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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110331

Dossier : IMM-383-10

Référence : 2011 CF 400

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

ENTRE :

 

NITESH JAMALSINH THAKOR

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision datée du 5 janvier 2010 par laquelle un agent d’immigration (l’agent) de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a rejeté la demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada (CIC) présentée par le demandeur, au motif que ce dernier était visé par le sous‑alinéa 125(1)c)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

 

[2]               Le demandeur demande une ordonnance annulant la décision de l’agent et renvoyant l’affaire à un autre agent pour nouvel examen.

 

Contexte

 

[3]               Nitesh Jamalsinh Thakor (le demandeur) est un citoyen de l’Inde né le 17 avril 1979.

 

[4]               Le demandeur est entré au Canada le 24 juin 2005 et a épousé Lesley Ann Callaghan, une citoyenne canadienne, le 8 décembre 2007.

 

[5]               La licence de mariage du demandeur indique que son épouse n’avait jamais été mariée auparavant. Or, l’épouse du demandeur s’était mariée en 2002 et avait présenté une demande de parrainage à l’égard de son premier mari en 2003.

 

[6]               Le 19 juin 2008, l’épouse du demandeur a présenté un engagement de parrainage par lequel elle promettait de subvenir aux besoins du demandeur et où elle indiquait n’avoir jamais été mariée, ni n’avoir été la conjointe de fait ou la partenaire conjugale d’une autre personne. Elle a déclaré que tous les renseignements donnés dans l’engagement étaient complets et exacts.

 

[7]               CIC a interrogé le demandeur et son épouse le 27 octobre 2009. CIC leur avait demandé d’apporter des copies de leur licence de mariage et de tout certificat de divorce, si l’un ou l’autre avait déjà été marié auparavant.

 

[8]               Durant l’entrevue, l’épouse du demandeur a admis avoir déjà été mariée auparavant et avoir tenté de parrainer son premier époux, dont elle n’était pas certaine d’être divorcée légalement.

 

[9]               Le demandeur et son épouse avaient jusqu’au 5 décembre 2009 pour fournir un certificat de divorce attestant que l’épouse du demandeur était bel et bien divorcée au moment de leur mariage. Dans une télécopie datée du 4 décembre 2009, le député du demandeur, pour le compte de ce dernier, a demandé que soit prorogé à la fin de janvier 2010 le délai dont le demandeur disposait pour fournir le document. La télécopie ne précisait pas les raisons pour lesquelles une prorogation était demandée ni les démarches que le demandeur et son épouse avaient faites jusque‑là pour obtenir le document exigé. CIC a accepté de repousser le délai au 31 décembre 2009. Le demandeur n’a plus communiqué avec CIC par la suite.

 

[10]           En application du sous‑alinéa 125(1)c)(i) du Règlement, CIC a refusé la demande du demandeur le 5 janvier 2010, parce que celui‑ci n’avait pas démontré que son épouse n’était pas déjà l’épouse d’un tiers au moment de leur mariage.

 

Décision de l’agent

 

[11]           L’agent a déterminé que le demandeur était visé par le sous‑alinéa 125(1)c)(i) du Règlement, aux termes duquel un étranger n’est pas considéré comme appartenant à la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada si lui‑même ou la personne qu’il a épousée était, au moment de leur mariage, l’époux d’un tiers.

 

[12]           L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas fourni la preuve que son épouse n’était pas l’épouse d’un tiers au moment de leur mariage. L’agent a refusé la demande pour cette raison.

 

Questions en litige

 

[13]           Le demandeur a soumis les questions suivantes à l’examen de la Cour :

            1.         L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en ne tenant pas compte d’éléments de preuve, en les interprétant mal et en limitant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire?

            2.         Le demandeur a‑t‑il été privé de l’application des principes de justice fondamentale et de justice naturelle de par la conduite de l’agent dans cette affaire?

 

[14]           Je reformulerais les questions en litige comme suit :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         L’agent a‑t‑il manqué à son obligation d’équité envers le demandeur en ne lui accordant pas un plus long délai pour fournir le certificat de divorce?

 

Observations écrites du demandeur

 

[15]           Le demandeur soutient que l’agent n’a pas agi équitablement lorsqu’il a tranché sa demande de résidence permanente. Le demandeur ne savait pas que son épouse avait été mariée auparavant et, par conséquent, il ignorait qu’il devait produire un certificat de divorce à l’occasion de l’entrevue du 27 octobre 2009. L’agent savait que le certificat de divorce devait venir de l’Inde et aurait dû accorder la prorogation demandée.

 

[16]           Le demandeur affirme que l’agent a entravé son pouvoir discrétionnaire en accordant un délai plus court que celui qui était demandé. L’entrave au pouvoir discrétionnaire peut entraîner un manquement à l’obligation d’agir équitablement. L’agent a choisi une date arbitraire, étant donné surtout que la demande de résidence permanente avait d’abord été présentée en juin 2008 et qu’il avait fallu environ 16 mois pour qu’elle soit traitée. Les 22 jours supplémentaires demandés par le demandeur n’auraient pas constitué un délai excessif dans ces circonstances.

 

Observations écrites du défendeur

 

[17]           Le défendeur souligne que l’épouse du demandeur a fait une fausse déclaration concernant son état matrimonial dans son engagement de parrainage à l’égard du demandeur et, semble‑t‑il, lorsqu’elle a demandé sa licence de mariage. Malgré leur obligation de dire la vérité, le demandeur et son épouse ont tous les deux affirmé n’avoir jamais été mariés dans leur demande et leurs formulaires d’immigration.

 

[18]           Le demandeur et son épouse avaient été avisés qu’ils devaient apporter, à l’entrevue du 27 octobre 2009, une photocopie de tout certificat de divorce antérieur.

 

[19]           Lors de l’entrevue, l’épouse du demandeur a caché qu’elle avait déjà été mariée jusqu’à ce qu’elle soit confrontée au fait qu’elle avait présenté une demande de parrainage à l’égard de son premier mari.

 

[20]           Le défendeur soutient que le demandeur et son épouse ont eu une période raisonnable pour fournir le certificat de divorce. Rien n’indique que l’agent avait été informé que le demandeur devait faire venir le document de l’Inde. Le demandeur a obtenu une prorogation de délai, soit jusqu’au 31 décembre 2009, même s’il n’avait pas expliqué pourquoi la prorogation était nécessaire ni ce qu’il avait fait pour tenter d’obtenir ledit document.

 

[21]           Après avoir obtenu la prorogation du délai au 31 décembre 2009, le demandeur n’a pas communiqué avec CIC pour dire que cette prolongation était insuffisante. Il n’a pas communiqué avec CIC après la date limite du 31 décembre 2009. De par ses propres agissements, le demandeur a renoncé à son droit de se plaindre maintenant du délai qui lui a été accordé.

 

[22]           La Cour ne peut tenir compte de l’acte de divorce, dont l’agent ne disposait pas quand il a rendu sa décision. Le demandeur n’a pas fait savoir à quel moment il avait demandé ou reçu le document. À supposer que l’acte de divorce soit valide, il indique, au paragraphe 7, que l’épouse du demandeur en a obtenu une copie. Aucun élément de preuve ne permet de croire que l’épouse du demandeur n’avait pas cette copie en sa possession avant l’entrevue du 27 octobre 2009.

 

[23]           La Cour fédérale a déjà statué que le fait de refuser une prorogation n’équivalait pas automatiquement à un manquement à l’obligation d’équité.

 

[24]           Le demandeur avait l’obligation de produire le document exigé, mais il a omis de le faire. Il était donc loisible à l’agent de refuser la demande pour les motifs qu’il a invoqués. Le demandeur et son épouse ont été traités équitablement.

 

Analyse et décision

 

[25]           Première question

      Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Si la jurisprudence a déjà arrêté la norme de contrôle devant s’appliquer à une question, la cour de révision peut adopter cette norme (voir l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 57).

 

[26]           Les décisions d’un agent d’immigration concernant les demandes de résidence permanente au titre de la catégorie du regroupement familial comportent des questions mixtes de fait et de droit et sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (voir Natt c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 238, 80 Imm LR (3d) 80, au paragraphe 12).

 

[27]           Deuxième question

            L’agent a t il manqué à son obligation d’équité envers le demandeur en ne lui accordant pas un plus long délai pour fournir le certificat de divorce?

            Le contenu de l’obligation d’équité est variable selon les faits en cause (voir Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49, 236 DLR (4th) 485).

[28]           Dans Khwaja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 522, 148 ACWS (3d) 307, monsieur le juge Edmond Blanchard a statué, au paragraphe 17, que « [l]’obligation d’équité exige que le demandeur soit informé des doutes qu’entretient l’agent des visas et qu’il lui soit accordé une véritable possibilité de les dissiper en produisant une preuve susceptible de le faire ».

 

[29]           En l’espèce, il s’agit de savoir si le demandeur a eu une véritable possibilité de dissiper la crainte que son épouse, au moment de leur mariage, n’ait été mariée à un tiers.

 

[30]           Dans une lettre envoyée le 29 septembre 2009 accompagnée d’une liste de contrôle des documents, CIC avait prévenu le demandeur et son épouse qu’ils devaient apporter le certificat de divorce de tout mariage antérieur à leur entrevue avec CIC.

 

[31]           À l’entrevue du 27 octobre 2009, l’épouse du demandeur a admis avoir déjà été mariée, même si elle avait affirmé le contraire dans son engagement de parrainage. Elle et son mari ont obtenu 30 jours pour présenter le certificat de divorce. La veille de la date limite, le demandeur, par l’intermédiaire de son député, a demandé une prorogation de délai, sans expliquer pourquoi il avait besoin de plus de temps ni indiquer les démarches qu’il avait faites jusque‑là pour obtenir le document. La date limite a néanmoins été repoussée au 31 décembre 2009. Le demandeur n’a pas fait savoir qu’il était incapable d’obtenir le document dans le délai imparti et n’a plus communiqué avec CIC par la suite.

 

[32]           Il incombait au demandeur de fournir à l’agent d’immigration tous les documents dont celui‑ci avait besoin pour trancher la demande de résidence permanente. L’agent n’était pas tenu d’offrir au demandeur plusieurs chances de le convaincre qu’il satisfaisait aux exigences de la Loi et du Règlement (voir Madan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 172 F.T.R. 262, [1999] A.C.F. no 1198 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 6).

 

[33]           La Cour a déjà établi que le fait de refuser une prorogation pouvait entraîner un manquement à l’obligation d’équité. Dans Ram c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 189 F.T.R. 306 (C.F. 1re inst.), monsieur le juge Max Teitelbaum a annulé une décision par laquelle un agent des visas avait refusé la demande de délai supplémentaire de 30 jours que le demandeur voulait obtenir pour produire des documents. Toutefois, comme l’a souligné le juge suppléant Orville Frenette, qui analysait la décision Ram (précitée) dans Anbouhi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 284, au paragraphe 40 :

Il importe de noter que, dans cette affaire, le demandeur avait expliqué pourquoi il ne pouvait obtenir les documents requis dans le délai qui lui avait été imparti.

 

                                                            (Soulignement supprimé)

 

[34]           Dans les circonstances particulières de l’espèce, l’épouse du demandeur avait fait une fausse déclaration concernant son état matrimonial antérieur, le demandeur et son épouse avaient été informés qu’ils devaient fournir le certificat de divorce de tout mariage antérieur, le demandeur s’est vu accorder deux prorogations de délai pour produire le certificat, mais n’a jamais expliqué pourquoi il était incapable d’obtenir le document dans le délai imparti. Compte tenu de ces circonstances, il était raisonnable pour l’agent de refuser la demande de résidence permanente d’après les renseignements dont il disposait au 5 janvier 2010. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[35]           Aucune des parties n’a exprimé le souhait de proposer une question grave de portée générale pour que je la certifie.


JUGEMENT

 

[36]           LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives applicables

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227)

 

125.(1) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

 

. . .

 

c) l’époux du répondant, si, selon le cas :

 

(i) le répondant ou cet époux était, au moment de leur mariage, l’époux d’un tiers,

. . .

 

125.(1) A foreign national shall not be considered a member of the spouse or common-law partner in Canada class by virtue of their relationship to the sponsor if

 

 

. . .

 

(c) the foreign national is the sponsor’s spouse and

 

(i) the sponsor or the spouse was, at the time of their marriage, the spouse of another person, or . . .

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-383-10

 

INTITULÉ :                                       NITESH JAMALSINH THAKOR

 

                                                            - et -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 2 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE :                                               Le 31 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Donald M. Greenbaum, c.r.

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kareena R. Wilding

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Donald M. Greenbaum, c.r.

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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