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Date : 20110411

Dossier : T‑1450‑10

Référence : 2011 CF 446

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 11 avril 2011

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

 

VITOL REFINING S.A.

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire et de redressement présentée par Vitol Refining S.A. à l’égard d’une décision de l’Agence du Revenu du Canada (ARC) communiquée aux avocats de Vitol par lettre datée du 10 août 2010. L’ARC a décidé de ne pas annuler la cotisation relative aux « intérêts débiteurs » payables par Vitol relativement à certaines opérations assujetties à la TPS/TVH, que celle‑ci avait divulguées à l’ARC en vertu du Programme des divulgations volontaires (PDV).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée avec dépens de 1750 $ en faveur du défendeur.

 

LES FAITS

 

[3]               La demanderesse Vitol (également appelée VRSA) vend des produits pétroliers au Canada, dont des produits décrits comme étant des matières premières. Vitol est enregistrée auprès de l’ARC aux fins de la TPS/TVH. La TPS (taxe sur les produits et services) est une taxe imposée par le gouvernement fédéral qui est calculée selon un pourcentage de la valeur pécuniaire de l’opération. La TVH (taxe de vente harmonisée) est une taxe semblable qui comprend la TPS et une taxe imposée par le gouvernement provincial, mais qui est perçue par le gouvernement fédéral. Selon les ententes conclues à certains moments entre le gouvernement fédéral et certains gouvernements provinciaux, la TVH est imposée relativement aux opérations effectuées dans certaines provinces à certaines dates; elle n’est pas imposée de manière uniforme dans toutes les provinces à une date donnée. Un vendeur comme Vitol est tenu de percevoir de ses clients la TPS ou la TVH applicable à toute opération, en fonction de la date et de la province où elle est effectuée. Si le client revend le produit acheté et s’il est enregistré auprès de l’ARC aux fins de la TPS/TVH, il doit à son tour percevoir de ses clients la TPS/TVH applicable. Au moyen d’un régime connu sous le nom de crédits de taxe sur les intrants, les clients de Vitol peuvent recouvrer la TPS ou la TVH payée à celle‑ci. Puisque les sommes payées passent relativement vite par les mains de l’ARC, ces opérations sont parfois appelées opérations sans effet fiscal.

 

[4]               Entre octobre 2006 et avril 2007, Vitol a vendu des matières premières à Terre‑Neuve à un client enregistré aux fins de la TPS/TVH. Ce client a raffiné les matières premières, a vendu les produits raffinés à d’autres clients et a perçu la TPS/TVH applicable. Vitol, toutefois, n’a perçu que la TPS (6 %) sur les matières premières vendues au client en question. Compte tenu des dates et de l’endroit où l’opération a été effectuée, Vitol aurait dû percevoir la TVH (14 %) sur le prix de vente. Vitol s’est rapidement rendu compte de son erreur et a fait une divulgation volontaire à l’ARC. La somme en question était considérable, la différence entre la TPS et la TVH s’élevant à plus de cent un millions de dollars. Le litige entre les parties ne porte pas sur ce montant, mais plutôt sur les intérêts payables. Aucune pénalité n’a été imposée.

 

[5]               Il existe deux types d’intérêts qui font l’objet d’une correspondance abondante entre l’ARC et les avocats et les comptables de Vitol. Le problème relatif à l’un de ces deux types d’intérêts a été réglé, l’autre reste en litige dans la présente instance. Le type d’intérêts pour lequel le problème a été réglé est défini comme « intérêts sur les opérations sans effet fiscal ». Le type d’intérêts pour lequel le problème demeure non résolu est défini comme « intérêts débiteurs ». Malheureusement, il semble que dans une partie de la correspondance ces termes ont été employés incorrectement ou utilisés de façon interchangeable, bien que leur sens ait été apparemment rétabli en fin de compte.

 

[6]               Les termes « intérêts sur les opérations sans effet fiscal » et « intérêts débiteurs » ont été définis par la demanderesse comme suit, au paragraphe 3 de la rubrique « Moyens d’appel » dans son avis de demande :

[traduction] Intérêts sur les opérations sans effet fiscal : Intérêts relatifs à la période entre la date à laquelle la taxe aurait dû être versée par le contribuable et la date à laquelle a été établi l’avis de cotisation.

 

Intérêts débiteurs : Intérêts relatifs à la période entre la date à laquelle a été établi l’avis de cotisation et la date à laquelle la taxe a été versée par le contribuable.

 

 

[7]               Le montant des « intérêts débiteurs » qui est en litige s’élève à un million dix‑neuf mille cinq cent soixante‑quinze dollars (1 019 575 $). Vitol a payé ce montant à l’ARC. Il s’agit de déterminer si l’ARC devrait réexaminer l’exigence de verser ce montant ou une fraction de ce montant dans les circonstances.

 

[8]               Les deux parties font valoir que les circonstances particulières de la présente affaire exigent d’accorder une attention particulière à la question de savoir si l’ARC aurait dû renoncer aux intérêts autrement payables. Chacune des parties a présenté des affidavits accompagnés de pièces. Vitol a présenté l’affidavit de John Zimmerman, vice‑président – Conformité. Le défendeur a présenté l’affidavit de Brian Miklos, directeur adjoint de la Division de l’exécution du Bureau des services fiscaux du Centre‑est de l’Ontario de l’ARC. Aucun des auteurs d’affidavits n’a été contre‑interrogé.

 

[9]               Voici les faits pertinents figurant dans les affidavits et les pièces jointes :

 

a.       Du 1er octobre 2006 au 30 avril 2007, Vitol a omis de percevoir de sa cliente, North Atlantic Refining Limited (NARL), et de verser à l’ARC la partie provinciale de la TVH, soit 101 336 891 $;

 

b.      Ernst & Young s.r.l (E & Y), le cabinet comptable représentant Vitol, a présenté à l’ARC une divulgation volontaire anonyme pour le compte de Vitol au sujet des taxes impayées;

 

c.       Le 23 octobre 2007, E & Y a communiqué à l’ARC le nom de Vitol et d’autres détails concernant la divulgation volontaire;

 

d.      Le 21 décembre 2007, l’ARC a envoyé une lettre à un employé désigné de E & Y qui, semble‑t‑il, avait alors quitté le cabinet, indiquant que la divulgation volontaire avait été acceptée comme valide et demandant de faire parvenir certains renseignements et dossiers au Centre fiscal de St. John’s;

 

e.       Il semble que la lettre en date du 21 décembre 2007 n’est jamais parvenue au destinataire désigné auprès de E & Y et qu’elle a fini par être renvoyée à l’ARC, non ouverte, le 12 juin 2008;

 

f.        Le 18 mars 2008, l’ARC a transmis par télécopieur à E & Y une copie de la lettre du 21 décembre 2007. Aucune réponse n’a été apparemment communiquée;

 

g.       Le 21 mai 2008, l’ARC a établi une nouvelle cotisation concernant la TPS/TVH à payer et l’a envoyée directement à Vitol. Cette nouvelle cotisation confondait les intérêts sur les opérations sans effet fiscal avec les intérêts débiteurs;

 

h.       Le 5 juin 2008, l’ARC a envoyé à Vitol une nouvelle cotisation concernant la TPS/TVH. Là encore, il y a eu confusion entre les intérêts sur les opérations sans effet fiscal et les intérêts débiteurs;

 

i.         Le 12 juin 2008, l’ARC a envoyé de nouveau à E & Y une copie de la lettre du 21 décembre 2007;

 

j.        Le 19 juin 2008, l’ARC a envoyé à Vitol une nouvelle cotisation concernant la TPS/TVH. Là encore, il y a eu confusion entre les intérêts sur les opérations sans effet fiscal et les intérêts débiteurs;

 

k.      Le 23 juin 2008, l’ARC a envoyé à Vitol une nouvelle cotisation concernant la TPS/TVH. Là encore, il y a eu confusion entre les intérêts sur les opérations sans effet fiscal et les intérêts débiteurs;

 

l.         Le 27 juin 2008, Vitol a obtenu que sa cliente, NARL, adresse une directive à l’ARC lui demandant de verser la première tranche de 101 336 891,22 $ du remboursement de la taxe nette qui lui était dû en acquittement du montant dû par Vitol. Cette dernière a déposé cette directive auprès de l’ARC le même jour;

 

m.     À l’audience, bien que cela ne ressorte pas clairement de la preuve, les avocats des parties ont convenu que, le même jour, soit le 27 juin 2008, un représentant de l’ARC a parlé au téléphone avec l’un des avocats de Vitol pour l’informer que l’ARC n’acceptait pas de telles directives;

 

n.       Le 10 juillet 2008, NARL (à qui l’ARC avait apparemment versé, le 7 juillet 2008, les sommes représentant le crédit de taxe) a payé à l’ARC le montant dû par Vitol, à savoir 101 336 891,22 $;

 

o.      Tout au long, il y a eu souvent des conversations et des appels téléphoniques entre l’ARC et les avocats de Vitol;

 

p.      Le 28 janvier 2009, les avocats de Vitol ont écrit à l’ARC pour demander un deuxième examen administratif relativement aux intérêts sur les opérations sans effet fiscal et aux intérêts débiteurs;

 

q.      Le 3 décembre 2009, onze mois plus tard, l’ARC a répondu. La cotisation relative aux « intérêts sur les opérations sans effet fiscal » a été annulée, mais non celle relative aux intérêts débiteurs;

 

r.        Le 21 décembre 2009, les avocats de Vitol ont répondu à la lettre de l’ARC du 3 décembre 2009 et ils ont présenté de nouveaux calculs quant au montant des intérêts débiteurs, examinant les circonstances et demandant l’annulation de la décision d’exiger le paiement des intérêts débiteurs;

s.       Le 31 mars 2010, l’ARC a publié des lignes directrices modifiées sur la renonciation aux intérêts et aux pénalités concernant la TPS/TVH qui remplaçaient les lignes directrices en place depuis 2000;

 

t.        Le 10 août 2010, l’ARC a envoyé une lettre aux avocats de Vitol dans laquelle elle refusait d’annuler sa décision relative aux intérêts débiteurs et calculait de nouveau la somme en question. C’est cette décision qui est contestée en l’espèce;

 

u.       Le 2 septembre 2010, l’ARC a envoyé à Vitol  un état des intérêts débiteurs, y compris des longs calculs;

 

v.       La présente instance a été introduite.

 

[10]           La décision faisant l’objet du contrôle est exposée dans la lettre de l’ARC en date du 10 août 2010 envoyée aux avocats de Vitol. La première page de la lettre passe en revue le contexte factuel et confirme la remise du paiement des intérêts sur les opérations sans effet fiscal. Elle confirme également le nouveau calcul par l’ARC des intérêts débiteurs établis à un montant moindre que celui calculé par Vitol. Les intérêts débiteurs en litige en l’espèce s’élèvent à 1 019 575,24 $.

 

[11]           À la deuxième page de la lettre du 10 août 2010, est énoncé le fondement du refus de l’ARC de renoncer aux intérêts débiteurs. La lettre indique ce qui suit :

 

[traduction]

À la partie B de votre lettre, vous soulevez essentiellement les deux points suivants :

 

                                                              i.      À un moment donné, une lettre envoyée par l’ARC au cabinet E & Y lui a été retournée non ouverte, ce qui a empêché E & Y de prendre connaissance des nouvelles cotisations en suspens et a retardé la demande de CTI. Selon votre lettre, la demande de CTI a été présentée par NARL le 18 juin et le remboursement a été obtenu le 7 juillet 2008 – dans un délai d’environ 20 jours. La lettre de décision qui a été retournée et dont vous faites mention était datée du 21 décembre 2007 et avait été envoyée par télécopieur à E & Y, le 18 mars 2008, à l’attention de Shawn Starks. C’était bien avant la date de la nouvelle cotisation, et si E & Y avait présenté la demande de CTI à ce moment‑là, il est probable que le remboursement aurait été émis avant la date comptable, soit le 15 mai 2008.

 

                                                            ii.      NARL a déposé auprès de l’ARC une directive demandant à celle‑ci de verser le remboursement de la taxe nette auquel elle avait droit dans le compte de TPS/TVH de Vitol. Selon nos dossiers, le 27 juin 2008, Dale Hill du cabinet Gowlings a été avisé par Michele Locke de l’ARC que l’Agence n’acceptait pas de telles directives.

 

Dans le cours normal des activités, les inscrits aux fins de la TVH doivent répondre aux exigences relatives aux liquidités pour remplir les obligations relatives au paiement des taxes dans les délais exigés. Cela n’est pas différent de leur obligation de payer pour les stocks – souvent bien avant de recevoir le paiement de leur client. En règle générale, le défaut de payer dans les délais exigés commande le paiement de frais d’intérêts. Dans ce dossier, le défaut de payer la taxe nette dans les délais exigés a donné lieu à des intérêts débiteurs. En ce qui concerne la TVH, le processus normal prévoit un décalage entre l’assujettissement à l’impôt et le versement du crédit de taxe sur les intrants et la Couronne se retrouve bénéficiaire de la valeur de rendement de l’argent. Il s’agit du cours normal des activités et il n’y a rien au dossier qui me permette d’accueillir votre demande d’annuler les intérêts débiteurs.

 

Les circonstances du dossier ont été minutieusement examinées et, comme il a été expliqué précédemment, tous les intérêts ont déjà été annulés, à l’exception des intérêts débiteurs accumulés entre la date comptable de l’opération et la date de paiement et le montant en question est moindre que celui calculé dans votre déclaration. Aucun autre redressement n’est justifié.

 

 

[12]           L’avocat de Vitol demande que cette décision soit annulée et que l’ARC soit tenue d’annuler les intérêts débiteurs payables par Vitol ou que l’affaire soit renvoyée à l’ARC pour nouvel examen par un autre agent.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[13]           Dans son mémoire, Vitol a énoncé trois questions en litige et plusieurs questions subsidiaires que son avocat a formulées à l’audience :

 

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

2.                  L’ARC a‑t‑elle limité de manière déraisonnable l’exercice de son pouvoir discrétionnaire?

 

3.                  L’ARC a‑t‑elle commis une erreur en omettant de tenir compte des circonstances particulières de la présente affaire dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire?

 

OBSERVATIONS GÉNÉRALES

 

[14]           La Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15, modifiée, prévoit la perception de la TPS et de la TVH à l’égard de plusieurs opérations. Le paragraphe 280(1) prévoit des intérêts payables sur tout montant que le contribuable ne verse pas ou ne paie pas. L’article 281.1 prévoit que le ministre peut annuler ces intérêts ou y renoncer :

 

 (1) Sous réserve du présent article et de l’article 281, la personne qui ne verse pas ou ne paie pas un montant au receveur général dans le délai prévu par la présente partie est tenue de payer des intérêts sur ce montant, calculés au taux réglementaire pour la période commençant le lendemain de l’expiration du délai et se terminant le jour du versement ou du paiement.

 

[. . .]

 

 (1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin d’une période de déclaration d’une personne ou sur demande de la personne présentée au plus tard ce jour‑là, annuler les intérêts payables par la personne en application de l’article 280 sur tout montant qu’elle est tenue de verser ou de payer en vertu de la présente partie relativement à la période de déclaration, ou y renoncer.

 

 

[15]           L’ARC a publié à l’occasion des lignes directrices sur la procédure à suivre, au nom du ministre, pour annuler des intérêts ou y renoncer. En septembre 2000, l’Agence a publié les lignes directrices visant, entre autres, les opérations sans effet fiscal et la divulgation volontaire. Le paragraphe 10 énonçait ce qui suit :

 

Divulgation volontaire – Lorsqu’une divulgation visant une opération sans effet fiscal est faite et qu’elle est acceptée par l’ADRC comme une divulgation valide conformément au  mémorandum sur la TPS (500‑3‑4), Divulgation volontaire (qui sera repris au titre de mémorandum sur la TPS/TVH (16.5)), la pénalité de 4 % ne sera pas appliquée à l’opération considérée comme une opération sans effet fiscal et déclarée dans le cadre d’une divulgation volontaire. Dans de tels cas, l’ADRC percevra seulement les taxes qui auraient dû être perçues au départ par le fournisseur relativement à cette opération.

 

 

[16]           Ces lignes directrices ont été modifiées le 31 mars 2010. Le paragraphe 10 a été remplacé par le paragraphe 11, lequel ajoute que les intérêts seront calculés sur les montants dus :

 

11.       Lorsqu’une divulgation visant une opération sans effet fiscal est faite et qu’elle est acceptée par l’ARC comme une divulgation valide conformément à la circulaire d’information en matière d’impôt sur le revenu Programme des divulgations volontaires (IC00‑1R2), le montant des pénalités et des intérêts sera d’abord réduit à 4 % du montant de l’opération au moment où la cotisation est établie. Cette pénalité de 4 % ne sera pas appliquée à l’opération considérée comme une opération sans effet fiscal et déclarée dans le cadre d’une divulgation en vertu du Programme des divulgations volontaires. Dans de tels cas, jusqu’à la date de la cotisation, l’ARC percevra seulement les taxes qui auraient dû être perçues au départ par le fournisseur ou le montant des CTI qui n’ont pas été dûment appliqués relativement à cette opération. Tout montant de la cotisation qui demeure impayé à la date de la cotisation sera assujetti, en vertu de l’article 280, à des intérêts calculés au taux réglementaire pour la période commençant à la date de la cotisation et se terminant à la date où le montant exigible est payé.

 

 

[17]           Une autre question à examiner est de savoir si l’ARC a eu raison de refuser d’accepter la directive de NARL voulant que les crédits de taxe qui lui étaient dus soient appliqués à la dette de Vitol. Selon l’avocat du défendeur, le pouvoir de refuser cette directive est prévu au paragraphe 229(1) de la Loi sur la taxe d’accise, précitée, lequel prévoit que le remboursement doit être payé à la personne qui le demande, et à l’article 26 de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F‑11, modifiée, lequel prévoit que tout paiement est subordonné à l’autorisation du Parlement. Le paragraphe 229(1) de la Loi sur la taxe d’accise prévoit ce qui suit :

 

229.(1) Paiement du remboursement de taxe nette – Le ministre verse avec diligence le remboursement de taxe nette payable à la personne qui le demande dans sa déclaration produite en application de la présente section.

 

 

[18]           L’article 26 de la Loi sur la gestion des finances publiques prévoit ce qui suit :

 

26.       Sous réserve des Lois constitutionnelles de 1867 à 1982, tout paiement sur le Trésor est subordonné à l’autorisation du Parlement.

 

 

[19]           L’ARC n’aurait pas dû conclure que ces dispositions l’empêchent d’agir selon une directive comme celle produite en l’espèce. Dans le cadre d’une opération commerciale normale, on obtempérerait à une telle directive. Il n’existe aucune disposition législative ou réglementaire prévoyant expressément d’une façon ou d’une autre comment l’ARC doit réagir à une telle directive. Il faut souligner que dans des décisions telles Union Gas Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1991] l C.T.C. 1 (CAF), et Wannan c. R, 2003 CAF 423, la Cour a estimé qu’il était acceptable que le contribuable puisse indiquer la manière de réattribuer des sommes par rapport à ses obligations fiscales. Bien que ces décisions portent sur diverses obligations fiscales d’un même contribuable, elles montrent que l’ARC devrait faire preuve d’une certaine souplesse dans l’examen de telles questions.

 

QUESTION 1 Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

[20]           L’avocat du procureur général soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité. L’avocat de la demanderesse soutient que la norme de la raisonnabilité ne devrait s’appliquer que si la Cour conclut que l’ARC a limité de manière déraisonnable l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Cela conduit à la deuxième question en litige.

 

QUESTION 2 L’ARC a‑t‑elle limité de manière déraisonnable l’exercice de son pouvoir discrétionnaire?

 

[21]           L’avocat de Vitol fait valoir que l’ARC a limité de manière déraisonnable l’exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a appliqué les lignes directrices de 2010 sur la divulgation volontaire et les opérations sans effet fiscal, lesquels prévoient expressément le paiement  d’intérêts sur les montants dus, plutôt que les lignes directrices de 2000 qui étaient muettes à cet égard. Sur ce point, j’attire l’attention des avocats des parties sur l’arrêt de notre Cour, Brunico Communications Inc. c. Canada (Procureur général), 2004 FC 642, où, s’agissant d’un programme d’aide à certains magazines, le ministre du Patrimoine canadien a tenu compte des lignes directrices nouvelles qui avaient été adoptées au cours de la période où l’affaire était à l’étude. Aucun avis n’avait été donné à la partie en question. Le juge von Finckenstein (alors de notre Cour) a écrit ce qui suit, aux paragraphes 19 à 22 :

 

19     Durant l’été et l’automne 2001, le ministre, suite à des consultations, a adopté en janvier 2002 une définition visant les journaux. Mais au lieu de l’appliquer au cycle de financement suivant, il l’a mise à effet à l’égard du cycle en cours et des demandes déjà à l’étude. En fait, le ministre a appliqué les règles énoncées dans le Guide 2002‑2003 à des demandes présentées en 2001‑2002. Autrement dit, il a publié un guide pour 2001‑2002 qui établissait une série de règles, pour ensuite en appliquer un autre.

 

20     Cette façon de procéder portait atteinte non seulement à la règle de l’équité procédurale la plus élémentaire (un demandeur devrait savoir comment présenter sa défense), mais aussi à l’expectative légitime fondamentale de la demanderesse (que le ministre se réglerait sur le Guide publié par ses soins).

 

21     L’avocat de la défenderesse a soutenu qu’on ne pouvait exciper du fait que les intéressés n’ont pas eu la possibilité de se conformer au nouveau système après son adoption. Lorsqu’on exécute un programme comme celui de l’Aide au contenu rédactionnel où les résultats antérieurs déterminent l’admissibilité à de futurs avantages, nul ne peut modifier les règles en cours de route sans prévoir pour cela des dispositions transitoires ou donner préavis à qui de droit. Quelque étendue que soit l’autorité discrétionnaire du ministre, l’équité procédurale élémentaire exige qu’il s’en tienne aux règles d’un programme qu’il a lui‑même publiées pour un cycle de financement donné.

 

22     Les décisions que Marie France Gosselin a prises au nom du ministre du Patrimoine canadien, le 18 mars 2002, au sujet des demandes de financement de Brunico concernant les publications Strategy et Playback, sont par conséquent infirmées et la question est renvoyée à Patrimoine Canada pour qu’il statue sur l’affaire conformément aux règles énoncées dans le Guide du demandeur 2001‑2002, de façon que Brunico puisse recevoir pour lesdites publications (si elles sont admissibles) les montants qu’elle aurait obtenus en l’absence des nouvelles règles adoptées le 25 janvier 2002.

 

 

[22]           L’avocat de l’ARC fait valoir qu’il suffit d’examiner les lettres rédigées par les avocats de Vitol, comme celle du 28 janvier 2009, pour comprendre que Vitol était tout à fait au courant du fait qu’elle devait payer des intérêts débiteurs et qu’une dispense à cet égard relevait du pouvoir discrétionnaire. En aucun temps, même sous le régime des lignes directrices de 2000, Vitol ou ses avocats ne pouvaient ignorer qu’il fallait payer des intérêts et que la dispense était discrétionnaire.

 

[23]           La question de l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire a été examinée dans des décisions comme Gandy c. Canada (Agence des douanes et du revenu), [2006] 5 C.T.C. 109, 2006 FC 862, au paragraphe 28, et 3500772 Canada Inc. c. Canada (MRN), [2008] 1 C.T.C. 1, 2008 FC 554, au paragraphe 43, sans que la Cour recherche expressément si cette question devait être examinée selon la norme de la « décision correcte » ou selon la norme de la « raisonnabilité ». On n’y mentionne pas l’arrêt de la Cour suprême du Canada Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190.

 

[24]           Dans la décision Première nation Waycobah c. Canada (Procureur général), 2010 CF 1188, le juge de Montigny de notre Cour a estimé qu’une question qui ne revêtait pas une importance capitale et qui n’était pas étrangère au domaine d’expertise du décideur administratif devait être examinée selon la norme de la raisonnabilité. Il a écrit ce qui suit, au paragraphe 23 :

 

23     L’argument fondé sur l’entrave au pouvoir discrétionnaire, soulève, par contre, une question de droit. Essentiellement, la demanderesse soutient que le sous‑commissaire de l’ARC n’a pas appliqué correctement le critère relatif à la remise énoncé dans la Loi sur la gestion des finances publiques et a omis de tenir compte de l’intérêt public, choisissant plutôt d’attribuer un caractère législatif aux lignes directrices de l’ARC. Une telle entrave au pouvoir discrétionnaire équivaut à une erreur de droit susceptible d’examen : voir, par ex. SRC c. Canada (Commission d’appel du droit d’auteur); 30 C.P.R. (3d) 269, [1990] A.C.F. n500 (C.A.F.). Cela dit, il ne s’agit pas d’une question de droit qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif : Dunsmuir, précité, au par. 55. La décision contestée commande donc l’application de la norme de la raisonnabilité.

 

 

[25]           Dans les circonstances de l’espèce, rien au dossier n’indique que l’ARC a agi selon les lignes directrices de 2010 et non selon les lignes directrices de 2000. Il ressort du dossier que les avocats de Vitol savaient parfaitement que la dispense relative aux intérêts débiteurs relevait du pouvoir discrétionnaire de l’ARC.

 

[26]           Je suis convaincu que l’ARC n’a pas limité l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

 

QUESTION 3 L’ARC a‑t‑elle commis une erreur en omettant de tenir compte des circonstances particulières de la présente affaire dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire?

 

[27]           L’avocat de Vitol fait valoir que l’ARC n’a pas tenu suffisamment compte des circonstances particulières de la présente affaire, et que la décision de ne pas renoncer aux intérêts débiteurs était donc déraisonnable. Voici quelques‑uns des facteurs qui constitueraient des circonstances particulières :

 

a.       le montant des taxes impayées est considérable, dépassant cent millions de dollars;

 

b.      l’opération en question constitue une opération sans effet fiscal et l’ARC n’a réellement rien à rembourser;

 

c.       Vitol a fait une divulgation volontaire et a pleinement collaboré avec l’ARC;

 

d.      l’affaire a connu un mauvais départ en raison des problèmes de communication avec le cabinet E & Y. Ce n’était pas la faute de Vitol;

 

e.       Vitol avait offert une solution viable lorsqu’elle a présenté à l’ARC la directive de NARL demandant que les sommes dues soient portées au crédit de Vitol.

 

[28]           L’avocat du ministre fait valoir que l’ARC a bel et bien tenu compte de l’ensemble des circonstances, notamment de ce qui suit :

 

a.       la somme de plus de cent millions de dollars est restée impayée pendant environ 51 jours après l’établissement des cotisations et leur notification à Vitol;

 

b.      la directive était loin de constituer une pratique courante et l’ARC a avisé Vitol de son refus de l’accepter le jour même de sa réception;

 

c.       l’ARC a renoncé aux pénalités et aux intérêts sur les opérations sans effet fiscal et a calculé de nouveau les intérêts débiteurs établissant un montant moindre en faveur de Vitol;

 

d.      Vitol n’a démontré aucune difficulté inhabituelle ou l’impossibilité de verser les sommes dues.

 

[29]           Je suis convaincu que l’ARC a amplement donné à Vitol la possibilité de présenter des observations et qu’elle a examiné ces observations de façon équitable. La question de la remise du paiement des intérêts relève du pouvoir discrétionnaire de l’ARC, à condition que ce pouvoir soit exercé de manière équitable et raisonnable. Rien en l’espèce n’indique que l’ARC n’a pas tenu compte ou a mal compris un élément important.

 

[30]           Les énoncés bien connus de la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir, précité, s’appliquent dans les circonstances. Je cite les paragraphes 46 et 47 :

 

46    En quoi consiste cette nouvelle norme de la raisonnabilité?  Bien que la raisonnabilité figure parmi les notions juridiques les plus usitées, elle est l’une des plus complexes.  La question de ce qui est raisonnable, de la raisonnabilité ou de la rationalité nous interpelle dans tous les domaines du droit.  Mais qu’est‑ce qu’une décision raisonnable?  Comment la cour de révision reconnaît‑elle une décision déraisonnable dans le contexte du droit administratif et, plus particulièrement, dans celui du contrôle judiciaire?

 

47     La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

[31]           La décision de l’ARC appartenait aux issues possibles raisonnables. Elle ne devrait pas être annulée par la Cour.

 

CONCLUSION ET DÉPENS

 

[32]           Par conséquent, la demande sera rejetée. L’avocat du défendeur a proposé des dépens au montant de 1 750 $. Je suis d’accord et j’accorderai des dépens au montant proposé.

 


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS énoncés :

 

LA COUR  STATUE que :

 

1.                  La demande est rejetée.

 

2.                  Le défendeur a droit aux dépens établis au montant de 1 750 $.

 

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1450‑10

 

INTITULÉ :                                                   VITOL REFINING S.A. c.
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 6 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   Le 11 avril 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Scott Kugler

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Laurent Bartleman/ Leslie Ross

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GOWLING LAFLEUR HENDERSON S.R.L.

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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