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Date : 20110407

Dossier : T-845-10

Référence : 2011 CF 435

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 avril 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

 

ENTRE :

 

TRICON TELEVISION29 INC.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DU PATRIMOINE CANADIEN

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 29 avril 2010, numéro de référence PCH13235, par laquelle le directeur général des Industries culturelles au ministère du Patrimoine canadien a rejeté la demande présentée par Tricon Television29 Inc., la demanderesse en l’espèce, en vue d’obtenir un certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne relativement à la production « Beautiful People ». La demanderesse Tricon demande à la Cour d’annuler cette décision et de renvoyer l’affaire pour réexamen ou de rendre une ordonnance obligeant le directeur général à délivrer un tel certificat.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-après, je rejette la présente demande et j’adjuge au ministre du Patrimoine canadien, défendeur, des dépens de 2 500 $.

 

[3]               L’article 125.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), et ses modifications (la Loi), prévoit le mécanisme permettant à une société canadienne qui exploite, par l’entremise d’un établissement stable au Canada, une entreprise de production cinématographique ou magnétoscopique « canadienne » d’avoir droit à un crédit d’impôt égal à 25 % de sa dépense de main‑d’œuvre admissible pour l’année de la production. La demanderesse Tricon est une telle société canadienne; il s’agit de déterminer si la production « Beautiful People » est une production cinématographique ou magnétoscopique « canadienne ». Le dossier indique que le montant du crédit d’impôt en cause s’élève à 350 000 $.

 

[4]               Il existe un groupe au sein du ministère du Patrimoine canadien, appelé le Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens (BCPAC), qui est chargé de faire des recommandations au directeur général, Industries culturelles, quant à savoir si une production cinématographique ou magnétoscopique donnée est « canadienne » au sens de la Loi. Le directeur général agit à titre de représentant du ministre du Patrimoine canadien à cette fin.

 

[5]               Les dispositions de l’article 125.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu applicables aux questions en litige en l’espèce comprennent le paragraphe (3), lequel est libellé comme suit :

Crédit d’impôt

 

(3) La société qui est une société admissible pour une année d’imposition est réputée avoir payé, à la date d’exigibilité du solde qui lui est applicable pour l’année, un montant au titre de son impôt payable pour l’année en vertu de la présente partie égal à 25 % de sa dépense de main-d’œuvre admissible pour l’année relativement à une production cinématographique ou magnétoscopique canadienne, si les conditions suivantes sont réunies :

a) la société joint les documents suivants à la déclaration de revenu qu’elle produit pour l’année :

(i) le certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne délivré relativement à la production,

(ii) un formulaire prescrit contenant les renseignements prescrits,

(iii) tout autre document visé par règlement relativement à la production;

b) les principaux travaux de prise de vue ou d’enregistrement de la production ont commencé avant la fin de l’année.

 

 

 

[6]               Les dispositions du Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, et ses modifications, applicables aux questions en litige en l’espèce figurent à l’article 1106. Les alinéas 1106(5)a) et 1106(8)a) et le paragraphe 1106(9) prévoient ce qui suit :

(5) Pour l’application de la présente section, le ministre du Patrimoine canadien attribue des points à l’égard des productions cinématographiques ou magnétoscopiques, comme suit :

a) s’il s’agit d’une production autre qu’une production d’animation, les points ci-après sont attribués pour chacune des personnes suivantes, si elles sont des particuliers ayant la qualité de Canadien :

(i) le réalisateur : deux points,

(ii) le scénariste : deux points,

(iii) l’artiste principal pour les services duquel la rémunération la plus élevée était à payer : un point,

(iv) l’artiste principal pour les services duquel la deuxième rémunération en importance était à payer : un point,

(v) le directeur artistique : un point,

(vi) le directeur de la photographie : un point,

(vii) le compositeur de musique : un point,

(viii) le monteur de l’image : un point;

 

[…]

 

(8) Les règles suivantes s’appliquent dans le cadre de la présente section :

a) l’artiste principal d’une production est un acteur ou une actrice qui interprète l’un des rôles principaux, compte tenu de sa rémunération, de sa position au générique et de son temps de présence à l’écran;

 

[…]

 

(9) La production documentaire qui n’est pas une production exclue, et à laquelle moins de six points ont été attribués du fait qu’un ou plusieurs des postes visés à l’alinéa (5)a) sont vacants, est une production cinématographique ou magnétoscopique canadienne si tous les postes visés à cet alinéa qui sont occupés relativement à la production le sont par des particuliers qui ont la qualité de Canadien.

 

 

[7]               En février 2004, le BCPAC a publié des directives intitulées « Crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne (CIPC) – Directives » afin d’aider les producteurs à présenter une demande de crédit d’impôt. Applicables aux questions en litige en l’espèce, les directives relatives aux services de création (en direct) et à l’artiste principal prévoient ce qui suit :

6. Services de création

a) Productions tournées en direct

Pour être reconnue à titre de production canadienne, une production doit avoir accumulé un minimum de six (6) points selon le barème de points suivant :

 

((Un point est accordé si la personne qui a rendu les services est Canadienne).

Réalisateur                                                                    2 points

Scénariste                                                                     2 points

Artiste principal(e) pour les services duquel la rémunération

la plus élevée était payable                                            1 point

Artiste principal(e) pour les services duquel la deuxième

rémunération en importance était payable                      1 point

Directeur de la photographie*                                       1 point

Directeur artistique**                                                    1 point

Compositeur de la musique***                         1 point

Monteur de l'image*                                                     1 point

 

* dans le cas de productions magnétoscopiques, les équivalents de “directeur de la photographie” sont soit “directeur technique”, soit “chef éclairagiste”, et l'équivalent de “monteur de l'image” est “monteur ayant effectué le montage non linéaire”.

 

** on entend par directeur artistique le chef du département artistique. Dans certains cas, il peut porter le nom de directeur de la scénographie, de chef-designer ou de chef-décorateur.

 

*** le point pour la fonction de compositeur n'est attribué que si la musique créée pour la production est une œuvre originale.

 

En outre, il est obligatoire d'obtenir deux des quatre points accordés à l'égard du réalisateur ou du scénariste (l'un des deux postes doit être comblé par un Canadien). Il faut également obtenir un des deux points accordés aux artistes principaux (un Canadien doit occuper l'un de ces deux postes).

 

Dans le cas d'une production documentaire ne faisant pas appel à des acteurs ou à d'autres fonctions comme celles de directeur artistique ou de compositeur de la musique, il est possible d'obtenir un certificat même si la production n'a pas accumulé le minimum de six points requis. Toutefois, tous les autres postes de création doivent être occupés par des Canadiens.

 

[…]

 

d) Artiste principal et scénariste

i) Artiste principal

Afin de déterminer quels sont effectivement les artistes principaux, le Bureau de certification utilisera trois critères :

i) la rémunération (incluant les avantages sociaux, droits de suite, frais de déplacement et de subsistance, limousines, etc.), ii) la position au générique, et iii) le temps à l'écran.

 

Dans le cas d'une production d'animation, le Bureau de certification tiendra compte de la rémunération reçue (incluant les avantages sociaux, droits de suite, frais de déplacement et de subsistance, etc.) et de la durée pendant laquelle la voix est entendue afin de déterminer quelle personne est effectivement la voix principale.

 

Un acteur est une personne engagée pour réciter ou mimer une scène ou dont la prestation consiste à interpréter un personnage, même sans dialogue. Lorsqu'il n'y a pas d'acteur, la personne qui remplit la fonction de danseur, chanteur, artiste de variétés, hôte (artiste qui présente ou fait le lien entre les diverses parties d'une émission : un présentateur, un modérateur, un meneur de jeu télévisé ou un interviewer), narrateur ou commentateur (artiste engagé pour réciter un texte ou faire des commentaires à l'écran ou hors champ), interprète hors champ (artiste autre que le narrateur ou le commentateur engagé pour interpréter hors champ un rôle d'une œuvre dramatique), ou un acteur qui prête sa voix à un personnage d'un film ou d'une bande d'animation, peut être considéré à titre d'artiste principal. Toutefois, les invités dans le cadre d'un magazine ou les sujets d'un documentaire ne sont pas considérés comme étant des artistes pour les fins de certification du programme.

 

 

[8]               Les directives de 2004 ont été révisées le 31 mars 2010 et seront examinées ci‑dessous.

 

[9]               Les parties ont produit en preuve des affidavits accompagnés de pièces qui reflètent la correspondance et les discussions entre Tricon et ses représentants et les représentants du BCPAC. Ces éléments de preuve montrent également certaines notes de service internes et des discussions au sein du BCPAC. Plus particulièrement, la demanderesse Tricon a produit l’affidavit d’Andrea Gorfolova, présidente de Tricon, accompagné de pièces. Le ministre défendeur a produit l’affidavit de Robert Soucy, directeur du BCPAC, un poste qu’il occupe depuis une vingtaine d’années, accompagné de pièces. Aucun des deux n’a été contre-interrogé au sujet de son affidavit. Je me suis fondé sur ces affidavits et pièces pour conclure que ce qui suit constitue les faits pertinents.

 

[10]           Le 4 décembre 2008, le BCPAC a reçu une demande de certification à titre de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne relativement à un « documentaire » intitulé « Beautiful People » comprenant 13 épisodes d’une durée de 30 minutes chacun. Les producteurs et le personnel clé de création étaient tous décrits comme étant Canadiens. La demande ne faisait nullement mention des artistes. Il n’y a eu aucune discussion entre Tricon et le BCPAC avant le dépôt de cette demande quant à la question de savoir si la production serait probablement jugée « canadienne » ou si des rajustements pouvaient être effectués pour s’assurer qu’elle soit « canadienne ». Apparemment, il n’est pas rare que les producteurs aient de telles discussions avec le BCPAC avant que d’importantes sommes d’argent soient engagées dans une production. Tricon était un producteur expérimenté qui avait déjà produit au moins deux autres émissions télévisées, notamment « Restaurant Makeover ».

 

[11]           Une personne qui regarderait les épisodes de « Beautiful People » verrait beaucoup à l’écran Greg Hodge (un sujet britannique) ou Robert Hintze (un citoyen danois) ou les deux. La nature de la relation entre ces deux personnes et Tricon et « Beautiful People » est stipulée dans l’entente intervenue entre elles le 24 avril 2008, laquelle prévoit notamment ce qui suit :

[traduction]

Objet : « Beautiful People »

 

            À la suite de nos récentes discussions et ententes concernant une série télévisée intitulée « Beautiful People », la présente lettre servira à confirmer l’entente suivante intervenue entre Tricon Television29 Inc. (« Tricon »), d’une part, et le siège social de BeautifulPeople Network au Danemark, Greg Hodge (« Hodge »), Robert Hintze (« Hintze ») et Kasper Hjorth (« Hjorth ») (parfois collectivement appelés les « propriétaires »), d’autre part, relativement aux questions énoncées ci‑dessous.

 

1.         Les parties conviennent et reconnaissent que Tricon Television29 Inc. (« Tricon ») débutera la production de la première saison comprenant 13 épisodes d’une série télévisée docu-feuilleton, actuellement intitulée « Beautiful People » (l’« émission »), portant sur le lancement des activités canadiennes de la société BeautifulPeople Network appartenant aux propriétaires (l’« entreprise »). L’émission fera apparaître les propriétaires en tant que sujets à l’écran et sera axée sur les divers aspects de l’entreprise et des occupations des propriétaires pendant le lancement des activités canadiennes de l’entreprise.

 

2.         Les propriétaires déclarent et garantissent par les présentes qu’ils sont les propriétaires exclusifs de l’entreprise et conviennent également d’établir les activités canadiennes de l’entreprise dans la région de Toronto à compter d’avril 2008 ou vers cette date. Il est important et essentiel que MM. Hodge et Hintze acceptent de se rendre disponibles et d’apparaître en tant que sujets à l’écran lorsque requis par Tricon pour l’émission, conformément à l’horaire de production, pendant la durée du tournage actuellement prévu du 24 avril jusqu’à la fin du mois d’octobre 2008 à Toronto et dans ses environs. Les propriétaires reconnaissent et conviennent que MM. Hodge et Hintze seront à Toronto et se rendront disponibles aux fins du tournage par Tricon à temps plein pendant la période de quatre mois s’étendant du 23 avril au 23 août 2008 et à temps partiel (ce qui garantit au moins 15 jours de tournage par mois) du 24 août jusqu’au 24 octobre 2008.

 

 

[12]           Si la production « Beautiful People » n’est pas un documentaire, alors MM. Hodge et Hintze seraient qualifiés d’« artistes principaux » et la production ne pourrait être certifiée comme production « canadienne ». Même si la production était un « documentaire », si MM. Hodge et Hintze étaient qualifiés d’« artistes principaux », alors la production ne pourrait être certifiée « canadienne ». La question à trancher que la demanderesse a soumise au BCPAC et à la Cour est de savoir si « Beautiful People » peut tomber sous le coup du paragraphe 1106(9) du Règlement, lequel prévoit que si le poste d’« artiste principal » est « vacant », alors il faut prendre en considération toutes les autres personnes participant à la production. En l’espèce, toutes ces autres personnes sont Canadiennes. Je reproduis à nouveau le paragraphe 1106(9) du Règlement :

(9) La production documentaire qui n’est pas une production exclue, et à laquelle moins de six points ont été attribués du fait qu’un ou plusieurs des postes visés à l’alinéa (5)a) sont vacants, est une production cinématographique ou magnétoscopique canadienne si tous les postes visés à cet alinéa qui sont occupés relativement à la production le sont par des particuliers qui ont la qualité de Canadien.

 

 

[13]           Au cours des échanges entre Tricon et le BCPAC, il a été fait référence à une décision rendue par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) sur la question de savoir si « Beautiful People » était une émission « canadienne » aux fins de radiodiffusion. Les critères applicables sont très semblables à ceux appliqués par le BCPAC, à une exception près. À la différence du BCPAC, le CRTC peut admettre des exceptions, ce qu’il a fait dans le cas de « Beautiful People ». Dans sa décision énoncée dans une lettre qu’il a envoyée à Tricon en date du 13 janvier 2009, le CRTC a conclu que MM. Hodge et Hintze sont les artistes principaux mais qu’une exception était justifiée. Il a écrit notamment ce qui suit :

[traduction]

Bien que les critères exigent qu’au moins un artiste principal dans une production soit canadien, le Conseil a soigneusement examiné les raisons pour lesquelles votre production devrait recevoir la certification à titre d’exception relativement à la participation de Greg Hodge et de Robert Luciano Hintze. Le Conseil est convaincu qu’une exception est justifiée dans ce cas, étant donné que la formule de la production exigeait que ces personnes soient incarnées à l’écran par elles-mêmes plutôt que par des acteurs.

 

Malgré l’application de cette exception permise au titre de l’avis public CRTC 2000‑42, nous vous rappelons que le Conseil examine chaque demande invoquant une exception au cas par cas et que la présente approbation ne saurait être interprétée comme un précédent à l’égard de futures demandes. À cet égard, il doit être clair que non seulement le Conseil considère de la plus haute importance pour le processus de certification des émissions canadiennes que les Canadiens occupent des postes clés de création, mais également que les producteurs fassent tout leur possible pour que des Canadiens occupent ces postes.

 

 

[14]           Aucune des parties n’a affirmé que cette décision constituait un précédent faisant autorité à l’égard des questions dont je suis saisi.

 

[15]           À la suite du dépôt par Tricon de la demande de certification par le BCPAC, il y a eu des échanges par courriel et autrement au sujet des renseignements et des documents requis. La principale personne-ressource au BCPAC était alors Hiba Hreiche, laquelle a écrit le 2 juin 2009 une note de service interne à un supérieur, dans laquelle elle disait ce qui suit :

[traduction]

Après un examen approfondi de la production susmentionnée, je suis arrivée à la conclusion que cette production n’est pas à vrai dire un documentaire, mais qu’elle tend plutôt vers une émission de téléréalité animée par deux non-Canadiens.

 

La production est présentée comme un documentaire dont le sujet est un site Web appelé beautifulpeople.net. Sont également considérés comme étant le sujet les fondateurs et directeurs du site Web, Robert Luciano Hintze et Greg Hodge. Après avoir visionné les DVD de cette production, il est devenu manifeste que, si cette production est un documentaire, le sujet est beautifulpeople.net et Robert Luciano Hintze et Greg Hodge sont les hôtes. Cela étant dit, cette production serait inadmissible puisque les deux hommes ne sont pas canadiens (ils perdraient les deux points attribués aux premier et second artistes principaux).

 

À ce stade, je vous transmets ce dossier pour que vous formuliez vos recommandations, et possiblement que vous refusiez le certificat de la partie A.

 

Veuillez visionner les DVD et formuler vos recommandations.

 

 

[16]           Il s’agissait d’une communication interne du BCPAC et elle n’a pas été divulguée à Tricon.

 

[17]           La réserve exprimée dans cette note de service a apparemment fait l’objet de discussions internes au BCPAC, à la suite de quoi Mme Hreiche a envoyé un courriel à Tricon, à l’attention de Caminie Mahadeo, le 24 juillet 2009, dans lequel elle disait ce qui suit :

[traduction]

Bonjour Caminie,

 

Je voulais vous informer que, après en avoir discuté avec mon superviseur, nous avons conclu que l’admissibilité de cette production pourrait poser problème compte tenu de la nationalité de vos premier et second artistes principaux. Après avoir visionné les DVD, il semble que vos artistes principaux soient Robert Luciano Hintze et Greg Hodge. Le sujet du documentaire semble être le site Web – Beautiful People – plutôt que les personnes qui ont cofondé le site Web. Par conséquent, ce dossier a été confié à notre comité interne de la conformité aux fins de consultation des cadres supérieurs. S’il est décidé que le dossier est admissible, je vous en informerai, sinon vous serez avisé de la réponse de notre comité de la conformité au sujet de nos préoccupations.

 

Si vous avez des questions, n’hésitez pas à communiquer avec moi.

 

 

[18]           Mme Mahadeo a répondu par courriel le 27 juillet 2009 et a offert d’envoyer la décision du CRTC susmentionnée dans les présents motifs. Mme Mahadeo a dit ce qui suit :

[traduction]

Bonjour Hiba,

 

J’espère que vous avez passé une belle fin de semaine.

 

Je suis très préoccupée par le fait que l’admissibilité de cette production puisse poser problème. Je me demandais s’il vous serait utile d’avoir la certification du CRTC? Elle avait d’abord été refusée par le CRTC, mais le producteur de l’émission a expliqué la nature de l’émission de façon très détaillée, ce qui a amené le Conseil à rendre une décision favorable.

 

Veuillez me dire si vous croyez que ces documents pourraient aider.

 

 

[19]           Il y a eu un autre échange de courriels au cours duquel la décision du CRTC et des copies d’autres documents ont été demandées et envoyées le 16 septembre 2009. Ces documents comprenaient une copie de l’entente conclue le 24 avril 2008 entre Tricon, M. Hodge, M. Hintze et d’autres personnes susmentionnées, dans laquelle, au premier paragraphe, est employé le terme [traduction] « docu‑feuilleton » (« docu-soap ») pour décrire la production.

 

[20]           Debra Wynter, agente principale de politiques au BCPAC, a envoyé un courriel à Mme Mahadeo le 14 octobre 2009 indiquant que le BCPAC était d’avis que la production n’était pas qualifiée de « canadienne ». Le courriel indiquait notamment ce qui suit :

[traduction]

Bonjour Caminie,

 

Je vous remercie de votre réponse datée du 16 septembre 2009. J’ai eu la chance de l’étudier et d’examiner son contenu.

 

Nous sommes d’avis que la production BEAUTIFUL PEOPLE n’est pas admissible au crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne (CIPC), étant donné que les deux artistes principaux ne sont pas canadiens (c.‑à‑d. qu’il n’y a aucun artiste principal canadien qui obtient la rémunération la plus élevée ou la deuxième plus élevée, ce qui est une exigence du programme de CIPC lorsqu’il y a des artistes principaux dans une production). Dans une série télévisée « docu-feuilleton » basée sur la réalité, comme est décrite cette production, les personnes qui apparaissent à l’écran sont généralement réputées être des artistes dans la production. Robert Hintze et Greg Hodge jouent leur propre rôle et sont rémunérés pour leur participation à cette série. De plus, nous constatons que votre société reconnaît que MM. Hintze et Hodge sont les artistes principaux dans cette production, étant donné que la demande présentée par votre société auprès du CRTC en vue d’obtenir une exemption à l’exigence du CRTC d’avoir un artiste principal canadien décrit simplement les raisons pour lesquelles ces artistes principaux étrangers étaient nécessaires pour la production. Nous savons que le CRTC a accordé à cette production une exemption à cet égard. Toutefois, le BCPAC n’a pas compétence pour accorder une exemption semblable aux exigences du Règlement de l’impôt sur le revenu.

 

Il y a d’autres éléments dans cette production qui préoccupent également le BCPAC en ce qui concerne l’admissibilité de celle-ci au CIPC :

 

 

[21]           À la suite de ce courriel, le BCPAC a tenu des discussions internes et a rédigé une note de service interne le 20 octobre 2009. Cette note de service examinait une partie de l’historique de l’affaire et la position de Tricon exprimée lors des discussions entre le BCPAC et l’avocat de Tricon, Ken Rosenthal. La note de service se terminait par la recommandation qu’un préavis de refus soit envoyé à Tricon afin de lui offrir la possibilité de présenter d’autres observations.

 

[22]           Le 22 octobre 2009, le BCPAC a envoyé un préavis de refus à Tricon indiquant ce qui suit :

[traduction]

PRÉAVIS DE REFUS

 

Madame Gorfolova,

 

Je vous écris au sujet de votre demande de certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne (le « certificat ») concernant BEAUTIFUL PEOPLE.

L’examen de votre demande révèle que BEAUTIFUL PEOPLE n’est pas une production cinématographique ou magnétoscopique canadienne au sens de l’article 125.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu ( la Loi) et de l’article 1106 du Règlement de l’impôt sur le revenu (le Règlement), car ni le premier ni le second artiste principal n’est Canadien. Cela va à l’encontre de l’exigence prévue au paragraphe 1106(6) du Règlement, lequel prévoit : « Une production [...] est une production cinématographique ou magnétoscopique canadienne seulement si les points suivants y sont attribués : [...] un point en vertu des sous-alinéas (5)a)(iii) ou (iv). »

 

Un certificat ne peut être délivré relativement à une production qui ne satisfait pas à une ou plusieurs exigences de la Loi et du Règlement.

 

Je vous invite à soumettre une réponse écrite à mon attention, dans un délai de trente (30) jours suivant la date du présent préavis, accompagnée de tout nouveau renseignement ou document susceptible d’influer sur l’appréciation de la présente affaire. À l’expiration de ce délai, le BCPAC recommandera au ministre du Patrimoine canadien de refuser le certificat relativement à BEAUTIFUL PEOPLE, à moins que d’autres renseignements soient fournis au soutien de l’admissibilité de la production au crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne.

 

 

[23]           Le 18 novembre 2009, l’avocat de Tricon, Me Rosenthal, a rédigé une longue lettre en réponse au BCPAC. Relativement à la question de savoir si MM. Hodge et Hintze étaient les « artistes principaux », cette lettre indiquait notamment ce qui suit :

[traduction]

Selon la définition donnée par le BCPAC au terme « artiste principal » dans ses Directives, l’artiste principal est : « un acteur […] engag[é] pour réciter ou mimer une scène ou dont la prestation consiste à interpréter un personnage [...] Lorsqu'il n'y a pas d'acteur, la personne qui remplit la fonction de danseur, chanteur, artiste de variétés, hôte (artiste qui présente ou fait le lien entre les diverses parties d'une émission : un présentateur, un modérateur, un meneur de jeu télévisé ou un interviewer), narrateur ou commentateur […], interprète hors champ […], ou un acteur qui prête sa voix à un personnage d'un film […], peut être considéré à titre d'artiste principal. onglet 4

 

Encore une fois, MM. Hintze et Hodge ne pouvaient être considérés comme les artistes principaux, quelle que soit l’interprétation des Directives publiées par le BCPAC.

 

Mme Wynter a soit ignoré, soit omis d’appliquer le Règlement et les Directives applicables. Aucune interprétation des Directives et du Règlement applicables ne pourrait mener à la conclusion que MM. Hintze et Hodge sont les artistes principaux.

 

Plutôt que de se fonder sur le Règlement et les Directives fournies au public, Mme Wynter s’est apparemment fondée sur une politique interne du BCPAC – inconnue et non communiquée au public et étayée par aucune loi, règle ou directive applicable – à savoir Mme Wynter conclut que MM. Hintze et Hodge sont les artistes principaux parce que la production est réputée être un « docu-feuilleton » (le terme « docu-feuilleton » (docu-soap) n’est défini nulle part dans les règlements, les directives ou les avis publics) et parce que « les personnes qui apparaissent à l’écran dans des docu-feuilletons sont généralement réputées être des artistes ».

 

Généralement? Est-ce que cela signifie fréquemment? Principalement? Souvent?

 

Cela soulève la question suivante : Comment peut-on affirmer qu’une décision est bien fondée si elle n’est pas étayée par le Règlement que le BCPAC est tenu de respecter, mais qu’elle repose plutôt sur une opinion et une politique interne, inconnue du public, appliquée seulement fréquemment (et non toujours) à un terme (« docu-feuilleton ») qui n’est défini nulle part dans une loi, une règle, un règlement ou une directive?

 

 

[24]           Apparemment en raison de sa lourde charge de travail et du congé des Fêtes, cette affaire n’a pas reçu l’attention immédiate du BCPAC. Le 13 janvier 2010, Karyn Wichers, gestionnaire, Politique et planification stratégique, au BCPAC, a diffusé une note de service interne qui étudiait la situation et concluait que « Beautiful People » ne correspondait pas au genre documentaire mais que cela importait peu puisque MM. Hodge et Hintze étaient les artistes principaux et étaient non-Canadiens. La note de service se terminait par la recommandation de ne pas certifier la production. La note de service soulignait également que certains genres et d’autres définitions manquaient de clarté dans les directives de 2004 et devraient être clarifiés dans les directives attendues en 2010. Des exemples ont été donnés de ces définitions. La section « Conclusions et recommandations » de la note de service indiquait ce qui suit :

[traduction]

Conclusions et recommandations

 

En ce qui concerne Beautiful People, il est recommandé au BCPAC de ne pas certifier la production comme étant une production cinématographique ou magnétoscopique canadienne. Pour les motifs qui précèdent, la production n’est pas une série documentaire. Par conséquent, un point pour les artistes principaux est nécessaire; toutefois, les deux artistes principaux ne sont pas canadiens.

 

Quant aux questions stratégiques plus générales que cette production a soulevées, les recommandations sont les suivantes :

• Le BCPAC énoncera bientôt ses définitions de genre, peut-être avant le lancement officiel du BCPAC en ligne. Cela fournira des précisions additionnelles au BCPAC et aux producteurs lorsqu’ils essaient de comprendre les questions relatives au genre.

• Le BCPAC doit ajouter une définition de l’émission télévisée basée sur la réalité à sa liste des genres admissibles puisqu’il n’en existe aucune dans les définitions du BCPAC en ligne, qui ont été rédigées par le Conseil du système. Il sera important d’établir une distinction entre une émission de téléréalité-surveillance qui est inadmissible et une émission télévisée basée sur la réalité comme Beautiful People et les nombreux autres exemples d’émissions semblables qui sont admissibles. Le BCPAC devra examiner les quelques définitions qui existent déjà dans l’industrie, notamment celles du CRTC et de la SODEC (tel qu’expliqué ci‑dessus).

• Le BCPAC devrait réexaminer sa définition d’artiste principal, laquelle a été rédigée avant le début de l’explosion de la téléréalité dans l’industrie. Elle fera également partie de la liste de définitions dans les nouvelles directives.

 

 

[25]           À l’audience, l’avocat de Tricon a invoqué cette note de service au soutien de son argument selon lequel le BCPAC appliquait des critères qui n’ont été établis que dans les directives subséquentes du 31 mars 2010 et que ces critères n’avaient pas été communiqués à Tricon, ce qui aurait pu lui permettre de donner une réponse valable. Je ne vois pas cette note de service sous cet angle. J’estime que la note de service porte sur deux questions, l’une concernant la certification de « Beautiful People » sous le régime des directives actuelles et la recommandation de refuser la certification, et l’autre concernant la nécessité de s’assurer que des précisions soient apportées dans les nouvelles directives.

 

[26]           Le 19 janvier 2010, Me Rosenthal a envoyé un courriel au BCPAC dans lequel il indiquait que [traduction] « des renseignements très pertinents ont été révélés » et demandait un délai de 10 jours pour soumettre ces renseignements. Ce délai a été accordé. Les renseignements soumis consistaient en un résumé rédigé par le réalisateur de « Beautiful People ». Il indique notamment ce qui suit :

[traduction]

BEAUTIFUL PEOPLE – la série est le seul document complet portant sur le site et ses impudents créateurs qui existe. Elle relate l’histoire de ces derniers à partir du moment où ils sont arrivés au Canada jusqu’au moment où ils ont lancé le site canadien. Greg et Rob ne sont pas des acteurs. Ce sont les fondateurs de Beautiful People.

 

De plus, la série dresse le portrait de véritables membres de Beautiful People. Toutes les personnes apparaissant en tant que membres dans la série sont de véritables membres. Ils ne jouent pas un rôle à la télévision. Dès les premiers balbutiements de l’émission, nous avons décidé d’un point de vue créatif que celle-ci allait porter non seulement sur les fondateurs mais sur de véritables Canadiens qui sont devenus membres, qui voulaient devenir membres ou qui ont été rejetés par le site Web. Chaque épisode dresse le portrait de Canadiens ordinaires et/ou décrit la réaction des médias canadiens envers l’entreprise BP et/ou les entreprises canadiennes cherchant à s’associer à l’entreprise.

 

BEAUTIFUL PEOPLE est une série documentaire. Elle relate les premiers mois de la naissance du site canadien et décrit toute la couverture médiatique à son sujet et les vives réactions à son lancement canadien.

 

 

[27]           Le 23 avril 2010, Debra Wynter, du BCPAC, a rédigé une note de service interne, laquelle a été approuvée par son gestionnaire et envoyée par le directeur, Robert Soucy, au directeur général, Jean‑François Bernier. La note de service se terminait en indiquant qu’un avis de refus requérant la signature de M. Bernier suivrait. La note de service indiquait notamment ce qui suit :

[traduction]

BEAUTIFUL PEOPLE est une série télévisée de 13 épisodes (30 minutes) portant sur le lancement canadien du site Web controversé BeautifulPeople.net. Elle suit les exploits des playboys européens Robert Hintze (« M. Hintze »), fondateur, et Greg Hodge (« M. Hodge »), directeur général du site Web, alors qu’ils interagissent avec des membres canadiens du site Web et les médias canadiens. Le CRTC a classé cette production dans la catégorie « Émissions de divertissement et d’intérêt général » (catégorie 11) et a rejeté l’allégation de la société de production selon laquelle la production est un documentaire. Il a également jugé que MM. Hintze et Hodge sont les seuls artistes principaux dans la production. L’analyse effectuée par le BCPAC de la demande visant à obtenir un certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne rejoint la décision du CRTC. Comme ni l’un ni l’autre des artistes principaux n’est Canadien, la production est inadmissible au crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne, étant donné que l’exigence prévue au paragraphe 1106(6) du Règlement de l’impôt sur le revenu n’a pas été satisfaite.

 

 

[28]           L’avis de refus qui a été envoyé à Tricon le 29 avril 2010 fait l’objet du présent contrôle judiciaire. Il indiquait notamment ce qui suit :

[traduction]

Après avoir examiné attentivement votre réponse du 18 novembre 2009 et les documents supplémentaires soumis par voie électronique le 28 janvier 2010, le BCPAC demeure convaincu que la production BEAUTIFUL PEOPLE ne satisfait pas à l’exigence susmentionnée du Règlement et a recommandé au ministre du Patrimoine canadien de rejeter votre demande relative à une production cinématographique ou magnétoscopique canadienne.

 

Le BCPAC considère que la production a, aux fins d’application du Règlement, deux artistes principaux et que ces postes ne sont pas occupés par des Canadiens. Les deux artistes principaux et protagonistes dans la production sont Robert Luciano Hintze (« M. Hintze »), un citoyen danois, qui est le fondateur du site Web BeautifulPeople.net, et Greg Hodge (« M. Hodge »), un citoyen britannique, qui est le directeur général du site Web. MM. Hintze et Hodge sont les artistes principaux car, bien qu’ils jouent leur propre rôle, ils interprètent des facettes particulières de leur personnalité. Une grande partie des dialogues entre MM. Hintze et Hodge, et leurs déclarations à l’écran, sont mis en scène et font l’objet d’un montage afin de créer un effet dramatique. MM. Hintze et Hodge agissent également comme hôtes de la production, car ils présentent ou font le lien entre les diverses parties de l’émission afin de permettre au scénario de progresser. Des exemples de prestation par MM. Hintze et Hodge, tels que vus dans les épisodes soumis au BCPAC, figurent à l’annexe A (ci-jointe).

 

Les trois critères qui sont utilisés pour déterminer qui sont les artistes principaux dans une production pour les fins du crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne, à savoir la rémunération, la position au générique et le temps de présence à l’écran, s’appliquent aux rôles de MM. Hintze et Hodge dans la production, tel qu’illustré ci-dessous :

 

o La rémunération

Bien qu’aucune rémunération directe n’ait été versée à MM. Hintze et Hodge, ils sont effectivement engagés et rémunérés par le producteur pour leur participation à la production par le paiement de 60 000 $ (somme à utiliser exclusivement pour des activités relatives au lancement du site Web canadien) et par le remboursement des frais de déplacement par avion et d’hébergement de MM. Hintze et Hodge, ainsi que par la mise à leur disposition d’un bureau meublé à Toronto pendant le tournage.

 

o La position au générique

Le générique de début stylisé de la production présente MM. Hintze et Hodge comme les « vedettes » de la production, tout comme les transitions graphiques vers les pauses publicitaires. Le générique de fin commence à défiler avec l’expression usuelle dans l’industrie « Mettant en vedette » devant les noms de MM. Hintze et Hodge, qui sont les seuls artistes figurant au générique.

 

o Le temps de présence à l’écran

La production suit les exploits de MM. Hintze et Hodge. En conséquence, leur temps de présence à l’écran est prédominant dans la production, ce qui est caractéristique des artistes principaux.

 

Compte tenu de ce qui précède, je vous informe que, au nom du ministre du Patrimoine canadien, j’ai accepté la recommandation du BCPAC dans la présente affaire. Votre demande de certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne relative à la production BEAUTIFUL PEOPLE est refusée. Veuillez noter que la présente décision est définitive.

 

 

[29]           Un document annexé à cet avis fournissait plusieurs exemples de scènes de la série afin d’étayer la position selon laquelle MM. Hodge et Hintze étaient les artistes principaux.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[30]           La demanderesse Tricon a soulevé un certain nombre de questions dans sa note de service, lesquelles, par suite des observations présentées par son avocat à l’audience, peuvent se résumer comme suit :

 

1.         Le BCPAC avait-il le devoir d’agir équitablement envers Tricon et a-t-il manqué à ce devoir? Plus précisément, le BCPAC a-t-il appliqué des directives qui n’étaient pas connues du public lorsqu’il a rendu sa décision?

 

2.         Les motifs du BCPAC étaient-ils raisonnables et transparents?

 

3.         Le BCPAC a‑t‑il commis une erreur de droit en interprétant la Loi, le Règlement ou les Directives?

 

4.         La décision du BCPAC était-elle raisonnable?

 

5.         Le BCPAC a‑t‑il fait preuve de partialité en tirant ses conclusions quant au genre et à l’artiste principal?

 

ANALYSE GÉNÉRALE

 

[31]           De manière générale, les principes juridiques applicables énoncés par la Cour suprême du Canada notamment dans les arrêts Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, et Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, ne sont pas contestés :

 

1.         Dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision d’un office fédéral, la norme de la décision correcte s’applique aux questions de droit;

 

2.         Dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision d’un office fédéral qui a agi dans les limites du mandat qui lui a été confié par la loi, la question doit être tranchée en fonction de la norme de la décision raisonnable et il convient de faire preuve de déférence envers l’office fédéral, en particulier lorsque la décision relève de son expertise unique;

 

3.         Lorsqu’il est question de justice naturelle, d’équité et d’impartialité, la norme commande le respect de ces principes;

 

4.         Les motifs fournis par l’office fédéral doivent être intelligibles et transparents, suffisants pour informer le destinataire de l’issue et du raisonnement qui y a conduit.

 

[32]           En l’espèce, je suis frappé par la patience et la courtoisie dont les membres du BCPAC ont fait preuve envers Tricon et ses représentants. Tricon a eu plusieurs occasions de connaître les opinions préliminaires que le BCPAC avait formulées relativement aux questions en litige; de plus, elle a non seulement reçu un préavis officiel de décision, mais aussi un préavis officieux, et a eu amplement le temps de formuler des observations. Ces observations ont été reçues et examinées.

 

[33]           Le fait que la demanderesse est maintenant au courant de plusieurs des notes de service, lettres et échanges internes au sein du BCPAC ne rend pas le processus décisionnel suspect ou moins valable. Selon une citation attribuée au chancelier Otto von Bismarck :

 

[traduction]

« Les lois sont comme les saucisses. C'est mieux de ne pas voir leur préparation. »

 

 

[34]           Il est tout à fait normal et c’est une bonne chose qu’il y ait eu un débat interne au sein du BCPAC quant à savoir si MM. Hodge et Hintze étaient des « acteurs » et les « artistes principaux ». Tricon a eu tout le loisir de formuler des observations à cet égard. Ces observations ont été examinées en détail.

 

[35]           Examinons les questions en litige à tour de rôle.

 

PREMIÈRE QUESTION :   Le BCPAC avait-il le devoir d’agir équitablement envers Tricon et a-t-il manqué à ce devoir? Plus précisément, le BCPAC a-t-il appliqué des directives qui n’étaient pas connues du public lorsqu’il a rendu sa décision?

[36]           Comme nous l’avons vu plus tôt, la note de service interne diffusée le 13 janvier 2010 portait sur deux questions. D’une part, il s’agissait de savoir si « Beautiful People » était un documentaire et si MM. Hodge et Hintze en étaient les artistes principaux. D’autre part, il s’agissait de parler des nouvelles directives à venir et de rappeler que certaines descriptions nécessitaient une grande précision.

 

[37]           En conformité avec les directives de 2004, il a été jugé que MM. Hodge et Hintze étaient les artistes principaux. Rien dans les directives de 2010 n’aurait pu changer cette conclusion. Il n’y a pas eu déni d’équité. La décision définitive a été rendue en conformité avec les anciennes directives.

 

DEUXIÈME QUESTION : Les motifs du BCPAC étaient-ils raisonnables et transparents?

[38]           L’avis de refus daté du 29 avril 2010 est clair quant au refus et aux raisons qui le sous-tendent. Il examine en particulier la question des rôles joués par MM. Hodge et Hintze dans la production à l’aide des critères énoncés à l’alinéa 1106(8)a) du Règlement de l’impôt sur le revenu – la rémunération, la position au générique et le temps de présence à l’écran :

(8) Les règles suivantes s’appliquent dans le cadre de la présente section :

a) l’artiste principal d’une production est un acteur ou une actrice qui interprète l’un des rôles principaux, compte tenu de sa rémunération, de sa position au générique et de son temps de présence à l’écran;

 

 

[39]           Les motifs sont tout à fait suffisants, voire exemplaires.

 

TROISIÈME QUESTION :  Le BCPAC a‑t‑il commis une erreur de droit en interprétant la Loi, le Règlement ou les Directives?

[40]           Aucune erreur de droit n’a été démontrée. La décision du BCPAC satisfait aux critères de la Loi de l’impôt sur le revenu, du Règlement et des Directives et respecte leurs limites.

 

QUATRIÈME QUESTION :            La décision du BCPAC était-elle raisonnable?

[41]           La décision en litige commande l’application de la norme de la décision raisonnable. À cet égard, les déclarations bien connues de la Cour suprême du Canada dans les arrêts Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Khosa, précité, au paragraphe 46, sont pertinentes :

Dunsmuir :

[47]      La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

Khosa :

 

[46] De façon plus générale, il ressort clairement de l’al. 18.1(4)d) que le législateur voulait qu’une conclusion de fait tirée par un organisme administratif appelle un degré élevé de déférence. Ce qui est tout à fait compatible avec l’arrêt Dunsmuir. Cette disposition législative précise la norme de contrôle de la raisonnabilité applicable aux questions de fait dans les affaires régies par la Loi sur les Cours fédérales.

 

 

[42]           La décision en cause en l’espèce, à savoir si MM. Hodge et Hintze sont les « artistes principaux », relève clairement du mandat administratif et de l’expertise du BCPAC. Bien qu’il ne s’agît pas d’une décision facile, le BCPAC était habilité à la prendre. Il a pris cette décision alors qu’il était parfaitement au courant des observations de Tricon. Cette décision était raisonnable.

 

CINQUIÈME QUESTION :            Le BCPAC a‑t‑il fait preuve de partialité en tirant ses conclusions quant au genre et à l’artiste principal?

[43]           Ce n’est pas parce que le BCPAC a rendu une décision défavorable à Tricon qu’il a fait preuve de partialité. Le fait que des notes de service internes à ce sujet ont été rédigées ne signifie pas que les auteurs ou destinataires ont fait preuve de partialité. Je n’ai rien trouvé au dossier qui permette de conclure à la partialité.

 

CONCLUSION ET DÉPENS

 

[44]           En conclusion, j’estime que rien ne justifie que j’annule la décision refusant la demande de certification de « Beautiful People » à titre de production « canadienne » présentée par Tricon. Rien n’autorise la Cour à annuler cette décision ou à ordonner au BCPAC de statuer qu’il y a lieu d’accorder la certification.

 

[45]           L’avocat du ministre a suggéré de fixer les dépens à 2 500 $ et c’est ce que je ferai.

JUGEMENT

 

Pour les motifs qui précèdent,

 

LA COUR STATUE que :

 

1.         La demande est rejetée;

 

2.         Des dépens de 2 500 $ sont adjugés au défendeur.

 

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jenny Kourakos, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-845-10

 

INTITULÉ :                                                   TRICON TELEVISION29 INC. c.

                                                                        LE MINISTRE DU PATRIMOINE CANADIEN

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 4 avril 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE HUGHES

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 7 avril 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joseph I. Etigson

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Roger Flaim

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Macdonald Sager Manis LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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