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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110408

Dossier : IMM-3941-10

Référence : 2011 CF 441

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 avril 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

PARMANAND RAMAISCHRAND,

SALOME RAMAISCHRAND,

SASKIA SANDYA RAMAISCHRAND

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Ramaischrand et sa famille sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue le 22 juin 2010 par un agent d’immigration de Citoyenneté et Immigration Canada. L’agent a conclu que la situation des demandeurs ne permettait pas de les dispenser de l’obligation de présenter, de l’extérieur du Canada, leur demande de résidence permanente. Pour les motifs suivants, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[2]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR ou la Loi).

 

LE CONTEXTE :

 

[3]               M. Ramaischrand, sa femme et sa fille sont originaires du Guyana et sont arrivés au Canada en tant que visiteurs en 2002. Ils ont demandé asile en juillet 2003 et leur demande fut rejetée en octobre 2004. La demande de contrôle judiciaire adressée à la Cour concernant la décision défavorable rendue par la Section de la protection des réfugiés fut rejetée en juillet 2005. En novembre 2005, ils ont fait leur demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH). La famille a de la parenté au Canada; les deux adultes ont des emplois, ils sont engagés dans leur communauté et leur enfant va à l’école. M. Ramaischrand est le père de trois filles issues d’une union antérieure et celles-ci demeurent toujours au Guyana.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE :

 

[4]               L’agent d’immigration a procédé à l’évaluation des liens sociaux des demandeurs, du degré de leur installation au Canada, des difficultés qui pourraient survenir dans le cas où l’enfant demanderesse serait renvoyée au Guyana de même que les efforts qu’ils auraient à déployer pour se remettre sur pied financièrement s’ils retournaient dans leur pays d’origine. L’agent a conclu que la séparation de leur famille et de leurs proches résulte du fait de devenir des résidents d’un autre pays, que l’enfant demanderesse pourrait être passer au programme scolaire guyanien avec le soutien de ses parents et qu’il pourrait s’avérer avantageux pour elle-même et M. Ramaischrand d’être réunis avec ses trois filles, qui sont les demi-sœurs de l’enfant demanderesse. L’agent a conclu qu’il n’y avait aucune preuve démontrant que le bien-être de l’enfant serait compromis ou que les demandeurs ne pourraient, au fil du temps, se réinstaller dans la communauté guyanienne. Il a également conclu qu’ils ne seraient pas touchés personnellement par la criminalité au Guyana.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE :

 

[5]               Selon les parties, les questions en litige concernant les erreurs possibles de l’agent sont :

1.      sa conclusion selon laquelle le taux de criminalité au Guyana n’entraînerait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives;

2.      son analyse de l’installation;

3.      son omission d’obtenir une évaluation des risques;

4.      son évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

 

ANALYSE :

 

            La norme de contrôle

 

[6]               Comme l’a fait remarquer l’honorable Robert Mainville, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, dans Medina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 504, au paragraphe 23 :

Dans une procédure de contrôle judiciaire qui touche des décisions discrétionnaires rendues par des organismes administratifs, la norme à appliquer est généralement celle de la raisonnabilité : « [e]n présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée (Mossop, aux p. 599 à 600; Dr. Q, au par. 29; Suresh, aux par. 29 à 30) » : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 53 [non souligné dans l’original].

 

La norme de la raisonnabilité s’impose ici : Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 646, aux paragraphes 10 à 13.

 

L’agent a-t-il fait erreur en concluant que le taux de criminalité au Guyana n’entraînerait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives?

 

[7]               Les demandes CH doivent faire état d’un certain risque concernant le demandeur en particulier : Lalane c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 6, aux paragraphes 1 et 38. Il revient donc au demandeur de démontrer ce risque. Dans l’affaire dont la Cour est saisie, la réponse suivante fut donnée dans le formulaire de la demande CH à la question [traduction] « À quelle difficulté injustifiée serez-vous soumis si vous devez présenter, comme cela est requis par la loi, votre demande dans un bureau des visas à l’extérieur du Canada? »

 

[traduction]

 

Je n’aurai nulle part où vivre si je dois partir. Je devrai me trouver un emploi et cela sera difficile. Nous avons perdu notre commerce et en ouvrir un autre serait impossible et tous les crimes dont sont victimes les commerces, ça serait trop dangereux. Il va falloir que je recommence complètement ma vie et cela va créer beaucoup de difficultés pour ma famille et moi-même. La situation est encore pire qu’elle l’était avant.

 

[8]               Ceci est la seule référence faite à la criminalité dans tout le dossier. Les demandeurs ont affirmé que l’agent n’avait pas tenu compte de la [traduction] « documentation sur les conditions du pays qui confirme l’anarchie de même que l’absence de protection des autorités policières ». Toutefois, ladite documentation ne se trouve pas dans le dossier. Cette preuve concernant la criminalité au Guyana ne se trouve que dans la demande de contrôle judiciaire. En fait, la demande CH se concentre plutôt sur leur installation et l’intérêt supérieur de l’enfant. Par conséquent et vu l’absence de preuve, il ne peut être dit que l’agent a fait erreur en concluant que les demandeurs n’éprouveraient pas de difficultés injustifiées, inhabituelles ou excessives en raison de la criminalité au Guyana. 

 

[9]               Même si un risque généralisé pouvait être prouvé, cela ne serait pas assez pour obtenir une réponse favorable à une demande CH : Paul c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1300, au paragraphe 8. Comme l’a fait remarquer le juge Shore dans Lalane, précitée, au paragraphe 38, il doit y avoir un lien entre les preuves corroborant le risque généralisé et celles concernant le risque personnalisé. Sans quoi, « chaque ressortissant d’un pays en difficulté devrait recevoir une évaluation positive de sa demande CH, peu importe sa situation personnelle en cause, ce qui n’est pas le but et l’objectif d’une demande CH ». L’agent a donc conclu de manière raisonnable que les demandeurs n’avaient pas réussi à prouver que la situation comportait un risque personnalisé.

 

L’agent a-t-il fait erreur dans son analyse de l’installation?

 

 

[10]           Les demandeurs renvoient à Amer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 713, 81 Imm. L.R. (3d) 278, s’appuyant sur Jamrich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 804 (C.F. 1re inst.), et Raudales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 385, pour étayer leur allégation selon laquelle l’agent aurait omis d’évaluer le degré de leur installation au Canada. Dans ces dossiers, l’agent avait pris une décision quant à l’installation sans prendre en compte la situation du demandeur. Il est possible d’établir une distinction entre ces décisions et la présente affaire. Dans la présente affaire, l’agent a clairement évalué les emplois des demandeurs, le bénévolat qu’ils ont fait dans le passé, leurs formations scolaires et professionnelles, de même que leurs engagements dans divers groupes communautaires. Tout bien considéré, l’agent a procédé à un examen minutieux et particulier des preuves importantes de l’installation de cette famille : Singh c. Canada, 2009 CF 1062, au paragraphe 11. Aucune erreur n’a été commise.

 

L’agent a-t-il fait erreur en omettant d’obtenir une évaluation des risques?

 

[11]           Les demandeurs affirment que, parce qu’il y avait allégation de risque, l’agent se devait d’observer les Lignes directrices et procédures de Citoyenneté et Immigration Canada (les Lignes directrices) et d’envoyer leur dossier pour un examen distinct des risques avant renvoi. Les Lignes directrices n’ont cependant pas force de loi et ne lient pas les agents : Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, au paragraphe 20.

 

[12]           Les faits exposés dans la présente affaire ne sont pas semblables à ceux examinés par la Cour dans John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 85, une affaire que les demandeurs invoquaient à l’appui de leur affirmation selon laquelle l’agent aurait dû prendre en compte les Lignes directrices. Dans John, les principes qui donnaient lieu à l’application des Lignes directrices pertinentes dans cette affaire étaient clairement mentionnés dans la demande. Cela n’a pas été fait dans la présente affaire. Les demandeurs ont allégué la possibilité de grandes difficultés à surmonter concernant leur réintégration dans la communauté et le marché du travail guyaniens. Ils n’ont mentionné aucun risque personnalisé concernant leur sécurité. L’agent n’avait donc pas à obtenir une évaluation des risques.

 

 

L’agent a-t-il fait erreur dans son évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant?

 

[13]           L’agent a procédé à une évaluation complète de l’intérêt supérieur de l’enfant demanderesse de même que de celui des autres filles du demandeur principal, lesquelles résident au Guyana. L’agent a apprécié la difficulté représentée par un retour au Guyana, mais a fait remarquer que l’enfant demanderesse continuerait d’avoir le soutien de ses parents si elle était renvoyée au Guyana. Elle aurait également la chance de faire la connaissance de ses trois demi-sœurs résidant toujours là-bas. Bien qu’il ait reconnu que le demandeur principal serait mieux placé pour soutenir financièrement ses filles au Guyana en travaillant au Canada, l’agent a conclu que la preuve ne démontrait pas qu’il en serait incapable s’il retournait au Guyana pour y vivre et travailler. De plus, ses filles bénéficieraient de sa présence physique.

 

[14]           Les demandeurs s’appuient sur Owusu c. Canada, 2003 CFPI 94, conf. par 2004 CAF 38, [2004] 2 R.C.F. 635; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, et De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, et affirment que l’agent n’a pas évalué comme il se doit l’intérêt supérieur de l’enfant à la lumière des instruments internationaux des droits de la personne, notamment que l’enfant serait en danger si elle devait retourner au Guyana. Toutefois, comme je l’ai mentionné auparavant, les demandeurs n’ont pas démontré que l’enfant serait exposée à un risque personnalisé concernant sa sécurité. En fait, l’unique mention à la criminalité se trouve dans un formulaire d’information supplémentaire, au sein d’un petit paragraphe.

 

[15]           De plus, dans Owusu, bien que l’agent eût omis d’évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant, la demande avait été rejetée par la Cour fédérale parce que M. Owusu n’avait pas produit de preuve pour appuyer son allégation concernant l’intérêt supérieur de l’enfant. La Cour d’appel fédérale avait confirmé cette décision et précisé, au paragraphe 5, que « le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour des raisons humanitaires. Par voie de conséquence, si un demandeur ne soumet aucune preuve à l'appui de son allégation, l'agent est en droit de conclure qu'elle n'est pas fondée. » Le même principe s’applique ici. Si les demandeurs s’attendaient à ce que l’agent évalue l’impact sur eux de la criminalité au Guyana, ils auraient dû en inclure la preuve dans le dossier.

 

[16]           Les demandeurs font également erreur en s’appuyant sur E.B. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 110. Dans cette affaire, les enfants demandeurs avaient souffert de traumatismes; ils avaient vu leur mère se faire sauvagement attaquer au Guyana et avaient peur de devoir retourner y vivre. L’agent avait alors omis d’évaluer l’impact qu’un retour aurait sur leur bien-être psychologique. Il n’y a aucune preuve semblable dans la présente affaire.

 

[17]           L’agent a raisonnablement conclu que la preuve ne démontrait pas que le bien-être de l’enfant demanderesse serait compromis si elle devait être renvoyée dans son pays natal accompagnée de ses parents, qui seraient capables de lui prodiguer tout l’amour et le soutien nécessaires afin de faciliter son intégration dans la communauté guyanienne.

 

[18]           Aucune question grave de portée générale n’a été proposée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR statue comme suit : la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3910-10

 

INTITULÉ :                                       PARMANAND RAMAISCHRAND,

                                                            SALOME RAMAISCHRAND,

                                                            SASKIA SANDYA RAMAISCHRAND

 

                                                            c.

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 avril 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

George J. Kubes

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Amy King

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GEORGE J. KUBES

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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