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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110420

Dossier : IMM-4454-10

Référence : 2011 CF 479

Montréal. (Québec), le 20 avril 2011

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

ENTRE :

 

JOSEPH VIL

MARIE JOSELENE SIDEL

ANCHELEAU VIL

TAMARA VIL

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ ET

DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 ch. 27 (la LIPR) d’une décision d’une agente ERAR rendue le 17 juin 2010 refusant la demande de résidence permanente des demandeurs présentée au Canada pour des considérations d’ordre humanitaire fondée sur le paragraphe 25(1) de la LIPR. Cette décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[2]               Les demandeurs, Joseph Vil (le demandeur principal) et son épouse possèdent la citoyenneté haïtienne. Ils vivent au Canada depuis le 12 novembre 2006 avec trois de leurs enfants. Deux de leurs enfants, aussi demandeurs en l’instance, possèdent la citoyenneté américaine alors que le troisième est citoyen canadien. Ils ont également quatre autres enfants qui sont demeurés en Haïti dont le demandeur assure le soutien à partir du Canada.

 

[3]               L’agente a-t-elle erré en refusant la demande de résidence permanente pour considérations humanitaires des demandeurs?

 

[4]               La norme de contrôle applicable pour réviser le contenu d’une décision rendue par un agent dans le cadre d’une demande de résidence permanente pour considérations humanitaires est la norme de décision raisonnable (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 au para 62 [Baker]; Nsongi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2010 CF 1291, au para 8; De Leiva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 717, au para 13; Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 677 au para 7.

 

[5]               Les demandeurs soutiennent que l’agente n’a pas pris en considération l’intérêt supérieur des enfants. Compte tenu du climat qui prévaut actuellement en Haïti, la conclusion que les enfants y retrouveront un encadrement parental propice à leur développement n’est pas raisonnable. L’agente a également ignoré l’intérêt supérieur de l’enfant qui possède la citoyenneté canadienne. Elle n’a pas non plus adéquatement évalué le degré et apprécié le parcours d’établissement des demandeurs au Canada.

 

[6]               Le défendeur soutient pour sa part que les demandeurs ne se sont pas déchargés de leur fardeau de démontrer qu’ils feraient face à des difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives advenant qu’ils doivent retourner en Haïti. L’agente a évalué le meilleur intérêt des enfants à la lumière de la preuve restreinte soumise par les demandeurs. Je suis de cet avis.

 

[7]               En vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, le Ministre possède le pouvoir discrétionnaire de permettre à un étranger se trouvant au Canada de déposer une demande de résidence permanente sans avoir à quitter le pays ou de l’exempter de toute obligation ou critère applicable en vertu de la LIPR, si des considérations humanitaires le justifient.

 

[8]               La jurisprudence établit qu’il revient aux personnes qui désirent bénéficier de cette exemption de démontrer qu’elles subiraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives advenant qu’elles doivent quitter le Canada (Raji c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration 2007 CF 653 au para 7; Gallardo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2007 CF 554 au para 12).

 

[9]               À la lumière de la preuve soumise par le demandeur, l’agent doit quant à lui évaluer l’ensemble des facteurs pertinents pour déterminer si des considérations humanitaires justifient l’octroi de la demande. Il n’appartient pas à la Cour de déterminer le poids qui doit être accordé à la preuve et elle ne peut intervenir au seul motif qu’elle aurait évalué les facteurs pertinents autrement (Baker, précité, aux para 54-56, 68, 73-75; Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), 2002 CSC 1, aux para 34 à 38; Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 125 au para 11; Mpula c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 456 au para 26).

 

[10]           L’intérêt supérieur des enfants constitue l’un des facteurs à prendre en considération. L’agent doit s’y montrer « réceptif, attentif et sensible » (Baker, précité, para 75). La présence d’enfants ne constitue néanmoins pas à elle seule une raison suffisante pour qu’une demande pour considérations humanitaires soit accordée.

 

[11]           Dans le dossier en l’espèce, le demandeur principal a présenté de très brèves représentations à l’appui de la demande pour considérations humanitaires et son épouse s’est contentée d’indiquer que les siennes étaient conformes à celles de ce dernier. À la question « Expliquez les raisons humanitaires qui vous empêchent de quitter le Canada », le demandeur principal a déclaré :

Plusieurs raisons justifieraient de me faciliter l’admission au Canada ainsi qu’aux membres à charge de ma famille. Ces raisons ont trait d’abord à la situation d’insécurité qui règne en Haïti, puis au fait que mes enfants nés aux USA n’ont jamais connu ce pays où ils risquent d’être des proies faciles pour les criminels de tout acabit. Troisièmement, nous avons démontré depuis que nous sommes au Canada une volonté sérieuse de nous intégrer, ce que nous avons fait par des activités diverses (bénévolat, travail, rencontres religieuses).

 

[12]           Il appert de la décision que l’agente a examiné l’ensemble des raisons invoquées par les demandeurs, mais qu’elle en a conclu qu’elles ne justifiaient pas de les dispenser de présenter leur demande de résidence permanente à l’étranger.

 

[13]           Relativement à l’établissement des demandeurs, elle a noté que ces derniers avaient occupé des emplois sporadiques depuis leur arrivée au Canada et qu’ils ont également bénéficié de l’assurance-emploi. Elle a également noté que les activités bénévoles et religieuses des demandeurs pouvaient se poursuivre en Haïti. Elle a néanmoins conclu que bien que leur parcours était somme toute positif, cet établissement ne pouvait à lui seul justifier la dispense demandée.

 

[14]           Quant aux enfants concernés, elle a évalué leur meilleur intérêt à la lumière de la preuve soumise par les demandeurs. Elle a pris en considération le fait que les enfants du demandeur se trouvant en Haïti recevaient son aide. Elle a également noté que bien que leurs écoles étaient fermées, cette situation était temporaire. Quant aux enfants se trouvant au Canada, elle a déterminé que malgré les difficultés qui secouent présentement le pays, il n’était pas déraisonnable de penser qu’ils puissent aussi y bénéficier d’une éducation et y apprendre le français.

 

[15]           Elle a également conclu que comme leur équilibre et leur stabilité provenaient du noyau familial, il n’était pas déraisonnable de penser que les enfants au Canada suivraient leurs parents et pourraient continuer à bénéficier du support parental. Enfin, elle a déterminé que le demandeur n’avait pas fourni de preuve probante à l’appui de son allégation que certains de ses enfants seraient la proie de criminels advenant un retour au pays. Elle a aussi noté que selon la preuve fournie, aucun de ses enfants se trouvant présentement en Haïti ne subissait une telle situation.

 

[16]           Ainsi, l’agente ne s’est pas contentée d’énumérer les facteurs en jeu mais a analysé l’intérêt des enfants et a démontré qu’elle comprenait le point de vue de chacun des participants dans l’ensemble des circonstances particulières du dossier en l’espèce. L’agente s’est donc montrée réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur, tant des enfants se trouvant au Canada que de ceux résidant toujours en Haïti.

 

[17]           Quant aux craintes de retour, elle a noté que le tribunal de Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié avait déterminé que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention de Genève. Elle a également noté des contradictions flagrantes dans plusieurs documents fournis par les demandeurs à l’appui de leurs allégations de crainte et a par conséquent décidé de leur accorder peu de force probante. Elle en a conclu que ces craintes n’équivalaient pas à des difficultés inhabituelles ou injustifiées justifiant la dispense demandée.

 

[18]           Elle a en outre considéré la catastrophe humanitaire qui touche actuellement Haïti depuis le séisme du 12 janvier 2010 mais a rappelé que les renvois vers ce pays étaient actuellement suspendus. Les demandeurs peuvent donc actuellement bénéficier de la protection du Canada et n’auront pas à retourner au pays tant que cette situation prévaudra.

 

[19]           Ainsi, l’agente a évalué l’ensemble des facteurs pertinents à la lumière de la preuve soumise par les demandeurs. Il leur revenait de démontrer qu’ils subiraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives advenant leur retour en Haïti, ce à quoi ils ne sont pas parvenus. Je reconnais que la Cour aurait pu accorder plus de poids à certains facteurs et qu’elle serait peut-être arrivée à une conclusion différente, mais ce rôle ne lui revient pas. La décision de l’agente appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

 

[20]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4454-10

 

INTITULÉ :                                       JOSEPH VIL ET AL.  c  MCI ET MSPC

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 19 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      le 20 avril 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Luc Desmarais

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Catherine Brisebois

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Luc Desmarais

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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