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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110427

Dossier : T-1287-10

Référence : 2011 CF 492

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 avril 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

DWIGHT ST-LOUIS

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Monsieur St-Louis s’est vu refuser une pension au sens du Régime de pensions du Canada, R.C.S 1985, ch. C-8 (le RPC), car il a été déterminé qu’il ne répondait pas à la définition d’une personne « invalide » telle qu’établie dans le régime. Un tribunal de révision a confirmé cette décision. Un membre de la Commission d’appel des pensions (la CAP) a ensuite accordé à M. St‑Louis une autorisation d’interjeter appel de la décision du tribunal de révision. Le procureur général du Canada a alors, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et des articles 83 et 84 du RPC, sollicité le contrôle judiciaire de la décision d’accorder au défendeur l’autorisation d’interjeter appel. Les paragraphes suivants exposent les motifs pour lesquels je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.

 

 

LE CONTEXTE

 

[2]               M. St-Louis a travaillé en tant que camionneur de 1994 à 2001. Il a été sans emploi entre novembre 2001 et une date inconnue, en 2002. Le 20 janvier 2003, il a subi ce qu’il a qualifié de [traduction] « crise cardiaque ». Son médecin traitant a pour sa part parlé d’un [traduction] « infarctus du myocarde », c’est-à-dire une destruction des tissus cardiaques causée par une obstruction de l’arrivée du sang au muscle cardiaque. M. St-Louis avait suffisamment cotisé au RPC pour avoir droit à des prestations jusqu’en décembre 2003. En avril 2007, il a présenté une demande de pension d’invalidité en vertu du RPC. 

 

[3]               La demande de M. St-Louis a été rejetée; il a été déterminé qu’il n’avait pas pleinement répondu aux exigences relatives aux prestations d’invalidité. Pour avoir droit aux prestations d’invalidité, le défendeur devait établir qu’il avait satisfait aux exigences du RPC en matière de cotisations. Il devait également prouver que son invalidité était « prolongée » et « grave ». Comme il avait déposé tardivement sa demande, soit trois ans et demi après sa date d’admissibilité, il était également tenu de prouver que son invalidité était grave, prolongée et continue à compter de décembre 2003. Il a été conclu que M. St-Louis n’était pas atteint d’une invalidité depuis décembre 2003 et que, même s’il n’était pas en mesure d’exercer un travail exigeant des efforts physiques, il pouvait occuper d’autres types d’emplois.

 

[4]               La demande de réexamen de M. St-Louis a également été rejetée. Il a interjeté appel de cette décision auprès du Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (le BCTR).

 

[5]               Le tribunal de révision, dans une décision rendue le 26 février 2010, a conclu que M. St‑Louis n’avait pas fait d’efforts raisonnables pour entreprendre et suivre les programmes et traitements recommandés par les médecins traitants et les médecins-conseils, ni pour suivre des programmes de recyclage ou de formation qui auraient pu l’aider à trouver un autre emploi. Compte tenu de la preuve, y compris le témoignage de vive voix, le tribunal de révision a conclu que le défendeur n’avait pas établi qu’il était invalide au sens du RPC. Le défendeur a alors sollicité l’autorisation d’interjeter appel de cette décision devant la CAP. Sa demande d’autorisation d’appel se lit ainsi :

[traduction]

Je demande une AUTORISATION D’APPEL, car je suis admissible à des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada, étant donné que mon invalidité est grave et prolongée et qu’elle entraînera ma mort. Et les faits à l’appui de l’appel sont tous contenus dans mes dossiers médicaux, dont les responsables du PPIRPC disposent déjà.

 

 

[6]               Dans cette demande, M. St-Louis a également indiqué qu’il ferait appel à un service d’aide juridique. Toutefois, M. St-Louis ne s’est pas fait représenter par un avocat, n’a déposé aucune observation écrite et n’a pas comparu à l’audience. Les tentatives du personnel du greffe pour le joindre ont été vaines. L’audience s’est donc déroulée en son absence. L’avocat du demandeur, en tant qu’agent de la justice, a défini les questions en litige et fait valoir le bien-fondé de la demande de manière juste et équilibrée.

 

LA DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE

 

[7]               Dans une lettre datée du 14 juillet 2010, le registraire de la CAP a informé le défendeur que l’autorisation avait été accordée le 6 juillet 2010 par un membre désigné conformément à l’article 83 du RPC. Aucun motif n’a été fourni.

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[8]               La seule question à trancher dans le cadre de la présente demande est de savoir si le membre désigné a commis une erreur en accordant l’autorisation d’interjeter appel. 

 

LE CONTEXTE LÉGAL PERTINENT

 

[9]               Le RPC est un régime d’assurance sociale destiné aux Canadiens privés de gains en raison d’une retraite, d’une déficience ou du décès d’un conjoint ou d’un parent salarié : Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2000 CSC 28, au paragraphe 9; Procureur général du Canada c. Youssef Zakaria, 2011 CF 136, au paragraphe 17.

 

[10]           Le paragraphe 42(2) du RPC précise le sens du terme « invalidité ». Il prévoit qu’une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée :

 

42.

42.

[…]

[…]

 

(2) Pour l’application de la présente loi :

 

(2) For the purposes of this Act,

 

a) une personne n’est considérée comme invalide

que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :

 

(a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,

  (i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

   (i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and

 

(ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir  vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner  vraisemblablement le

décès;

 

  (ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the

disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death; and

b) une personne est réputée être devenue ou avoir cessé d’être invalide à la date qui est

déterminée, de la manière prescrite, être celle où elle est devenue ou a cessé d’être, selon le cas, invalide, mais en aucun cas une personne — notamment le cotisant visé au sous-alinéa 44(1)b)(ii) — n’est réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de la présentation.

 

(b) a person is deemed to have become or to have ceased to be disabled at the time that is

determined in the prescribed manner to be the time when the person became or ceased

to be, as the case may be, disabled, but in no case shall a person — including a contributor referred to in subparagraph 44(1)(b)(ii) — be deemed to have become disabled earlier than fifteen months before the time of the making of any application in respect of which the determination is made.

 

[11]           Le RPC prévoit un généreux processus d’appel pour les personnes qui ont présenté des demandes de prestations d’invalidité, mais qui ont essuyé un refus de la part du ministre. Les demandeurs peuvent faire réexaminer leur demande par le ministre en vertu de l’article 81 du RPC. S’ils sont insatisfaits de la seconde décision rendue, ils peuvent de nouveau interjeter appel de plein droit devant un tribunal de révision, aux termes de l’article 82 :

 

82. (1) La personne qui se croit lésée par une décision du ministre rendue en application

de l’article 81 ou du paragraphe 84(2) ou celle

qui se croit lésée par une décision du ministre rendue en application du paragraphe 27.1(2) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part,

peut interjeter appel par écrit auprès d’un tribunal de révision de la décision du ministre soit dans les quatre-vingt-dix jours suivant le jour

où la première personne est, de la manière prescrite, avisée de cette décision, ou, selon le cas,

suivant le jour où le ministre notifie à la deuxième personne sa décision et ses motifs,

soit dans le délai plus long autorisé par le commissaire

des tribunaux de révision avant ou après l’expiration des quatre‑vingt‑dix jours.

 

82. (1) A party who is dissatisfied with a

decision of the Minister made under section 81 or subsection 84(2), or a person who is dissatisfied with a decision of the Minister made under

subsection 27.1(2) of the Old Age Security Act, or, subject to the regulations, any person on

their behalf, may appeal the decision to a Review

Tribunal in writing within 90 days, or any longer period that the Commissioner of Review

Tribunals may, either before or after the expiration of those 90 days, allow, after the day on

which the party was notified in the prescribed manner of the decision or the person was notified in writing of the Minister’s decision and of

the reasons for it.

[…]

[…]

 

[12]           La personne déboutée par le tribunal de révision peut demander au président ou au vice‑président de la CAP l’autorisation d’interjeter appel de la décision du tribunal, comme l’énonce l’article 83 du RPC :

 

83. (1) La personne qui se croit lésée par une décision du tribunal de révision rendue en

application de l’article 82 — autre qu’une décision portant sur l’appel prévu au paragraphe

28(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse — ou du paragraphe 84(2), ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, de même que le ministre, peuvent présenter, soit dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant le jour où la décision du tribunal de révision est transmise à la personne ou au ministre, soit dans tel délai plus long qu’autorise le président ou le vice-président de la Commission d’appel des pensions avant ou après l’expiration de ces quatre‑vingt‑dix jours, une demande écrite au président ou au vice-président de la Commission d’appel des pensions, afin d’obtenir la permission

d’interjeter un appel de la décision du tribunal de révision auprès de la Commission.

 

83. (1) A party or, subject to the regulations, any person on behalf thereof, or the Minister,

if dissatisfied with a decision of a Review Tribunal made under section 82, other than a decision made in respect of an appeal referred to in subsection 28(1) of the Old Age Security Act, or under subsection 84(2), may, within ninety days after the day on which that decision was communicated to the party or Minister, or within such longer period as the Chairman or Vice-Chairman of the Pension Appeals Board may either before or after the expiration of those ninety days allow, apply in writing to the Chairman or Vice-Chairman for leave to appeal that decision to the Pension Appeals Board.

[…]

 

[…]

 

(4) Dans les cas où  l’autorisation d’interjeter appel est accordée, la demande d’autorisation d’interjeter appel est assimilée à un avis d’appel et celui-ci est réputé avoir été déposé au moment où la demande d’autorisation a été déposée.

(4) Where leave to appeal is granted, the application for leave to appeal thereupon becomes the notice of appeal, and shall be deemed to have been filed at the time the application for leave to appeal was filed.

 

 

[13]           Aux termes du paragraphe 83(2.1) du RPC, le président ou le vice-président de la CAP peut désigner un membre de celle-ci pour examiner la demande d’autorisation, comme cela a été le cas en l’espèce. C’est la décision du membre désigné d’accorder au défendeur l’autorisation d’interjeter appel qui est visée par l’appel du ministre demandeur.

 

ANALYSE

 

            La norme de contrôle applicable

 

[14]           Il est bien établi que la décision d’un membre de la CAP d’accorder l’autorisation d’appel donne lieu à deux questions, à savoir : 1) si l’on a appliqué le bon critère; et 2) si l’on a commis une erreur de droit ou d’appréciation des faits au moment de déterminer s’il s’agit d’une demande ayant des chances sérieuses d’être accueillie : Callihoo c. Canada (Procureur général), 2000 CanLII 15292 (C.F.), 190 F.T.R.114, au paragraphe 15; Mebrahtu c. Canada (Procureur général), 2010 CF 920, au paragraphe 8.

 

[15]           Le critère applicable en matière d’autorisation d’appel est une question de droit qui doit être analysée selon la norme de la décision correcte : Vincent c. Canada (Procureur général), 2007 CF 724, au paragraphe 26, 68 Admin. L.R. (4th) 183. La question de savoir si le membre désigné a commis une erreur en déterminant que la demande avait des chances sérieuses d’être accueillie est une question mixte de fait et de droit à laquelle s’applique la norme de la raisonnabilité : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Mebrahtu, précitée, au paragraphe 8; Samson c. Canada (Procureur général), 2008 CF 461, au paragraphe 14.

 

Le membre désigné a-t-il commis une erreur en accordant au défendeur l’autorisation d’interjeter appel de la décision du tribunal de révision?

 

[16]           Deux facteurs ont gêné la Cour dans son évaluation de la présente demande : l’absence de motifs fournis à l’appui de la décision du membre désigné, et l’omission du défendeur de comparaître et de soumettre des observations.

 

[17]           Le demandeur a soutenu que le membre désigné de la CAP avait commis une erreur en accordant au défendeur l’autorisation d’interjeter appel de la décision du tribunal de révision, au motif que le défendeur n’avait pas de chances sérieuses d’obtenir gain de cause. On a essentiellement fait valoir que le membre avait traité la demande d’autorisation comme un appel de plein droit. Toutefois, la demande d’autorisation ne révélait aucun nouvel élément de preuve, aucune erreur de droit ni aucune erreur de fait importante. Par conséquent, aux dires du demandeur, aucun élément n’a été soumis par le défendeur pour attester que sa demande d’autorisation était fondée.

 

[18]           Le demandeur a en outre fait valoir que le tribunal de révision avait procédé à une analyse approfondie de la preuve dont il disposait, notamment en examinant les maux allégués du défendeur et les preuves médicales à l’appui, ainsi que le témoignage du défendeur. Le demandeur a indiqué qu’il était loisible au tribunal de révision de conclure, en fonction de la preuve, que le défendeur n’avait pas établi qu’il était invalide au sens du RPC.

 

[19]           Lorsqu’elle est saisie d’une demande d’autorisation d’appel, la CAP doit établir s’il existe un motif défendable permettant de croire que l’appel sera accueilli. Elle ne doit pas décider si le demandeur peut avoir gain de cause. Le critère à deux volets applicable au contrôle judiciaire des demandes d’autorisation d’appel devant la CAP est énoncé au paragraphe 15 de la décision Callihoo, précitée :

[L]e contrôle d’une décision relative à une demande d’autorisation d’interjeter appel à la CAP donne lieu à deux questions :

 

1.      la question de savoir si le décideur a appliqué le bon critère, c’est-à-dire la question de savoir si la demande a des chances sérieuses d’être accueillie, sans que le fond de la demande soit examiné;

 

2.      la question de savoir si le décideur a commis une erreur de droit ou d’appréciation des faits au moment de déterminer s’il s’agit d’une demande ayant des chances sérieuses d’être accueillie. Dans le cas où une nouvelle preuve est présentée lors de la demande, si la demande soulève une question de droit ou un fait pertinent qui n’a pas été pris en considération de façon appropriée par le tribunal de révision dans sa décision, une question sérieuse est soulevée et elle justifie d’accorder l’autorisation.

 

Voir également : Canada (Procureur général) c. Pelland, 2008 CF 1164, au paragraphe 8.

 

 

[20]           Le demandeur a souligné, à juste titre, que la demande d’autorisation ne faisait expressément référence à aucune erreur de droit ou de fait. Cela est peut-être attribuable au fait que le défendeur se représentait lui-même, qu’il n’avait pas fait d’études au-delà de la onzième année et qu’il était par conséquent incapable de présenter une preuve très élaborée. L’autorisation a tout de même été accordée. Étant donné qu’on n’a fourni aucun motif et qu’aux termes du régime légal, on n’était pas obligé de le faire, il appartient à la Cour de déterminer si une question sérieuse avait été soulevée et justifiait d’accorder l’autorisation : McDonald c. Canada (Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2009 CF 1074, au paragraphe 7. Pour reprendre les termes utilisés par le juge Sean Harrington dans la décision Monk c. Canada (Procureur général), 2010 CF 48, au paragraphe 9 :

L’autorisation doit être accordée si la demande laisse entrevoir une cause défendable. Autrement, il n’y pas lieu d’évaluer le fond.

 

Dans Zavarella c. Canada (Procureur général), 2010 CF 815, au paragraphe 15, le juge Paul Crampton a déclaré ceci : « [U]n argument raisonnable en est un qui a une possibilité significative et réaliste de succès ».

 

[21]           Pour pouvoir déterminer si le bon critère juridique a été appliqué, on doit d’abord analyser le second volet du critère Callihoo. En ce qui a trait à de nouveaux éléments de preuve, le défendeur n’en a produit aucun. De fait, sa demande d’autorisation indiquait ceci : [traduction] « les faits à l’appui de l’appel sont tous contenus dans mes dossiers médicaux, dont les responsables du PPIRPC disposent déjà ». Étant donné qu’aucun nouvel élément n’a été soumis, on ne peut affirmer que la présente affaire soulève un argument défendable sur le fondement d’une nouvelle preuve. Néanmoins, pour déterminer si la demande soulève une question de droit ou un fait pertinent qui n’a pas été pris en considération comme il se doit par le tribunal de révision dans sa décision, la Cour doit examiner minutieusement la décision de ce dernier.

 

[22]           Le tribunal de révision a souligné, à juste titre, que pour être considérée invalide au sens du RPC, une personne doit être atteinte d’une invalidité « grave » ou « prolongée » : Régime de Pensions du Canada, au sous-alinéa 42(2)a)(ii). Le juge Marc Nadon, dans la décision Klabouch c. Canada (Ministre du Développement social), 2008 CAF 33, 372 N.R. 385, au paragraphe 9, a précisé de la manière suivante ce qu’on entend par là :

Le terme « grave » exige que l’invalidité rende la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice, tandis que le terme « prolongée » exige que l’invalidité soit vraisemblablement indéfinie ou puisse entraîner vraisemblablement le décès […]

 

Voir également : Canada (Procureur général) c. Flewin, 2010 CAF 172, 405 N.R. 265, au paragraphe 15.

 

 

[23]           Il ressort clairement de ses motifs que le tribunal de révision n’a pas admis que M. St-Louis était incapable d’occuper quelque emploi. Le tribunal de révision a pris note des antécédents professionnels et médicaux du défendeur, et il a tenu compte de son témoignage de vive voix, de ses dossiers médicaux et d’une partie des éléments de preuve provenant de professionnels de la santé. Le tribunal de révision a renvoyé à certains rapports médicaux, en indiquant que le défendeur ne tenait pas toujours compte de l’avis de ses médecins en ce qui a trait à certaines de leurs recommandations, c’est-à-dire cesser de fumer et subir un pontage coronarien. Le tribunal de révision a également pris acte de la description d’une journée type du demandeur en 2003, à savoir se lever à 10 h 30, manger et ne pas faire grand-chose. Il ne faisait aucun exercice et n’essayait pas de suivre des cours, ni par ailleurs de chercher un emploi. Ce genre de comportement, qui a commencé en 2003, s’est poursuivi jusqu’au moment de l’audience, en décembre 2009. Cependant, le tribunal de révision n’a pas fait mention du témoignage fourni par M. St-Louis dans sa demande de prestations d’invalidité, qui comprend les déclarations suivantes :

[traduction]

a.       Je deviens épuisé au bout de 5 minutes à me tenir debout ou à marcher;

b.      Je ne peux m’asseoir plus de 45 à 60 minutes en raison de douleurs au dos;

c.       Je peux étirer un bras pendant 1 min 4 s : le muscle commence à brûler au bout de 47 s; etc.

 

[24]           Dans la décision Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Mulek (1996), 1996 LNCCAP 38, appel no CP04719, il a été établi qu’une personne qui demande des prestations d’invalidité est obligée de faire tous les efforts raisonnables pour entreprendre et suivre les programmes et traitements recommandés par les médecins traitants et les médecins-conseils. En l’espèce, le tribunal de révision a cité cette décision à l’appui de sa conclusion selon laquelle le défendeur n’avait pas fait d’efforts raisonnables. De fait, il a souligné que le défendeur avait refusé de subir l’intervention chirurgicale pour l’unique raison que son médecin ne pouvait lui garantir que cela augmenterait son niveau d’énergie. Si elle se soustrait à de telles recommandations, la personne désireuse d’obtenir des prestations d’invalidité doit convaincre le tribunal qu’elle a eu raison de le faire : Bulger c. Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) (2000), 2000 LNCCAP 8, appel no CP09164. De prime abord, il semble que le tribunal de révision a eu raison de tirer cette conclusion. Néanmoins, l’analyse doit être poussée plus loin. 

 

[25]           Comme cela a d’abord été énoncé dans l’arrêt Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, 205 D.L.R. (4th) 58, aux paragraphes 32 et 38, puis récemment réitéré par le juge David Stratas de la Cour d’appel fédérale dans la décision E.J.B. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 47, au paragraphe 8, le sous‑alinéa 42(2)a)(i) du RPC donne fortement à penser que le législateur avait l’intention d’appliquer l’exigence concernant la gravité de l’invalidité dans un contexte « réaliste ». Le juge Stratas a expliqué cette approche en ces termes :

Cette analyse l’oblige à déterminer si un requérant, dans sa situation particulière et selon ses antécédents médicaux, peut travailler, c.-à-d. qu’il est régulièrement en mesure de détenir une occupation véritablement rémunératrice. L’employabilité n’est pas un concept qui se prête à l’abstraction. Elle doit plutôt être évaluée eu égard à toutes les « circonstances ». Les circonstances appartiennent à l’une ou à l’autre des deux catégories suivantes :

 

(a)  La « situation » particulière du demandeur. Des éléments comme « son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de vie » sont pertinents ici (Villani, précité, au paragraphe 38).

 

(b)  Les « antécédents médicaux » du demandeur. Il s’agit d’un examen approfondi dans le cadre duquel l’état du demandeur est évalué dans son ensemble. Toutes les détériorations du demandeur ayant une incidence sur son employabilité sont examinées, pas seulement les détériorations les plus importantes ou la détérioration principale. L’approche qu’il convient d’adopter pour évaluer l’état du demandeur dans son ensemble est compatible avec le paragraphe 68(1) du Règlement concernant l’application du Régime des pensions du Canada, lequel oblige le demandeur à fournir des renseignements très particuliers sur « toute détérioration physique ou mentale », pas seulement ce que le demandeur estime être la détérioration dominante.

 

[26]           Bien que le tribunal de révision ait reconnu son obligation de procéder à ce genre d’analyse, il s’est gardé d’agir en ce sens. En ce qui a trait aux antécédents de M. St-Louis, le tribunal de révision a souligné l’âge et le niveau de scolarité du défendeur dans la partie de ses motifs qui traitait de la preuve, sans toutefois expliquer en quoi ces facteurs avaient une incidence sur la situation personnelle de M. St‑Louis. Le tribunal de révision aurait pu s’interroger à savoir si son âge pouvait constituer un obstacle pour trouver un emploi, ou de quelle manière son niveau de scolarité ou son expérience passée pourraient l’aider à trouver du travail. Mais il s’est abstenu de le faire. 

 

[27]           La preuve au dossier indique aussi qu’à l’origine, le défendeur était opposé au pontage coronarien. Alors que son angine de poitrine continuait de s’aggraver, il a néanmoins consenti à subir l’intervention. Voir par exemple, à la page 83 du dossier, une lettre datée du 31 mai 2005 envoyée par le Dr Gupta, cardiologue du défendeur, au Dr Mathur, chirurgien cardiologue :

[traduction]

Il [M. St-Louis] a été recommandé à vos soins en mai 2003 pour le même motif, mais il a décidé de ne pas subir d’opération à ce moment-là pour des raisons personnelles. Mais son angine de poitrine de classe II s’est maintenant aggravée, et il est invalide. Il souhaite donc qu’on fasse quelque chose pour sa cardiopathie.

 

[…]

 

Il serait dans son intérêt de subir une chirurgie cardiaque, et il est prêt à se rendre dans votre établissement pour la même raison.

 

Le tribunal de révision n’a fait aucune mention de cette lettre dans sa décision, malgré qu’il ait indiqué expressément avoir [traduction] « examiné l’ensemble de la preuve médicale au dossier » et retenu [traduction] « des extraits de ces rapports, que nous avons considérés comme particulièrement pertinents pour en arriver à notre décision ».

 

[28]           Même s’il semble n’avoir finalement jamais subi l’opération, la réticence initiale de M. St‑Louis à cet égard, et plus tard sa volonté de considérer cette idée, peuvent donner à penser qu’il a tenté d’améliorer son état. L’omission du tribunal de révision de mentionner la lettre jette le doute sur la question de savoir s’il : a) l’a examinée comme il se doit; et b) a admis que son contenu témoignait d’un changement d’attitude chez le défendeur. Selon la preuve médicale, M. St‑Louis a des antécédents d’anxiété. Il ne serait pas exagéré de croire que son anxiété a pu jouer un rôle dans son refus initial de subir une chirurgie cardiaque. Encore une fois, le tribunal de révision n’en a pas parlé. En ce sens, on ne saurait dire que le tribunal de révision a procédé à une analyse approfondie des antécédents et de l’état de santé du défendeur de manière à tenir bien tenir compte de ces deux facteurs dans leur ensemble.

 

[29]           Qui plus est, le tribunal de révision a justifié de façon superficielle son rejet de la preuve du défendeur quant à son incapacité de faire quoi que ce soit. Il a affirmé que [traduction] « bien des gens victimes d’une crise cardiaque sont de retour au travail au bout de quelques mois ». Le tribunal de révision a ensuite concédé que la nature de leur travail était peut-être différente, mais qu’ils étaient quand même capables d’assumer certaines fonctions. Néanmoins, il n’a pas dit en quoi des facteurs tels que l’épuisement au bout de cinq minutes, ou encore l’incapacité de M. St-Louis de s’asseoir pour plus de 45 à 60 minutes ou de rester debout au-delà de 5 à 10 minutes, avaient pu avoir un effet sur sa capacité à trouver un autre emploi. En agissant ainsi, le tribunal de révision n’a pas adopté une approche « réaliste » lorsqu’il s’est penché sur les antécédents et l’état de santé du défendeur, au sens des décisions Villani et E.J.B.. Il a été établi qu’il s’agissait là d’une erreur de droit : Garrett c. Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines), 2005 CAF 84, au paragraphe 3.

 

[30]           Quant à la question de savoir si la maladie du défendeur était « prolongée », le tribunal de révision a pris note du pronostic du médecin de famille de M. St-Louis quant au caractère permanent de son problème de santé et au fait qu’il était susceptible d’évoluer ou de s’aggraver avec le temps. Toutefois, il a tiré une conclusion négative au sujet de son invalidité, sans expliquer pourquoi cet élément de preuve devrait être écarté. Étant donné que le caractère « prolongé » de la maladie est un critère à satisfaire pour pouvoir établir l’invalidité aux fins du RPC, et que cet élément de preuve traitait directement de ce point, on n’aurait pas dû se contenter de le noter, mais en discuter. 

 

[31]           Malgré qu’il ait dûment analysé les aspects de la loi et considéré le régime législatif et son application, l’omission du tribunal de recourir à une approche « réaliste » dans le cadre de son examen a pu constituer une erreur de droit. Son absence de prise en compte de certains faits a également pu constituer une erreur dans son appréciation des faits. Cependant, puisqu’il ne revient pas à la Cour de rendre une décision sur le fond, cette analyse s’arrêtera là. Encore une fois, et selon la décision Calihoo, précitée, la Cour est uniquement préoccupée par la question de savoir si on a commis une erreur en accordant l’autorisation d’appel. Cette norme est peu exigeante : McDonald, précitée, au paragraphe 7.

 

[32]           Compte tenu de ce qui précède, à mon sens, les motifs du tribunal de révision contiennent des raisons suffisantes pour justifier l’autorisation d’appel accordée par le membre désigné de la CAP. D’après le dossier, le défendeur avait des chances sérieuses d’obtenir gain de cause au moment où il a demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision du tribunal de révision, de sorte qu’aucune erreur n’a été commise eu égard à l’application du critère approprié. La décision du membre désigné de la CAP était donc raisonnable et elle doit être maintenue.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire de la décision d’accorder l’autorisation d’appel rendue le 6 juillet 2010 par un membre désigné de la Commission d’appel des pensions est rejetée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1287-10

 

INTITULÉ :                                       PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

                                                            c.

                                                           

                                                            DWIGHT ST-LOUIS

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 avril 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Tennille MacLeod

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Dwight St-Louis

(le défendeur n’a pas comparu)

POUR LE DÉFENDEUR

(défendeur agissant pour son propre compte)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

DWIGHT ST-LOUIS

Bruce Mines (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

(défendeur agissant pour son propre compte)

 

 

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