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Date : 20110412

Dossier : IMM‑4353‑10

Référence : 2011 CF 447

[traduction française certifiée, non révisée]

Toronto (Ontario), le 12 avril 2011

En présence de madame la juge Johanne Gauthier

 

Entre :

 

AMRINDER SINGH GILL

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

Motifs de l’ordonnance et ordonnance

[1]               M. Gill sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (SPR) a conclu qu’il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.R.C. 2001, ch. 27, parce qu’il n’a pas été jugé crédible et parce qu’il avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) en Inde.

 

[2]               M. Gill, un citoyen de l’Inde, était âgé de 17 ans et demi au moment de son audience devant la SPR, le 28 avril 2010. Il est entré au Canada le 8 août 2008. Il a présenté sa demande d’asile le 18 août 2008, alléguant craindre d’être persécuté en raison des opinions politiques qu’on lui attribuait. Selon M. Gill, il était recherché par la police du Pendjab, qui aurait recherché son père parce qu’elle croyait qu’il connaissait l’endroit où se trouvaient deux hommes soupçonnés d’être affiliés au groupe militant Babbar Khalsa International (le BKI). Dans son témoignage, le demandeur a indiqué que la police avait effectué deux descentes dans sa résidence au Pendjab à la recherche de son père. Il dit que son père est disparu un jour après s’être présenté au poste de police, comme il était tenu de le faire tous les mois. Après avoir obtenu des conseils juridiques, sa mère a tenté de rencontrer le commissaire de district pour l’informer de la participation possible de la police à la disparition de son mari. À la suite de cette initiative, le demandeur et sa mère ont été arrêtés en avril 2008. On a notamment pris leurs empreintes digitales et des photographies d’eux. Alors qu’elle était détenue, la mère du demandeur aurait été violée par la police. Peu après, le demandeur a fui au Canada. Lorsqu’il a présenté sa demande d’asile, un représentant commis d’office a été nommé, étant donné qu’il avait moins de 18 ans. Au début de l’audience, il a modifié son Formulaire de renseignements personnels (FRP) pour indiquer que même si sa mère avait vécu avec le frère de celle‑ci jusqu’en 2009, elle se cachait depuis lors. À l’audience, il a indiqué qu’il pouvait encore communiquer avec elle en téléphonant à son oncle maternel ou en prenant des mesures auprès de l’oncle en question[1].

 

[3]               La SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible et n’a pas cru son récit. La Commission a poursuivi en déclarant que même si le demandeur était crédible, il aurait eu une PRI à Mumbai, à Calcutta, à Madras ou à Delhi, car la police n’aurait pas eu la motivation ni les moyens de le rechercher et de le trouver. À l’audience, la SPR a demandé au demandeur s’il avait tenté d’obtenir un rapport médical confirmant le viol de sa mère par la police. Le demandeur a finalement répondu qu’il avait demandé à son oncle maternel d’obtenir ledit rapport, mais que le médecin avait refusé de le lui donner. La SPR n’était pas convaincue que le demandeur avait fait des efforts diligents pour obtenir le rapport[2].

 

[4]               M. Gill soulève plusieurs questions relativement à la décision de la SPR, notamment ses conclusions quant à la crédibilité et la question d’une PRI. À l’audience, il a plus particulièrement insisté sur la question de l’équité procédurale, à savoir que, selon lui, une conclusion défavorable quant à la crédibilité n’aurait pas dû être tirée à son égard en conséquence de son omission d’obtenir le rapport médical puisque le représentant commis d’office avait la responsabilité de l’aider à recueillir les éléments de preuve. La SPR aurait donc dû poser des questions audit représentant concernant la manière dont il s’était acquitté de cette obligation.

 

[5]               Il est bien établi, et les parties en conviennent, qu’à l’égard de l’appréciation de la SPR concernant la crédibilité et l’existence d’une PRI, la Cour devrait appliquer la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47 et 53; Cekim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 177, au paragraphe 6; Valencia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 203, au paragraphe 20). Par ailleurs, les questions d’équité procédurale sont contrôlées selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Mahdoon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 284, au paragraphe 20).

 

[6]               J’examinerai en premier lieu le prétendu manquement à l’équité procédurale. Tel que cela a été discuté lors de l’audience, l’équité procédurale n’existe pas dans le vide, mais est plutôt fonction du contexte (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 21 et 22; Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49, au paragraphe 40). En l’espèce, la SPR avait devant elle un demandeur instruit âgé de 17 ans et demi, qui a confirmé qu’il comprenait son obligation d’obtenir les éléments de preuve nécessaires à l’appui de sa demande d’asile et que cela lui avait été expliqué par un interprète lorsqu’il a signé son FRP en 2008. En outre, le demandeur ne s’est pas présenté seul à l’audience devant la SPR, mais il était assisté d’un représentant commis d’office et d’un avocat très expérimenté. Même s’il était très évident que la crédibilité du demandeur constituait une réelle préoccupation pour la SPR et que celle‑ci a semblé insatisfaite des tentatives du demandeur en vue d’obtenir une preuve médicale ainsi que d’autres éléments de preuve à l’appui de sa demande d’asile, son avocat d’alors n’a pas abordé cette question devant la SPR.

 

[7]               Malgré les efforts louables de l’avocat et son insistance à me convaincre du contraire, je ne peux pas convenir que l’omission de la SPR d’interroger précisément le représentant commis d’office à propos des efforts qu’il a faits pour aider le demandeur à obtenir les éléments de preuve nécessaires constitue automatiquement un manquement à l’équité procédurale. Dans les circonstances particulières de l’espèce, le représentant commis d’office semble avoir rempli son rôle. Le demandeur communiquait régulièrement avec deux adultes en Inde (son oncle maternel et sa mère), qui étaient en meilleure position pour déployer des efforts supplémentaires en vue d’obtenir les documents requis. Aucun élément de preuve n’a montré que sa mère avait fait des efforts pour obtenir son dossier médical, par exemple en signant à tout le moins un formulaire pour que le dossier soit remis à son frère. Qu’aurait pu faire de plus le représentant commis d’office? Dans un tel cas, la faute ne peut être rejetée uniquement sur le représentant commis d’office ou même sur l’avocat chevronné, alors que le demandeur a choisi d’attendre jusqu’en mars 2010, moment où une date a été fixée pour son audience, pour tenter d’obtenir des documents justificatifs auprès de son oncle maternel[3]. La SPR a posé plusieurs questions pour s’assurer que le demandeur comprenait ce qui était requis de lui et qu’il disposait de suffisamment de temps pour agir en toute diligence afin d’obtenir le genre de dossiers expressément mentionnés dans les documents transmis au demandeur. Les efforts consacrés ont tout simplement été insuffisants. Ces documents étaient d’autant plus importants qu’il n’y avait aucune preuve de la part de la mère du demandeur concernant ces événements. Le seul élément de preuve présenté était l’affidavit du sarpanch, qui mentionnait des faits dont il n’avait clairement pas personnellement connaissance, affidavit qui, comme l’a souligné le demandeur, semble être fondé sur ce que son oncle maternel a dit au sarpanch. La SPR n’a pas accordé de valeur probante à ce document.

 

[8]               Le demandeur affirme qu’en raison des nombreuses erreurs qu’il a soulevées, l’appréciation de sa crédibilité par la SPR était déraisonnable. Je ne peux pas être d’accord. Un lourd fardeau est imposé au demandeur qui souhaite contester l’appréciation de sa crédibilité par la Commission (Jassi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 356, au paragraphe 19; Nijjer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1259, au paragraphe 13). Même si je présumais que cette conclusion contient une erreur susceptible de contrôle, elle ne serait pas suffisante pour annuler la décision, puisque la conclusion de la SPR à l’égard de l’existence d’une PRI appuierait quand même sa conclusion finale de rejeter la demande d’asile du demandeur.

 

[9]               En ce qui concerne la PRI, le demandeur soutient que la SPR a omis de prendre en compte la totalité de la preuve qui indique que son nom serait inscrit dans une base de données de la police (POLNET) et que la police du Pendjab le rechercherait donc partout en Inde. La SPR est présumée avoir examiné l’ensemble de la preuve et, concernant cette question, elle a cité plusieurs documents du Cartable national de documentation sur l’Inde. La Cour ne peut pas conclure que sa pondération de la preuve était déraisonnable. Le raisonnement de la SPR est clair et renvoie à des éléments de preuve documentaire qui appuient sa conclusion. Le demandeur n’a relevé aucun renseignement critique provenant de la preuve documentaire qui remettrait en question la conclusion de la SPR selon laquelle « [l]e tribunal ne croit pas que le demandeur serait le type de personne dont le nom serait inscrit dans POLNET et qui serait recherchée partout au pays. »

 

[10]           Finalement, en ce qui concerne l’erreur alléguée selon laquelle la SPR a omis de se pencher sur les arguments du demandeur concernant son affiliation avec le BKI et le risque de son retour en Inde muni de titres de voyage irréguliers, la Cour ne peut pas, dans les circonstances particulières de l’espèce, convenir que ces arguments devaient être traités dans les motifs de la SPR. Le demandeur n’a pas été en mesure de présenter d’éléments de preuve convaincants à l’audience devant la SPR ou devant la Cour concernant son [traduction] « affiliation » au BKI. Le lien entre lui, son père et les deux amis de son père – qui étaient les personnes qu’on soupçonnait d’avoir une relation avec le BKI – est simplement trop ténu. Le demandeur ne pouvait pas non plus montrer que ses titres de voyage seraient [traduction] « irréguliers » (il avait un passeport valide), faisant en sorte que les autorités indiennes le soupçonneraient et qu’il ferait l’objet d’un interrogatoire serré à son retour. Il n’a pas soulevé ce risque dans son FRP, ni dans les modifications de son FRP à l’audience. Il ne l’a pas non plus soulevé au cours de son témoignage. Son avocat ne lui a pas posé de questions pour établir un lien entre sa situation et ce qui est écrit dans une partie de la preuve documentaire. Comme l’a souligné le juge Yves de Montigny dans Jakhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 159, au paragraphe 27, il ne suffit pas de simplement faire référence à la preuve documentaire objective relative à un pays pour prouver un risque personnalisé. Dans la présente affaire, l’avocat du demandeur a soulevé cette question uniquement lors de la plaidoirie et en renvoyant la SPR à un élément particulier de preuve documentaire objective. Le demandeur a omis d’établir un lien entre les faits de son dossier et cette preuve. La SPR n’était donc pas tenue d’en traiter.

 

[11]           En conclusion, la décision, prise dans son ensemble, appartient aux issues possibles acceptables eu égard à la preuve dont la SPR était saisie. La SPR n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale envers M. Gill.

 

[12]           La demande est rejetée.

 

[13]           Les parties n’ont demandé la certification d’aucune question et la Cour estime que la présente affaire demeure un cas d’espèce.


ordonnance

 

            LA COUR ORDONNE que :

La demande soit rejetée.

« Johanne Gauthier »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4353‑10

 

Intitulé :                                                   AMRINDER SINGH GILL c.
Le ministre de la citoyenneté
et de l’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 7 avril 2011

 

Motifs de l’ordonnance

et ordonnance :                                   la juge GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 12 avril 2011

 

 

Comparutions :

 

Michel Le Brun

 

Pour le demandeur

Émilie Tremblay

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michel Le Brun

Lasalle (Québec)

 

Pour le demandeur

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 



[1] On ne sait pas trop si la conviction du demandeur selon laquelle sa mère se cachait est fondée sur l’affidavit du sarpanch.

[2] À mon avis, la SPR entendait également les efforts de la mère du demandeur et de son oncle maternel.

[3] Même l’affidavit du sarpanch, la seule preuve à l’appui, a été souscrit à la fin de mars 2010.

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