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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110427

Dossier : IMM-3825-10

Référence : 2011 CF 475

Ottawa (Ontario), le 27 avril 2011

En présence de monsieur le juge Beaudry 

 

ENTRE :

 

DEO BUGEGENE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

        

MOTIFS D’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue le 8 juin 2010 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) de la Section de la protection des réfugiés. Il a conclu que le demandeur était exclu de l’application de la définition de réfugié selon la section 1F(a) de l’article premier de la Convention des nations unies relative au statut des réfugiés (la convention).

 

[2]               Pour les raisons élaborées ci-dessous, la demande sera rejetée.

 

Faits

 

[3]               Le demandeur est un citoyen du Burundi.  Il a revendiqué le statut de réfugié au Canada avec son épouse et ses enfants.

 

[4]               Le demandeur a été exclu de la définition de réfugié alors que les membres de sa famille ont été acceptés. 

 

[5]               Le demandeur est un Tutsi originaire du nord ouest du pays.  Il s’est joint à l’armée en 1973.

 

[6]               Deux semaine après son entrée dans l’armée, il est parti étudier l’artillerie anti-aérienne en URSS jusqu’en 1977.  Il allègue avoir subi de la discrimination parce qu’il n’était pas un Tutsi du sud. 

 

[7]               De retour au Burundi en 1977, le demandeur a fait l’école des sous-officiers, se concentrant toujours à la défense anti-aérienne.

 

[8]               Il est retourné en URSS de 1987 à 1990 pour une autre formation équivalant à un grade de maîtrise en sciences militaires.  Durant ces années, l’armée a commis des atrocités contre les Hutus dans son pays.

 

 

 

 

[9]               Les officiers du sud ont tenté un putsch le 3 juillet 1993.  Une autre tentative, le 21 octobre 1993, a conduit à l’assassinat du président Ndadaye.  Le demandeur explique dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) la façon dont il s’est opposé aux rebelles (dossier du tribunal pages 69 à 71).  Il s’est enfui pour demander l’asile auprès de la République Démocratique du Congo (RDC) où il a été arrêté et détenu pendant 21 mois.

 

[10]           Il a été accusé du meurtre du président Ndadaye mais cette accusation a été retirée.  Il a aussi été accusé de désertion de l’armée.  Il a été condamné à six mois avec sursis, mais a porté cette décision en appel et les procédures devant la Cour suprême ne sont pas terminées.

 

[11]           À son retour au Burundi, le demandeur a continué à avoir des problèmes avec les autorités en raison de sa prise de position pendant les évènements de 1993.  En octobre 2006, il a profité du changement de contexte politique pour donner une conférence de presse afin de restaurer sa réputation et faire avancer son dossier légal.

 

[12]           Suite à cette conférence, il a connu de graves problèmes: en 1997 on a jeté une grenade dans son commerce; en 2001 il a été arrêté et détenu durant quatre heures; en 2003 ou 2004, on a augmenté ses impôts de façon considérable et sa réhabilitation ne s'est pas terminée. Craignant pour sa vie et celle de sa famille, il s'est enfui. Ils sont venus au Canada le 9 avril 2007 revendiquant l'asile. 

 

 

 

Décision contestée

 

[13]           Pour ce qui est de la crédibilité, le tribunal a reconnu que le témoignage du demandeur ne comportait pas de contradictions, qu’il répondait de façon spontanée, sans hésitation et qu’une bonne partie de son témoignage était corroboré par une preuve documentaire abondante. 

 

[14]            Le tribunal a également conclu qu’en raison de ses opinions politiques, le demandeur a été persécuté.  Il a estimé que ses opinions politiques ont été démontrées par ses actes au moment du coup d’État manqué de 1993, son départ en RDC, ses contestations judiciaires au sujet de sa condamnation, et finalement lors de sa conférence de presse en 2006 lorsqu’il a parlé ouvertement de la situation et qu'il a émis ses opinions (décision, aux para 36 à 46).

 

[15]           Le tribunal a déterminé que les membres de la famille du demandeur sont des réfugiés au sens de la convention en raison de leur appartenance à un groupe social, soit celui de sa famille. 

 

[16]           Par contre, étant donné que le demandeur avait fait partie de l'armée pendant 20 ans soit de 1973 à 1993 et même s’il n'avait pas commis lui-même des crimes contre l'humanité, le tribunal l'a exclu en raison de sa connaissance des crimes commis par l'armée ainsi qu'en raison du poste qu'il occupait soit celui de major. Il aurait pu se dissocier en démissionnant de l'armée, ce qu’il n'a pas fait. Le tribunal l'a considéré comme complice par association en se référant à l'arrêt Pineda Collins c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 732. 

 

 

[17]           En se fondant sur une preuve documentaire abondante, le tribunal a constaté que des crimes avaient été commis par l'armée particulièrement dans les années 1965, 1972, 1988 et 1991. Il n'a pas cru le demandeur lorsque ce dernier a déclaré que lorsqu'il est entré dans l'armée en 1973 et même s'il n'avait que 20 ans, qu'il n'ait pas été au courant des atrocités commises par l'armée en 1965 et surtout en 1972.

 

[18]           De même, le tribunal n'a pas cru le demandeur lorsqu'il a déclaré qu'il était en Russie en 1988 et ne pas avoir été informé des crimes commis par l'armée durant cette année. Le demandeur avait allégué qu'il avait entendu parler que de rumeurs.

 

[19]            Quant au massacre de 1991, encore une fois, le tribunal n’a pas cru possible que le demandeur qui était en charge d’un camp militaire à Bujumbura, savait si peu de choses à ce sujet alors que le gouvernement avait admis un chiffre de 500 morts. Ce massacre avait eu lieu dans la province de Cibitoke et à Bujumbura.

 

[20]           Le tribunal s'est référé au FRP du demandeur ainsi qu’au procès-verbal de sa conférence de presse du 23 octobre 2006 pour inférer que ce dernier était au courant des crimes commis par l'armée. Le tribunal écrit ceci au paragraphe 81 de sa décision «… Il n'est pas certain que le demandeur pouvait avoir une influence déterminante pour contrecarrer les actions de l'armée. Quoi qu'il en soit, il n'a pas essayé de s'en dissocier. Le demandeur a dit qu'il ne connaissait qu'un seul collègue qui ait démissionné, ce qui a causé à celui-ci des ennuis de nature économique, à cause d’une directive qui l'empêchait d'être engagé sans l'autorisation de l'armée. Le tribunal considère que ces problèmes ne mettaient pas sa sécurité en jeu et ne pouvaient pas être une justification valable pour que le demandeur reste associé à l'armée… ».

 

[21]           En conclusion, il s'est dit d'avis que le demandeur aurait pu quitter l'armée bien avant 1993 et il ne l'a pas fait. De plus, à cause de sa connaissance des crimes commis et de son rang élevé dans l'armée, il y avait donc de sérieuses raisons de penser que ce dernier avait commis un crime contre l'humanité.

 

Analyse

[22]           Le demandeur soutient que le tribunal a commis deux erreurs importantes. Premièrement, il s'est mépris en droit dans la définition de complicité par association et deuxièmement, dans les faits, lorsqu'il a déclaré ne pas croire le demandeur au sujet de sa connaissance des crimes commis par l'armée lorsqu'il y est entré en 1973. Même scénario pour les massacres de 1988 et 1991.

 

[23]           Quant au premier argument, le demandeur cite les causes suivantes : Ramirez c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration) 1992 2 CF 306;  Bazargan CAF A-400-95; Bouasla c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration 2008) CF 930; Zazai c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration) 2005 CAF 303; Contreras Magan c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration) 2007 CF 888; Ezokola c Canada (Ministre de la citoyenneté et de  l'immigration) 2010 CF 662; Valère c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration) 2005 CF 524; Pineda Collins c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration) 2005 CF 732.

 

[24]           Se fondant sur ces causes, le demandeur plaide qu’en plus de la connaissance des crimes commis, il faut une intention commune, une implication personnelle « il faut que la personne ait mis sa roue dans l'engrenage » pour en arriver au concept de complicité par association.

 

[25]           Quant au deuxième argument, le demandeur allègue que les massacres de 1965 et de 1972 ne sont pas pertinents car l'armée burundaise n'a pas été considérée comme une organisation à but brutal et limité. De plus, au moment de son entrée dans l'armée il n'était pas au courant que l'armée avait commis des crimes, il croyait plutôt qu'elle était intervenue pour calmer la situation au lycée où il étudiait.

 

[26]           Quant aux événements de 1988, il indique qu'il était en URSS et que l'information véhiculée n'était que fragmentaire et des rumeurs circulaient à l'effet qu'il y avait eu affrontements entre les rebelles et l'armée.

 

[27]           Quant au massacre de 1991, le demandeur mentionne que lorsqu'il est revenu au pays en 1990, le président de l’époque avait adopté une politique de réconciliation nationale incluant la création d'une commission chargée de faire l'unité et une introduction des Hutus au sein du parti au pouvoir et du gouvernement.

 

[28]           Le tribunal aurait dû croire le demandeur lorsque ce dernier lui a expliqué qu'il n'a jamais été associé ni de près ni de loin aux crimes commis par l'armée. S’il a franchi des échelons importants au sein de celle-ci, c'est dû au fait qu'il n'avait pas de dossier disciplinaire et parce que les grades étaient obtenus de façon automatique.

[29]           Pour terminer, la meilleure preuve avancée par le demandeur concernant son absence d'intention commune avec les exactions commises par l'armée est son comportement lors des événements de 1993. En effet, il aurait été impliqué contre son gré dans une tentative de coup d'État. Il a tenté d'arrêter les putschistes mais les hommes sous son commandement ont contrevenu à ses ordres. Il n'a jamais cautionné ce putsch sachant très bien que cela signifiait un arrêt des changements démocratiques qu’il appuyait. Il a donc fui le pays et il a subit de la persécution par la suite à un tel point que les membres de sa famille ont été reconnus comme étant des réfugiés.

 

[30]           De son côté, le défendeur fait remarquer à la Cour que dans la cause Ezokola, un appel a été logé à la Cour fédérale d'Appel. Cette cause devrait être entendue sous peu. Les deux parties sont d'accord à ce que jugement soit rendu dans la présente cause sans attendre le résultat du jugement de la Cour d'Appel car les faits dans la présente sont très particuliers.

 

[31]           Au niveau du droit, le défendeur souligne que le Ministre n'a pas à prouver la culpabilité du demandeur au sens du code criminel afin que ce dernier soit complice par association. Il s'agit d'une preuve beaucoup moins onéreuse c'est-à-dire « avoir des raisons sérieuses de penser » qu'une personne à commis un crime, Bazargan c Canada (Le Ministre de la citoyenneté et de l'immigration).

                       

[32]           Récemment, le juge Boivin de notre Cour dans Ndabambarire c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration) 2010 CF 1, a fait une analyse exhaustive de la jurisprudence concernant la complicité par association. Il en a dégagé les critères suivants : la méthode de  recrutement; les postes et rangs dans l'organisation; la nature de l'organisation; la connaissance des atrocités;  la durée de la participation aux activités de l'organisation; la possibilité de quitter l'organisation. Il en a même conclu au paragraphe 38 que :

« [38] La complicité par association s'établit en analysant la nature des crimes reprochés à l'organisation ou au groupe persécuteur, avec lequel le demandeur a été associé, et ce, même si le groupe persécuteur n'est pas une organisation vouée à des fins limitées et brutales. La complicité par association peut être établie même si la personne visée par la clause d'exclusion n'était pas membre de l'organisation ou du groupe persécuteur. »

 

[33]           Je suis d'accord avec ce raisonnement et aussi avec la norme de contrôle retenue. En appliquant les principes dégagés dans cette affaire aux faits dans la cause sous étude, je ne crois pas déraisonnable la conclusion tirée par le tribunal au sujet de la complicité par association du demandeur aux crimes commis par l'armée tout au moins pour le massacre de novembre 1991.

 

[34]           Je m'explique. En présumant, mais sans en décider que le tribunal s'est trompé en reliant le demandeur aux atrocités commises par l'armée pour les années 1965, 1972 et 1988, je considère que les conclusions du tribunal d'avoir exclu le demandeur pour celles de 1991 sont appuyées par la preuve. En effet, la preuve documentaire sur laquelle s'est fondé le tribunal concernant l'existence et le lieu des crimes commis en 1991 n'est pas contestée.

 

[35]           Le demandeur occupait un poste militaire très élevé (commandant) dans l'armée à Bujumbura, un des lieux du massacre de 1991. Le demandeur s’est dissocié de l'armée qu'en 1993, lors du coup d'État. Lorsque le tribunal écrit au paragraphe 70 « ... Ceci n'a rien à voir avec des crimes commis par l'armée antérieurement, alors que le demandeur était non seulement un membre de l'armée, mais faisait partie de sa haute direction. », cette conclusion n'est pas déraisonnable compte tenu de la preuve.

 

[36]           Il en va de même quant à l'affirmation du tribunal à l'effet que le demandeur était au courant des crimes contre l'humanité commis par l'armée du Burundi alors qu'il en faisait partie.

 

[37]           L’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

[38]           Aucune question n'a été proposée pour être certifiée. Ce dossier n’en contient aucune.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3825-10

 

INTITULÉ :                                       Doe Bugegene

                                                            c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 6 avril 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                      le 27 avril 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stéphanie Valois

 

 

Me Michèle Joubert

POUR LE DEMANDEUR

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Stéphanie Valois

8772, rue Lajeunesse

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan

a/s :  Me Michèle Joubert

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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