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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110510

Dossier : T-1145-10

Référence : 2011 CF 537

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2011

En présence de monsieur le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

ERIC GALLANT

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

   MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 23 juin 2010 par M. Marc‑Arthur Hyppolite, sous‑commissaire principal à Service correctionnel Canada (ci‑après SCC), à l’égard d’un grief au troisième palier. Dans sa décision, M. Hyppolite a en partie accueilli le grief du demandeur.

 

1.         Les faits

 

[2]               Le 15 mars 2010, le demandeur a déposé deux griefs au troisième palier dans lesquels il affirmait que les retards continus dans le traitement de ses autres griefs étaient délibérés et constituaient une violation par SCC de son droit d’avoir recours au régime de règlement des plaintes.

 

A.        La décision contestée

 

[3]               En vertu du paragraphe 46 de la directive Plaintes et griefs des délinquants (la Directive 081), le commissaire s’est penché sur deux griefs portant sur la même question. Dans ces deux griefs, le commissaire a conclu que les griefs n’avaient pas été traités dans le délai prescrit de 25 jours et il les a donc accueillis en partie. Étant donné que le demandeur avait été informé, dans les deux cas, des raisons expliquant le retard, en application de la directive applicable, le commissaire a conclu que le grief était en partie non fondé.

 

[4]               Dans sa décision, le commissaire a également mentionné qu’une augmentation marquée du nombre de griefs au deuxième palier avait nui à la capacité du bureau régional de répondre aux griefs dans le délai prescrit. Des mesures correctives ont été mises en place et un plan d’action a été adopté pour régler ce problème.

 

B.        Les prétentions des parties

 

(1)               Les prétentions du demandeur

 

[5]               Le demandeur soutient que SCC n’a pas respecté son engagement parce qu’il n’a pas répondu, en violation de la Directive 081, à l’ensemble des plaintes et des griefs en temps opportun et a compromis la bonne marche du régime de règlement des griefs.

 

[6]               Le demandeur allègue que SCC a l’obligation de fournir un régime de règlement des griefs juste et expéditif en application des articles 90 et 91 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi). Dans ses observations succinctes, le demandeur soutient que l’intervention de la Cour est justifiée afin de veiller à ce que SCC respecte ses obligations juridiques imposées par les directives, la Loi et le règlement.

 

[7]               Le demandeur sollicite les ordonnances suivantes : 1) que l’administration régionale réponde à tout grief dans le respect des politiques applicables, 2) que l’administration régionale mette en place un régime conforme aux directives, à la Loi et au règlement et 3) que lui soit accordé les dépens et des dommages­intérêts punitifs.

 

[8]        À l’audience, le demandeur a aussi invoqué sa pièce B – un extrait de deux pages non daté tiré du rapport annuel du Bureau de l’enquêteur correctionnel, dans lequel on fait allusion à des recommandations et au rendement antérieurs de SCC liés à son traitement des griefs au troisième palier en 2006­2007 – comme preuve que le défendeur ne respecte pas ses obligations juridiques de répondre à l’ensemble des plaintes et des griefs en temps opportun.

 

(2)        Les prétentions du défendeur

 

[8]               Le défendeur soutient que, parce que SCC a dûment suivi les procédures établies par la loi en ce qui a trait à la prolongation du délai pour fournir une réponse, la décision visant les griefs au troisième palier était juste et raisonnable. En outre, le demandeur ne dispose d’aucun autre recours dans les circonstances.

 

[9]               Le défendeur allègue que la norme de contrôle applicable aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit est la raisonnabilité et que celle visant les questions de justice naturelle et d’équité procédurale est la décision correcte (Bonamy c. Canada (Procureur général), 2010 CF 153, 8 Admin LR (5th) 221) (Bonamy).

 

[10]           Le défendeur avance que le commissaire n’a pas commis d’erreur dans sa décision. Le commissaire s’est fondé sur la Directive 081, qui a été établie sur le fondement de la Loi. Le défendeur affirme que le commissaire a examiné le droit applicable et qu’il l’a appliqué aux faits dont il disposait. Il soutient aussi que, en ce qui a trait au traitement du délai, la bonne procédure a été suivie puisque le demandeur a été informé des raisons du délai et d’une date à laquelle il pouvait s’attendre à recevoir une réponse. Rien ne révèle que ce délai visait à nuire au droit du demandeur d’avoir recours au régime de règlement des plaintes.

 

[11]           Le défendeur a par la suite affirmé que la décision était juste, parce que les griefs du demandeur avaient été traités selon la procédure liée aux griefs des délinquants établie par la Directive 081. Afin de réfuter la prétention du demandeur quant au caractère injuste et à la lenteur de la procédure des griefs des délinquants, le défendeur mentionne que les griefs du demandeur n’étaient pas prioritaires et il invoque la décision Ewert c. Canada (Procureur général), 2009 CF 971, 355 FTR 170 (Ewert), qui portait sur cette question.

 

[12]           Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas été privé de son droit à l’équité procédurale puisqu’il a été informé des raisons des retards. Il affirme que SCC a respecté le paragraphe 41 de la Directive 081 et qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale. Il souligne aussi que la réponse au grief au troisième palier a été fournie dans le délai prescrit et qu’on ne peut ni prétendre ni prouver que les griefs du demandeur n’ont pas été pris au sérieux.

 

III.       ANALYSE

 

A.        La question en litige

[13]           La présente affaire soulève la question suivante :

Le commissaire a­t­il commis une erreur de fait ou de droit en concluant que les griefs du demandeur devraient être en partie accueillis?

 

B.        La norme de contrôle

[14]           Le juge Mainville aborde la question de la norme de contrôle applicable à une décision sur un grief au troisième palier présenté par un délinquant dans la décision Bonamy, précitée, au paragraphe 47, que le défendeur a cité :

Après l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick [2008 CSC 9], la Cour fédérale a conclu que la norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale et que la norme de la raisonnabilité s’applique aux questions de fait et aux questions mixtes de droit et de fait.

 

[15]           En l’espèce, le demandeur a soulevé des questions d’équité procédurale, il faut donc les traiter suivant la norme de la décision correcte. L’application du droit aux faits doit être contrôlée selon la norme de la raisonnabilité.

 

Le commissaire a­t­il commis une erreur de fait ou de droit en concluant que les griefs du demandeur devraient être en partie accueillis?

 

[16]           Les articles 90 et 91 de la Loi portent sur la procédure de grief et prévoient ce qui suit :

 

90. Est établie, conformément aux règlements d’application de l’alinéa 96u), une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants sur des questions relevant du commissaire. Accès à la procédure de règlement des griefs

 

90. There shall be a procedure for fairly and expeditiously resolving offenders’ grievances on matters within the jurisdiction of the Commissioner, and the procedure shall operate in accordance with the regulations made under paragraph 96(u). Access to grievance procedure

 

91. Tout délinquant doit, sans crainte de représailles, avoir libre accès à la procédure de règlement des griefs.

91. Every offender shall have complete access to the offender grievance procedure without negative consequences.

 

 

[17]           La Directive 081 établit les délais de la procédure de grief :

35. Les décideurs doivent répondre aux plaintes et aux griefs dans les délais décrits ci‑après.

 

 

35. Decision-makers will respond to complaints and grievances in the following timeframes:

 

 

Plaintes, griefs au premier et au deuxième paliers

 

Complaint, First Level and Second Level

 

Prioritaires - Dans les quinze (15) jours ouvrables suivant la réception de la plainte ou du grief par le décideur.

 

High Priority - Within fifteen (15) working days of receipt by the decision-maker.

 

Non prioritaires - Dans les vingt-cinq (25) jours ouvrables suivant la réception de la plainte ou du grief par le décideur.

 

Routine Priority - Within twenty-five (25) working days of receipt by the decision-maker.

 

Griefs au troisième palier

 

Third Level

 

Prioritaires - Dans les soixante (60) jours ouvrables suivant la réception du grief par le décideur.

 

High Priority - Within sixty (60) working days of receipt by the decision-maker.

 

Non prioritaires - Dans les quatre-vingts (80) jours ouvrables suivant la réception du grief par le décideur.

Routine Priority - Within eighty (80) working days of receipt by the decision-maker.

 

 

[18]           Le paragraphe 41 de la Directive 081 est ainsi libellé :

 

 

41. Si le directeur de l’établissement, le sous‑commissaire régional ou le directeur des Recours des délinquants juge qu’il a besoin d’un délai plus long pour traiter adéquatement une plainte ou un grief, il doit informer le plaignant par écrit des raisons de la prolongation du délai et de la date à laquelle il peut s’attendre à recevoir une réponse.

41. If the Institutional Head, the Regional Deputy Commissioner or the Director of Offender Redress considers that more time is necessary to deal adequately with a complaint or grievance, the griever must be informed in writing of the reasons for the delay and of the date by which he/she may expect to receive the response.

 

 

[19]           En l’espèce, le commissaire a informé le demandeur qu’il pourrait y avoir des retards en raison du nombre de demandes. Le paragraphe 41 de la Directive 081 prévoit que l’on doit, dans de telles circonstances, informer le demandeur d’une autre date de réponse. Par conséquent, le commissaire a respecté ses obligations imposées par les directives, la Loi et le règlement. À mon avis, on ne peut pas blâmer SCC parce qu’il y a eu une augmentation subite du nombre de griefs déposés.

 

[20]           Le rapport non daté invoqué par le demandeur porte sur une situation qui aurait existé entre 1998 et 2006. Il n’est donc pas pertinent dans la présente affaire qui porte sur le traitement de deux griefs déposés en 2010.

 

[21]           Le demandeur soutient que, de façon générale, en raison des retards subis, SCC ne respecte pas ses obligations imposées par les directives, la Loi et le règlement. Dans l’affaire Ewert, précitée, que le défendeur a citée, la Cour fédérale a abordé la question des retards dans le régime des griefs des délinquants. Le juge Lemieux a fait des observations sur les lenteurs indues dans le régime de grief des détenus et il a conclu ce qui suit au paragraphe 39 :

Comme l’a fait observer l’avocate du défendeur, la question de savoir si le régime de règlement des griefs est acceptable du point de vue des délais dépendra des circonstances propres à chaque cas particulier. Il peut fort bien y avoir des facteurs de nature à compliquer le processus décisionnel. Je reconnais avec le défendeur que, vu la preuve que j’ai devant moi, le régime établi par le SCC pour les griefs des détenus ne saurait a priori être qualifié de déficient pour cause de lenteur indue dans le traitement des griefs.

 

 

[22]           Cette observation du juge Lemieux s’applique en l’espèce. Malgré que le législateur souhaite que les griefs soient traités dans un délai assez court, d’autres facteurs, tels que le nombre de griefs devant être traités, peuvent avoir une incidence sur cette exigence. Les faits et la preuve dont la Cour est saisie ne lui permettent pas de conclure que des lenteurs indues ont fait en sorte que la procédure était injuste et non expéditive ou ne respectait pas les articles 90 et 91 de la Loi. La procédure appropriée a été suivie, et le demandeur a été informé d’une autre date de réponse. Le retard de six mois en l’espèce doit être apprécié à la lumière des dispositions applicables et, plus précisément, du paragraphe 41 de la Directive 081; il faut aussi tenir compte du fait que le grief n’était pas prioritaire. La décision rendue était correcte et raisonnable en ce sens qu’aucun principe d’équité procédurale n’a été violé et qu’aucune erreur de fait ou de droit n’a été commise.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1145-10

 

INTITULÉ :                                       ERIC GALLANT

 

                                                            c.

 

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 mai 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Eric Gallant

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Melissa Grant

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Eric Gallant

 

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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