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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110513

Dossier : IMM-5639-10

Référence : 2011 CF 550

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 mai 2011

En présence de monsieur le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

GILBERT MOORE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi), d’une décision datée du 16 septembre 2010 par laquelle la demande de résidence permanente au Canada, pour des motifs d'ordre humanitaire (demande CH), du demandeur a été rejetée.

 

A.        Les faits

 

[2]               En juin 1997, le demandeur est arrivé au Canada, à l’Aéroport international de Vancouver, et a obtenu le statut de réfugié en mai 1999. Peu de temps après, il a fait une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire. Les documents qu’il a inclus avec sa demande ont été analysés et jugés faux. En janvier 2009, il y a eu une demande à la Section de la protection des réfugiés (la SPR) visant l’annulation de la demande d’asile du demandeur motivée par le fait que l'Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), agissant à la demande de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), ait intercepté un paquet, reçu en 1997, dans lequel se trouvaient de fausses pièces d’identité. En décembre 2009, la requête du demandeur a été jugée non recevable et la décision qui a mené à l’octroi du statut de réfugié a été infirmée.

 

[3]               Le demandeur a déposé une autre demande CH en avril 2009.

 

[4]               Le demandeur a épousé une citoyenne canadienne en 2002 et a trois jeunes enfants vivant au Canada.

 

B.        La décision du tribunal d’appel

 

[5]               L’agente d’immigration a rejeté la demande CH du demandeur.

 

[6]               L’agente d’immigration a étudié la relation maritale et l’intérêt supérieur des enfants. L’agente a noté que les problèmes de comportement à l’école du fils du demandeur pouvaient être liés à son anxiété causée par l’incertitude du statut d’immigration de son père. Cependant, puisqu’il a l’appui de sa mère et de l’école, il serait capable de s’ajuster au fait d’être séparé de son père. À la suite de l’examen d’un rapport d’un psychologue, l’agente d’immigration a convenu que Mme Moore et ses enfants souffriraient de difficultés émotionnelles et financières, mais a aussi noté que les enfants auraient l’appui de leur mère et des autres membres de la famille. De plus, l’agente a mentionné que déménager au Libéria représentait une option pour Mme Moore et ses enfants si le demandeur était déporté.

 

[7]               L’agente a par la suite analysé les facteurs d’établissement. Elle a observé que le demandeur avait occupé plusieurs emplois depuis 2007, qu’il a terminé des cours de niveau collégial et qu’il s’est impliqué dans sa communauté. L’agente a conclu que le demandeur démontrait un grand degré d’établissement au Canada. Cependant, puisque le degré d’établissement ne constitue pas un facteur déterminant dans une demande CH, elle a conclu que cela ne représentait pas un motif humanitaire suffisant pour donner droit à une dispense de visa, étant donné que le demandeur avait fourni de faux renseignements concernant son identité à plusieurs reprises au cours du processus.

 

[8]               En ce qui concerne le trouble de stress post-traumatique développé après l’expérience perturbante au Libéria, l’agente a noté que le psychologue s’est fié à des documents fournis par le demandeur et qu’il n’a pas réalisé une évaluation psychologique en bonne et due forme. Elle accorde peu d’importance à l’opinion de M. William sur les conséquences que pourrait avoir un retour au Libéria pour le demandeur.

 

[9]               Concernant l’identité du demandeur, l’agente a déclaré que les pièces utilisées par le demandeur pour prouver son identité, au début du processus d’immigration (lorsqu’il est arrivé et plus tard devant CIC), ont été jugées fausses. Les passeports obtenus en 1999 et en 2005 étaient [traduction] « probablement authentiques ». L’agente a conclu que le demandeur n’avait pas, jusqu’à présent, présenté de preuves crédibles suffisantes au sujet de son identité et que ses déclarations concernant la capacité du Libéria à fournir de tels documents étaient hypothétiques.

 

[10]           L’agente a conclu que le demandeur ne l’avait pas convaincue qu’il subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il devait demander la résidence permanente de l’extérieur du Canada. L’agente a ajouté que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment de pièces pour la convaincre de son identité et que la fausse déclaration à ce sujet constitue un tel facteur négatif important qu’il ne peut être contrebalancé par les facteurs humanitaires positifs.

 

C.        Les questions en litige

 

[11]           Les questions suivantes ont été soulevées par la présente demande :

(1)   Quelle est la norme de contrôle?

(2)   Est-ce que l’agente a commis une erreur en rejetant la demande CH au motif que le demandeur n’avait pas démontré son identité?

 

D.        Analyse

 

(1)        Quelle est la norme de contrôle?

 

[12]           Le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité.

 

[13]           La juge Dawson a discuté de cette question dans la décision Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 646, 167 ACWS (3d) 974 (QL), dans laquelle elle a mentionné au paragraphe 11 :

 

[j]usqu’ici, les tribunaux estimaient que la norme de contrôle appropriée dans le cas d’une décision fondée sur des raisons d’ordre humanitaire était celle de la décision raisonnable simpliciter  (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 57 à 62). Compte tenu du fait qu’une décision touchant à des raisons d’ordre humanitaire comporte l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et qu’elle est fortement tributaire des faits, c’est la norme de la décision raisonnable – qui appelle plus de retenue de la part de la Cour – qui s’applique (arrêt Dunsmuir, aux paragraphes 51 et 53).

 

[14]           La norme de contrôle appropriée est celle de la raisonnabilité.

 

(2)        Est-ce que l’agente a commis une erreur en rejetant la demande CH au motif que le demandeur n’avait pas démontré son identité?

 

[15]           La question principale de la présente affaire a trait à l’identité du demandeur. L’agente a fondé sa décision sur le fait que le demandeur avait fourni de faux renseignements à cet égard.

 

[16]           Le demandeur soutient que la conclusion de l’agente, voulant que son identité n’ait pas été établie, n’est pas appuyée par la mesure de renvoi de l’ASFC qui vise à déporter le demandeur au Libéria puisqu’ils sont convaincus qu’il est un citoyen libérien. Ainsi, la conclusion de l’agente serait contraire aux principes de justice fondamentale. Le demandeur allègue aussi que l’agente a restreint indument son pouvoir discrétionnaire en considérant l’identité du demandeur comme un facteur important, ce qui empêche une décision positive malgré des facteurs d’ordre humanitaire positifs. Cette question a été étudiée dans la décision Sultana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 533 [Sultana].

 

[17]           Le défendeur allègue que des facteurs positifs importants pour une demande CH à partir du Canada sont un bon dossier civil et la coopération avec les autorités de l’immigration. Il ajoute que la nationalité du demandeur n’est pas remise en question, mais que son identité l’est. Sans preuve démontrant la véritable identité du demandeur, des vérifications appropriées de sécurité et d’autre nature ne peuvent être entreprises. Le défendeur soutient que l’agente a dûment considéré tous les facteurs positifs qui lui ont été présentés et elle a conclu qu’ils étaient insuffisants pour l’emporter sur les facteurs négatifs importants qui sont que les autorités de l’immigration ne savent pas encore qui est le demandeur et que le demandeur n’a pas clarifié la situation. Le défendeur affirme que l’affaire Sultana ne s’applique pas en l’espèce.

 

[18]           La juge Mactavish a examiné la question de l’identité dans le contexte d’une demande CH dans la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 187, 39 Imm LR (3d) 208 (QL), où elle mentionne au paragraphe 25 qu’:

 

[e]ncore une fois, je ne suis pas convaincue que l'agente d'immigration ait agi d'une façon déraisonnable en tenant compte des questions que posait l'identité de M. Singh. L'identité du demandeur est une question cruciale au cours de la phase d'admissibilité de la procédure, mais cela ne veut pas pour autant dire que cette question est nécessairement non pertinente au premier stade. Les lignes directrices ministérielles régissant les demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire exigent que l'agent d'immigration examine la demande à la lumière de tous les renseignements connus du ministère. À mon avis, il n'était pas déraisonnable pour l'agente d'immigration d'examiner la question.

 

 

[19]           Donc, il était approprié pour l’agente de se pencher sur les questions touchant l’identité du demandeur.

 

[20]           Une situation factuelle similaire a été récemment étudiée par la Cour dans la décision Ebebe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 936, [2009] ACF no 1146 (QL) [Ebebe], dans laquelle le demandeur avait donné de fausses informations au sujet de son identité aux autorités de l’immigration et à sa famille, pour finalement admettre sa véritable identité avant que le processus de demande CH ne commence. Aux paragraphes 14 à16, le juge Barnes déclare que :

 

[14] M. Ebebe soutient également que l’agente a principalement concentré son attention sur la question de son inconduite, à l’exclusion d’autres facteurs pertinents et, particulièrement, à l’exclusion de l’intérêt supérieur de son enfant. Il fait valoir que cette décision comporte les mêmes faiblesses que celles qui ont été relevées dans la décision Sultana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2009 CF 533, [2009] A.C.F. no 653 (QL).

 

[15] Dans la décision Sultana, précitée, le décideur n’a pas tenu compte d’importants éléments de preuve et n’a pas soupesé adéquatement les éléments de preuve contraires. Cela ressort de façon évidente de la conclusion tirée par le juge Yves de Montigny au paragraphe 29 :

 

[...] Une lecture attentive des notes du STIDI révèle que l’agent d’immigration a considéré à plus d’une reprise l’omission de déclarer des membres de la famille comme un facteur primordial excluant toute possibilité que les facteurs d’ordre humanitaire puissent l’emporter sur l’exclusion prévue à l’alinéa 117(9)d) [...]

 

[16] Je ne suis pas convaincu que la décision faisant l’objet du présent contrôle comporte une erreur de la sorte qui a été relevée dans la décision Sultana, précitée. En l’espèce, on demande plutôt à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve et de réexaminer la décision de l’agente sur le fond. Ce n’est pas là le rôle de la Cour siégeant en contrôle judiciaire (voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 38.

 

 

La même analyse peut s’appliquer à l’espèce. Le demandeur a induit en erreur les autorités d’immigration depuis son arrivée au Canada et, tel que l’a fait remarquer l’agente, son identité reste à confirmer. Conséquemment, c’est un facteur dont l’agente peut tenir compte dans sa prise de décision.

 

[21]           Le demandeur soutient que l’agente a accordé trop d’importance à la question de son identité et qu’elle aurait dû donner plus de poids à l’intérêt supérieur des enfants. Le demandeur allègue que l’agente a erré son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants. Citant la décision Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, il prétend que le décideur doit considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important et qu’il se doit d’y être réceptif, attentif et sensible. Le demandeur soutient que l’analyse de l’agente concernant l’intérêt supérieur des enfants comporte des lacunes sur plusieurs points et que conséquemment, l’agente n’était pas réceptive, attentive et sensible à leur intérêt supérieur. Il souligne plusieurs erreurs commises par l’agente, notamment l’intérêt des plus jeunes enfants n’a été que sommairement évalué, l’agente n’a pas étudié les avantages que représente le non-renvoi du demandeur pour les enfants, l’agente n’a pas examiné la situation financière de la famille et elle n’a pas tenu compte des difficultés qui seraient causées par un déménagement de la famille du demandeur au Libéria.

 

[22]           Le défendeur prétend que l’intérêt supérieur des enfants a été étudié et pris en considération par l’agente. Il note l’absence d’un rapport d’expert au sujet des présumées actions du plus vieux des fils lorsqu’il a appris la situation de son père et le fait que l’agente a considéré la faible preuve relative aux deux plus jeunes enfants. Le défendeur a analysé les différents renseignements concernant l’impôt sur le revenu fournis par le demandeur et remarque que l’épouse du demandeur y a déclaré avoir reçu un revenu. Finalement, le défendeur allègue que l’agente n’a pas erré lorsqu’elle a pris en considération l’option pour la famille de déménager au Libéria, puisque le demandeur a lui-même présenté une preuve a l’effet que son épouse et ses enfants le suivraient au Libéria s’il y était renvoyé.

 

[23]           Dans la décision Ebebe, le juge Barnes a mentionné que l’agent était réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant. Après avoir examiné les conclusions de l’agent à cet égard, il a conclu au paragraphe 21 que :

 

[t]out ce qui précède confirme que l’agente a évalué l’intérêt supérieur de l’enfant avec soin et de manière approfondie. Essentiellement, l’argument présenté pour le compte de M. Ebebe est que cette décision est irrationnelle parce que, au bout du compte, les préoccupations de l’agente à propos de l’inconduite de M. Ebebe l’ont emporté sur les éléments de preuve appuyant le maintien de l’unité de la famille. Bien qu’une décision différente eût pu certainement être rendue dans le présent dossier, il n’était pas erroné d’accorder un poids très grand, sinon déterminant, à l’inconduite de M. Ebebe. Après tout, il s’agissait d’une affaire de fausses déclarations graves qui ont été faites pendant une longue période de temps et qui sont du type de celles sur lesquelles la Cour s’est penchée dans l’arrêt Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 CF 358, au paragraphe 19 :

 

Bref, la Loi sur l’immigration et la politique canadienne en matière d’immigration sont fondées sur la prémisse que quiconque vient au Canada avec l’intention de s’y établir doit être de bonne foi et respecter à la lettre les exigences de fond et de forme qui sont prescrites. Quiconque entre illégalement au Canada contribue à fausser le plan et la politique d’immigration et se donne une priorité sur tous ceux qui, eux, respectent les exigences. Le ministre, qui est responsable de l’application de la politique et de la Loi, est très certainement autorisé à refuser la dispense que demande une personne qui a établi l’existence de raisons d’ordre humanitaire, s’il est d’avis, par exemple, que les circonstances de l’entrée ou du séjour au Canada de cette personne la discréditent ou créent un précédent susceptible d’encourager l’entrée illégale au Canada. En ce sens, il est loisible au ministre de prendre en considération le fait que les raisons d’ordre humanitaire dont une personne se réclame soient le fruit de ses propres agissements.

 

 

[24]           En l’espèce, le demandeur ne s’est pas présenté à la Cour libre de tout reproche. Il a utilisé de fausses pièces d’identité pour appuyer sa demande d’asile lorsqu’il est arrivé au Canada. Il a déposé de nouveaux passeports lesquels auraient été délivrés en vertu d’un faux extrait de naissance. Même si les documents ont été jugés [traduction] « probablement authentiques », le demandeur n’a pas fourni de documents supplémentaires pour dissiper les incertitudes concernant son identité.

 

[25]           Il ne relève pas de la Cour de réévaluer la preuve qui a été présentée à l’agente. Les décisions de l’agente d’accorder une importance à la question de l’identité et de conclure que les facteurs d’ordre humanitaire, bien que positifs, n’étaient pas suffisants pour accorder la demande étaient raisonnables en l’espèce, puisque la véritable identité du demandeur n’avait pas été clairement et définitivement établie. Ainsi, le contrôle judiciaire devrait être refusé.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est refusée.

2.                  Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5639-10

 

INTITULÉ :                                       GILBERT MOORE

 

                                                                        demandeur

 

                                                            et

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 13 mai 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kristina Dragaitis

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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