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Date : 20110324

Dossier : IMM‑3693‑10

Référence : 2011 CF 355

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 mars 2011

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

 

SUWALEE IAMKHONG

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

I.          LES FAITS

 

[1]               La demanderesse est une femme d’origine thaïlandaise qui demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a confirmé qu’elle devait être renvoyée en Thaïlande parce qu’elle était interdite de territoire au Canada pour grande criminalité en application du paragraphe 36(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Au terme de l’enquête tenue le 16 décembre 2008, le commissaire a conclu que la demanderesse était interdite de territoire en raison de la déclaration de culpabilité dont elle avait fait l’objet, décision qui a ensuite été confirmée par la SAI. La Cour a fait droit à la demande d’autorisation le 2 décembre 2010. La juge Marie‑Josée Bédard a rejeté la requête en ordonnance provisoire en vue d’un sursis de l’exécution de la mesure de renvoi en attendant que la demande de contrôle judiciaire soit tranchée. De plus, la protonotaire Martha Milczinski a refusé de reconnaître la qualité d’intervenante dans la présente instance au Réseau juridique canadien VIH/sida et au Committee for Access AIDS Treatment.

 

[2]               La déclaration de culpabilité de la demanderesse résulte du fait qu’elle n’avait pas informé son mari de l’époque qu’elle était séropositive pour le VIH. La demanderesse a quitté son pays natal pour se rendre à Hong Kong et y travailler comme danseuse exotique. Pendant qu’elle occupait cet emploi, elle s’est livrée à la prostitution et a contracté le VIH. Elle a appris qu’elle était séropositive pendant qu’elle était à Hong Kong. Elle est arrivée au Canada munie d’un visa de travail, pour lequel elle a subi un examen médical. Après plusieurs renouvellements périodiques de son visa de travail, la demanderesse, parrainée par son époux, est devenue résidente permanente. Comme les autorités canadiennes ne lui ont pas signalé qu’elle était séropositive, elle a cru à tort que le résultat de séropositivité qu’elle avait obtenu était erroné. Se fondant sur cette supposition, elle a eu des relations sexuelles non protégées avec son mari de l’époque, qui a contracté la maladie.

 

[3]               La demanderesse a été reconnue coupable, en vertu de l’article 221 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, de négligence criminelle causant des lésions corporelles. Le juge du procès l’a condamnée à trois (3) ans d’emprisonnement et lui a accordé une réduction de peine de douze (12) mois pour le temps passé en détention avant le procès. Sur le fondement de cette peine, un rapport d’interdiction de territoire a été établi conformément à l’article 44 de la LIPR. La demanderesse a demandé le contrôle judiciaire des conclusions de ce rapport. Le juge Russel Zinn de notre Cour a toutefois estimé que le rapport était raisonnable (Iamkhong c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 1349). Après l’enquête, le commissaire a appliqué l’alinéa 36(1)a) de la LIPR étant donné que la demanderesse avait été déclarée coupable d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois avait été infligé.

 

[4]               À l’issue de l’appel de la déclaration de culpabilité et de la peine, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la déclaration de culpabilité, mais elle a annulé la peine et l’a remplacée par une peine de deux ans moins un jour, ce qui avait pour effet concret d’accorder à la demanderesse un droit d’appel en vertu du paragraphe 63(3) de la LIPR puisque le paragraphe 64(2) ne s’appliquait plus. Par souci de clarté, je reproduis ces dispositions ci‑dessous.

63. (...)

Droit d’appel : mesure de renvoi

(3) Le résident permanent ou la personne protégée peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l’enquête.

63. (...)

Right to appeal — removal order

(3) A permanent resident or a protected person may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision at an examination or admissibility hearing to make a removal order against them.

Restriction du droit d’appel

64. (1) L’appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l’étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l’étranger, son répondant.

 

 

 

Grande criminalité

(2) L’interdiction de territoire pour grande criminalité vise l’infraction punie au Canada par un emprisonnement d’au moins deux ans.

No appeal for inadmissibility

64. (1) No appeal may be made to the Immigration Appeal Division by a foreign national or their sponsor or by a permanent resident if the foreign national or permanent resident has been found to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality.

 

Serious criminality

(2) For the purpose of subsection (1), serious criminality must be with respect to a crime that was punished in Canada by a term of imprisonment of at least two years.

 

 

[5]               C’est dans ce contexte que la demanderesse a interjeté appel devant la SAI des conclusions d’interdiction de territoire du commissaire. La SAI a appliqué plusieurs facteurs décrits dans la jurisprudence, a rejeté l’appel et a pris une mesure de renvoi en vertu de l’article 69 de la LIPR. C’est cette dernière décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

II.        LA DÉCISION DE LA SAI

[6]               Dans une décision détaillée de 26 pages, la SAI a refusé de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi. Les dispositions de la LIPR qui vont nous guider dans la présente décision sont rédigées comme suit :

66. Il est statué sur l’appel comme il suit :


a) il y fait droit conformément à l’article 67;

b) il est sursis à la mesure de renvoi conformément à l’article 68;

c) il est rejeté conformément à l’article 69.

 

66. After considering the appeal of a decision, the Immigration Appeal Division shall

(a) allow the appeal in accordance with section 67;

(b) stay the removal order in accordance with section 68; or

(c) dismiss the appeal in accordance with section 69.

 

Fondement de l’appel

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :


a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

 

 

Effet

(2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente.

 

 

Appeal allowed

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

Effect

(2) If the Immigration Appeal Division allows the appeal, it shall set aside the original decision and substitute a determination that, in its opinion, should have been made, including the making of a removal order, or refer the matter to the appropriate decision‑maker for reconsideration.

 

Sursis

68. (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.



Effet

(2) La section impose les conditions prévues par règlement et celles qu’elle estime indiquées, celles imposées par la Section de l’immigration étant alors annulées; les conditions non réglementaires peuvent être modifiées ou levées; le sursis est révocable d’office ou sur demande.







Suivi

(3) Par la suite, l’appel peut, sur demande ou d’office, être repris et il en est disposé au titre de la présente section.



Classement et annulation

(4) Le sursis de la mesure de renvoi pour interdiction de territoire pour grande criminalité ou criminalité est révoqué de plein droit si le résident permanent ou l’étranger est reconnu coupable d’une autre infraction mentionnée au paragraphe 36(1), l’appel étant dès lors classé.

 

 

Removal order stayed

68. (1) To stay a removal order, the Immigration Appeal Division must be satisfied, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, that sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

Effect

(2) Where the Immigration Appeal Division stays the removal order

(a) it shall impose any condition that is prescribed and may impose any condition that it considers necessary;

(b) all conditions imposed by the Immigration Division are cancelled;

(c) it may vary or cancel any non‑prescribed condition imposed under paragraph (a); and

(d) it may cancel the stay, on application or on its own initiative.

 

Reconsideration

(3) If the Immigration Appeal Division has stayed a removal order, it may at any time, on application or on its own initiative, reconsider the appeal under this Division.

 

Termination and cancellation

(4) If the Immigration Appeal Division has stayed a removal order against a permanent resident or a foreign national who was found inadmissible on grounds of serious criminality or criminality, and they are convicted of another offence referred to in subsection 36(1), the stay is cancelled by operation of law and the appeal is terminated.

Rejet de l’appel

69. (1) L’appel est rejeté s’il n’y est pas fait droit ou si le sursis n’est pas prononcé.



Appel du ministre

(2) L’appel du ministre contre un résident permanent ou une personne protégée non visée par le paragraphe 64(1) peut être rejeté ou la mesure de renvoi applicable, assortie d’un sursis, peut être prise, même si les motifs visés aux alinéas 67(1)a) ou b) sont établis, sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.





Mesure de renvoi

(3) Si elle rejette l’appel formé au titre du paragraphe 63(4), la section prend une mesure de renvoi contre le résident permanent en cause qui se trouve au Canada.

Dismissal

69. (1) The Immigration Appeal Division shall dismiss an appeal if it does not allow the appeal or stay the removal order, if any.

 

Minister’s Appeal

(2) In the case of an appeal by the Minister respecting a permanent resident or a protected person, other than a person referred to in subsection 64(1), if the Immigration Appeal Division is satisfied that, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case, it may make and may stay the applicable removal order, or dismiss the appeal, despite being satisfied of a matter set out in paragraph 67(1)(a) or (b).

 

Removal order

(3) If the Immigration Appeal Division dismisses an appeal made under subsection 63(4) and the permanent resident is in Canada, it shall make a removal order.

 

[7]               La SAI s’est fondée sur les facteurs pertinents dégagés par la Cour suprême dans Chieu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CSC 3, et Al Sagban c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CSC 2, qui confirmaient les facteurs énoncés dans la décision Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 (QL). Ces facteurs sont les suivants : la gravité de la déclaration de culpabilité, la possibilité de réadaptation, la période passée au Canada, le degré d’établissement au Canada, les bouleversements que le renvoi occasionnerait pour la famille, le soutien dont bénéficie la personne au sein de sa famille et de sa collectivité et l’importance des difficultés que le renvoi causerait à la personne. Il doit également être tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, le cas échéant.

 

[8]               S’appuyant sur ces facteurs, la SAI a établi que, même si la demanderesse n’était pas une criminelle endurcie, la déclaration de culpabilité satisfaisait au critère de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR, puisqu’elle avait été confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario. La SAI n’était pas le forum approprié pour remettre en litige la déclaration de culpabilité. La gravité des actes criminels est « telle que la barre est extrêmement haute pour qu’elle puisse rester au Canada ».

 

[9]               La SAI s’est penchée sur les remords exprimés par la demanderesse et a conclu qu’aucune expression de remords ne pouvait l’emporter sur l’ampleur de son crime. La SAI n’a pas estimé que les remords de la demanderesse constituaient un facteur important. En fait, la décision de la SAI faisait allusion au fait que ces remords servaient les intérêts de la demanderesse.

 

[10]           La réadaptation a été évaluée en tenant compte de la possibilité de réadaptation, plutôt que de la preuve de la réadaptation, à la lumière de la jurisprudence. Ainsi, la SAI a noté que la demanderesse était peu susceptible de récidiver et qu’elle n’avait été déclarée coupable d’aucun autre crime. Ce facteur a été considéré comme neutre. La réadaptation a fait l’objet d’autres observations dans le cadre d’une analyse de « la mesure dans laquelle l’appelante a éliminé de sa vie les conditions de sa situation qui la prédisposaient à la criminalité ». La SAI a noté à cet égard qu’en l’espèce, la demanderesse, après avoir passé 15 ans au Canada, ne parlait couramment aucune des deux langues officielles, et a considéré qu’il s’agissait d’un facteur défavorable. De plus, la demanderesse ne s’était inscrite que « tardivement » à un cours d’anglais, en décembre 2009. Par conséquent, la SAI a indiqué qu’elle n’avait « rien fait de significatif » pour améliorer ses connaissances linguistiques. De plus, la demanderesse était sans emploi et avait besoin du soutien de l’État, ce qui constituait, selon la SAI, un facteur défavorable.

 

[11]           La demanderesse a pris des dispositions pendant qu’elle était incarcérée et depuis sa libération pour « faire quelque chose de sa vie », ce que la SAI a considéré comme un facteur favorable relativement à sa réadaptation. Cela dit, la SAI a constaté que les réalisations à cet égard étaient minimes compte tenu du fait qu’elle vivait au Canada depuis longtemps. Dans l’ensemble, les mesures prises en vue de sa réadaptation étaient très limitées et n’avaient été prises que récemment. En l’espèce, ces mesures n’étaient pas suffisantes pour permettre de passer outre à l’interdiction de territoire.

 

[12]           Le degré d’établissement a ensuite été examiné comme un facteur indépendant. La SAI a souligné que la demanderesse est « sans emploi, dépend entièrement de l’État pour subvenir à ses besoins, ne possède aucune propriété ni aucun bien à l’exception, peut‑être, de quelques biens personnels ». Ce manque d’établissement était un facteur qui jouait contre elle. Le fait que la demanderesse a une sœur qui vit au Canada a également été pris en compte. En ce qui a trait aux liens familiaux, la demanderesse a maintenu des liens personnels avec les membres de sa famille en Thaïlande, car elle envoie de l’argent pour subvenir aux besoins de sa mère et de son fils et qu’elle communique avec eux toutes les semaines.

 

[13]           La question des difficultés a été examinée par la SAI. Comme la demanderesse a contracté le sida, l’accès aux médicaments est essentiel pour qu’elle reste en vie. La demanderesse a présenté des éléments de preuve à l’appui de l’allégation suivant laquelle elle ne pouvait pas être traitée en Thaïlande, ou à tout le moins, que le traitement y était très coûteux. Des lettres de la Thai National AIDS Foundation et de la Société canadienne du sida ont été présentées pour étayer cet argument. La SAI a jugé que l’une des lettres s’appuyait grandement sur l’autre et, par conséquent, elle leur a accordé moins d’importance. D’autres éléments de preuve ont été présentés relativement au traitement du sida en Thaïlande. La SAI s’est appuyée sur la preuve du ministre : une déclaration du Dr G. Giovinazzo, attaché médical d’Affaires étrangères. Dans sa déclaration, le Dr Giovinazzo a affirmé qu’il avait visité un hôpital où on pouvait être traité en Thaïlande et que des traitements étaient offerts dans ce pays, bien qu’une médication de deuxième intention, plutôt que des traitements de première intention, soit offerte dans un petit nombre d’hôpitaux thaïlandais.

 

[14]           La SAI a accordé plus d’importance à la preuve présentée par le Dr Giovinazzo parce qu’elle n’avait été contredite que par les déclarations non solennelles du médecin de la demanderesse et de la Thai National AIDS Foundation, malgré le fait que le Dr Giovinazzo aurait pu être contre‑interrogé. Se fondant sur Bichari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 127, la SAI a jugé qu’il était raisonnable de s’appuyer sur l’opinion du médecin agréé. En conséquence, les autres documents se sont vu accorder moins d’importance parce que les renseignements qu’ils contenaient étaient hypothétiques ou manquaient de clarté.

 

[15]           Parallèlement à cette appréciation, la SAI a constaté que le médecin traitant de la demanderesse n’avait pas établi que les deux médicaments mentionnés étaient les seuls que la demanderesse pouvait prendre. Il avait été à tout le moins établi que ces médicaments étaient disponibles en Thaïlande. Pour conclure sur ce point, la SAI a souligné ce qui suit :

Dans le meilleur des cas, l’appelante retournerait en Thaïlande et aurait un accès gratuit à des hôpitaux, à des médicaments et à des traitements financés par le gouvernement. Dans le pire des cas, elle retournerait en Thaïlande, aurait un accès gratuit à l’un des deux médicaments qu’elle prend actuellement et devrait soit acheter l’autre, dont le prix est inconnu, soit prendre un autre médicament parmi ceux qui sont offerts gratuitement en Thaïlande. Ce n’est pas là le scénario de vie ou de mort présenté par l’appelante.

 

[16]           Tout en reconnaissant que cela était hypothétique, la SAI a présumé que le fils de la demanderesse qui vit en Thaïlande lui apporterait volontiers son aide et son soutien. De plus, elle pouvait compter sur le soutien d’autres membres de sa famille, à savoir ses deux (2) frères.

 

[17]           En ce qui concerne la stigmatisation, la SAI a reconnu qu’il était possible que la demanderesse se heurte à une certaine stigmatisation associée à sa maladie. Après avoir examiné la preuve documentaire sur le sujet, la SAI a conclu qu’elle n’était pas convaincue que cette stigmatisation était telle que la situation atteindrait le niveau des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées.

 

[18]           En outre, la SAI a conclu à l’absence de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées, car la demanderesse retournerait dans un pays dont elle connaît la culture et parle la langue et où elle entretient encore des liens avec des personnes.

 

[19]           La question de l’intérêt supérieur de l’enfant n’était pas vraiment pertinente en l’espèce puisque, comme la SAI l’a mentionné, le fils de la demanderesse, qui est dans la vingtaine, n’est plus un enfant.

 

[20]           En conclusion, la SAI a mentionné que « [r]ien n’est blanc ni noir dans cette affaire ». S’appuyant sur l’intention du législateur telle qu’elle a été décrite dans Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, la SAI a en fait donné priorité aux préoccupations de sécurité de la LIPR. La situation personnelle de la demanderesse, même si elle est malheureuse, ne l’absout pas de sa responsabilité criminelle. Soulignant que le fait de recevoir un meilleur traitement au Canada ne peut servir de fondement à un sursis, la SAI a conclu que la demanderesse aura accès à des médicaments et à des traitements en Thaïlande.

 

[21]           Ainsi, la SAI a estimé que les éléments favorables de son établissement étaient tardifs et insuffisants pour passer outre à l’interdiction de territoire et qu’il n’était pas justifié de prendre des mesures spéciales pour surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi.

 

III.       LA POSITION DES PARTIES

[22]           La demanderesse soutient que la décision de la SAI était entachée d’erreurs. Elle allègue que la SAI a fait erreur ne tenant pas suffisamment compte du soutien de la collectivité et de sa famille dans l’analyse des facteurs énumérés dans Ribic et que le fait, pour la SAI, de ne pas tenir compte de l’un des facteurs énoncés dans cette décision constituait une erreur fatale. Elle allègue également que la SAI a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en utilisant le mauvais critère pour analyser les motifs d’ordre humanitaire. De plus, à son avis, les conclusions de la SAI concernant la disponibilité du traitement en Thaïlande sont déraisonnables.

 

[23]           La demanderesse affirme que l’analyse des facteurs de réadaptation est également déraisonnable étant donné que la SAI n’a pas bien évalué les remords et l’activisme de la demanderesse. Ainsi, l’improbabilité d’une récidive aurait dû être considérée positivement, et non de façon neutre comme la SAI l’a fait. De façon plus générale, elle allègue que la SAI a combiné deux facteurs énoncés dans Ribic en choisissant d’inclure le facteur relatif à l’établissement dans le facteur de la probabilité de récidive. La demanderesse soutient de plus que la SAI a appliqué le mauvais critère en concluant qu’un sursis n’était pas justifié parce que « cela ne donnerait rien de bon ». Elle prétend que, compte tenu du ton moralisateur des motifs de la SAI, il est clair que la décision reposait sur un motif punitif, puisqu’il n’y avait aucun risque de récidive.

 

[24]           Le défendeur soutient que l’argument de la demanderesse selon lequel la SAI n’a pas tenu compte de la preuve documentaire est inexact. Ainsi, il n’est pas, selon lui, nécessaire d’analyser les motifs de la SAI d’une manière formelle et structurée, puisque la liste des facteurs énumérés dans Ribic n’a été donnée qu’à titre indicatif. Les arguments de la demanderesse à cet égard invitent la Cour à effectuer une nouvelle appréciation de la preuve, ce qui n’est pas permis. De plus, le défendeur soutient que la SAI a bel et bien tenu compte du critère approprié dans l’évaluation des difficultés et que le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 25 et à l’alinéa 67(1)c) est le même. En tout état de cause, le défendeur fait remarquer que le critère des difficultés « inhabituelles et injustifiées ou démesurées » n’a pas véritablement été utilisé comme un critère juridique par la SAI. Qui plus est, les conclusions de la SAI concernant le traitement du sida en Thaïlande sont raisonnables, tout comme son analyse des facteurs de réadaptation.

 

IV.       LA NORME DE CONTRÔLE

[25]           Les parties n’ont pas présenté d’observations écrites concernant la norme de contrôle applicable. Toutefois, les questions en litige sont assez simples et une lecture de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, permet d’établir clairement la norme de contrôle applicable.

 

[26]           La demanderesse soumet des questions de droit, à savoir des questions concernant le critère applicable pour évaluer les difficultés ainsi que la nature des facteurs établis dans Ribic et la façon dont il faut appliquer ces facteurs. Ces questions doivent être examinées selon la norme de la décision correcte.

 

[27]           Les autres arguments soulevés par la demanderesse se rapportent à l’appréciation par la SAI de la preuve dont elle disposait. Il s’agit de questions mixtes de fait et de droit qui doivent être examinées suivant la norme de la décision raisonnable et à l’égard desquelles la Cour doit faire preuve de retenue (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12; Abdallah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 6; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Mendoza Reyes, 2009 CF 1097).

 

V.        ANALYSE

A.        Considérations générales

[28]           Il faut mettre les choses en perspective afin de bien comprendre le contexte législatif dans lequel la décision a été rendue.

 

[29]           La question de l’admissibilité des non‑citoyens au Canada est au cœur de la présente affaire. Comme la Cour suprême l’a clairement dit dans Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, les non‑citoyens n’ont aucun droit absolu de demeurer au Canada. Même si cette décision a été rendue avant qu’il soit procédé à d’importantes réformes législatives, la Cour suprême a été claire dans l’arrêt Chiarelli, précité :

Le Parlement a donc le droit d’adopter une politique en matière d’immigration et de légiférer en prescrivant les conditions à remplir par les non‑citoyens pour qu’il leur soit permis d’entrer au Canada et d’y demeurer. C’est ce qu’il a fait dans la Loi sur l’immigration, dont l’article 5 dispose que seuls les citoyens canadiens, les résidents permanents, les réfugiés au sens de la Convention ou les Indiens inscrits conformément à la Loi sur les Indiens ont le droit d’entrer au Canada ou d’y demeurer. La nature limitée du droit des non‑citoyens d’entrer au Canada et d’y demeurer se dégage nettement de l’art. 4 de la Loi. Suivant le par. 4(2), les résidents permanents ont le droit de demeurer au Canada, sauf s’ils relèvent d’une des catégories énumérées au par. 27(1). L’une des conditions auxquelles le législateur fédéral a assujetti le droit d’un résident permanent de demeurer au Canada est qu’il ne soit pas déclaré coupable d’une infraction punissable d’au moins cinq ans de prison. Cette condition traduit un choix légitime et non arbitraire fait par le législateur d’un cas où il n’est pas dans l’intérêt public de permettre à un non‑citoyen de rester au pays. L’exigence que l’infraction donne lieu à une peine de cinq ans d’emprisonnement indique l’intention du législateur de limiter cette condition aux infractions relativement graves. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[30]           Des réformes importantes ont été entreprises pour moderniser le régime d’immigration canadien, ce qui a donné lieu à l’adoption de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Sous le régime qui existait lorsque l’arrêt Chiarelli a été rendu, une déclaration de culpabilité pour un crime grave se rapportait à une infraction punissable de cinq (5) ans d’emprisonnement ou à une infraction pour laquelle un emprisonnement de six (6) mois avait été infligé. L’une ou l’autre condition était requise pour établir l’interdiction de territoire. Sous le régime actuel de la LIPR, le paragraphe 36(1) établit que l’interdiction de territoire pour grande criminalité survient lorsqu’une peine d’emprisonnement d’au moins six (6) mois doit être purgée ou lorsque l’emprisonnement maximal prévu par une loi fédérale est d’au moins dix (10) ans.

 

[31]           Les réformes en matière d’immigration ont mis en évidence des préoccupations concernant la sécurité et la santé de la population canadienne. Dans Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, la Cour suprême a clairement établi ce qui suit, au paragraphe 10 :

Les objectifs explicites de la LIPR révèlent une intention de donner priorité à la sécurité. Pour réaliser cet objectif, il faut empêcher l’entrée au Canada des demandeurs ayant un casier judiciaire et renvoyer ceux qui ont un tel casier, et insister sur l’obligation des résidents permanents de se conformer à la loi pendant qu’ils sont au Canada. Cela représente un changement d’orientation par rapport à la loi précédente, qui accordait plus d’importance à l’intégration des demandeurs qu’à la sécurité : voir, par exemple, l’al. 3(1)i) LIPR comparativement à l’al. 3j) de l’ancienne Loi; l’al. 3(1)e) LIPR comparativement à l’al. 3d) de l’ancienne Loi; l’al. 3(1)h) LIPR comparativement à l’al. 3i) de l’ancienne Loi. Considérés collectivement, les objectifs de la LIPR et de ses dispositions relatives aux résidents permanents traduisent la ferme volonté de traiter les criminels et les menaces à la sécurité avec moins de clémence que le faisait l’ancienne Loi. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[32]           De plus, la Cour suprême a souligné que, pour renforcer davantage cet objectif de sécurité, le législateur avait retiré aux personnes visées par les dispositions relatives à la grande criminalité le droit d’interjeter appel devant la SAI.

 

[33]           Dans la présente affaire, la demanderesse n’a pu prétendre au bénéfice d’un droit d’appel à la SAI avant que la Cour d’appel de l’Ontario n’annule la peine qui lui avait été infligée pour lui permettre de bénéficier de ce droit d’appel. En tout état de cause, il est clair qu’une procédure en matière d’immigration telle que la présente instance ne constitue pas le forum idéal pour remettre en litige une déclaration de culpabilité. La Cour doit accepter le travail de ses confrères des cours criminelles et ne pas créer de l’incertitude en réduisant l’incidence de leurs décisions et en allant à l’encontre de l’intention du législateur. De plus, le rapport d’interdiction de territoire visant la demanderesse a été examiné et jugé raisonnable par mon collègue le juge Zinn dans la décision Iamkhong, précitée.

 

[34]           La procédure de renvoi a été engagée parce qu’il y a grande criminalité et que le législateur juge que cela est suffisamment important pour justifier le renvoi. La question est donc de savoir si la décision discrétionnaire de la SAI de ne pas dégager la demanderesse des conséquences de la déclaration de culpabilité pour des motifs d’ordre humanitaire était raisonnable et si ce pouvoir a été exercé suivant un raisonnement juridique valable.

 

B.         La SAI a‑t‑elle utilisé le critère juridique approprié à l’égard des motifs d’ordre humanitaire?

[35]           La demanderesse allègue que la SAI n’a pas retenu le critère juridique approprié pour évaluer les motifs d’ordre humanitaire. Au lieu de se demander si les difficultés devaient être considérées comme des difficultés « inhabituelles et injustifiées ou démesurées », elle a soutenu que la SAI aurait dû s’appuyer sur un autre critère juridique, celui de la décision Chirwa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [1970] D.C.A.I. no 1, suivant lequel les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire doivent être examinées en tenant compte des intérêts de l’humanité, comme une personne raisonnable l’entendrait dans notre société civilisée.

 

[36]           Avec égards, il s’agit d’une question de droit bien établie. Le critère juridique énoncé dans Chirwa est considéré comme compris dans l’examen des difficultés « inhabituelles et injustifiées ou démesurées » (Lim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CFPI 956, au paragraphe 17; Rizvi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 463). De plus, comme le défendeur l’a dit avec justesse, la demanderesse n’a aucun droit absolu à l’application d’un critère juridique particulier (Paz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 412). Ainsi, la décision de la cour de révision devrait être prise en fonction du contexte de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la SAI, qui a été qualifié de la façon suivante par la Cour suprême du Canada dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 57 :

Reconnaissant que le renvoi peut entraîner des difficultés, le législateur a prévu à l’al. 67(1)c) un pouvoir de prendre des mesures exceptionnelles. Selon la nature de la question que pose l’al. 67(1)c), la SAI « fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé [...] il y a [...] des motifs d’ordre humanitaire justifiant [...] la prise de mesures spéciales ». Il revient à la SAI de déterminer non seulement en quoi consistent les « motifs d’ordre humanitaire », mais aussi s’ils « justifient » la prise de mesures dans un cas donné. L’alinéa 67(1)c) exige que la SAI procède elle‑même à une évaluation liée aux faits et guidée par des considérations de politique.

 

 

[37]           Qui plus est, il n’y a aucun fondement à l’argument de la demanderesse suivant lequel la SAI a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en s’appuyant sur les composantes « inhabituelles et injustifiées ou démesurées » des difficultés découlant du paragraphe 25(1) de la LIPR dans le contexte de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. Comme l’a mentionné la juge Heneghan dans Delos Santos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 614, au paragraphe 16 :

La nature du pouvoir discrétionnaire en matière de motifs d’ordre humanitaire en question est la même, peu importe que ce pouvoir discrétionnaire soit invoqué en vertu de l’alinéa 67(1)c), c’est‑à‑dire relativement à un appel devant la SAI, ou invoqué « de manière indépendante », c’est‑à‑dire en vertu d’une demande indépendante présentée en vertu du paragraphe 25(1). Le pouvoir discrétionnaire en matière de motifs d’ordre humanitaire permet de se soustraire à l’application stricte de la Loi et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

 

 

[38]           Non seulement cette position est étayée par la jurisprudence, mais en plus il s’agit d’une question de cohérence interne des lois. Lorsque le législateur emploie l’expression « motifs d’ordre humanitaire » dans des dispositions d’une même loi, la Cour peut certainement présumer que l’intention et le but du législateur est de donner à cette expression la même signification, puisque la cohérence du législateur est présumée (Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559; 2747‑3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919). Comme l’a souligné la professeure Sullivan, cette présomption [traduction] « est également exprimée comme une présomption contre un conflit interne [...]. La présomption de cohérence est forte et presque impossible à réfuter » (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd., Lexis Nexis, 2008, aux pages 223 à 225). En outre, les objets du paragraphe 25(1) et de l’alinéa 67(1)c) sont semblables : ces dispositions visent à soustraire le demandeur à une exigence de la Loi ou du Règlement. Il n’est que logique que les motifs « d’ordre humanitaire » en vertu desquels cette dispense est accordée soient interprétés de façon cohérente.

 

[39]           Ainsi, la SAI n’a clairement pas entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en examinant la question de savoir si les difficultés subies par la demanderesse en cas de renvoi seraient « inhabituelles et injustifiés ou démesurées ». En fait, ce libellé particulier est tiré du manuel IP‑5, qui guide la décision d’un commissaire dans le contexte du paragraphe 25(1). Il est cependant manifeste en l’espèce que la SAI a exercé son pouvoir discrétionnaire et qu’elle n’a pas appliqué le mauvais critère juridique.

 

[40]           De plus, comme le défendeur l’a fait remarquer, l’argument contraire est plus courant le demandeur allègue que les difficultés n’ont pas, comme il fallait le faire, été considérées comme « inhabituelles et injustifiées ou démesurées » (voir notamment Barnash c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 842).

 

[41]           Dans sa décision, la SAI a divisé ses motifs par section, selon les facteurs énoncés dans Ribic, précité, qu’elle devait analyser. Toutefois, la SAI n’a pas créé de section distincte pour le critère du soutien de la famille et de la collectivité. La demanderesse allègue que cette omission constitue un vice fatal de la décision et montre que la SAI n’a pas apprécié de façon complète les motifs d’ordre humanitaire de l’affaire.

 

[42]           Premièrement, il faut noter à cet égard que la liste des facteurs énumérés dans Ribic est considérée comme étant « indicative et non pas exhaustive » et que « [l]e poids à accorder à un facteur donné dépend des circonstances particulières de chaque cas » (arrêt Chieu, précité, au paragraphe 40). Compte tenu de cela, on comprend que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la SAI doit être guidé par ces facteurs, mais que ceux‑ci ne constituent pas à eux seuls toute l’analyse qui doit être faite. De toute évidence, s’il existe des éléments de preuve concernant un facteur particulier, la SAI doit analyser ce facteur, particulièrement lorsqu’il est lié aux difficultés potentielles (Ivanov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 315; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Stephenson, 2008 CF 82; Vijayasingham c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 395).

 

[43]           Toutefois, l’obligation de la SAI de tenir compte des éléments de preuve pertinents et des facteurs énoncés dans Ribic ne signifie pas que la SAI est tenue de rédiger une analyse point par point de tous les facteurs énumérés dans Ribic. En fait, la Cour se préoccupera plus tard de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la SAI quant à l’analyse de la preuve et des facteurs établis dans Ribic. Mais cette analyse ne peut, selon les principes du droit administratif, exiger de la part de la SAI un formalisme indu à l’égard de sa façon de rédiger ses motifs. Sur cette question, les observations du juge Pinard dans Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Reyes, 2009 CF 1097, au paragraphe 20, sont éloquentes :

En l’espèce, il n’est pas nécessaire de décider si le tribunal doit absolument réciter les critères de Ribic dans sa décision. On peut, tout au moins, se demander si l’exiger ne serait pas faire preuve de formalisme injustifié à l’égard d’un tribunal administratif. Ce qui est important, c’est que le tribunal tienne effectivement compte de ces facteurs dans sa décision.

 

[44]           En fait, il est clair que les conclusions de la SAI sont des conclusions de fait qui doivent être examinées suivant la norme de la décision raisonnable (arrêt Khosa, précité). De plus, la Cour cherchera à savoir plus loin si la SAI s’est acquittée de son obligation d’examiner de façon convenable les éléments de preuve dont elle était saisie. Par ailleurs, le simple fait que le facteur du soutien de la famille et de la collectivité ne fasse pas l’objet d’une section distincte n’est pas une question pertinente. La véritable question est de savoir si la SAI s’est intéressée à la preuve dont elle disposait sur cette question, le cas échéant. Le soutien de la famille et de la collectivité semble effectivement avoir été pris en considération. Nous examinerons plus loin dans les présents motifs la question de savoir si cette analyse était raisonnable. Il suffit de dire qu’il serait incohérent pour une cour de révision de procéder à une analyse formaliste des facteurs établis dans Ribic sans véritablement analyser les motifs de la SAI.

 

[45]           La Cour doit également rejeter l’argument de la demanderesse selon lequel la SAI a appliqué le mauvais critère juridique lorsqu’elle a affirmé que le fait d’accueillir la demande ne donnerait « rien de bon ». Il ressort clairement des motifs de la SAI que la question de savoir si la demande [traduction] « donnerait quelque chose de bon » n’était pas du tout au cœur de sa décision. La Cour considère que ce commentaire est lié à la demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, pour une période de deux ou trois ans, en vue de faire la preuve de la réadaptation. Il est évident que les motifs de la SAI portent sur la question de savoir s’il existe des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier la prise de mesures spéciales compte tenu des autres circonstances de l’affaire, comme l’exige l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. En tranchant une question différente, celle de la norme de preuve applicable, le juge Harrington a fait la mise en garde suivante contre une analyse strictement littérale des décisions de la SAI dans Brace c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 582, au paragraphe 14 :

Les mots doivent être examinés dans leur contexte et peuvent donc prendre différentes teintes. Cependant, rien dans les motifs, pris dans leur ensemble ne donne à penser que la SAI a apprécié la situation selon une norme plus stricte que la prépondérance de la preuve. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[46]           Dans la présente affaire, comme dans toute affaire, les mots doivent être examinés dans leur contexte et rien dans les motifs, pris dans leur ensemble, ne donne à penser que la SAI n’a pas appliqué le critère juridique prescrit par la Cour suprême dans les arrêts Chieu, précité, et Al Sagban, précité. Par conséquent, la décision de la SAI à cet égard est correcte et aucune question de droit soulevée ne justifie l’intervention de la Cour. La Cour va maintenant procéder à l’analyse de la question de savoir si la SAI a raisonnablement tenu compte des facteurs énoncés dans Ribic à la lumière des éléments de preuve dont elle disposait.

 

C.        Analyse des facteurs énoncés dans Ribic

[47]           Tel qu’il a été mentionné dans l’arrêt Khosa, précité, au paragraphe 57, le pouvoir de la SAI de prendre des mesures en vertu de l’alinéa 67(1)c) doit être exercé en tenant compte des circonstances de l’affaire, y compris les difficultés. Ces mesures sont considérées comme « exceptionnelles » par la Cour suprême (arrêt Khosa, précité, paragraphe 57). Partant de cette assertion, il faut procéder à l’examen de la question de savoir si les motifs d’ordre humanitaire et les circonstances de l’affaire justifient la prise de mesures spéciales en tenant compte des facteurs énoncés dans Ribic, tel qu’il en a été discuté dans les arrêts Chieu, précité, et Al Sagban, précité, ainsi que dans les autres décisions pertinentes de notre Cour et d’autres cours. Comme il a été indiqué précédemment, la norme de contrôle applicable à cette partie de la demande est la norme de la décision raisonnable. Il est établi que le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve, mais plutôt de déterminer si la décision fait partie des issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

a)         La gravité du crime de la demanderesse

[48]           Même si ce facteur demeure un facteur distinct de l’analyse fondée sur Ribic, la SAI n’a pas véritablement de pouvoir discrétionnaire sur cette question, car le point de départ de l’analyse est le fait que la demanderesse a été déclarée coupable d’avoir commis le crime qui la rend interdite de territoire.

 

[49]           À cet égard, la SAI s’est appuyée sur la gravité du crime et la nature impitoyable de l’acte lui‑même ainsi que sur la sévérité de la peine purgée par la demanderesse. En fait, la peine a été réduite par la Cour d’appel de l’Ontario. Cependant, cela a été fait d’une manière qui laissait entendre que la peine était réduite pour permettre à la demanderesse de bénéficier d’un droit d’appel devant la SAI. Quoi qu’il en soit, la SAI a jugé qu’une peine de deux ans moins un jour est une peine extrêmement sévère et que la gravité du crime était telle que « la barre est extrêmement haute pour qu’elle puisse rester au Canada ». Cette décision est raisonnable, car elle fait partie des issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

b)         Les conclusions sur l’existence de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées

[50]           Une partie importante des difficultés alléguées par la demanderesse se rapporte à celles qui résultent de son état de santé et, plus particulièrement, de l’exacerbation causée par le renvoi en Thaïlande où, à ses dires, les traitements seraient insuffisants. La disponibilité des médicaments en Thaïlande constituait une conclusion centrale de la SAI à cet égard, puisque c’est sur ce fondement qu’elle a conclu que la demanderesse ne serait pas exposée à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées en cas de renvoi.

 

[51]           La SAI a fondé ses conclusions sur le rapport d’un médecin agréé pour les régions de Hong Kong et Singapour qui, après s’être rendu en Thaïlande et avoir examiné les documents pertinents, a conclu que la médication de première intention était offerte gratuitement et que celle de seconde intention était aussi disponible, quoique de façon plus limitée et à un coût incertain, le prix des deux médicaments pris par la demanderesse n’étant pas ventilé. Pour conclure sur cette question, la SAI a examiné la preuve présentée par la demanderesse et a clairement expliqué pourquoi elle n’avait pas retenu cette preuve. En fait, elle a conclu qu’il fallait accorder plus de poids à l’opinion du Dr Giovinazzo.

 

[52]           La conclusion de la SAI à cet égard est tout à fait raisonnable. Premièrement, comme la SAI l’a souligné, elle était en droit de préférer la preuve du Dr Giovinazzo à celle de la demanderesse, comme l’indique Bichari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 127, au paragraphe 28. De plus, il était raisonnable que la SAI préfère cette preuve puisque le Dr Giovinazzo avait fourni une opinion éclairée qui était étayée par des publications scientifiques portant sur le traitement des personnes atteintes du sida en Thaïlande. Cette conclusion était détaillée, tenait compte de la preuve contraire versée au dossier et offrait un raisonnement clair.

 

[53]           Plus précisément, il était raisonnable de la part de la SAI de conclure que la preuve de la demanderesse était trop vague et n’était pas concluante quant à la question de la disponibilité et du coût des médicaments requis pour assurer la survie de la demanderesse. De plus, aucune preuve concluante n’a été présentée relativement à l’autre médication que la demanderesse pourrait prendre. Finalement, les conclusions de la SAI sur la disponibilité des médicaments en Thaïlande reposaient sur d’importants documents dont un rapport de Médecins Sans Frontières. La Cour est d’accord avec la SAI pour dire que les motifs du juge Martineau dans Bichari, précité, sont très riches en enseignements, bien qu’ils se rapportent à un autre contexte : « La norme pour rendre une décision sur une demande fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire ne peut être de vérifier si les demandeurs obtiendraient des soins supérieurs ou plus abordables au Canada parce que, si tel était le cas, presque toutes les personnes interdites de territoire pour des raisons médicales auraient le droit de rester au pays. » Je le répète, la présente affaire porte sur l’interdiction de territoire pour grande criminalité, mais il ne fait aucun doute que, lorsque la qualité des soins de santé en Thaïlande est une question centrale, il est raisonnable que la SAI et la Cour se fondent sur Bichari.

 

[54]           La conclusion de la SAI suivant laquelle la famille de la demanderesse en Thaïlande lui apporterait son soutien si elle était renvoyée dans ce pays n’a pas été contestée et, par conséquent, cette conclusion doit également être considérée comme raisonnable.

 

[55]           La Cour ne peut substituer ses propres conclusions à celles de la SAI sur cette question : la SAI a fourni des motifs clairs et détaillés à l’appui de sa conclusion sur le sujet. Il s’agit, en fait et en droit, d’une décision qui fait partie des issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, comme l’a établi l’arrêt Dunsmuir, précité.

 

[56]           De plus, avant la prise de la mesure de renvoi à l’égard de la demanderesse, un examen des risques avant renvoi (ERAR) a été réalisé, comme l’exige la LIPR. Bien entendu, les pouvoirs d’un agent d’ERAR sont plus limités que ceux de la SAI aux termes de l’alinéa 67(1)c). Comme la SAI l’a valablement souligné au paragraphe 43 de ses motifs, le cadre de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR est beaucoup plus large : il doit être tenu compte des « autres circonstances de l’affaire ». Cela révèle un exercice sérieux et attentif de la compétence en equity de la SAI, en l’occurrence en ce qui a trait aux difficultés.

 

[57]           À nouveau concernant les difficultés, la SAI a formulé des observations sur la stigmatisation à laquelle la demanderesse pourrait faire face en Thaïlande, advenant qu’elle y soit renvoyée. La Cour note que ces observations n’ont pas été contestées par la demanderesse. En tout état de cause, et au nom de la justice et de la transparence, la Cour estime que les conclusions liées à la stigmatisation étaient également raisonnables : la SAI a reconnu que la demanderesse pourrait faire face à de la stigmatisation, mais elle a statué que cette stigmatisation n’équivalait pas à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées.

 

[58]           De plus, la SAI a fondé ses conclusions concernant les difficultés sur le fait que la demanderesse a entretenu des liens continus avec sa terre natale par l’entremise de sa famille. La SAI a conclu que la demanderesse connaissait la langue et la culture thaïes et que le renvoi en Thaïlande ne pouvait donc constituer à première vue une difficulté. Encore une fois, la Cour est d’avis que ces conclusions sont raisonnables.

 

[59]           Par conséquent, l’appréciation par la SAI des difficultés comme l’un des facteurs de Ribic était raisonnable.

 

c)         Possibilité de réadaptation et remords

[60]           Cet aspect des facteurs de Ribic a également été examiné de façon raisonnable par la SAI. Contrairement à ce que la demanderesse affirme, il semble en fait que la SAI a bel et bien considéré la possibilité de réadaptation comme un facteur favorable à la demanderesse. Toutefois, on ne peut dire la même chose de l’appréciation des remords éprouvés par la demanderesse. En effet, la SAI n’a pas mâché ses mots en ce qui a trait à ces remords, soulignant qu’ils étaient inutiles et intéressés après le crime qu’elle avait commis. Même si la Cour met en garde la SAI contre le fait d’adopter une position trop négative par rapport aux remords, qui pourraient par ailleurs être sincères, on ne peut pas dire qu’ils sont déterminants en l’espèce. Il semble que la SAI ait insisté sur l’abus de confiance à l’origine de la déclaration de culpabilité de la demanderesse et qu’elle ait adopté une position moralisatrice à cet égard. La SAI aurait peut‑être pu faire preuve de plus de tact au sujet de la question des remords, mais sa conclusion n’est pas déraisonnable puisqu’elle résulte de l’appréciation du témoignage de la demanderesse devant la SAI.

 

[61]           En ce qui a trait à la possibilité de réadaptation, la SAI a d’abord considéré ce facteur comme un « facteur neutre » (paragraphe 25 des motifs). La SAI a à juste titre souligné que son analyse devait porter sur la possibilité de réadaptation, et non sur la preuve de la réadaptation (Kanagaratnam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 295; Martinez‑Soto c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 883). La SAI a souligné que la demanderesse n’était pas une criminelle endurcie et qu’il était peu probable qu’elle commette d’autres crimes puisque la preuve indiquait qu’elle « comprend maintenant qu’elle représente une menace pour qui que ce soit avec qui elle aurait des relations intimes ». La SAI a également estimé que la demanderesse respecterait probablement dorénavant les lois. Bien que l’on puisse soutenir que ces éléments sont liés à l’établissement ou même au soutien de la collectivité, la SAI a aussi indiqué que la demanderesse avait entrepris certaines démarches en s’impliquant dans diverses organisations liées au sida, ce qui se rapporte à la réadaptation.

 

[62]           Contrairement à ce que soutient la demanderesse, ces éléments ont été considérés comme des facteurs favorables, et non des facteurs neutres (voir le paragraphe 73 des motifs). En conséquence, la demanderesse ne peut être en désaccord avec la conclusion à l’égard de la conclusion de la SAI sur la possibilité de réadaptation. Il semble plutôt que la demanderesse conteste la manière dont ce facteur a servi à l’appréciation générale des facteurs de Ribic, comme nous le verrons plus loin dans les présents motifs.

 

[63]           Par conséquent, étant donné que la conclusion relative à la réadaptation est fondée sur le bon critère juridique, qu’elle tient compte de la preuve et que, en définitive, elle est favorable à la demanderesse, l’intervention de la Cour relativement à ce facteur n’est clairement pas nécessaire.

 

d)         Le soutien de la famille et de la collectivité

[64]           Tel qu’il a été mentionné précédemment, la Cour rejette la prétention de la demanderesse suivant laquelle la SAI n’a pas examiné les questions de la présence de la famille et du soutien de la collectivité dans la vie de la demanderesse. Ainsi, au paragraphe 28 des motifs, la SAI discute des programmes de réadaptation auxquels la demanderesse participait. Au paragraphe 31, elle fait état des liens que la demanderesse entretient avec sa sœur au Canada. Plus important encore, au paragraphe 63, la SAI a clairement tenu compte du travail et du soutien communautaires de la demanderesse :

Bien sûr, dans son témoignage, Mme Sutdhibhasilp a parlé de ce que l’appelante a fait depuis 2004, tout comme les lettres de soutien de la Société Elizabeth Fry, de Voices of Positive Women et celles du temple bouddhiste auquel l’appelante appartient attestent que cette dernière essaye de se prendre en main avec l’aide d’un réseau communautaire de soutien, ce qui constitue un facteur favorable. [Non souligné dans l’original; renvois omis.]

 

 

[65]           En conséquence, non seulement la SAI a tenu compte de la preuve dont elle disposait à cet égard, mais elle l’a considérée comme étant favorable à la demanderesse. Ce qu’on demande à la Cour, c’est d’apprécier à nouveau la preuve, chose qu’il ne lui est pas loisible de faire, à moins qu’il n’y ait des erreurs de fait et de droit ou des questions semblables exigeant son intervention.

 

e)         Établissement

[66]           Il est manifeste que ce facteur de Ribic est celui qui a joué le plus en défaveur de la demanderesse. La SAI a jugé que, malgré les efforts de la demanderesse, lesquels étaient toutefois tardifs, la preuve n’était pas suffisante pour que le critère de l’établissement joue en sa faveur. À cet égard, la SAI a déploré que, malgré le fait qu’elle était au Canada depuis longtemps (15 ans), la demanderesse ne maîtrisait aucune des deux langues officielles du pays. En outre, la SAI a constaté que la demanderesse dépendait entièrement de l’État pour subvenir à ses besoins et qu’elle ne possédait aucun bien immeuble. La demanderesse n’a que tardivement tenté de remédier à sa faible scolarité et a déclaré qu’elle voulait devenir chef. Ces éléments ont été examinés dans l’analyse des facteurs de réadaptation, mais ils peuvent également faire partie du facteur de l’établissement au Canada. La SAI a également noté que la demanderesse avait une sœur au Canada à qui elle manquerait beaucoup si elle était renvoyée du Canada.

 

[67]           La SAI a résumé ses conclusions comme suit : « Mieux vaut tard que jamais [...] Cependant, après 15 ans, il ne s’agit pas d’une grande réalisation par rapport aux objectifs de l’immigration ». En outre, la SAI a fait remarquer qu’« il est évident que le fait [qu’elle] n’a presque rien fait pour s’établir ici doit être considéré, de façon générale, comme un facteur défavorable ».

 

[68]           Il ressort des motifs de la SAI et des faits de l’affaire que les facteurs d’établissement favorables à la demanderesse sont apparus tardivement et ne sont probablement pas étrangers à la procédure de renvoi engagée. La SAI semblait être convaincue que les facteurs d’établissement qui jouaient en faveur de la demanderesse ne l’emportaient pas sur les facteurs défavorables. Était‑il déraisonnable de la part de la SAI de trancher de cette manière?

 

[69]           La Cour est d’avis que la décision de la SAI concernant l’établissement est raisonnable. Elle a tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents, tant ceux qui étaient favorables que ceux qui étaient défavorables. En fin de compte, sa dépendance totale à l’égard de l’État, sa faible scolarité et sa piètre maîtrise des langues officielles du Canada se sont révélées des facteurs déterminants. Les objectifs pertinents de la LIPR sont énoncés à l’article 3 :

Objet en matière d’immigration

3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

a) de permettre au Canada de retirer de l’immigration le maximum d’avantages sociaux, culturels et économiques;

b) d’enrichir et de renforcer le tissu social et culturel du Canada dans le respect de son caractère fédéral, bilingue et multiculturel;

 

b.1) de favoriser le développement des collectivités de langues officielles minoritaires au Canada;

(...)

e) de promouvoir l’intégration des résidents permanents au Canada, compte tenu du fait que cette intégration suppose des obligations pour les nouveaux arrivants et pour la société canadienne;

(...)

h) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;

 

i) de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité; (...)

Objectives — immigration

3. (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

 

(a) to permit Canada to pursue the maximum social, cultural and economic benefits of immigration;

 

(b) to enrich and strengthen the social and cultural fabric of Canadian society, while respecting the federal, bilingual and multicultural character of Canada;

(b.1) to support and assist the development of minority official languages communities in Canada;

(...)

 

(e) to promote the successful integration of permanent residents into Canada, while recognizing that integration involves mutual obligations for new immigrants and Canadian society;

(...)

(h) to protect the health and safety of Canadians and to maintain the security of Canadian society;

(i) to promote international justice and security by fostering respect for human rights and by denying access to Canadian territory to persons who are criminals or security risks; (...)

 

 

[70]           La Cour souligne les préoccupations claires en matière d’intégration, tant sur le plan culturel que sur le plan économique, l’importance des langues officielles du Canada ainsi que la question de la protection de la santé et de la sécurité des Canadiens. Ces considérations sont reflétées dans l’appréciation qu’a faite la SAI de l’établissement de la demanderesse au Canada. Comme la demanderesse l’a elle‑même admis, elle n’a pas pris de mesures pour s’établir convenablement au Canada parce qu’elle pensait qu’elle vivrait toujours avec son ex‑mari.

 

[71]           Ainsi, la SAI n’a pas estimé pas que l’établissement de la demanderesse était suffisant. Il était raisonnable de la part de la SAI de conclure de cette manière à l’égard de ce facteur de Ribic : tous les éléments de preuve pertinents ont été dûment examinés et soupesés. Il était raisonnable de la part de la SAI de considérer que les efforts de la demanderesse en vue de s’établir étaient insuffisants et tardifs.

 

f)          Pondération globale des facteurs de Ribic

[72]           Dans ses conclusions, la SAI a bien défini l’exercice qui devait être fait : elle devait examiner la question de savoir si, après avoir tenu compte de toutes les circonstances de l’affaire, il existait des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise d’une mesure spéciale. Comme nous l’avons vu précédemment, les motifs de la SAI sont détaillés et font état d’une appréciation raisonnable de la preuve dont elle avait été saisie.

 

[73]           Encore une fois, la Cour insiste sur la nature des demandes de contrôle judiciaire : il ne s’agit pas d’appels de novo. Ainsi, il n’est pas loisible à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve ou de se substituer autrement au décideur. La Cour reconnaît que la SAI a parfois employé des termes un peu forts dans ses motifs, mais cela ne l’a pas empêchée de s’acquitter de ses obligations, à savoir d’examiner équitablement et adéquatement l’affaire dont elle était saisie. Il ne fait aucun doute que la présente affaire est chargée sur le plan émotif. Naviguer dans la preuve et les motifs d’ordre humanitaire n’est pas une mince tâche, particulièrement dans la présente affaire. Par ailleurs, rien n’indique que la demanderesse n’a pas obtenu une analyse complète et juridiquement valable de sa cause.

 

[74]           La SAI a souligné tous les facteurs pertinents de Ribic et s’est penchée sérieusement sur l’affaire. Elle a fait ressortir certains facteurs favorables. En fin de compte, les facteurs défavorables l’ont emporté sur tous les aspects positifs de la présente demande. Il était raisonnable de la part de la SAI de conclure de cette manière, puisqu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité et que rien n’a été laissé au hasard dans les motifs de la SAI. Il était raisonnable que la SAI conclue que l’ensemble des circonstances de l’affaire ne justifiait pas la prise de mesures particulières sur le fondement de motifs d’ordre humanitaire.

 

VI.       QUESTION PROPOSÉE AUX FINS DE CERTIFICATION

[75]           La demanderesse propose que la question suivante soit certifiée :

[traduction] Lorsqu’elle examine les difficultés au titre des motifs d’ordre humanitaire en application du paragraphe 67(1) de la LIPR, la SAI doit‑elle se limiter à examiner uniquement les difficultés qui, selon elle, constituent des difficultés « inhabituelles et injustifiées ou démesurées » ou doit‑elle examiner toutes les difficultés suivant le critère énoncé dans Chirwa?

 

 

[76]           La demanderesse fait valoir à cet égard que cette question est à la fois déterminante quant à l’issue de l’appel et de portée générale. De plus, dans ses observations concernant la certification de questions, l’avocat de la demanderesse a tenté de reformuler et de nuancer les arguments présentés à l’audience et dans les documents soumis à la Cour. Il a avancé que des directives de la Cour d’appel sur cette question clarifieraient davantage les tâches du commissaire chargé de l’appréciation des motifs d’ordre humanitaire.

 

[77]           Le défendeur s’oppose à la certification de cette question étant donné que, selon lui, elle a déjà été résolue par la Cour suprême et qu’elle ne permet pas de régler l’appel.

 

[78]           Le critère de la certification veut que la question proposée soit de portée générale et permette de régler l’appel (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89).

 

[79]           En outre, comme nous l’avons vu précédemment, au paragraphe 38, la présomption de cohérence des dispositions d’une loi est telle que la question proposée aux fins de certification par la demanderesse irait à l’encontre de l’interprétation de l’expression « motifs d’ordre humanitaire » reconnue relativement aux articles 25 et 67 de la LIPR. Il ne faut pas perdre de vue l’intention et la cohérence du législateur : lorsque des motifs d’ordre humanitaire sont en jeu, il est incontestable que la même expression employée dans la LIPR ne peut être interprétée différemment simplement parce qu’il s’agit de deux dispositions différentes de la même loi. Comme la cohérence législative est essentielle à la prévisibilité de l’application des lois du Canada, la question proposée aux fins de certification irait à l’encontre de la cohérence et des principes clairement établis par la Cour suprême.

 

[80]           Il ne fait aucun doute qu’il existe déjà des orientations générales appropriées de la Cour suprême quant au critère à appliquer pour apprécier les motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 67(1) de la LIPR. Premièrement, Chirwa n’est pas une affaire récente, ce qui permet de penser que les cours d’appel étaient au courant et conscientes de l’étendue et de la portée de cette décision. La Cour suprême a clarifié l’application de Ribic au regard de l’obligation de la SAI prévue au paragraphe 67(1) de la LIPR dans les arrêts Chieu, précité, et Al Sagban, précité. De toute évidence, tel que notre Cour l’a décidé dans d’autres affaires, il est possible de présumer que les considérations générales soulevées dans Chirwa constituent un élément de l’évaluation de la SAI et ne peuvent constituer un critère juridique autonome pour l’évaluation des difficultés.

 

[81]           Il importe également de souligner que la Cour suprême a décrit avec beaucoup de soin dans l’arrêt Khosa, précité, le cadre dans lequel la SAI exerce son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 67(1) de la LIPR.

 

[82]           Enfin, la Cour n’est pas convaincue que cette question permettrait de régler l’appel : la SAI a bien analysé tous les éléments de preuve dont elle disposait et les a soupesés. Les idées générales lancées dans Chirwa ne peuvent certainement pas être considérées comme déterminantes quant à l’issue de l’appel : on peut présumer que la SAI a examiné l’affaire « en tenant compte des intérêts de l’humanité, comme une personne raisonnable l’entendrait dans notre société civilisée ». La Cour ne voit pas comment cela pourrait même constituer un critère juridique autonome valide qui pourrait se révéler déterminant quant à l’issue de l’appel.

 

[83]           En conséquence, étant donné que les cours d’appel ont donné amplement d’indications et que cette question ne permet pas de régler l’appel, elle ne sera pas certifiée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3693‑10

 

INTITULÉ :                                                   SUWALEE IAMKHONG c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 2 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 24 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aadil Mangolji

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Lynn Lazaroff

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aadil Mangolji

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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