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Date : 20110330

Dossier : IMM-2482-10

Référence : 2011 CF 388

[Traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 30 mars 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

MAGALY TORALES BOLANOS

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 30 mars 2010 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande présentée par la demanderesse en vue de se faire reconnaître la qualité de réfugiée au sens de la Convention ou celle de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

 

CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Mexique. Elle a épousé Salvador Garcia en 2006. Peu de temps après, son mari a commencé à se montrer physiquement et verbalement violent envers elle. Elle n’a jamais signalé ces actes de violence aux autorités mexicaines, estimant qu’elles ne viendraient pas en aide aux femmes victimes de violence familiale.

 

[3]               Son mari est arrivé au Canada en août 2007 et il a présenté une demande d’asile fondée sur la persécution dont il se disait victime de la part de son employeur au Mexique. La demanderesse est arrivée au Canada en octobre 2007 et a joint sa demande d’asile à celle de son mari. Une fille est née de leur mariage en décembre 2007. En février 2008, le mari de la demanderesse a recommencé à être violent envers elle une ou deux fois par semaine. En octobre 2008, la demanderesse a appelé la police. Son mari a été arrêté et a été accusé de voies de fait, mais les accusations ont été retirées après que la demanderesse eut fait défaut de comparaître devant le tribunal. Les époux se sont séparés. Il a été décidé que l’enfant habiterait avec la demanderesse et que le mari aurait des droits de visite. L’audience conjointe sur les demandes d’asile a eu lieu en février 2009. Le mari de la demanderesse avait dit à cette dernière de ne pas prendre la parole à l’audience, ce qu’elle a fait. Une décision défavorable a été rendue le 28 avril 2009.

 

[4]               La demanderesse affirme que son mari, de qui elle était maintenant séparée, l’avait menacée à au moins cinq reprises depuis qu’il avait été arrêté. Elle n’a pas signalé ces menaces à la police. Le 25 octobre 2009, la requête en réouverture de la demande d’asile de la demanderesse a été accueillie au motif qu’elle craignait avec raison d’être victime de violence familiale de la part de son mari et que ce dernier tente de lui enlever leur fille (en septembre 2009, le mari avait ramené l’enfant en retard après une visite et, en octobre 2009, il avait emmené l’enfant sans la permission de la demanderesse). Autant que la demanderesse le sache, son mari est retourné au Mexique le 30 décembre 2009.

 

[5]               L’audience relative à la demande d’asile de la demanderesse a eu lieu le 30 mars 2010. La SPR a rejeté la demande d’asile en raison du manque de crédibilité de la demanderesse et du fait qu’elle pouvait se prévaloir de la protection de l’État au Mexique et qu’elle disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) au Mexique. Il s’agit de la décision visée par le présent contrôle judiciaire.

 

LA DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE JUDICIAIRE

Crédibilité

 

[6]               La SPR a reconnu que la demanderesse avait été victime de violences de la part de son ex-mari. Elle a expliqué que la demanderesse avait soumis trois FRP, dont deux avaient été déposés à temps et le troisième n’avait pas été déposé conformément aux règles de la SPR mais avait été accepté quand même, compte tenu de sa pertinence. Malgré ces trois FRP, le témoignage entendu a fait ressortir certaines omissions, dont la plus importante concernait la raison pour laquelle la demanderesse s’était enfuie au Canada. La SPR a fait observer que ces omissions jetaient des doutes sur la véracité de sa demande d’asile.

 

Protection de l’État

 

[7]               La SPR a examiné la jurisprudence sur la protection de l’État, et notamment la présomption que l’État est en mesure de protéger ses citoyens, qu’il incombe au demandeur d’asile de demander la protection de l’État lorsque celle-ci pourrait raisonnablement être assurée, et de réfuter cette présomption au moyen d’une preuve claire et convaincante.

 

[8]               Appliquant ces principes à la demande d’asile de la demanderesse, la SPR a conclu que le Mexique a le contrôle de son territoire, qu’il possède des forces policières fédérales, étatiques et municipales, et que la loi prévoit des recours pour les personnes qui sont insatisfaites de la suite donnée à leur plainte. La SPR a examiné les dispositions législatives mexicaines interdisant la violence familiale, les organismes gouvernementaux qui ont été mis sur pied pour aider les victimes de violence familiale et les éléments de preuve documentaire contradictoires relatifs à la situation actuelle en ce qui concerne la violence familiale au Mexique. Elle a conclu que l’État mexicain faisait de sérieux efforts pour lutter contre les problèmes de violence familiale et de corruption au sein de ses forces de sécurité et, en fin de compte que la protection de l’État « est efficace et adéquate au Mexique ». Si la demanderesse devait retourner au Mexique aujourd’hui, la protection de l’État lui serait raisonnablement assurée.

 

[9]               La SPR a examiné les démarches que la demanderesse avait entreprises pour obtenir la protection de l’État tant au Canada qu’au Mexique. Elle a reconnu que, même si le Mexique était une « démocratie bien établie », la demanderesse n’avait pu y obtenir la protection de l’État parce que sa mère et la femme de son cousin s’étaient adressées en vain à la police pour obtenir de l’aide. La SPR a accordé peu de poids à la documentation portant sur la violence dont la mère de la demanderesse avait été victime au Mexique. Elle a mentionné l’affidavit de Pamela Cross ainsi que les éléments de preuve documentaires qui faisaient état du cycle de la violence avec lequel les victimes de violence familiale étaient aux prises, de la discrimination dont les femmes font l’objet dans la société mexicaine et de l’aide offerte aux femmes faisant partie de ces groupes.

 

[10]           La SPR a demandé à la demanderesse pourquoi elle avait suivi son mari violent au Canada, mais elle s’est déclarée insatisfaite de sa réponse, en l’occurrence qu’elle n’avait que dix-neuf ans, et qu’elle croyait qu’il s’amenderait et qu’elle avait peur de l’employeur de son mari. La SPR a fait observer que la troisième raison n’était mentionnée dans aucune des trois FRP de la demanderesse. La SPR a déclaré que, même si son jeune âge et l’expérience des personnes se trouvant dans une situation semblable pouvaient expliquer son omission de s’adresser à l’État mexicain en vue d’obtenir sa protection, la situation était différente au Canada. Elle savait qu’elle pourrait obtenir la protection de l’État au Canada et, malgré cela, la demanderesse n’avait sollicité la protection qu’une seule fois.

 

[11]           La SPR a fait remarquer que l’ex-mari de la demanderesse, dont on ignorait où il se trouvait, n’était pas une personnalité en vue ou qui entretenait des liens avec des personnes en position d’autorité. Rien ne permettait non plus de penser qu’il était toujours à la recherche de la demanderesse. Pour ces motifs, la SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

 

Existence d’une possibilité de refuge intérieur

 

 

[12]           La SPR s’est également penchée sur la question de savoir si la demanderesse, qui est une jeune femme qui est habituée à vivre seule, disposait ou non d’une PRI. Elle a appliqué le critère à deux volets de l’arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), [1992] 1 CF 706, 140 NR 138 (CA) et a conclu qu’il existait effectivement une PRI à Guadalajara. Elle a rejeté l’affirmation de la demanderesse suivant laquelle son mari, qui est camionneur, serait en mesure de la retrouver n’importe où au Mexique. La SPR a cité des éléments de preuve documentaire indiquant qu’il était « hautement improbable » qu’une personne puisse être facilement retracée au Mexique en raison du caractère confidentiel des registres publics. Elle a également fait observer que Guadalajara est une grande ville et que, comme la demanderesse était séparée de sa famille, il était peu probable que son mari continue à la rechercher. Le fait pour elle de s’y installer ne lui causerait donc pas de difficultés excessives.

 

QUESTION EN LITIGE

 

[13]           La demanderesse soulève la question suivante :

La SPR a-t-elle tenu dûment compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe pour examiner et trancher la demande de la demanderesse, en particulier en ce qui concerne :

 

 

                                 i.            Le témoignage d’expert de Pamela Cross sur les raisons pour lesquelles une femme continue à habiter avec un homme violent;

 

                               ii.            La nécessité d’être conscient de la vulnérabilité des femmes atteintes du syndrome de la femme battue;

 

                              iii.            Le rôle du sexe dans l’analyse des « personnes se trouvant dans une situation semblable »;

 

                             iv.            Le fait que la SPR ne connaissait pas très bien la preuve;

 

                               v.            L’analyse que la SPR a faite de la protection de l’État et de la possibilité de refuge intérieur.

 

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[14]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente instance :

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

 

 

 

 Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

  

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[15]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique qu’il n’est pas nécessaire dans tous les cas de procéder à une analyse de la norme de contrôle applicable. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à la question dont elle est saisie est bien établie par la jurisprudence, la juridiction de contrôle peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette quête de la norme de contrôle se révèle infructueuse que la juridiction de contrôle doit entreprendre l’examen des quatre facteurs formant l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[16]           La seule question que soulève la demanderesse en l’espèce concerne l’application des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. La norme de contrôle qui s’applique à cette question est celle de la décision raisonnable (Correa Juarez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 890, au paragraphe 12). Dans le cadre de cette analyse, la Cour examinera les conclusions tirées par la SPR au sujet de la crédibilité ainsi que son traitement de la preuve. Là encore, la norme appropriée est celle de la décision raisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 160 NR 315, 42 ACWS (3d) 886 (CAF); Aguirre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, aux paragraphes 13 et 14; Dunsmuir, précité, aux paragraphes 51 et 53, et Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 65).

 

[17]           La juridiction qui procède au contrôle d’une décision en appliquant la norme de la décision raisonnable s’attache donc « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

            La demanderesse

                        Aperçu général

 

[18]           La demanderesse affirme que les conclusions de la SPR au sujet de la crédibilité, de la protection de l’État et de la PRI ont été tirées sans tenir dûment compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et sans les appliquer comme il se doit, de sorte que ces conclusions sont déraisonnables. Selon elle, bien que la SPR ait affirmé avoir tenu compte des Directives, il est évident que ce n’est pas le cas. Ainsi que la juge Danièle Tremblay-Lamer l’affirme dans le jugement Keleta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 56, au paragraphe 15 :

 

le fond l’emporte sur la forme lorsqu’il s’agit de trancher la question de savoir si les principes énoncés dans les directives ont été appliqués correctement. Par conséquent, le fait que, en l’espèce, on ait fait référence aux directives au début de la décision de la Commission n’empêche pas a priori la contestation de la décision sur ce fondement.

 

 

La SPR s’est montrée insensible à la question du syndrome de la femme battue

 

[19]           La demanderesse affirme que la SPR s’est montrée insensible à la persécution fondée sur le sexe dont elle avait été victime, notamment par les questions qu’elle lui a posées au sujet des raisons qui l’avaient motivée à venir au Canada. En se disant perplexe devant les raisons pour lesquelles la demanderesse avait suivi son mari violent au Canada, la SPR montrait qu’elle méconnaissait l’analyse du syndrome de la femme battue à laquelle la Cour suprême du Canada a procédé dans l’arrêt R c. Lavallée, [1990] 1 R.C.S. 852, 76 CR (3d) 329, de même que le témoignage d’expert donné par Mme Cross dans son affidavit et suivant lequel le souhait de la demanderesse d’être réunie à son mari et d’accepter ses promesses de changement sont tout à fait prévisibles. La décision de la SPR trahit son ignorance du cycle de la violence ainsi que son interprétation restrictive du témoignage de l’expert. Bien que la SPR affirme avoir tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe à cet égard, force est de constater qu’elle ne les a invoquées que pour la forme.

 

[20]           Bien qu’il soit vrai que la demanderesse n’a pas précisé dans son FRP qu’elle se sentait en danger à cause des menaces proférées par l’employeur de son mari, elle a cité de nombreuses raisons pour expliquer pourquoi elle voulait venir au Canada. Ces raisons ne se contredisent pas et elles toutes sont raisonnables dans les circonstances. Les questions répétitives et compliquées que la SPR a posées à la demanderesse démontrent son insensibilité ou son incompréhension en ce qui concerne les raisons pour lesquelles elle était venue au Canada. La SPR a essentiellement « tendu un piège » à la demanderesse pour l’amener à raconter son histoire (Dena Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 179, au paragraphe 51). La SPR prend bien soin de préciser que, bien que les omissions de la demanderesse ne soient pas suffisantes pour justifier une décision défavorable au sujet de la demande d’asile, elles « jettent néanmoins des doutes sur sa véracité ». La demanderesse affirme qu’il est injuste de la part de la SPR de contester ainsi sa crédibilité.

 

[21]           La SPR a remis en question l’affirmation de la demanderesse suivant laquelle son mari l’avait projetée au sol. Elle a déclaré que la demanderesse avait déposé trois FRP alors qu’en fait, elle n’en a déposé qu’un seul, qu’elle a modifié à deux reprises. Elle lui a demandé si son mari avait manqué aux conditions de sa remise en liberté sous caution, pour ensuite s’interposer et interrompre la demanderesse à tel point qu’elle ne savait plus elle-même ce que la demanderesse lui avait répondu et qu’elle lui a reproché de lui avoir donné des réponses contradictoires. La demanderesse affirme que ce type d’interaction témoigne d’un mépris total envers les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe en plus de constituer le genre d’« examen à la loupe de la preuve » que le juge François Lemieux dénonce dans le jugement Alfonso c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 51, au paragraphe 25. La jurisprudence de notre Cour déclare clairement que le tribunal « doit en tout temps être attentif et sensible aux demandeurs » (Dena Hernandez, précité, au paragraphe 54). La conduite de la SPR à l’audience soulève une crainte raisonnable de partialité.

La SPR ne connaissait pas très bien la preuve

 

[22]           La demanderesse affirme que, dès le début de la procédure, il est devenu évident que la SPR n’avait pas lu, ou même vu, le premier FRP de la demanderesse, la première version modifiée du FRP ou l’un ou l’autre des documents personnels ou documents relatifs au pays qui avaient été soumis avant l’audience. La demanderesse cite de larges extraits de la transcription pour démontrer qu’en raison de ce manque de préparation, la SPR a posé des questions mal fondées qui ont eu pour effet de plonger la demanderesse dans la confusion et de l’intimider. Cette ignorance de l’histoire personnelle de la demanderesse s’est traduite non seulement par un traitement injuste mais aussi par un manquement aux principes de justice naturelle.

 

            L’analyse des « personnes se trouvant dans une situation semblable » était viciée

 

[23]           La demanderesse affirme que, selon les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, le facteur central, lorsqu’il s’agit d’examiner une allégation de persécution fondée sur le sexe, est la situation personnelle du demandeur d’asile par rapport au bilan de son pays d’origine en matière de respect des droits de la personne et à l’expérience d’autres femmes se trouvant dans une situation semblable à la sienne. Dans le témoignage qu’elle a donné au sujet de femmes se trouvant dans une situation semblable à la sienne, la demanderesse a parlé de la violence familiale dont sa mère avait été victime au Mexique. La SPR a écarté ce témoignage, estimant qu’il n’était « pas pertinent ». La demanderesse affirme qu’au contraire, cette partie de son témoignage est très pertinent, étant donné qu’il concerne le personnage féminin le plus important de sa vie et que, comme les observations formulées le laissent entrevoir, cette expérience a eu pour effet de normaliser le cycle de violence et de laisser croire à la demanderesse que les victimes de violence familiale ne pouvaient compter sur la protection de la police. La demanderesse postule que ce rejet d’un témoignage important a influencé négativement l’analyse que la SPR a faite des personnes se trouvant dans une situation semblable à la sienne.

 

Les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe n’ont pas été utilisées pour analyser la question de la protection de l’État et celle de la PRI

 

[24]           La SPR présume que la demanderesse ne va pas chercher comme il se doit à obtenir la protection de l’État au Mexique parce qu’elle n’a appelé la police qu’une seule fois au Canada. La demanderesse affirme qu’elle ne voyait pas la nécessité de communiquer avec la police au sujet des menaces que son mari lui avait faites au Canada parce qu’il lui avait lui-même dit qu’il ne pouvait rien faire contre elle tant qu’elle serait au Canada, mais qu’une fois de retour au Mexique, il lui enlèverait leur fille. La demanderesse affirme que la SPR a commis une erreur en tirant une conclusion négative de son inaction au Canada. De plus, en ce qui concerne son défaut de communiquer avec la police au Mexique, la demanderesse affirme que le fait que la SPR s’est montrée peu compréhensive en ce qui a trait au rapport de force qui existait entre elle et son mari rend peu fiable la conclusion de la SPR suivant laquelle la demanderesse aurait dû chercher à obtenir la protection de l’État (Rivas Montanez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 460, au paragraphe 4). Enfin, la SPR a tiré une conclusion déraisonnable en estimant que, comme personne n’en avait entendu parler depuis trois mois, le mari ne devait plus représenter une menace.

 

[25]           L’analyse de la PRI à laquelle la SPR a procédé est déraisonnable suivant le second volet du critère de l’arrêt Rasaratnam, précité. Ainsi que la juge Judith Snider l’a déclaré dans le jugement Syvyryn c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1027, aux paragraphes 7 et 8, les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe exigent que le tribunal chargé de déterminer si une PRI est raisonnable examine la capacité de la femme de se rendre dans la partie du pays proposée comme PRI et d’y rester sans difficultés excessives en tenant compte de facteurs religieux, économiques et culturels. La demanderesse soutient que la SPR n’a pas tenu compte du fait qu’en temps que mère monoparentale, elle sera confrontée à des difficultés économiques et culturelles considérables qui seront aggravées par le fait que son enfant n’a jamais vécu au Mexique et que la demanderesse ne connaît pas bien Guadalajara. De fait, la SPR ne mentionne ni la demanderesse ni sa fille dans son analyse de la PRI.

 

Le défendeur

Les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ont été correctement appliquées

 

[26]           Le défendeur affirme qu’il n’y a rien dans le dossier qui permette de penser que la SPR n’a pas tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ou qui permette de réfuter la présomption que la SPR a tenu compte de l’ensemble de la preuve d’une manière équitable, comme elle l’affirme. La SPR n’a pas fait preuve d’insensibilité face à la situation de la demanderesse. Le défendeur soutient que les Directives visent le déroulement de l’audience et qu’il incombe toujours au demandeur ou à la demanderesse d’établir le bien-fondé de ses prétentions; les Directives ne peuvent être invoquées pour corriger une demande déficiente (Newton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 182 FTR 294, [2000] A.C.F. no 738 (QL), au paragraphe 17).

 

[27]           Par ailleurs, il n’y a rien dans le dossier qui indique que la demanderesse a eu de la difficulté à témoigner devant le tribunal ou qu’elle a exprimé des réserves au sujet du déroulement de l’audience. La demanderesse allègue que l’audience était injuste et préjudiciable et qu’elle était viciée par le défaut de la SPR de prendre connaissance de certains documents avant l’audience. Le défendeur affirme que la demanderesse aurait dû réclamer un ajournement si elle s’estimait lésée mais que, comme elle ne l’a pas fait, elle ne peut plus s’en plaindre (Keranda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 125, au paragraphe 23).

 

[28]           Dans ses observations au sujet des affirmations de la demanderesse suivant lesquelles la SPR avait agi de façon déraisonnable en l’interrogeant, le défendeur affirme qu’en tant qu’arbitre des faits, le tribunal a parfaitement le droit d’analyser à fond les incohérences et de réclamer des éclaircissements. Les Directives n’obligent pas la SPR à s’abstenir de poser questions, à répétition au besoin.

 

[29]           Le défendeur affirme également que les conclusions que la SPR a tirées au sujet de la crédibilité et son traitement de la preuve étaient raisonnables. La SPR avait le droit de tirer une conclusion négative au sujet de la crédibilité du fait que la demanderesse avait négligé de mentionner dans chacune des trois versions de son FRP une des raisons l’ayant motivée à venir au Canada. De plus, l’insatisfaction de la demanderesse quant au poids accordé à l’affidavit de Mme Cross constitue une tentative inacceptable visant à faire réévaluer la preuve par la Cour. La SPR n’avait pas l’obligation d’accepter l’opinion de la demanderesse sur la façon dont ce document devait être interprété.

 

On peut compter sur la protection de l’État au Mexique

 

[30]           Le défendeur signale que la demanderesse dit craindre que son mari enlève leur fille, mais qu’elle n’a jamais contacté la police à ce sujet. Le défaut de la demanderesse de se réclamer de la protection de l’État est un facteur pertinent dans le cadre de cette analyse. C’est à la demanderesse qu’il incombe de réfuter la présomption de protection de l’État en démontrant qu’elle a épuisé tous les recours dont elle disposait; ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que le demandeur ou la demanderesse est dispensé(e) de cette obligation (Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, aux paragraphes 56 et 57). Le défendeur affirme qu’en l’espèce, la demanderesse ne s’est pas acquittée de ce fardeau. La SPR a examiné les éléments de preuve documentaire concernant la protection de l’État au Mexique et ses conclusions vont dans le même sens que la jurisprudence de notre Cour, qui a déclaré à de nombreuses reprises que les citoyens du Mexique peuvent compter sur la protection de l’État.

 

Existence d’une PRI à Guadalajara

 

[31]           Le défendeur affirme que la qualité de réfugiée au sens de la Convention ne peut être reconnue à la demanderesse s’il existe une PRI viable dans son pays. La question à se poser est celle de savoir s’il serait trop exigeant de s’attendre à ce que la demanderesse s’installe dans une région moins hostile du Mexique avant de demander l’asile au Canada (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), [1994] 1 CF 589, 109 DLR (4th) 682, à la page 687 (CAF)). La SPR a conclu de façon raisonnable que la demanderesse pouvait déménager à Guadalajara et qu’il était fort peu probable que son mari la retrouve là-bas, compte tenu du temps écoulé et de la séparation de la demanderesse d’avec sa famille.

 

Réponse de la demanderesse

 

[32]           La demanderesse affirme que le défendeur n’a pas répondu à son argument que la SPR n’a pas appliqué les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe d’une manière qui démontrait qu’elle comprenait la situation de la demanderesse en tant que victime de violence familiale. L’affirmation du défendeur suivant laquelle la demanderesse doit réfuter la présomption qu’on a tenu dûment compte des Directives n’est appuyée par aucun précédent. C’est le fond de la décision qui démontrera si les Directives ont été bien appliquées ou non (Keleta, précité, au paragraphe 15). La demanderesse conteste également l’affirmation du défendeur suivant laquelle les Directives ne sont que procédurales; elle signale que cette affirmation est incompatible avec l’analyse de la Cour dans le jugement Keleta, précité, aux paragraphes 14, 18 et 21.

 

[33]           Le défendeur s’indigne devant les affirmations de la demanderesse et en infère que cette dernière aurait préféré que la SPR pose moins de questions. Le défendeur se trompe sur l’argument de la demanderesse, qui accepte que la SPR pose des questions mais qui postule qu’elles devraient être formulées de façon directe, éclairée et respectueuse. La façon agressive dont la SPR a posé ses questions pourrait donner ouverture à un contrôle judiciaire.

 

[34]           La demanderesse affirme également que la SPR et le défendeur ne comprennent pas bien les raisons qui l’ont motivée à venir au Canada. Elle a d’abord déclaré qu’elle était venue au Canada par crainte de représailles de la part de l’ancien employeur de son mari. Dans sa requête en réouverture de sa demande d’asile, elle parlait de la violence qu’elle avait subie de la part de son mari ici et au Mexique.

 

[35]           La demanderesse affirme par ailleurs qu’elle ne demande pas à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve mais plutôt de reconnaître que la SPR n’a pas examiné l’affidavit de Mme Cross ainsi que d’autres éléments de preuve très pertinents et qu’elle n’a pas offert d’explications pour justifier son omission.

 

[36]           En invoquant le défaut de la SPR d’examiner des éléments de preuve avant l’audience, la demanderesse n’a pas soulevé le manquement aux principes de justice naturelle comme motif justifiant un contrôle judiciaire. Elle affirme plutôt que de tels exemples d’iniquité justifient l’intervention de la Cour. L’affirmation du défendeur suivant laquelle la demanderesse aurait dû formuler ses objections à l’audience laisse entendre qu’il n’est pas nécessaire de tenir la SPR responsable de son manque de préparation, ce qui est déraisonnable.

 

 

[37]           Enfin, la demanderesse fait observer que le défendeur a fait défaut de répondre à ses arguments au sujet de l’importance des éléments de preuve portant sur les personnes se trouvant dans une situation semblable et sur le fait que la SPR n’a pas tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe pour analyser la PRI et la question de la protection de l’État. Dans ce dernier cas, elle affirme que, dans le jugement Erdogu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 407, au paragraphe 28, la Cour a reconnu que le pouvoir protecteur de l’État doit comporter non seulement un encadrement légal et procédural efficace mais également la capacité et la volonté d’en mettre les dispositions en œuvre. Aussi louables que puissent être les efforts déployés par le Mexique, l’intention de protéger ne se traduit pas nécessairement par une capacité de protéger. La demanderesse affirme que l’État est présentement incapable de la protéger adéquatement en tant que victime de violence familiale.

 

 

Observations complémentaires du défendeur

 

[38]           Le défendeur affirme qu’il ressort à l’évidence de sa décision que la SPR a bel et bien tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et qu’elle s’est montrée sensible à la situation de la demanderesse en tant que victime de violence familiale. Pour commencer, la SPR affirme dans sa décision qu’elle a tenu compte des Directives. Deuxièmement, la SPR a reconnu la « possible réticence de [la demanderesse] à discuter de questions délicates » et le fait qu’elle était jeune et qu’elle avait pu « être facilement influencée par des expériences vécues par des membres de sa famille ». Troisièmement, elle a tenu compte des lettres confirmant le témoignage de la demanderesse suivant lequel elle avait été victime de violence de la part de son mari. Quatrièmement, elle a cité l’affidavit de Mme Cross et ses affirmations au sujet des « craintes des femmes qui ont grandi dans certaines cultures sociales, religieuses et juridiques et de leurs craintes de quitter un conjoint violent ». Cinquièmement, la SPR a cité des éléments de preuve sur la situation au Mexique en ce qui concerne la violence contre les femmes, la culture machiste et l’existence de maisons de refuge pour femmes battues.

 

[39]           Le défendeur affirme en outre que le fait que la SPR a accordé peu de poids aux éléments de preuve relatifs à la violence dont la mère de la demanderesse avait été victime ou le fait qu’elle n’a pas discuté en détail de l’affidavit de Mme Cross ne rend pas sa décision déraisonnable pour autant. La SPR a apprécié la preuve de la manière qu’elle jugeait appropriée et il n’y a aucun fondement juridique permettant à la Cour d’intervenir.

 

[40]           Le défendeur soutient enfin que la demanderesse n’a pas démontré qu’un observateur relativement bien informé percevrait un parti pris de la part de la SPR dans la façon dont elle a posé ses questions à la demanderesse (Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, à la page 636, [1992] A.C.S. no 21 (QL), au paragraphe 22). Il faut faire preuve de rigueur pour conclure à la partialité, réelle ou apparente; un simple soupçon est insuffisant (R. c. S (RD), [1997] 3 R.C.S. 484, [1997] A.C.S. no 84, au paragraphe 113). Il faut laisser une latitude raisonnable à la SPR lorsqu’elle interroge un demandeur d’asile; un interrogatoire approfondi, répétitif et énergique et des interventions fréquentes ne démontrent pas nécessairement un manque d’impartialité (Bankole c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1581, au paragraphe 23).

 

ANALYSE

            Dossier incomplet – Question préliminaire

 

[41]           À titre de motif de contrôle supplémentaire, la demanderesse a attiré l’attention de la Cour sur le fait que le Dossier certifié du tribunal (le DCT) est incomplet.

 

[42]           Les documents manquants sont la première version modifiée du FRP qui a été soumise à la SPR le 9 mars 2010 ainsi que les observations écrites que l’avocate a soumises à l’audience.

 

[43]           Suivant la demanderesse, en raison de ces omissions au DCT, la Cour ne peut avoir la certitude que la SPR a pris connaissance du dossier en entier avant de rendre sa décision.

 

[44]           Il est évident, à la lecture du paragraphe 21 de sa décision, que la SPR a examiné les trois FRP soumis par la demanderesse et qu’elle en a tenu compte.

 

 

[45]           En ce qui a trait aux observations écrites de l’avocate, la SPR précise bien, au paragraphe 21 de sa décision. qu’elle a « examiné tous les documents que la conseil a présentés ». La SPR confirme aussi au paragraphe 24 qu’elle a « examiné la documentation et les observations présentées par la conseil ».

 

[46]           Il ressort à l’évidence du procès-verbal de l’audience que l’avocate de la demanderesse avait convenu avec la commissaire de formuler des observations orales relativement brèves parce que tout se trouvait déjà dans ses observations écrites et qu’il était entendu que la commissaire examinerait non seulement les observations orales, mais également les observations écrites.

 

[47]           Les observations orales sont brèves mais elles sont par ailleurs assez exhaustives et elles mentionnent les divers éléments relatifs à la protection de l’État et à la possibilité de refuge intérieur, qui représentent les questions déterminantes sur lesquelles la décision portait.

 

[48]           La demanderesse voudrait maintenant que la Cour conclue que, malgré ce qui a été dit à l’audience et malgré l’affirmation que la SPR a faite dans sa décision suivant laquelle elle avait tenu compte des observations de l’avocate, la SPR n’a pas examiné les observations qui avaient été soumises à la commissaire.

 

[49]           J’ai beaucoup du mal à accepter de m’engager dans cette voie parce que cela voudrait dire que la commissaire a menti ou qu’elle n’a pas donné suite à son engagement de prendre connaissance des observations écrites.

 

[50]           À l’appui de cet argument, la demanderesse affirme que la décision elle-même révèle que la SPR n’a pas examiné les observations écrites puisqu’elle ne mentionne pas explicitement les documents cités par la demanderesse qui portent sur la protection de l’État, se fondant plutôt sur des documents antérieurs. Cette omission m’obligerait à conclure que la commissaire ment lorsqu’elle affirme, au paragraphe 21 de la décision, qu’elle a « examiné tous les documents que la conseil a présentés » et, au paragraphe 24, qu’elle a « examiné la documentation et les observations présentées par la conseil ».

 

[51]           Hormis les griefs que la demanderesse formule au sujet du déroulement de l’audience (griefs qui n’ont été ni soulevés ni contestés à l’audience), rien ne permet à la Cour de conclure que la commissaire ment ou même qu’elle tient par inadvertance des propos inexacts lorsqu’elle affirme avoir examiné tous les documents. Je relève par ailleurs que, dans les observations orales formulées au sujet de la protection de l’État, on trouve un résumé des documents qui, selon la demanderesse, appuient ses prétentions, et que des rapports publiés en janvier 2010 par Human Rights Watch sont expressément cités et qu’on y déclare que [traduction] « les lois générales ne sont pas efficaces ». La commissaire a donc manifestement tenu compte des documents défavorables, et le procès-verbal de l’audience, dans lequel on trouve les observations orales en question, avait été versé au DCT.

 

[52]           Tout bien pesé, je ne puis accepter que les lacunes constatées dans le DCT révèlent que la SPR n’a pas examiné tous les documents soumis ou les observations écrites de l’avocate. J’estime donc que la décision de la SPR se retrouve devant notre Cour parce que la demanderesse a reproduit les lacunes du DCT dans son propre dossier. Il s’ensuit que je peux examiner et apprécier les documents et les renseignements dont disposait la SPR lorsque la décision en question a été rendue. La juge Barbara Reed a souligné, dans le jugement Parveen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1999), 168 FTR 103, 1 Imm. L.R. (3d) 205, au paragraphe 9 qu’« un dossier incomplet pourrait, dans certaines circonstances, constituer un motif suffisant en soi d’annulation d’une décision faisant l’objet d’une demande de contrôle judiciaire ». Bien que notre Cour ait par la suite cité la juge Reed et se soit ralliée à son point de vue à cet égard – voir, par exemple, la décision rendue par la juge Elizabeth Heneghan dans l’affaire MacDonald c. Canada (Procureur général), 2007 CF 809 – les faits de la présente espèce ne posent pas problème puisqu’il ressort du dossier que la SPR a bel et bien tenu compte de toutes les modifications apportées par la demanderesse à son FRP et de tous les arguments invoqués par son avocate, et que les pages manquante du DCT ont été versées au dossier de la demanderesse et ont donc été portées à la connaissance de la Cour.

 

Sur le fond

 

[53]           La demanderesse a invoqué de nombreux arguments au sujet du défaut de la SPR de tenir compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe avec un esprit ouvert qui témoignait de sa sympathie, d’apprécier les témoignages d’experts au sujet de la question de la violence familiale et de tenir compte du rôle du sexe de l’intéressée dans son analyse des personnes se trouvant dans une situation semblable, de l’insensibilité de la SPR face à la situation particulière de la demanderesse et à la vulnérabilité des femmes souffrant du syndrome de la femme battue, et des questions agressives et intimidantes qu’elle a posées à l’audience. Bien que les opinions à la base de ces arguments revêtent une très grande importance en principe, une grande partie d’entre elles ne me semblent pas correspondre du tout à la réalité s’agissant d’une décision constatant l’existence d’une protection suffisante de l’État et d’une PRI viable et raisonnable. Ainsi que la SPR le déclare dans les termes les plus nets, aux paragraphes 21 et 22 de sa décision, les doutes qui pourraient exister au sujet de la véracité de la demande d’asile ne constituent pas « un motif suffisant en soi d’annulation d’une décision […] c’est sur la protection de l’État tant au Mexique qu’au Canada que porte l’analyse de la Commission et, à titre subsidiaire, sur l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Guadalajara ou dans le district fédéral ».

 

[54]           Mon examen de la décision m’amène à conclure que la SPR a accepté que la demanderesse avait été victime de violence de la part de son conjoint et que la SPR était parfaitement consciente de la vulnérabilité de la demanderesse en tant que jeune mère craignant de retourner au Mexique avec sa fille parce qu’elle risquait d’être de nouveau confrontée à un conjoint violent qui pouvait lui faire du mal ou s’en prendre à sa fille. En dépit de ces craintes et de cette vulnérabilité, la SPR a estimé que l’État avait la capacité et la volonté de lui offrir sa protection et/ou que la demanderesse disposait d’une PRI raisonnable et viable à Guadalajara ou dans le district fédéral. Le présent contrôle judiciaire vise donc à vérifier si, compte tenu des craintes, de la vulnérabilité et de la situation de la demanderesse, l’analyse que la SPR a faite de la question de la protection de l’État et de celle de la PRI était raisonnable.

 

[55]           La demanderesse aborde effectivement ces questions dans ses observations et affirme que la SPR a commis une erreur en n’analysant pas la protection de l’État et la possibilité de refuge intérieur à la lumière des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

 

[56]           La demanderesse cite la déclaration suivante de la SPR contre laquelle elle s’insurge:

Nous avons conclu que la demandeure d’asile n’avait pas fait preuve de diligence pour obtenir la protection de l’État au Mexique. Nous reconnaissons que la demandeure d’asile était jeune et a pu être facilement influencée par des expériences vécues par des membres de sa famille. Toutefois, au Canada, où elle savait qu’elle pouvait avoir accès à la protection de l’État, elle n’a tenté de l’obtenir qu’à une occasion.

 

[57]           La demanderesse reproche à la SPR de présumer qu’elle « ne va pas chercher comme il se doit à obtenir la protection de l’État au Mexique parce qu’elle n’a appelé la police qu’une seule fois au Canada ».

 

[58]           La demanderesse souligne qu’elle n’a pas jugé nécessaire d’entrer en communication avec les autorités canadiennes parce que son conjoint n’avait menacé de lui faire du mal qu’au Mexique, où elle ne pourra compter sur la protection dont elle bénéficie au Canada.

 

[59]           Je crois que la demanderesse ne saisit pas bien ce que la SPR explique à ce sujet dans sa décision. En premier lieu, la SPR souligne que, pour une raison ou pour une autre, la demanderesse n’a pas fait preuve de diligence pour obtenir la protection de l’État au Mexique dans le passé, de sorte que ce qu’elle a vécu dans le passé au Mexique ne constitue pas une indication de ce qui se produira si elle y retourne et se réclame cette fois-ci de la protection de l’État. En second lieu, au Canada, elle n’a demandé la protection de la police qu’une seule fois, de sorte qu’on peut en conclure qu’elle répugne de toute évidence à réclamer la protection de l’État même lorsqu’elle peut l’obtenir. Il ressort à l’évidence de ce passage de sa décision que la SPR a tenu compte de la vulnérabilité particulière de la demanderesse et qu’elle ne lui reproche pas ses omissions.

 

[60]           La suffisance de la protection de l’État au Mexique ne peut être appréciée en fonction de la répugnance ou de l’omission de la demanderesse de s’en prévaloir. Il n’en demeure pas moins que, si elle décide de s’en réclamer, elle pourra l’obtenir. La demanderesse ne peut, à mon avis, prétendre que la protection de l’État est insuffisante au Mexique parce qu’en tant que femme vulnérable, elle hésite à la réclamer. Elle peut fort bien avoir des craintes subjectives à cet égard, mais si l’État peut, objectivement, offrir une protection adéquate aux femmes qui se trouvent dans sa situation, la demanderesse n’a pas dans ce cas réfuté la présomption fondamentale qu’elle peut se prévaloir de la protection de l’État.

 

[61]           La demanderesse affirme également que la SPR a montré qu’elle ne comprenait pas ses préoccupations :

[traduction]

Elle n’est pas intéressée à faire jeter M. Garcia en prison pour chaque indiscrétion ou cas de violence; elle cherche plutôt à assurer sa sécurité et celle de sa fille. Elle a eu ce sentiment au Canada après avoir appelé la police une fois et, si elle avait apprécié sa situation particulière en faisant montre de la sensibilité qui s’imposait, la SPR n’aurait pas tiré de conclusion négative de son inaction subséquente.

 

[62]           Là encore, j’estime que demanderesse passe à côté de la question. La SPR conclut que la demanderesse pourra se prévaloir au Mexique de toute protection dont elle peut avoir besoin pour se protéger de M. Garcia. La SPR ne tire aucune conclusion négative de sa conduite antérieure ainsi qu’elle le dit expressément dans sa décision :

Par la suite, son époux a été accusé et détenu pendant quelques jours, en attendant une date d’audience. La demandeure d’asile a été citée à comparaître devant la cour, mais elle ne s’est pas présentée, et les accusations ont été retirées. La Commission ne lui reproche pas de ne pas s’être présentée. Selon ses dires, au départ, elle souhaitait que la police appréhende son mari, mais elle a réalisé plus tard que telle n’était pas son intention.

 

[63]           La raison pour laquelle la SPR examine la conduite antérieure de la demanderesse est qu’elle cherche à démontrer qu’elle sait maintenant comment s’adresser à la police lorsqu’elle le souhaite, et que son défaut de consulter la police au Mexique dans le passé ne devrait pas être interprété comme une indication que la police ne lui offrirait pas sa protection à l’avenir à son retour.

 

[64]           La demanderesse pousse plus loin son raisonnement :

[traduction]

De plus, la conclusion de la Commission que la demanderesse n’avait pas fait preuve de diligence pour obtenir la protection de l’État au Mexique est discutable pour deux raisons. Premièrement, comme nous l’avons déjà expliqué, la Commission est arrivée à cette conclusion après avoir déclaré que des renseignements très importants sur les femmes se trouvant dans une situation semblable n’étaient « pas pertinents ». En second lieu, la situation particulière de la victime de violence familiale commande une sensibilité particulière que l’on ne décèle nullement dans l’analyse de la Commission. La conclusion tirée au sujet de la protection de l’État rappelle la décision récente du juge Campbell dans l’affaire Rivas Montanez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 460, au paragraphe 4 :

 

[…] la SPR s’est montrée peu compréhensive en ce qui a trait au rapport de force entre une femme maltraitée et prisonnière aux mains d’un mari violent et jaloux pour déterminer équitablement si, dans la situation de la demanderesse, il était objectivement déraisonnable pour elle de ne pas avoir sollicité la protection de l’État.

 

 

[65]           En premier lieu, la demanderesse n’est pas une femme prisonnière. Elle et son mari se sont séparés et rien ne permet de penser qu’elle va reprendre la vie commune avec lui ou encore qu’il va tenter de la forcer de vivre de nouveau avec lui. En fait, on ne sait pas avec certitude où il se trouve.

 

[66]           Sinon, la demanderesse n’explique pas ce qu’elle entend par la « sensibilité particulière » qui serait absente de l’analyse que la SPR a faite de la protection de l’État.

 

[67]           Les femmes se trouvant dans une situation semblable que la demanderesse a citées étaient sa mère et la femme de son cousin.

 

[68]           La demanderesse a reconnu qu’elle n’avait que treize ans lorsqu’elle s’est adressée à la police en compagnie de sa mère au Mexique et qu’elle n’arrivait pas à se rappeler de la date de l’incident survenu avec son cousin. Dans ces conditions, il est difficile de comprendre en quoi ces femmes se trouvaient dans une situation semblable à celle de la demanderesse, qui est maintenant parfaitement au courant de ce qu’elle doit faire si elle veut obtenir une protection au Mexique et qui bénéficie des réformes récentes évoquées par la SPR, qui démontrent que l’État mexicain prend désormais très au sérieux le problème de la violence familiale et qu’il a la capacité et la volonté d’agir.

 

[69]           La demanderesse remet également en question l’évaluation que la SPR fait du risque que représente actuellement M. Garcia si elle retourne au Mexique. La SPR motive cependant clairement sa position sur la question et ses conclusions appartiennent aux issues acceptables selon l’arrêt Dunsmuir. Le simple fait que la demanderesse a des craintes et qu’elle n’est pas d’accord avec la SPR ne rend pas la décision de celle-ci déraisonnable.

 

[70]           On peut dire la même chose des critiques que la demanderesse a formulées au sujet de l’analyse de la PRI à laquelle la SPR s’est livrée. Cette analyse ne constitue, de toute façon, qu’une conclusion subsidiaire; l’analyse de la protection raisonnable de l’État justifie à elle seule la décision. La demanderesse a fait valoir devant moi à l’audience que la SPR n’avait pas traité adéquatement le cas de sa fille lorsqu’elle avait examiné la question de la protection de l’État. Ainsi qu’il ressort clairement de sa décision, la SPR était parfaitement consciente du fait que la demanderesse craignait pour sa fille et pour elle-même. L’analyse de la protection de l’État à laquelle la SPR s’est livrée valait tant pour la demanderesse que pour sa fille.

 

[71]           La SPR a reconnu que la situation n’est pas parfaite au Mexique et qu’il y a des rapports contradictoires sur la question de savoir si les nouvelles mesures législatives sont efficaces. Toutefois, la SPR a conclu que, dans l’ensemble, la preuve objective justifiait la conclusion que la protection de l’État est suffisante. Les conclusions tirées par la SPR en l’espèce ne contredisent pas la jurisprudence récente de la Cour (voir, par exemple, Navarro Canseco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 73; Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 106; Correa Juarez, précité, et Monjaras c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 771).

 

[72]           En dépit des craintes compréhensibles de la demanderesse et de l’importance qu’elle accorde à son sexe, à sa vulnérabilité et à la sécurité de sa fille, la demanderesse ne m’a pas convaincu que, lorsqu’on l’examine en fonction des véritables motifs qui la fondent, c’est-à-dire la protection de l’État et la PRI, la présente décision est de quelque façon que ce soit déraisonnable.


 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  La demande est rejetée;

 

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

          « James Russell »

       Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2482-10

 

INTITULÉ :                                                   MAGALY TORALES BOLANOS

                                                           

                                                                        et

                                                           

                                                                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 10 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT                           Le juge Russell

ET JUGEMENT :

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 30 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kristin Marshall

 

POUR LA DEMANDERESSE

Nicole Paduraru

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Downtown Legal Services

Kristin Marshall

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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