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Date : 20110404

Dossier : T‑121‑10

Référence : 2011 CF 407

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE,  RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 4 avril 2011

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

 

EXCELSIOR MEDICAL CORPORATION

 

 

demanderesse

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

défendeur

 

 

 

 

    MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande porte sur le paiement d’une taxe périodique relativement à une demande de brevet canadien en instance et, plus particulièrement, sur la question de savoir si la taxe en question a été acquittée par la bonne personne et acceptée à juste titre par le Bureau des brevets ainsi que sur les conséquences de cette acceptation. Le Bureau des brevets a finalement considéré que la demande était « caduque ». La demanderesse à l’instance, qui est la personne qui demande le brevet, sollicite un jugement déclarant que la demande n’est pas caduque et que le Bureau des brevets devrait en poursuivre l’examen.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’estime que la demande doit être rejetée avec dépens.

 

[3]               Les faits qui ont été relatés à la Cour sont exposés dans l’affidavit souscrit par Bill Anderson, vice‑président de la demanderesse Excelsior Medical Corporation, auquel affidavit sont jointes plusieurs pièces, ainsi que dans l’affidavit souscrit par J. Scott Vasudev, chef de la Division de la classification des affaires internationales et de la politique administrative au Bureau des brevets du Canada, auquel plusieurs pièces ont également été jointes. Ni l’un ni l’autre n’a été contre‑interrogé au sujet de son affidavit.

 

[4]               Les faits suivants, relatés dans ces affidavits, sont pertinents pour trancher la question soumise à la Cour :

 

1.                  Le 9 juillet 2001, une société connue sous le nom de Vasca Inc. a déposé une demande de brevet à l’extérieur du Canada en vertu des dispositions du Traité de coopération en matière de brevets (le Traité). La demande concernait un instrument médical.

 

2.                  Aux termes des dispositions du Traité, une demande de brevet pouvait par la suite être déposée dans un ou plusieurs des pays membres, dont le Canada, dans un délai prescrit, et la demande recevait alors comme date de dépôt officielle la date du dépôt original, en l’occurrence le 9 juillet 2001. C’est ce qu’on appelle l’entrée dans la phase nationale.

 

3.                  Vasca a engagé un cabinet d’avocats américains spécialisés en brevets (Everest) pour superviser le dépôt des demandes de brevets à la phase nationale par l’intermédiaire d’agents de brevets se trouvant dans les divers pays où Vasca souhaitait obtenir un brevet. Plusieurs pays ont ainsi été choisis, dont le Canada.

 

4.                  Une demande (d’entrée dans la phase nationale) a été déposée au Canada le 2 décembre 2002 sur le fondement de la demande antérieure présentée conformément au Traité. La demande canadienne s’est vu attribuer le numéro 2414481. À l’époque, le cabinet canadien d’agents de brevets inscrit au dossier était Fetherstonhaugh & Co., qui recevait ses instructions d’Everest.

 

5.                  Vers le 13 septembre 2006, Vasca a cédé à la demanderesse Excelsior la demande de brevet canadien en question ainsi que les brevets et demandes de brevets connexes dans d’autres pays.

 

6.                  La Loi sur les brevets du Canada, L.R.C. 1985, ch. P‑4, et les Règles sur les brevets, DORS/96‑423, exigent le paiement d’une taxe périodique pour assurer le maintien en vigueur des demandes de brevet et des brevets. Un délai de grâce est prévu pour le cas où le paiement de la taxe n’est pas effectué dans le délai prescrit.

 

7.                  Au moment de la cession des demandes de brevets et des brevets effectuée par Vasca en faveur d’Excelsior, le délai prévu pour le paiement de la taxe périodique se rapportant à la demande canadienne était déjà expiré. Il était toutefois possible de réactiver la demande avant l’expiration du délai de grâce.

 

8.                  Un autre cabinet canadien d’agents de brevets, Oyen Wiggs, a été choisi pour continuer la présentation de la demande de brevet canadien pour le compte d’Excelsior. Everest a donné pour instructions à Fetherstonhaugh & Co. de transférer le dossier à Oyen Wiggs. Ce transfert a eu lieu après le 6 mars 2007.

 

9.                  La date limite pour réactiver la demande canadienne avant l’expiration du délai de grâce, en sollicitant le rétablissement de la demande et en acquittant la taxe applicable, était le 10 juillet 2007.

 

10.              Le 9 juillet 2007, Oyen Wiggs a écrit au Bureau des brevets du Canada pour solliciter le rétablissement de la demande et acquitter la taxe applicable. À l’époque, l’unique agent des brevets inscrit au dossier était le cabinet Fetherstonhaugh & Co., Oyen Wiggs ne l’étant pas. La copie de cette lettre que l’on trouve dans le dossier du Bureau des brevets est revêtue d’une estampille portant ce qui suit : « Rétablissement approuvé par : Reinstatement Approved by : » avec une signature et la date du 19 juillet 2007.

 

11.              Le 8 août 2007, le Bureau des brevets du Canada a envoyé à Fetherstonhaugh & Co. un avis de rétablissement l’informant que la taxe prescrite avait été reçue et que la demande avait été rétablie. Suivant cet avis, le propriétaire était Vasca.

 

12.              Le 22 août 2007, le Bureau des brevets du Canada a adressé à Fetherstonhaugh & Co. une lettre dans laquelle il était écrit ce qui suit :

[traduction]

 

Veuillez ne pas tenir compte de la confirmation de rétablissement qui vous a été envoyée par la poste le 8 août 2007.

 

La taxe périodique et la taxe de rétablissement n’auraient pas dû être acceptées parce que la personne qui les a payées n’était pas le correspondant autorisé.

 

Nous vous présentons nos excuses pour tout inconvénient que cette erreur a pu vous causer.

 

 

13.              Le même jour, le 22 août 2007, une lettre semblable a été adressée à Oyen Wiggs par le Bureau des brevets du Canada. Elle portait :

[traduction]

 

La présente fait suite à votre lettre en date du 9 juillet 2007 concernant le paiement de la taxe périodique et de la taxe de rétablissement.

 

Lorsqu’une demande est en instance, la taxe qui doit être payée pour maintenir cette demande en état ne peut être acquittée que par le correspondant autorisé pour cette demande précise. Veuillez vous reporter aux dispositions du paragraphe 6(1) des Règles sur les brevets.

 

Conformément à l’article 4 des Règles sur les brevets, un remboursement de 600 $ vous sera accordé sur demande.

 

14.              Dans son affidavit, M. Vasudev (l’employé du Bureau des brevets du Canada) explique les lettres susmentionnées en affirmant que la procédure suivie par le Bureau des brevets prévoit que les lettres qui sont reçues sans avoir fait l’objet d’un examen approfondi sont numérisées et font l’objet d’un codage par code à barres. Ce n’est que plus tard que les lettres en question font l’objet d’une vérification approfondie. Certaines lettres de réponse sont générées automatiquement par le Bureau avant même de faire l’objet d’un examen approfondi. Il semble que ce soit ce qui s’est produit en l’espèce : la lettre du 8 août 2007 a été générée automatiquement et les lettres subséquentes en date du 22 août 2007 ont été envoyées après un examen approfondi.

 

15.              Dans une lettre datée du 10 décembre 2007, Oyen Wiggs mentionnait la lettre que le Bureau des brevets lui avait envoyée le 22 août 2007 et dans laquelle la demande était qualifiée de « caduque ». Oyen Wiggs a réclamé le remboursement de la taxe payée.

 

16.              Par lettre datée du 18 juin 2008, le Bureau des brevets du Canada a remboursé la taxe payée à Oyen Wiggs.

 

17.              Le 23 décembre 2009, Oyen Wiggs a adressé au Bureau des brevets du Canada une lettre à laquelle était joint un document désignant Owen Wiggs comme coagent de brevets et demandant qu’il soit inscrit au dossier comme coagent de brevets relativement à la demande de brevet canadien en litige. Aucune démarche n’avait auparavant été entreprise en vue de faire inscrire au dossier ce cabinet comme agent ou comme coagent. La lettre précisait que ce document était censé [traduction] « correspondre à la désignation de facto qui existait déjà à cette date », soit le 9 juillet 2007.

 

18.              Le 28 janvier 2010, le Bureau des brevets du Canada a adressé à Oyen Wiggs une lettre précisant que la demande de brevet était caduque et qu’elle ne pouvait plus être réactivée. La lettre indiquait notamment :

[traduction]

 

La demande de brevet est caduque et elle ne peut plus être rétablie.

 

Le dossier est clos. En conséquence, toutes les demandes et tous les paiements présentés au Bureau ont été refusés, y compris la demande relative à la désignation de l’agent, les demandes de rétablissement, la demande d’examen et le paiement de la taxe périodique.

 

Un remboursement vous sera accordé sur demande écrite seulement.

 

 

19.              Le même jour, le Bureau des brevets a envoyé une lettre semblable à Fetherstonhaugh & Co.

 

20.              La présente demande a été déposée peu de temps après.

 

[5]               Il existe de nombreuses affaires dans lesquelles notre Cour et la Cour d’appel fédérale se sont penchées sur la question du paiement de la taxe périodique. Dans la plupart de ces affaires, aucun effort n’avait été fait pour payer cette taxe avant l’expiration de tous les délais applicables, ce qui empêchait le commissaire d’accepter le paiement de la taxe. Dans d’autres affaires, le paiement de la taxe avait été offert avant l’expiration du délai applicable, mais le commissaire avait refusé le paiement de la taxe parce qu’il n’avait pas été offert par l’agent de brevets inscrit au dossier. Là encore, les tribunaux ont jugé bien fondée la décision du commissaire.

 

[6]               Dans le cas qui nous occupe :

 

                     Le paiement de la taxe a été offert avant l’expiration du délai applicable;

 

                     Le cabinet qui offrait de payer la taxe n’était pas l’agent de brevets inscrit au dossier;

 

                     Le Bureau des brevets a accepté le paiement de cette taxe et a envoyé un avis à l’agent de brevets inscrit au dossier pour l’informer que la demande avait été rétablie;

 

                     Le Bureau des brevets a, quelques jours plus tard, envoyé une autre lettre à l’agent de brevets inscrit au dossier pour lui dire de ne pas tenir compte de la lettre précédente;

 

                     Le même jour, le Bureau des brevets a envoyé une lettre au cabinet qui avait payé la taxe pour lui offrir de la lui rembourser;

 

                     Plusieurs mois plus tard, le cabinet qui avait payé la taxe a demandé un remboursement, et la taxe lui a été remboursée;

 

                     Environ deux ans plus tard, le cabinet qui avait payé la taxe a proposé au Bureau des brevets la désignation d’un coagent. La lettre d’accompagnement précisait que cette mesure était censée correspondre à la désignation de facto qui existait déjà à la date à laquelle la taxe avait été initialement payée;

 

                     Le Bureau des brevets a adressé une lettre au cabinet et à l’agent de brevets inscrit au dossier pour les informer que la demande ne pouvait être rétablie. C’est la décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[7]               La preuve qui a été présentée pour le compte de la demanderesse consiste en l’affidavit souscrit par un de ses vice‑présidents qui déclare, en particulier aux paragraphes 22 à 25, que la demanderesse avait toujours eu l’intention de faire valoir ses droits de breveté, qu’elle avait donné des instructions à d’autres personnes en ce sens et que ce n’était qu’à la fin de 2009 qu’elle avait été mise au courant qu’il manquait quelque chose. Il n’y a pas eu de contre‑interrogatoire au sujet de cet affidavit.

 

[8]               La Cour ne dispose d’aucun élément de preuve provenant de l’avocat américain spécialisé en brevets, du cabinet canadien d’agents de brevets inscrit au dossier ou du cabinet qui a payé la taxe et a par la suite demandé un remboursement au sujet de ce qui s’est passé de leur point de vue, ou sur la raison pour laquelle ils ont pris les mesures qu’ils ont prises ou n’en ont pas pris d’autres. On peut spéculer, mais je refuse de le faire. En somme, ce qui manque à la Cour ce sont des éléments de preuve démontrant que l’un ou l’autre d’entre eux s’est fié, à son détriment, à la lettre du Bureau des brevets (que le Bureau a par la suite révoquée) confirmant le rétablissement de la demande.

 

[9]               Le défendeur a déposé l’affidavit souscrit par un employé du Bureau des brevets, M. Vadusev, qui n’a pas été contre‑interrogé à cet égard. M. Vadusev y déclare, en fait, qu’à l’époque, le Bureau des brevets n’examinait que superficiellement la correspondance relative au paiement de la taxe périodique. Un examen plus approfondi ultérieur révélerait l’existence d’erreurs. Cette pratique est regrettable et il semble qu’elle ait donné lieu à l’envoi, en premier lieu, de la lettre confirmant que la demande était rétablie, puis à une lettre ultérieure annulant la première.

 

[10]           La demanderesse cherche à obtenir de la Cour un jugement déclarant que la seconde lettre révoquant la première est entachée de nullité et que la demande est toujours valable, ou, à titre subsidiaire, annulant la seconde lettre et enjoignant au Bureau des brevets de poursuivre l’examen de la demande.

 

[11]           Le défendeur conteste le pouvoir de la Cour de statuer sur une telle demande au motif que, si la seconde lettre (la lettre de « révocation ») est entachée de nullité, comme la demanderesse le prétend, le contrôle judiciaire auquel la Cour pourrait procéder n’a plus d’objet. Je rejette cet argument. Il préjuge du résultat. La demanderesse souhaite que la Cour rende un jugement déclaratoire et, à titre subsidiaire, qu’elle accorde en fait un bref de certiorari et un bref de mandamus. Je reprends les propos qu’a tenus le juge O’Reilly dans la décision F.  Hoffman‑La Roche AG c. Canada (Commissaires aux brevets), [2004] 2 R.C.F. 405, 2003 CF 1381, (conf. par 45 C.P.R. (4th) 1, 2005 CAF 399) aux paragraphes 19 et 20 :

 

19        J’estime que cette question a été tranchée dans la décision Pfizer Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets), (1999), 1 C.P.R. (4th) 200 (C.F. 1re inst.), infirmée pour d’autres motifs par : (2000), 9 C.P.R. (4th) 13 (C.A.F.). La Cour a statué que le contrôle judiciaire était ouvert à l’égard de déclarations présentées dans des lettres du commissaire aux brevets à un titulaire de brevet, faisant état de la validité d’un brevet particulier. Peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire toute « décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral » : Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)], paragraphe 18.1(3) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27]; Markevich c. Canada, 1999 CanLII 7491 (C.F.), [1999] 3 C.F. 28 (1re inst.). À mes yeux, cette formulation a une portée suffisamment large pour s’appliquer à l’avis donné par le commissaire à Hoffmann‑La Roche au sujet de l’expiration de son brevet.

20        Cela n’implique toutefois pas que le commissaire a rendu une décision formelle qui appellerait nécessairement les conditions de l’équité procédurale ou d’autres attributs de la prise de décision administrative. Ce point sera examiné de façon plus approfondie ci‑dessous. Pour la présente question, je dois seulement décider si le contrôle judiciaire est ouvert en l’espèce. Je suis d’avis qu’il est satisfait au critère.

 

 

[12]           En plaidoirie, la demanderesse a soulevé quatre questions à examiner :

 

1.                  Le paragraphe 6(1) des Règles sur les brevets est‑il incompatible avec le paragraphe 73(3) de la Loi sur les brevets, de sorte que le commissaire doit accepter le paiement de la taxe périodique, peu importe l’identité de la personne qui offre de l’acquitter au nom de la demanderesse?

2.                  L’article 6 des Règles ne prévoit‑il une obligation impérative que pour le commissaire, de sorte que la demanderesse n’est pas assujettie à l’obligation impérative de payer la taxe périodique uniquement par l’intermédiaire d’un représentant autorisé?

3.                  La Cour doit‑elle accorder une réparation en equity?

 

[13]           Un quatrième point a été soulevé, mais aucune suite n’y a été donnée sans qu’il ne soit concédé qu’il ne pouvait être soulevé en appel, à savoir que le commissaire aurait dû accepter avec effet rétroactif la désignation du coagent proposée en décembre 2009. Ce point n’a pas été clairement soulevé dans le mémoire écrit de la demanderesse et il n’a pas été défendu activement à l’audience. Je ne vais donc pas m’y attarder davantage.

 

QUESTION No 1       Le paragraphe 6(1) des Règles sur les brevets est‑il incompatible avec le paragraphe 73(3) de la Loi sur les brevets, de sorte que le commissaire doit accepter le paiement de la taxe périodique, peu importe l’identité de la personne qui offre de l’acquitter au nom de la demanderesse?                                                                                             

 

 

[14]           Pour répondre à cette question, il faut examiner la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, et les Règles sur les brevets, DORS/96‑423. La demande de brevet en cause a été déposée le 9 juillet 2001, date à laquelle elle a pris effet; ainsi, les dispositions de la Loi sur les brevets qui sont entrées en vigueur le 1er octobre 1989 s’appliquent. La Loi sur les brevets contient une disposition inusitée au paragraphe 12(2) :

12. (2) Toute règle ou tout règlement pris par le gouverneur en conseil a la même force et le même effet que s’il avait été édicté aux présentes.

 

[15]           Il n’existe pas de jurisprudence portant expressément sur cet article. Dans l’arrêt Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 533, la Cour suprême du Canada, qui était appelée à se prononcer de façon générale sur la Loi sur les brevets et sur le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), écrivait qu’il fallait rapprocher les deux textes, mais que la portée du règlement était restreinte par le texte législatif. Le juge Binnie, qui s’exprimait au nom de la majorité, a écrit aux paragraphes 37 et 38 :

 

37            BMS soutient que, dès qu’il est établi que le paclitaxel est présent dans le produit de Biolyse, le par. 5(1.1) interdit la délivrance d’un ADC. Biolyse répond que la position de BMS est trop simpliste. Biolyse invoque la méthode moderne d’interprétation des lois laquelle, affirme‑t‑elle, s’applique également aux règlements, comme l’indique l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27. Dans cette affaire, la Loi sur les normes d’emploi de l’Ontario prévoyait le versement aux employés d’indemnités de licenciement et de cessation d’emploi en cas de licenciement par l’employeur. La société Rizzo Shoes a fait faillite. Le syndic a rejeté les réclamations des employés parce que la cessation d’emploi résultait de la faillite et non de la volonté de l’employeur. Les tribunaux ontariens ont souscrit à l’opinion du syndic. Notre Cour a infirmé ces décisions et le juge Iacobucci a fait observer ce qui suit :

 

Une question d’interprétation législative est au centre du présent litige. Selon les conclusions de la Cour d’appel, le sens ordinaire des mots utilisés dans les dispositions en cause paraît limiter l’obligation de verser une indemnité de licenciement et une indemnité de cessation d’emploi aux employeurs qui ont effectivement licencié leurs employés. À première vue, la faillite ne semble pas cadrer très bien avec cette interprétation. Toutefois, en toute déférence, je crois que cette analyse est incomplète.

 

. . . Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

 

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

. . .

 

Bien que la Cour d’appel ait examiné le sens ordinaire des dispositions en question dans le présent pourvoi, en toute déférence, je crois que la cour n’a pas accordé suffisamment d’attention à l’économie de la LNE, à son objet ni à l’intention du législateur; le contexte des mots en cause n’a pas non plus été pris en compte adéquatement. Je passe maintenant à l’analyse de ces questions. [Je souligne; par. 20, 21 et 23.]

 

38                Dans la même édition, Driedger ajoute qu’il faut porter attention, dans le cas d’un règlement, au libellé de la loi habilitante :

 

[traduction] Il ne suffit pas de déterminer le sens d’un règlement en l’interprétant au regard de son propre objet et des circonstances dans lesquelles il a été pris; il faut aussi interpréter les termes conférant les pouvoirs dans le contexte global de la loi habilitante. L’objet de la loi transcende et régit l’objet du règlement.

 

(Elmer A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 247)

 

Ce point est important. La portée du règlement est restreinte par le texte législatif qui l’habilite. Ainsi, on ne peut simplement interpréter un règlement de la même façon que l’on interprète une disposition d’une loi. En l’espèce, la distinction est cruciale puisque, lorsqu’on l’envisage sous cet angle, la disposition réglementaire attaquée ne peut avoir le sens que BMS lui attribue. En outre, alors que l’argument des intimées prend appui dans une certaine mesure sur le libellé du par. 5(1.1) isolé de son contexte, il néglige de nombreux aspects importants de la « méthode moderne ».

 

 

[16]           Le juge de Montigny s’est penché sur une situation analogue dans la décision M‑Systems Flash Disk Pioneers Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets) (2010), 83 C.P.R. (4th) 423, 2010 CF 441 (conf. par 2011 CAF 112). Il cite une décision antérieure du juge Mosley, DBC Marine Safety Systems Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets) (2007), 62 C.P.R. (4th) 279. Le juge de Montigny écrit, aux paragraphes 35 et 40 :

35     Les faits dans cette affaire s’apparentent beaucoup à ceux de la présente espèce. Un rapport du Bureau comportant deux demandes, l’une en vertu de l’article 29 et l’autre en vertu de l’article 30 des Règles, avait été expédié à la demanderesse. La demanderesse dans cette affaire avait aussi été avertie du risque d’abandons multiples au moyen du texte type précité au paragraphe 29. Elle avait répondu à la demande faite en vertu de l’article 30 des Règles dans le délai prescrit, mais avait omis de répondre à la demande faite en vertu de l’article 29 des Règles. La demande a été considérée comme abandonnée en vertu de l’alinéa 73(1)a) de la Loi, et le délai d’un an pour le rétablissement a commencé à courir. La taxe périodique a été acceptée et aucun avis officiel ou officieux n’a été communiqué à la demanderesse pour l’informer que sa demande avait été considérée comme abandonnée. Tout comme dans la présente espèce, un avis d’abandon a été préparé mais n’a jamais été envoyé à la demanderesse. Celle‑ci a par la suite produit les documents manquants et demandé sans succès le rétablissement de sa demande de brevet, après l’expiration du délai imparti.

 

. . .

 

40     Pour ce qui est de l’argument selon lequel l’examinateur de brevets aurait pu trouver les renseignements demandés dans des bases de données étrangères sur les brevets, j’estime qu’il est dénué de pertinence. Le gouverneur en conseil a estimé qu’il y avait lieu d’imposer au demandeur l’obligation de fournir les détails relatifs à toute demande de brevet à l’étranger visant la même invention. Dans la mesure où l’article 29 des Règles a été valablement adopté en vertu de l’article 12 de la Loi et n’est pas incompatible avec l’article 73 de la Loi, il doit être appliqué. Il n’appartient pas à la Cour de faire une appréciation rétrospective de la politique qui sous‑tend cet article des Règles.

 

 

[17]           Je me réfère également à l’ouvrage Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4e éd., Butterworth, à la page 272) :

[traduction]

 

Les lois ont priorité sur les règlements. La présomption de cohérence s’applique tant aux règlements qu’aux lois. On présume que les dispositions réglementaires sont censées fonctionner ensemble, non seulement avec leur propre loi habilitante mais également avec les autres lois et les autres règlements. Dans la mesure du possible, les tribunaux cherchent à éviter les conflits entre les dispositions législatives et les dispositions réglementaires et à donner effet tant aux unes qu’aux autres. Lorsque le conflit est inévitable, normalement, c’est la disposition législative qui prévaut.

 

 

[18]           Vu ce qui précède, et compte tenu notamment du paragraphe 12(2) de la Loi sur les brevets, la Cour est tenue d’interpréter la Loi et les Règles comme fonctionnant comme un tout harmonieux.

 

[19]           Ce n’est qu’en cas de nette contradiction que la Loi doit l’emporter. Les ambigüités doivent être résolues en partant du principe que la Loi et les Règles fonctionnent comme un tout homogène.

 

[20]           Eu égard aux circonstances de l’espèce, j’aborde en premier lieu la Loi sur les brevets. Les paragraphes 27(1) et 27 (2) exigent que la demande de brevet soit déposée par l’inventeur ou son représentant légal :

Délivrance de brevet

(1) Le commissaire accorde un brevet d’invention à l’inventeur ou à son représentant légal si la demande de brevet est déposée conformément à la présente loi et si les autres conditions de celle‑ci sont remplies.

Dépôt de la demande

(2) L’inventeur ou son représentant légal doit déposer, en la forme réglementaire, une demande accompagnée d’une pétition et du mémoire descriptif de l’invention et payer les taxes réglementaires.

 

 

[21]           L’article 2 définit les « représentants légaux » comme étant les personnes qui tiennent leurs droits du breveté :

« représentants légaux » Sont assimilés aux représentants légaux les héritiers, exécuteurs testamentaires, administrateurs, gardiens, curateurs, tuteurs, ayants droit, ainsi que toutes autres personnes réclamant par l’intermédiaire ou à la faveur de demandeurs et de titulaires de brevets.

 

 

[22]           L’inventeur peut céder les droits qu’il détient dans le brevet conformément au paragraphe 50(1) de la Loi :

Les brevets sont cessibles

50. (1) Tout brevet délivré pour une invention est cessible en droit, soit pour la totalité, soit pour une partie de l’intérêt, au moyen d’un acte par écrit.

 

 

[23]           Lorsque le demandeur de brevet ne semble pas résider au Canada, il doit désigner « une personne ou une maison d’affaires » qui est réputée, « pour toutes les fins de la présente loi », y compris la signification des procédures, être le représentant de ce demandeur. Les paragraphes 29(1) et 29(2) de la Loi sur les brevets disposent :

Demandeur non‑résident

29. (1) Le demandeur de brevet qui ne semble pas résider ou faire des opérations à une adresse spécifiée au Canada désigne, à la date de dépôt de sa demande, une personne ou une maison d’affaires résidant ou faisant des opérations à une adresse spécifiée au Canada pour le représenter.

 

Personne désignée censée représenter

 

(2) Sous réserve des autres dispositions du présent article, cette personne ou maison désignée est réputée, pour toutes les fins de la présente loi, y compris la signification des procédures prises sous son régime, le représentant de ce demandeur et de tout titulaire d’un brevet émis sur sa demande qui ne semble pas résider ou faire des opérations à une adresse spécifiée au Canada, et le commissaire l’inscrit comme tel.

 

 

[24]           Il convient de noter que cette personne est le représentant du demandeur pour toutes les fins de la Loi.

 

[25]           Le paragraphe 73(3) de la Loi sur les brevets porte sur le rétablissement de la demande à l’initiative du demandeur :

73. (3) Rétablissement

 

(3) Elle [la demande de brevet considérée comme abandonnée] peut être rétablie si le demandeur […]

 

 

[26]           Pour ce qui est des Règles sur les brevets, le paragraphe 20(1) prévoit la désignation d’un agent de brevets chargé de poursuivre la demande :

 

20. (1) demandeur qui n’est pas l’inventeur nomme un agent de brevets chargé de poursuivre la demande en son nom.

 

 

[27]           Il y a lieu de noter que « l’agent de brevets » n’est pas nécessairement le « représentant » du demandeur, même si la même personne peut cumuler ces deux fonctions et qu’habituellement l’agent est aussi le représentant.

 

[28]           Le paragraphe 6(1) des Règles sur les brevets revêt une importance cruciale en l’espèce. Il prévoit que le commissaire tient compte uniquement des communications, y compris celles relatives au maintien de la demande, qui proviennent du « correspondant autorisé » :

6. (1) Sauf disposition contraire de la Loi ou des présentes règles, dans le cadre de la poursuite ou du maintien d’une demande, le commissaire ne communique qu’avec le correspondant autorisé en ce qui concerne cette demande et ne tient compte que des communications reçues de celui‑ci à cet égard.

 

 

[29]           Suivant l’article 2, le « correspondant autorisé » est le demandeur lorsqu’aucun agent de brevets n’a été désigné ou l’agent de brevets lorsqu’un agent a été désigné :

« correspondant autorisé » Pour une demande :

 

a) lorsque la demande a été déposée par l’inventeur, qu’aucune cession de son droit au brevet, de son droit sur l’invention ou de son intérêt entier dans l’invention n’a été enregistrée au Bureau des brevets et qu’aucun agent de brevets n’a été nommé :

(i) l’unique inventeur,

(ii) s’il y a deux coïnventeurs ou plus, celui autorisé par ceux‑ci à agir en leur nom,

(iii) s’il y a deux coïnventeurs ou plus et qu’aucun de ceux‑ci n’a été ainsi autorisé, le premier inventeur nommé dans la pétition ou, dans le cas des demandes le Traité à la phase nationale, le premier inventeur nommé dans la demande internationale;

b) lorsqu’un coagent a été nommé ou doit l’être en application de l’article 21, le coagent ainsi nommé;

c) lorsque les alinéas a) et b) ne s’appliquent pas, l’agent de brevets nommé en application de l’article 20.

 

 

[30]           La Cour d’appel fédérale a récemment examiné plusieurs de ces dispositions dans l’arrêt Unicrop Ltd. c. Canada (Procureur général), 11 février 2011, 2011 CAF 55. Le juge Noël écrit ce qui suit pour la Cour aux paragraphes 24, 34 et 35 :

24     Les Règles précisent également qui peut communiquer avec le commissaire. Le paragraphe 6(1) des Règles, qui est au cœur du présent appel, prévoit que le commissaire ne communique qu’avec le correspondant autorisé :

 

6. (1) Sauf disposition contraire de la Loi ou des présentes règles, dans le cadre de la poursuite ou du maintien d’une demande, le commissaire ne communique qu’avec le correspondant autorisé en ce qui concerne cette demande et ne tient compte que des communications reçues de celui‑ci à cet égard.

 

* * *

6. (1) Except as provided by the Act or these Rules, for the purpose of prosecuting or maintaining an application the Commissioner shall only communicate with, and shall only have regard to communications from, the authorized correspondent.

 

. . .

 

34    En l’espèce, les dispositions pertinentes des Règles ne pouvaient pas être plus claires. Le paragraphe 6(1) précise que le commissaire ne tient compte que des communications reçues du correspondant autorisé. Il ressort clairement du libellé de l’article 3.1, qui traite du paiement en souffrance, que cette interdiction frappe également les communications relatives à l’ensemble des paiements parce qu’elle s’applique « sous réserve du paragraphe 6(1) ».

 

35    Il n’existe donc aucune ambiguïté à résoudre en faveur de l’appelante. Sous le régime de la Loi, il ne peut y avoir qu’un seul correspondant autorisé à un moment donné. Lorsque, comme en l’espèce, il y a un correspondant autorisé inscrit au dossier, celui‑ci reste en fonction jusqu’à la révocation de sa nomination et la nomination d’un autre correspondant. Seul un document de nomination ou de révocation déposé auprès du commissaire en application de l’article 20 des Règles peut entraîner un changement au dossier et aucun de ces documents ne prend effet avant qu’il ne soit déposé auprès du commissaire.

 

 

[31]           Dans l’affaire dont je suis saisi, la demanderesse fait valoir que, comme les dispositions du paragraphe 73(3) de la Loi sur les brevets prévoient clairement que le demandeur peut solliciter le rétablissement de la demande en acquittant la taxe applicable, le demandeur ou tout agent peut le faire. La restriction prévue au paragraphe 6(1) des Règles, qui précise que le commissaire ne tient compte que des communications reçues du correspondant autorisé, ne s’applique pas ou, si elle semble s’appliquer, ne peut s’appliquer puisqu’elle entre en conflit avec le paragraphe 73(3) de la Loi.

 

[32]           Bien que cet argument soit séduisant, ainsi que je l’ai expliqué dans la décision Sarnoff Corp. c. Canada (Procureur général) (2008), 66 C.P.R. (4th) 167, 2008 CF 712, la Cour d’appel fédérale a, dans l’arrêt Unicrop, précité, qualifié ces propos de « remarque incidente ». En tout état de cause, dans la mesure où ces arguments n’ont pas été soulevés dans les affaires Sarnoff et Unicrop, j’estime que lorsqu’on l’interprète de façon harmonieuse avec paragraphe 73(3) de la Loi sur les brevets et avec les autres dispositions de la Loi et des Règles susmentionnées, le paragraphe 6(1) des Règles a pour effet de créer un régime ordonné en ce qui concerne la poursuite des demandes et le paiement de la taxe périodique par l’intermédiaire du demandeur ou, lorsqu’un agent de brevets a été désigné, par l’intermédiaire de cet agent. Les divers cas qui ont donné lieu à des difficultés s’expliquent par des fautes d’inadvertance et témoignent de la nécessité de procéder à une réforme des Règles. Dans leur rédaction actuelle, les Règles accordent un délai de grâce généreux pour demander le rétablissement, mais elles n’accordent pas au commissaire ou à la Cour le pouvoir discrétionnaire de les contourner. À mon avis, les Règles sont peut‑être partiales du fait qu’elles ne protègent que les intérêts du Bureau des brevets et non ceux des practiciens d’exercice privé. Il y a peut‑être lieu de les réviser, mais il n’appartient pas à la Cour de le faire.

 

QUESTION No 2       L’article 6 des Règles ne prévoit‑il une obligation impérative que pour le commissaire, de sorte que la demanderesse n’est pas assujettie à l’obligation impérative de payer la taxe périodique uniquement par l’intermédiaire d’un représentant autorisé?                                               

 

[33]           Le paragraphe 6(1) des Règles prévoit que le commissaire ne communique qu’ avec le correspondant autorisé et ne tient compte que des communications reçues de celui‑ci. La demanderesse soutient que ni elle ni son agent ne sont tenus de communiquer avec le commissaire que par l’intermédiaire d’un correspondant autorisé. Je reproduis à nouveau le paragraphe 6(1) des Règles :

6. (1) Sauf disposition contraire de la Loi ou des présentes règles, dans le cadre de la poursuite ou du maintien d’une demande, le commissaire ne communique qu’avec le correspondant autorisé en ce qui concerne cette demande et ne tient compte que des communications reçues de celui‑ci à cet égard.

 

 

[34]           J’estime que le paragraphe 6(1) des Règles s’applique de façon harmonieuse avec la Loi sur les brevets et les autres dispositions applicables des Règles sur les brevets. Le commissaire peut sans crainte ignorer les communications relatives à la demande ou à la taxe périodique qui ne proviennent pas d’un représentant autorisé. Mais qu’advient‑t‑il lorsque, comme en l’espèce, le commissaire n’ignore pas la communication, mais y donne suite? Quelles sont les conséquences des tentatives ultérieures du commissaire pour revenir sur ce qui a été fait?

 

[35]           Feu le juge Cullen, de notre Cour, a examiné cette question dans la décision Pfizer Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets), (1999), 1 C.P.R. (4th) 200, dans laquelle la taxe périodique avait été payée pour diverses demandes de brevets. Une partie de cette taxe avait été acquittée après le délai prescrit pour obtenir le rétablissement. Le Bureau des brevets avait envoyé un avis déclarant que toutes les demandes avaient été rétablies. Il avait par la suite envoyé un autre avis précisant qu’une erreur avait été commise au sujet des demandes pour lesquelles la taxe avait été payée en retard. Estimant que le commissaire ne pouvait retirer l’avis de rétablissement, le juge Cullen a confirmé la validité du rétablissement. Voici ce qu’il écrit aux paragraphes 29 à 32 :

29     Compte tenu de la lettre des agents de brevets de la demanderesse datée du 2 mars 1998, qui demande expressément le rétablissement (même si elle utilisait le libellé d’une requête), la lettre antérieure du 10 mars 1997 ne peut être considérée comme une demande de rétablissement de la même nature. La Loi sur les brevets exige qu’une requête soit présentée en vue du rétablissement. Cela implique que l’on demande quelque chose, c’est‑à‑dire que l’on pose un geste exprès. La lettre ne peut être interprétée comme une requête de rétablissement ‑ même si elle renferme certainement une demande, c’est‑à‑dire une modification à la demande elle‑même mais elle ne traite aucunement de la question du rétablissement, contrairement à la lettre ultérieure du 2 mars 1998.

30   Malgré cette négligence et l’omission apparente de satisfaire aux conditions du paragraphe 73(3), le bureau des brevets a délivré un avis de rétablissement le 24 février 1998. Il n’y a rien dans la Loi sur les brevets ou dans les Règles sur les brevets qui prévoit le retrait ou la rétractation d’un avis de rétablissement.

31  Les tribunaux ont limité à des circonstances très restreintes le pouvoir des décideurs de réexaminer leurs décisions une fois que celles‑ci ont été prises. Il s’agit, notamment, de cas où une partie n’a pas été informée de la procédure, de cas où la procédure réglementaire n’a pas été suivie, ou de cas d’erreurs administratives. À l’exception de ces circonstances, le tribunal est considéré comme étant functus officio une fois que la décision a été prise.

32  En l’espèce, l’avis de rétablissement avait été envoyé à la demanderesse, et celle‑ci a pris pour acquis que la demande 371 était rétablie et qu’elle suivait son cours au bureau des brevets. Il n’y a rien dans la Loi ou dans les Règles qui autorise le bureau des brevets à retirer un tel avis, et tant que la demanderesse n’aura pas abandonné sa demande, l’avis de rétablissement doit avoir plein effet.

 

 

[36]           Dans son arrêt publié à (2000), 9 C.P.R. (4th) 13, la Cour d’appel fédérale a infirmé cette décision. Les demandes étaient selon elle déjà caduques et elles ne pouvaient être rétablies, même si l’avis de rétablissement avait été envoyé par inadvertance par le commissaire. Voici ce que le juge Isaac écrit, au nom de la Cour, au paragraphe 23 :

23     Il appert nettement du paragraphe 73(3) de la Loi qu’une demande de brevet abandonnée est rétablie lorsque les trois exigences énoncées à la Loi à cet égard sont respectées et non au moment où le Bureau des brevets délivre un avis de rétablissement. Les trois exigences sont les suivantes (1) une demande de rétablissement doit avoir été présentée; (2) le demandeur doit avoir pris les mesures qui s’imposaient pour éviter l’abandon; (3) la taxe de rétablissement doit avoir été payée. L’article 152 des Règles exige manifestement que la demande de rétablissement d’une demande de brevet soit présentée dans les 12 mois suivant la date de la prise d’effet de la présomption d’abandon. Dans le cas qui nous occupe, cette date était le 27 janvier 1997. Ainsi, la date limite pour la présentation d’une requête en rétablissement était le 27 janvier 1998. L’intimée n’a présenté sa requête que le 5 février 1998, soit une date postérieure à la date limite prescrite par l’article 152 des Règles. Par conséquent, la demande ne pouvait être rétablie en droit.

 

 

[37]           La présente espèce est différente de l’affaire Pfizer en ce que, à la date à laquelle la taxe a été payée, la demande n’était pas « caduque »; elle était toujours active. Le Bureau des brevets a accepté le paiement de cette taxe, même si elle n’était pas acquittée par le « correspondant autorisé » et elle a avisé la bonne personne, l’agent de brevets inscrit au dossier, que cette demande avait été rétablie. Ce n’est que quelques jours plus tard, une fois le délai expiré, que le Bureau des brevets a avisé l’agent de brevets inscrit au dossier que la demande n’aurait pas dû être rétablie. Mais il était alors trop tard. La demanderesse, ses agents ou quelqu’un d’autre avait fait une erreur (je ne tire pas de conclusion à cet égard). Et le Bureau des brevets avait fait une erreur, qui ne pouvait être corrigée. Le Bureau des brevets n’est pas disposé à assumer une part de responsabilité. Dans sa lettre en date du 22 août 2007 adressée à Fetherstonhaugh & Co., il se contente de dire : [traduction] « Nous vous présentons nos excuses pour tout inconvénient », une formule qu’on entend trop souvent.

 

[38]           Il n’y a rien à l’article 6 des Règles ou ailleurs dans la Loi sur les brevets ou dans les Règles sur les brevets qui précise ce qui arrive lorsque, malgré le paragraphe 6(1), le commissaire reçoit une communication et y donne suite. Toutes les mesures qui ont été prises en l’espèce l’ont été pendant que la demande était toujours valide, et non après qu’elle soit devenue caduque. Le paiement de la taxe visant à maintenir la demande en état n’est qu’une simple formalité administrative, contrairement à celle visant la poursuite de la demande de brevet. Il n’existe pas de disposition qui permette de « défaire » cette formalité, une fois qu’elle a été accomplie dans le délai prescrit.

 

[39]           La présente affaire est différente de celle dont était saisie la Cour d’appel fédérale dans Actelion Pharmaceuticals Ltd. c. Canada (Procureur général), (2008), 64 C.P.R. (4th) 381, 2008 CAF 90, dans laquelle la demanderesse tentait de tabler sur une déclaration très générale faite dans une lettre relative au paiement de la taxe de maintien en état pour affirmer qu’elle équivalait à une autorisation de payer toutes les taxes. Dans les motifs qu’il a rendus au nom de la Cour, le juge Sexton reproduit le texte de cette lettre au paragraphe 4 :

4     Supposant qu’elle payait sa première taxe de maintien en état, l’appelante a écrit le 15 juillet 2005 la lettre suivante au commissaire (la lettre de l’appelante) :

 

[traduction]

Le présent paiement comprend la taxe de maintien en état de 100 $ qui est exigible au deuxième anniversaire de la demande de brevet considérée. Le demandeur a choisi de payer cette taxe en tant qu’entité ordinaire.

 

Nous autorisons le commissaire à débiter toute taxe additionnelle ou à créditer tout trop‑perçu liés à la présente communication directement sur notre compte de dépôt [...]

 

[40]           Le juge Sexton a écarté l’argument que cette lettre autorisait le paiement de toute taxe périodique. Il écrit, aux paragraphes 11 et 12 :

 

11     Je partage également les craintes du juge des demandes touchant les conséquences possibles du raisonnement de l’appelante. Il faudrait en effet en déduire la proposition absurde selon laquelle, chaque fois que le paiement d’une taxe de maintien en état serait accompagné d’une formule passe‑partout de la nature décrite plus haut, le commissaire devrait voir dans ce paiement une requête implicite en rétablissement ou quelque autre requête implicite visant à maintenir en vigueur la demande de brevet dont il s’agit. L’OPIC reçoit chaque année de nombreuses demandes de brevet et de nombreuses lettres y afférentes. Les membres du personnel de l’OPIC devraient‑ils maintenant lire chaque lettre que reçoit leur service de manière à y deviner la présence d’une intention que son auteur n’aurait pas explicitement formulée? Une telle façon de faire risquerait d’entraîner des décisions contradictoires. Les conséquences qu’aurait l’acceptation de la prétention de l’appelante paraissent encore plus graves si l’on prend en considération les tiers qui peuvent être amenés à examiner minutieusement le dossier d’une demande de brevet et à prendre des décisions en se fondant sur son contenu. Devront‑ils eux aussi se demander si certains termes peuvent ou non être interprétés comme une requête en rétablissement? Il peut arriver que de tels tiers souhaitent agir en fonction de l’absence apparente d’une requête en rétablissement et prennent des mesures qui leur seraient imputées à contrefaçon dans le cas où le brevet serait en fin de compte délivré. L’interprétation proposée par l’appelante de la Loi sur les brevets et de sa formule passe‑partout obligerait des tiers innocents à choisir entre la voie consistant à attendre une quelconque résolution du problème et la prise de mesures susceptibles de les mettre en danger. Enfin, il est difficile d’imaginer les autres conséquences qu’aurait l’acceptation de l’interprétation de l’appelante. Quelles autres incertitudes entraînerait‑elle?

 

12     Il incombe au demandeur de brevet de se conformer à la Loi sur les brevets plutôt qu’au commissaire d’essayer d’interpréter des communications imprécises. C’est là le principe que pose le juge Létourneau au paragraphe 6 de l’arrêt F. Hoffman‑LaRoche AG c. Canada (Commissaire aux brevets), 2005 CAF 399 :

 

Néanmoins, quelque erreur que le commissaire ait pu faire dans sa propre classification interne du brevet à des fins administratives, les erreurs du commissaire n’ont pas pour effet de libérer l’appelante des obligations que la Loi impose à cette dernière. Elles ne sauraient non plus engendrer, au regard de l’article 46, une responsabilité conjointe ou partagée qui permettrait d’échapper aux conséquences juridiques découlant de l’omission de l’appelante de respecter les exigences de l’article 46.

[Non souligné dans l’original.]

 

J’admets que cette affaire concernait la redélivrance d’un brevet et non le rétablissement d’une demande de brevet, mais le principe demeure le même.

 

 

[41]           En l’espèce, la lettre envoyée pour le paiement de la taxe périodique (en date du 9 juillet 2007) précisait clairement de quelle demande de brevet et de quelle taxe il s’agissait. La réception et l’acceptation de la lettre et de la taxe par le commissaire avant que la demande ne devienne caduque avaient clos le débat. Le commissaire n’avait pas le pouvoir de changer la situation.

 

[42]           L’affaire ne s’est toutefois pas terminée là. Dans la lettre du 22 août 2007 adressée au cabinet qui avait acquitté la taxe de maintien en état, le Bureau des brevets a offert de rembourser le cabinet sur demande, ce que le cabinet en question a fait en décembre 2007. Le remboursement a été effectué en juin 2008. Aucune taxe périodique n’avait donc été payée en date de juin 2008. La demande de brevet était véritablement caduque au moment où le remboursement a eu lieu.

 

[43]           Si le différend avait été soulevé en temps utile en août 2007 ou vers cette date devant le Bureau des brevets ou la Cour, lorsque le commissaire a envoyé la lettre dans laquelle il révoquait le rétablissement, la situation aurait été différente. À ce moment‑là, la taxe périodique avait été payée et acceptée. En juin 2008, la taxe périodique avait été remboursée. La demande était devenue caduque.

 

[44]           En décembre 2009, le cabinet qui avait acquitté la taxe a fait ce qu’on ne peut qualifier que de « tentative désespérée » en vue de convaincre le Bureau des brevets qu’il était depuis le début un coagent en lui soumettant une désignation rétroactive en ce sens. C’est à juste titre que le Bureau des brevets a écarté cette tentative.

 

[45]           Il s’ensuit donc que la demande de brevet était assurément caduque en juin 2008 lorsque la taxe a été remboursée.

 

QUESTION No 3 :    La Cour doit‑elle accorder une réparation en equity?

 

[46]           À titre subsidiaire, la demanderesse invite la Cour à exercer sa compétence en equity pour rectifier ce qu’elle qualifie, et que je qualifie aussi, d’erreur purement technique qui n’a eu de conséquences négatives que sur la demanderesse.

 

[47]           Le paragraphe 20(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, confère à la Cour une compétence relativement à de nombreuses questions de propriété intellectuelle découlant non seulement d’une loi fédérale, mais également de toute autre règle de droit :

20.       (2) Elle a compétence concurrente dans tous les autres cas de recours sous le régime d’une loi fédérale ou de toute autre règle de droit non visés par le paragraphe (1) relativement à un brevet d’invention, un droit d’auteur, une marque de commerce, un dessin industriel ou une topographie au sens de la Loi sur les topographies de circuits intégrés.

 

[48]           La Cour ne peut toutefois invoquer sa compétence en equity aléatoirement ou simplement sur demande. Il faut démontrer qu’il existe des raisons valables justifiant d’invoquer cette compétence.

 

[49]           La demanderesse évoque la levée de déchéance, question que j’ai examinée dans la décision Sarnoff, précitée. La demanderesse cite également l’arrêt de la Cour suprême du Canada Commission hydro‑électrique de Kenora (Ville) c. Vacationland Dairy Co‑operative Ltd., [1994] 1 R.C.S. 80. Je reprends à mon compte les propos que le juge Major a tenus au nom des juges majoritaires, aux pages 111 et 112, et j’attire l’attention sur ce qu’on lit au milieu de ce paragraphe, c’est‑à‑dire sur le fait que, dans cette affaire, il ressortait du dossier que l’intéressé avait agi à son détriment en se fiant aux erreurs d’une autre personne :

 

Une loi peut uniquement modifier l’application des principes de common law en matière de restitution et écarter, comme moyen de défense, une fin de non‑recevoir et un changement de situation de fait lorsque l’entreprise de service public est assujettie à une obligation positive claire qui est incompatible avec l’application de ces principes. L’application des principes de restitution à la présente affaire peut se résumer brièvement. La Coop s’est vu conférer un avantage sous forme d’électricité aux dépens de Kenora Hydro. Le droit en matière de restitution forcerait normalement la Coop à restituer la valeur de cet avantage à Kenora Hydro, à moins que cette valeur n’existe plus à cause d’un changement de situation de fait. En l’espèce, la Coop a réussi à prouver qu’elle a agi à son détriment en se fiant aux factures reçues pour établir ses propres factures et son budget et que, par conséquent, la valeur de l’électricité n’existait plus aux fins d’une réparation fondée sur la restitution. Kenora Hydro a concédé, en Cour d’appel, que tel était le cas et a confirmé cette position devant notre Cour. Le moyen de défense fondé sur la fin de non‑recevoir traduit donc ce que la common law a considéré comme un motif suffisant pour dégager un défendeur de toute responsabilité dans un but d’équité. Appliquant ces principes à la présente affaire, la Coop ne serait plus responsable envers Kenora Hydro.

 

 

[50]           Je ne dispose pas de tels éléments de preuve en l’espèce. L’affidavit déposé par la demanderesse indique simplement que la demanderesse s’est fiée à son avocat américain et à son agent de brevets canadien et qu’elle a simplement tenu pour acquis que tout était dans l’ordre jusqu’à la fin de 2009. Cet avocat et cet agent n’ont pas témoigné au sujet de ce qu’ils ont fait ou des actes du Bureau des brevets auxquels ils se sont fiés, le cas échéant. Suivant le dossier, en demandant le remboursement de la taxe en décembre 2007, le cabinet canadien d’agents de brevets qui avait payé la taxe a vraisemblablement acquiescé aux actes du Bureau des brevets.

 

[51]           Dans ces conditions, il n’y a rien qui justifie d’examiner l’opportunité d’accorder une réparation en equity.

 

CONCLUSION ET DÉPENS

 

[52]           En conclusion donc, la demande doit être rejetée. Le défendeur a droit aux dépens selon l’échelon supérieur de la colonne III, y compris les honoraires d’un avocat principal et d’un avocat adjoint à l’audience.

 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS,

LA COUR STATUE que :

 

1.         la demande est rejetée;

 

2.         le défendeur a droit aux dépens selon l’échelon supérieur de la colonne III, y compris les honoraires d’un avocat principal et d’un avocat adjoint à l’audience.

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑121‑10

 

INTITULÉ :                                                  EXCELSIOR MEDICAL CORPORATION c.
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 29 mars 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE HUGHES

 

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 4 avril 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kevin Sartorio

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jacqueline Dais‑Visca

Abigail Brown

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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