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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110329

Dossier : T-208-10

Référence : 2011 CF 376

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 mars 2011

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

 

ENTRE :

 

ANDREA BLACKETT

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

PETER BISONETTE, PRÉSIDENT DE SHAW CABLESYSTEMS

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Mme Andrea Blackett, est une partie qui se représente elle-même et qui demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission). La Commission a décidé de ne pas statuer sur la plainte de la demanderesse, en application de l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi).

 

[2]               La plainte de la demanderesse, déposée auprès de la Commission le 13 mai 2009, comporte des allégations de harcèlement sexuel, d’atteinte à la vie privée de la demanderesse et de défaut de son employeur de prendre des mesures d’adaptation relativement à une maladie liée au stress qui a mené au congédiement de la demanderesse, le tout alors que celle-ci était à l’emploi de Shaw Cablesystems G.P. (Shaw). La Commission a résumé comme suit la plainte de la demanderesse :

[TRADUCTION]

 

La plaignante allègue que la mise en cause a fait preuve à son égard de discrimination fondée sur le sexe (féminin) et sur une déficience (une maladie liée au stress) en omettant de lui assurer un milieu de travail où il n’y avait pas de harcèlement, en la soumettant à une différence préjudiciable de traitement, en omettant de prendre des mesures d’adaptation relativement à sa déficience et en la congédiant de façon déguisée. La plaignante allègue qu’elle a été harcelée par des superviseurs et des cadres qui ont passé à son sujet des commentaires constituant du harcèlement sexuel lors de fêtes du personnel, qui l’ont regardée poser des gestes très privés à l’intérieur d’un cabinet d’aisances au travail, au moyen d’une caméra vidéo, puis l’ont taquinée à ce sujet, qui ont surveillé son convertisseur de télévision numérique résidentiel, puis l’ont taquinée au sujet des émissions qu’elle regardait, et qui ont lu des messages texte à caractère personnel et sexuel qu’elle avait envoyés à partir du téléphone cellulaire fourni par son employeur et auxquels ils ont eu accès par l’entremise d’un employé de Rogers. La plaignante allègue également qu’elle a contracté une maladie liée au stress, relativement à laquelle la mise en cause a omis de prendre des mesures d’adaptation lorsqu’elle n’a pas approuvé le congé de maladie recommandé par le médecin de la plaignante, et que la mise en cause l’a congédiée de façon déguisée, parce qu’elle [traduction] « s’est sentie forcée de démissionner à cause du harcèlement sexuel continuel ».

 

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[3]               La Commission a mené l’enquête requise par la Loi. Dans le cadre de cette enquête, elle a établi un rapport relatif aux articles 40 et 41, daté du 16 septembre 2009, et un rapport complémentaire relatif aux articles 40 et 41, daté du 28 octobre 2009. Ces rapports exposent des renseignements communiqués par les parties concernant la plainte ainsi que leurs positions respectives. Ils exposent également l’analyse de la Commission au sujet de la plainte et les différentes options que la Commission pouvait choisir pour disposer de la plainte. Les deux rapports ont été communiqués aux parties. La demanderesse et le défendeur ont répondu aux deux rapports, puis ils ont communiqué leurs réponses respectives au rapport complémentaire.

 

[4]               En dernière analyse, la Commission a décidé de ne pas statuer sur la plainte en application de l’alinéa 41(1)d) de la Loi, parce qu’elle a conclu que la plainte était dénuée d’intérêt, frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. La Commission a fermé le dossier, et elle a donné les motifs suivants au soutien de sa décision :

[TRADUCTION]

 

La plaignante ne savait pas qu’une objection serait soulevée au titre de l’alinéa 41(1)d), et elle n’a pas communiqué de position à ce sujet.

 

La mise en cause a soulevé son objection dans les observations qu’elle a communiquées en date du 21 octobre 2009 à la suite du rapport relatif aux articles 40 et 41. Son objection peut se résumer ainsi :

 

- il n’y a aucun fondement factuel aux allégations de la demanderesse;

- la mise en cause ne possède pas la technologie nécessaire pour commettre les atteintes à la vie privée que la plaignante a alléguées;

- la plaignante a déposé une plainte à l’interne au sujet de laquelle la mise en cause a mené une enquête au printemps 2007 et a conclu que la plainte était sans fondement;

- la plaignante a omis de porter toute nouvelle allégation de harcèlement à l’attention de la mise en cause après l’enquête du printemps 2007;

- la plaignante s’est vu refuser des prestations d’invalidité de courte durée, parce qu’elle n’a pas communiqué de renseignements médicaux pour confirmer qu’elle souffrait d’une déficience;

- la haute direction de la mise en cause n’est pas parvenue à un règlement avec la plaignante en décembre 2008, parce que les préoccupations de la plaignante étaient les mêmes que celles qu’elle avait déjà exposées auparavant et dont il avait été conclu en avril 2007 qu’elles étaient non fondées;

- les allégations de la plaignante relatives à sa télévision numérique par câble sont techniquement impossibles.

 

La Commission note et admet les affirmations suivantes que la mise en cause a faites dans ses observations datées du 25 novembre 2009 :

 

Par conséquent, puisque les ressources collectives ne devraient pas être gaspillées à traiter une demande qui, en fait, [traduction] « doit être manifestement et de toute évidence” rejetée », nous avons parlé aux témoins sur les témoignages desquels elle s’appuie, dont plusieurs ne travaillent plus pour la mise en cause et n’ont aucun intérêt dans cette enquête. Non seulement les témoins avec lesquels la plaignante prétend avoir eu des conversations affirment-ils qu’ils n’ont pas eu de telles conversations, mais ils affirment que les renseignements que la plaignante allègue sont faux et qu’en fait, dans certains cas, ils sont techniquement impossibles.

 

Compte tenu des objections de la mise en cause et des observations formulées, la Commission décide de ne pas statuer sur la plainte en application de l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, parce qu’il ne serait pas dans l’intérêt public de donner suite à cette plainte.

 

 

Les questions que la demanderesse a soulevées dans le cadre du contrôle judiciaire

[5]               La demanderesse semble soutenir que la Commission a commis une erreur en décidant comme elle l’a fait, parce qu’elle l’a fait sans mener une enquête en bonne et due forme en ce qu’elle a omis de procéder à certaines vérifications relativement à divers témoins et de mener certaines enquêtes pour examiner le bien-fondé de la plainte de la demanderesse. Dans sa demande, la demanderesse soutient que la Cour devrait procéder à un contrôle pour les motifs suivants :

a)   La Commission a omis d’interviewer le secteur de la programmation de Shaw pour enquêter au sujet de la question de savoir si Shaw possédait la technologie nécessaire pour visionner les sélections de canaux de distribution par câble, de DVD et de musique des clients;

b) La Commission a omis de mener une enquête quant à savoir si Shaw avait visionné – et, le cas échéant, combien de fois – les sélections de sites Internet de la demanderesse au moyen de sa technologie, dont la demanderesse prétend qu’elle permet un tel visionnement;

c) La Commission a omis de mener une enquête quant à savoir si une caméra avait été placée dans le cabinet d’aisances aux bureaux de Shaw à Vancouver, avec l’autorisation d’employés de Shaw, selon les allégations de la demanderesse;

d) La Commission a omis de vérifier les courriels professionnels de Mme Blackett pour confirmer si des rencontres avaient été fixées avec divers employés de Shaw.

 

La norme de contrôle

[6]               La norme de contrôle applicable à la décision de la Commission de ne pas statuer sur une plainte en application de l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne est la décision raisonnable. Voir : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Morin c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1355; English Baker c. Canada (Procureur général), 2009 CF 1253.

[7]               Les manquements à l’obligation d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Voir : McConnell c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 2005 CAF 389, au paragraphe 7.

 

Analyse

[8]               Le paragraphe 44(3) de la Loi confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire de décider si une plainte donnée justifie une enquête plus approfondie. À cette fin, la Commission peut constituer un tribunal ou elle peut rejeter la plainte. Le pouvoir discrétionnaire de la Commission est assujetti à la règle de l’équité procédurale. Elle est tenue, d’une part, d’informer les parties au sujet de la teneur des éléments de preuve que l’enquêteur a recueillis et dont la Commission dispose et, d’autre part, de donner aux parties la possibilité de répondre aux éléments de preuve et de présenter toutes les observations pertinentes à cet égard. La Commission peut examiner le ou les rapports ainsi que les documents sur lesquels ils se fondent et dont elle dispose, et rendre ensuite sa propre décision. Voir : S.E.P.Q.A. c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, à la page 902.

 

[9]               À mon avis, la Commission s’est conformée aux règles de l’équité procédurale lorsqu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas statuer sur la plainte de la demanderesse. La Commission a communiqué aux parties les rapports ainsi que tous les éléments de preuve recueillis dans le cadre de l’enquête, et elle a donné plusieurs fois aux parties la possibilité de répondre à ces éléments de preuve. Elle a également reçu les observations des parties présentées en réponse aux arguments formulés. La demanderesse n’a produit aucun élément de preuve au soutien de sa prétention selon laquelle la Commission avait manqué à son obligation d’équité dans le cadre de son traitement de la plainte de la demanderesse.

 

[10]           En outre, après avoir soigneusement examiné le dossier, pour les motifs exposés ci-dessous, je suis également convaincu que la décision de la Commission est raisonnable.

 

[11]           Les motifs exposés dans la demande consistent essentiellement en les réponses de la demanderesse à des documents que le défendeur avait présentés à la Commission, lesquelles réponses auraient dû être présentées à la Commission au moment approprié. La demanderesse n’a produit aucun élément de preuve pour établir qu’elle n’aurait pas eu accès à l’un quelconque des éléments invoqués au soutien de sa demande au moment de la décision.

 

[12]           La demanderesse a présenté trois séries distinctes d’observations écrites à la Commission, le 21 octobre, le 13 novembre et le 10 décembre 2009. La Commission a examiné toutes ces observations ainsi que toutes les observations de la demanderesse présentées en réponse aux documents du défendeur avant de rendre sa décision.

 

[13]           La demanderesse n’a produit aucun élément de preuve pour réfuter les faits exposés dans les déclarations des témoins qui figurent parmi les documents du défendeur, alors que la Commission a admis tous ces faits, sans exception. L’enquêteur de la Commission s’est adressé précisément aux témoins dont la demanderesse invoquait les affirmations au soutien de sa demande. Ces témoins ont nié les allégations de la demanderesse en affirmant qu’elles étaient fausses et, dans certains cas, techniquement impossibles. L’enquêteur n’avait pas l’obligation d’interroger tous les témoins, comme l’aurait souhaité la demanderesse, ni l’obligation d’aborder tous les incidents de discrimination allégués, comme l’aurait souhaité la demanderesse. Voir Murray c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 2002 CFPI 699, au paragraphe 24. Dans ces circonstances, il n’était pas déraisonnable que la Commission rende la décision qu’elle a rendue et qu’elle ferme le dossier. Elle n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en ne poursuivant pas son enquête de la manière proposée par la demanderesse.

 

[14]           La Cour a reconnu que la Commission dispose « d’une expertise considérable en matière de droits de la personne ainsi que dans la pondération des intérêts opposés des parties à une plainte » et que la Loi canadienne sur les droits de la personne « accorde à la Commission un degré remarquable de latitude dans l’exercice de sa fonction d’examen initial ». Voir : Khanna c. Canada (Procureur général) 2008 CF 576, au paragraphe 23.

 

[15]           Dans ces circonstances, je conclus que la Commission a exercé convenablement sa fonction d’examen initial. Sa décision est raisonnable en ce qu’elle peut se justifier au regard des faits et du droit, et elle est justifiée, transparente et intelligible dans le cadre du processus décisionnel prescrit.

 

Conclusion

[16]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de la décision du 14 janvier 2009 de la Commission rejetant la demande de la demanderesse sera rejetée.

 


 

 

JUGEMENT

 

[17]                       LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire de la décision du 14 janvier 2009 de la Commission rejetant la demande de la demanderesse est rejetée.

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-208-10

 

INTITULÉ :                                       ANDREA BLACKETT c. PETER BISONETTE, PRÉSIDENT DE SHAW CABLESYSTEMS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 février 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Blanchard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 29 mars 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrea Blackett

Se représentant elle-même

 

POUR LA DEMANDERESSE

Howard Levitt

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Andrea Blackett

Se représentant elle-même

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Lang, Michener LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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