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Date : 20110407

 

Dossier : IMM‑4892‑10

Référence : 2011 CF 438

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 7 avril 2011

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

PAKEERATHAN THAMOTHARAMPILLAI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Lord Denning a dit :

[traduction] Nous ne permettons jamais qu’un client subisse un préjudice en conséquence de l’erreur de son avocat, s’il nous est possible de l’empêcher. Nous tentons chaque fois de la corriger dans la mesure où nous le pouvons sans commettre une injustice envers l’autre partie. Il arrive que l’erreur ait gravement affecté le cours de la présentation de la preuve, auquel cas nous pouvons au mieux ordonner la tenue d’un nouveau procès [Doyle c. Olby (Ironmongers) Ltd, [1969] 2 All ER 119, à la page 121].

 

C’est le cas en l’espèce. Le problème est que le consultant en immigration que M. Thamotharampillai a engagé pour présenter des observations dans le cadre d’un examen des risques avant renvoi (ERAR) ne s’est pas acquitté de sa tâche.

 

[2]               M. Thamotharampillai est un Tamoul du Sri Lanka. Il est interdit de territoire au Canada pour grande criminalité en raison d’une déclaration de culpabilité pour possession de stupéfiants en vue de faire le trafic. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus. Conformément au paragraphe 112(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), il n’avait plus le droit de demander l’asile. Il avait toutefois le droit de demander un ERAR, non pas à titre de demandeur d’asile débouté mais plutôt de personne à protéger, suivant l’article 97 de la LIRP. Il s’agit de déterminer, selon la prépondérance des probabilités, s’il serait exposé soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumis à la torture, soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités au Sri Lanka.

 

[3]               Dans le cadre de cet examen des risques, le demandeur ne pouvait présenter que de nouveaux éléments de preuve, au sens de la LIRP. Puisqu’il était au Canada depuis un certain temps, l’Agence des services frontaliers du Canada lui a remis, en décembre 2009, une trousse d’information sur la situation actuelle au pays. Il s’est vu accorder un délai pour déposer des observations et de nouveaux éléments de preuve.

 

[4]               Comme il était représenté par un consultant en immigration tout au long du processus, consultant qui se faisait probablement passer pour un avocat, M. Thamotharampillai lui a demandé de présenter les observations nécessaires et de soumettre de nouveaux éléments de preuve au moyen de rapports supplémentaires sur le pays.

 

[5]               Le consultant n’a absolument rien fait. Il n’est donc pas surprenant que l’examen ait donné lieu à une conclusion défavorable. Le représentant du ministre a conclu que la guerre civile au Sri Lanka était terminée et que la situation au pays avait changé de sorte que, malgré sa crainte subjective, M. Thamotharampillai n’était pas objectivement exposé soit au risque d’être soumis à la torture soit à une menace à sa vie ou risque de traitements et peines cruels et inusités s’il retournait au Sri Lanka.

 

[6]               Dans la présente demande de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision, M. Thamotharampillai soulève plusieurs questions. Toutefois une seule requiert notre attention. À mon avis, il n’a pas bénéficié des règles de la justice naturelle parce qu’il a été représenté par un consultant en immigration incompétent. Si le consultant avait été compétent et s’il avait accompli son devoir, la décision aurait très bien pu être différente.

 

[7]               M. Thamotharampillai avait le choix de se représenter lui‑même (ce qui n’est pas toujours une bonne idée) ou de retenir les services d’un « représentant autorisé ». Suivant l’article 2 et le paragraphe 13.1(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, « représentant autorisé » s’entend d’un avocat, d’un notaire ou d’un membre de la  Société canadienne des consultants en immigration. Le représentant de M. Thamotharampillai est membre de cette organisation, qui jouit d’un statut spécial. Dans certains cas, celle‑ci joue le rôle d’un office fédéral, comme il est expliqué dans Onuschak c. Société canadienne de consultants en immigration, 2009 CF 1135, 357 F.T.R. 22.

 

[8]               La Société a, entre autres, des pouvoirs disciplinaires. M. Thamotharampillai a déposé une plainte relativement au comportement de son consultant en immigration. Cette plainte est toujours en instance.

 

[9]               Pour obtenir gain de cause en l’espèce, le demandeur doit démontrer les faits sur lesquels repose la prétention d’incompétence, l’incompétence du consultant et le fait qu’une erreur judiciaire en a résulté (Robles c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 374, 2 Admin LR (4th) 315, et Hallatt c. Canada, 2004 CAF 104, [2004] 2 C.T.C. 313).

 

[10]           Les deux premiers éléments ne sont pas en cause. En fait, le consultant en immigration n’a pas suivi les instructions reçues de déposer des observations. La seule question est de savoir si cette absence de compétence a donné lieu à une erreur judiciaire. Il est reconnu qu’il ne suffit pas de faire valoir qu’un consultant compétent aurait déposé des observations supplémentaires. Il s’agit de déterminer si ces observations auraient influé sur la décision du représentant du ministre. M. Thamotharampillai soutient qu’il s’est acquitté de son fardeau d’établir l’existence d’une cause défendable. Le ministre soutient qu’il doit exister une probabilité raisonnable que ces nouveaux éléments auraient influé sur la décision en cause.

 

[11]           Il convient d’établir une distinction entre la faute de commission et la faute d’omission. En règle générale, une partie est liée par les actes de son représentant. Toutefois, il arrive que l’avocat ou le représentant autorisé omette d’envoyer par la poste une demande fondée sur des motifs humanitaires qui a été remplie, ou d’aviser la Commission que le demandeur a changé d’adresse. Il s’agit d’une catégorie d’erreurs différente de celle applicable en l’espèce. Plusieurs cas sont examinés dans Chukwudebe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 211, 79 Imm LR (3d) 298.

 

[12]           M. Thamotharampillai soutient que si son consultant avait fait ce qu’il devait faire, il aurait certainement porté à l’attention du décideur les documents suivants sur la situation au pays, comme il l’a fait en l’espèce :

a.       Amnistie Internationale, « Unlock the Camps in Sri Lanka: Safety and Dignity for the displaced now – A Briefing Paper » (10 août 2009) ASA 37/016/2009;

 

b.      Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, « UNHCR Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum‑Seekers from Sri Lanka » (5 juillet 2010) HRC/EG/SLK/10/03;

 

c.       Australia : Refugee Review Tribunal, Sri Lanka (3 avril 2009);

 

d.      Australia : Refugee Review Tribunal, Sri Lanka (31 août 2006);

 

e.       International Crisis Group, « War Crimes in Sri Lanka » (17 mai 2010), Asia Report No 191;

 

f.        Human Rights Watch, « Legal Limbo: The Uncertain Fate of Detained LTTE Suspects in Sri Lanka » (2 février 2010);

 

g.       Amnistie Internationale, « Sri Lanka urged to ensure safety of detained former asylum‑seekers » (3 septembre 2010);

 

h.       Département d’État des États‑Unis, « 2009 Country Reports on Human Rights Practices – Sri Lanka » (11 mars 2010);

 

i.         Amnistie Internationale, « Australia asylum suspension could harm world’s most vulnerable » (9 April 2010);

 

j.        Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, « Sri Lanka : information sur les activités des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) au Sri Lanka, y compris les arrestations; information indiquant si les TLET ont été responsables d’actes d’extorsion, de disparitions ou d’attentats à la bombe depuis que le gouvernement les a démantelés et si les TLET ont la capacité de se reformer au Sri Lanka (mai 2009 – janvier 2010) » (28 janvier 2010);

 

k.      International Crisis Group, « Sri Lanka: A Bitter Peace » (11 janvier 2010), Asia Briefing No 99;

 

l.         Amnistie Internationale, « Arrest of Sri Lankan opposition leader escalates post‑election repression » (9 février 2010).

 

 

[13]           Je ne peux souscrire à l’argument du ministre fondé sur la prépondérance des probabilités. Certes, c’est à celui qui omet de déposer une défense dans une action en justice ou de comparaître à l’instruction d’une demande, qu’il appartient de démontrer que l’argument qui aurait dû être invoqué plus tôt peut être valable. Il lui faut démontrer qu’il existe une cause raisonnablement défendable, non que, selon la prépondérance des probabilités, il aurait gain de cause. De plus, l’examen de la situation au pays et le poids à accorder aux divers rapports relèvent de la compétence du représentant du ministre, dont la décision ne peut être annulée par voie de contrôle judiciaire à moins d’être déraisonnable.

 

[14]           Il existe une présomption réfutable selon laquelle le représentant du ministre a tenu compte de l’ensemble du dossier. En l’espèce, il semble que le représentant du ministre a tenu compte non seulement des documents qu’il a envoyés à M. Thamotharampillai, mais aussi des rapports ultérieurs. Il me semble que, si j’accorde de l’importance aux éléments de preuve que le consultant aurait présentés s’il avait accompli son devoir, en plus de conclure que les documents en cause soulèvent une cause raisonnablement défendable, je dépasserais le cadre du contrôle judiciaire.

 

[15]           Le conseil de M. Thamotharampillai a certainement attiré l’attention sur quelques documents qui auraient très bien pu influer sur l’issue de la décision. Le demandeur était soupçonné d’avoir des liens avec les Tigres tamouls, ce qui l’exposerait à un risque, comme l’indique le rapport de Human Rights Watch, « Legal Limbo: The Uncertain Fate of Detained LTTE Suspects in Sri Lanka » (2 février 2010). Dans le document du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, « UNHCR Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum‑Seekers from Sri Lanka » (5 juillet 2010), HRC/EG/SLK/10/03, il est énoncé ce qui suit :

[traduction] Compte tenu de ce qui précède, les personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET pourraient être à risque en raison de leur appartenance à un groupe social particulier. Les demandes d’asile des personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET peuvent toutefois donner lieu à la nécessité d’examiner la possibilité de refuser la qualité de réfugié.

 

 

[16]           Bien que la question en l’espèce ne porte pas sur l’iniquité procédurale, puisque rien ne peut être reproché au décideur, la justice naturelle comporte plusieurs principes. Le demandeur doit avoir pleinement la possibilité de présenter sa cause ou sa défense devant un décideur impartial. Selon la règle de justice naturelle audi alteram partem, M. Thamotharampillai doit avoir pleinement la possibilité de présenter sa cause.

 

[17]           Bien que le juge Le Dain y parle d’équité procédurale, j’estime que le passage suivant de l’arrêt de la Cour suprême Cardinal c. Kent Institution, [1985] 2 R.C.S. 643, 24 DLR (4th) 44, au paragraphe 23, est pertinent :

[…] Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n’appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d’hypothèses sur ce qu’aurait pu être le résultat de l’audition.

 

 

[18]           Les conclusions de fait au sujet de la situation au pays relèvent de la compétence du représentant du ministre, non de la Cour. Je ne ferai pas des suppositions au sujet de sa décision si le représentant du ministre avait disposé des documents qui m’ont été soumis, si ce n’est pour conclure que ces documents démontrent l’existence d’une cause raisonnablement défendable.

 

LA QUESTION CERTIFIÉE

[19]           L’avocat du ministre soutient que je devrais certifier la question grave de portée générale suivante à l’appui d’un appel :

[traduction] Lorsque, dans le cadre d’un examen des risques, l’avocat omet de produire d’autres documents ou observations supplémentaires en réponse à la communication de documents mis à jour sur la situation au pays, un demandeur doit‑il démontrer qu’il est raisonnablement probable que le résultat aurait été différent n’eût été l’omission de l’avocat, afin d’établir l’existence d’une erreur susceptible de contrôle en raison de l’incompétence de l’avocat?

 

 

[20]           On insiste beaucoup sur le fait que M. Thamotharampillai avait jusqu’au 4 janvier 2010 pour présenter des observations supplémentaires et de nouveaux éléments de preuve. Les rapports de Human Rights Watch et de UNHCR susmentionnés sont postérieurs à cette date, mais antérieurs à la décision d’ERAR qui a été rendue le 14 juillet 2010. Par conséquent, peu importe la compétence du conseil, il était impossible de présenter les documents en question.

 

[21]           Ces observations suscitent deux réponses. Premièrement, un conseil compétent devrait porter à l’attention du décideur des documents pertinents qui sont postérieurs à l’audience, mais  antérieurs à la décision. Deuxièmement, le représentant du ministre a lui‑même examiné les documents publiés après l’échéance du délai accordé à M. Thamotharampillai. Il affirme notamment avoir examiné un article de UHNCR daté du 27 avril 2010. En fait, cela permet de soulever le deuxième motif de contrôle judiciaire, à savoir que M. Thamotharampillai n’avait pas eu la possibilité d’être entendu. C’est le problème soulevé dans Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 CF 461, [1998] A.C.F. no 565 (QL) (CAF). D’une part, si un tribunal fédéral entend se fonder sur des éléments de preuve extrinsèques, il doit donner au demandeur l’occasion d’y répondre. D’autre part, il est loisible au décideur d’invoquer des documents provenant de sources publiques relativement aux conditions générales en vigueur au pays, lesquels ne doivent être divulgués que s’ils sont inédits et importants et que s’ils font état de changements qui risquent d’avoir une incidence sur la décision. Je tiens toutefois à faire remarquer qu’en l’espèce, s’il avait unilatéralement décidé d’examiner les nouveaux documents, le représentant du ministre aurait difficilement pu refuser à M. Thamotharampillai la possibilité de présenter des documents après l’audience.

 

[22]           Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage (1994), 176 NR 4, [1994] A.C.F. no 1637 (QL), le juge Décary, s’exprimant au nom de la Cour d’appel, a dit que pour être certifiée, une question doit être non seulement déterminante quant à l’issue de l’appel, mais elle doit aussi transcender les intérêts des parties au litige et aborder des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale.

 

[23]           À mon avis, la présente affaire repose grandement sur les faits et ne justifie pas une question certifiée. L’erreur judiciaire en l’espèce porte sur le fait que le décideur était tenu d’examiner les documents que l’avocat compétent lui aurait soumis avant que sa décision soit rendue. On pourrait raisonnablement soutenir que, compte tenu d’un tel dossier, la décision aurait très bien pu être différente. Voilà l’erreur judiciaire en l’espèce. Il n’est pas nécessaire de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le résultat aurait été différent.


ORDONNANCE

POUR LES MOTIFS ÉNONCÉS;

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  La décision et annulée et l’affaire est renvoyée à un autre représentant du ministre pour nouvel examen.

3.                  Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4892‑10

 

INTITULÉ :                                                   PAKEERATHAN THAMOTHARAMPILLAI

                                                                        c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 16 mars 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 7 avril 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

POUR LE DEMANDEUR

 

David Cranton

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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