARC a indiqué aux pêcheurs, par le biais du MPO, que l’intégralité des sommes devait être considérée comme un gain en capital. En septembre 2000, l’ARC a publié l’interprétation technique informant le MPO que le produit de la vente d’un permis de pêche était imposable à titre de revenu d’entreprise. En décembre 2003, l’ARC convenait avec un certain nombre de contribuables que seule la moitié des versements effectués dans le cadre du PRPPA était imposable, et que l’autre moitié correspondrait à un gain en capital. Ensuite, devant la Cour de l’impôt, l’ARC s’est rangée à l’opinion selon laquelle la moitié imposable du versement du PRPPA devait être considérée comme un revenu d’entreprise.

 

[89]           Le directeur ne dit rien du fait que l’ARC a formulé des avis différents et contradictoires sur le traitement fiscal des sommes reçues au titre du PRPPA. Comme le demandeur a suivi les instructions initiales de l’ARC, plutôt que les positions ultérieures de l’ARC, il était à mon avis déraisonnable que le directeur se contente d’affirmer que le demandeur avait déposé sa déclaration de revenus pour 1999 [traduction] « de manière appropriée ».

 

[90]           Le directeur a porté atteinte au droit à l’équité procédurale du demandeur en omettant de fournir des motifs adéquats et en entravant l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré. Pour les motifs susmentionnés, la décision du directeur ne satisfait pas non plus à la norme de la raisonnabilité.

 

[91]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie avec dépens en faveur du demandeur, conformément à la colonne III du tarif B des Règles. La décision du 6 février 2008 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

[92]           Puisqu’il s’agit d’une instance par représentation, l’ordonnance rendue en l’espèce lie les personnes représentées dont le nom est inscrit à l’annexe A de l’ordonnance datée du 8 mars 2010, conformément au paragraphe 114(3) des Règles, qui dispose :

(3) Sauf ordonnance contraire de la Cour, l’ordonnance rendue dans le cadre d’une instance par représentation lie toutes les personnes représentées.

(3) An order in a representative proceeding is binding on the represented persons unless otherwise ordered by the Court.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie avec dépens en faveur du demandeur, conformément à la colonne III du tarif B des Règles. La décision du 6 février 2008 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-348-08

 

INTITULÉ :                                                   VICTOR WHITE c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             ST. JOHN’S (T.-N.-L.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 1ER OCTOBRE 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 16 MAI 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Eli Baker

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Caitlin Ward

Peter Leslie

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Eli Baker Law Office

St. John’s (T.-N.-L.)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

St. John’s (T.-N.-L.)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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