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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 


Date : 20110323

Dossier : T-2128-09

Référence : 2011 CF 361

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

 

LE CHEF ET LE CONSEIL DES PREMIÈRES NATIONS WHITE BEAR, en leur propre nom et en celui de tous les membres des PREMIÈRES NATIONS WHITE BEAR

 

 

 

demandeurs

et

 

 

 

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN, au nom de Sa Majesté la Reine du chef du Canada

 

 

 

 

défendeur

 

et

 

 

 

LE CHEF ET LES CONSEILLERS DE LA BANDE D’OCEAN MAN, en leur propre nom et en celui des membres de la BANDE INDIENNE D’OCEAN MAN

 

 

 

 

défendeurs

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 


I.          INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre) de retenir les deux-tiers des fonds qui font l’objet devant la Cour d’un long litige auquel sont parties quelques-unes des parties au présent contrôle judiciaire. Les fonds ont été transférés dans un compte d’attente jusqu’à l’issue de ce litige (le litige McArthur).

 

II.         CONTEXTE

[2]               La Première nation White Bear (White Bear), la Bande indienne d’Ocean Man (la Bande d’Ocean), la Bande indienne des Nakotas de Pheasant Rump (Pheasant Rump) et le ministre sont parties au litige McArthur en instance devant la Cour fédérale. L’affaire porte sur la fusion illégitime de ces trois bandes, la propriété bénéficiaire de terres riches en pétrole ainsi que la reddition de compte et la restitution relative aux redevances et profits réalisés et à réaliser provenant de ces terres.

 

[3]               Le litige McArthur porte notamment sur les droits relatifs à quelques huit millions de dollars en redevances, détenus dans le compte de White Bear tenu par le ministre.

 

[4]               Le ministre a décidé de conserver les deux-tiers de cette somme (5 333 334 $) (les fonds) dans un compte d’attente. White Bear pouvait disposer du tiers restant. White Bear réclame l’intégralité des huit millions de dollars faisant l’objet du litige McArthur.

 

[5]               Le problème soulevé dans cette action découle de la fusion des trois bandes en 1901, de la vente des terres de réserve d’Ocean Man et de Pheasant Rump, de l’achat des [traduction] « terres de la frontière Nord » avec les produits de la vente des réserves, et de la cession en 1941 des droits sur le pétrole et le gaz naturel. La fusion des trois bandes s’est terminée en 1986. La division des actifs entre les bandes récemment défusionnées constitue l’une des questions soulevées dans le litige McArthur.

 

[6]               Dans le contexte du litige McArthur, Ocean Man a demandé à la Couronne de conserver les redevances passées et futures provenant de la cession des terres de la frontière Nord dans l’attente de la décision sur les droits dans ce litige.

 

[7]               Le ministre a informé White Bear le 31 juillet 2009 qu’il avait l’intention de déposer un montant approprié dans un compte d’attente avec intérêts créditeurs jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur la question des droits. Le ministre s’est dit inquiet de la responsabilité éventuelle de la Couronne et de la bande relativement à tout paiement des produits provenant des ressources données à bail pour les terres en litige de la frontière Nord. Le montant devant être déposé dans le compte était les deux-tiers des huit millions de dollars, ce qui représentait les intérêts et le principal accumulés relativement aux redevances.

 

[8]               Le ministre a invité White Bear à discuter davantage de la question. Cependant, en l’absence d’une réponse, les fonds ont été transférés du compte de capital de White Bear dans le compte d’attente.

 

[9]               White Bear s’est ensuite formellement opposée à la conservation des fonds. White Bear a également été informée le 19 novembre 2009 que, en raison de ce transfert, aucun fonds n’était disponible pour une distribution par tête.

 

[10]           Dans une lettre, signée vers le 9 novembre 2009, le ministre a invité les chefs des trois bandes à discuter plus à fond de l’affaire. White Bear y a répondu en déposant la présente demande de contrôle judiciaire.

 

III.       ANALYSE JURIDIQUE

[11]           Le présent contrôle porte sur la décision du ministre, prise dans le contexte des prétentions contradictoires des trois bandes concernant leurs droits sur la somme de huit millions de dollars, de déposer les deux-tiers de cette somme dans un compte d’attente. La décision a permis à White Bear d’avoir accès à un tiers de ce montant mais aucun accès au fonds n’a été donné à l’une ou à l’autre des deux bandes.

 

A.        La norme de contrôle judiciaire

[12]           La première question qui se pose est celle de savoir si le ministre avait le pouvoir de prendre la décision qui fait l’objet du présent contrôle. Il s’agit d’une véritable contestation de compétence susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

[13]           La seconde question porte sur le bien-fondé de la décision du ministre. Cette question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Tribu d’Ermineskin c. Canada, 2008 CF 741).

 

[14]           Les demandeurs ont tenté de faire valoir qu’il y avait eu manquement à l’obligation de consulter. Si cette prétention est fondée, l’existence et la teneur de l’obligation constituent une question de droit, de même que la question de savoir si la consultation était raisonnable. Ces questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73).

 

B.         Obligation de consulter

[15]           Pour traiter d’abord de cette dernière question, la décision en cause est simplement celle de déposer les fonds dans une fiducie en attente de l’issue du litige. Personne ne prétend qu’il y aurait eu atteinte à un droit ancestral ou à un droit issu d’un traité ou n’invoque l’existence de tels droits.

 

[16]           Même si une telle obligation découlait d’une étape dans le cadre d’un litige, similaire à une consignation au tribunal, le ministre s’en est acquitté en tentant de consulter les trois bandes qui avaient un intérêt. Comme il a été statué dans Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, l’obligation de consulter impose à la Première nation l’obligation réciproque de participer elle-aussi à la consultation de bonne foi. White Bear n’a pas précisé l’intérêt autochtone requis et n’a pas fait preuve d’une disposition réciproque à la consultation.

 

[17]           Cet intérêt ou le fait d’invoquer l’existence de cette obligation se situent à l’extrémité inférieure du continuum des intérêts justifiant une consultation. Le ministre avait une telle obligation envers les trois bandes et sa décision de transférer les fonds dans un compte d’attente est de nature temporaire et analogue à la conservation d’une fiducie dont il est question dans Haïda, aux paragraphes 44 et 77. Il n’y avait pas d’obligation de consulter et, s’il y en avait une, il y a été satisfait.

 

C.        Pouvoir du ministre

[18]           Le premier élément dont il faut tenir compte lorsqu’il s’agit d’examiner le pouvoir du ministre est le fait que les fonds en question font l’objet du litige McArthur. Le ministre contrôle ces fonds et a pris une mesure similaire à une consignation au tribunal pour protéger les fonds. Une partie à un litige peut normalement prendre une telle mesure unilatéralement.

 

[19]           Le ministre a en outre une obligation fiduciale concomitante envers les trois bandes qui découle de la relation fiduciale avec la Couronne. Le ministre a également des responsabilités en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques et la Loi sur les Indiens lorsqu’il gère des fonds publics ou l’argent des Indiens.

 

[20]           L’arrêt Bande et nation indiennes d'Ermineskin c. Canada, 2009 CSC 9, établit que les fonds appartenant aux Indiens doivent être régis par la Loi sur la gestion des finances publiques et de la Lois sur les Indiens. Ces lois donnent au ministre le pouvoir de gérer ces sommes. Cependant, rien n’y est prévu pour régler la question de savoir comment ces fonds, qui font l’objet d’un litige entre des parties opposées, doivent être gérés.

 

[21]           Néanmoins, le ministre a le pouvoir en sa qualité de fiduciaire de faire le nécessaire pour s’acquitter de ses obligations fiduciales. Ce pouvoir constitue l’élément essentiel qui lui donne compétence pour gérer les fonds, qu’appuient également les responsabilités qui lui incombent en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques et les pouvoirs que lui confère la Loi sur les Indiens.

 

[22]           Par conséquent, le ministre a le pouvoir de transféré les fonds dans le compte d’attente. La question suivante est celle de savoir s’il aurait dû le faire.

 

D.        Raisonnabilité de la décision

[23]           Les demandeurs soutiennent essentiellement que la décision est déraisonnable parce qu’ils sont propriétaires des fonds et que le ministre avait l’obligation de gérer l’argent « à l’usage et au profit » de la bande.

 

[24]           Compte tenu de la situation dans laquelle se trouvait le ministre ‑ chaque bande réclamant tout ou partie des huit millions de dollars ‑, il est difficile de discerner quelle autre mesure raisonnable aurait pu être prise. La seule remarque qui pourrait être faite au ministre serait qu’il aurait dû verser la somme totale dans le compte d’attente. Cependant, pour tirer cette conclusion, la Cour substituerait son point de vue sur la mesure appropriée à celle du ministre. Aucune raison n’a été donnée pour expliquer pourquoi que le ministre n’a pas sollicité une ordonnance lui permettant de consigner les fonds à la Cour; la garantie envers les bandes est toutefois la même puisque les fonds dans l’un et l’autre cas sont versés au Trésor.

 

[25]           L’exercice du pouvoir discrétionnaire de conserver les deux-tiers de la somme de huit millions de dollars reposait sur la pondération des intérêts des trois bandes. Il a permis de mettre en équilibre l’intérêt des demandeurs, en faisant en sorte qu’ils reçoivent une partie des sommes en litige, et les intérêts des autres bandes, en faisant en sorte que les deux-tiers restants soient conservés dans l’attente d’une résolution éventuelle.

 

[26]           Le litige McArthur peut donner lieu à plusieurs issues, White Bear pouvant obtenir une somme variant entre 100 p. 100 des fonds et rien du tout. Une division d’un tiers est aussi raisonnable que la plupart des autres formules sauf celle des deux extrêmes de tout ou rien.

 

[27]           La décision du ministre était une tentative raisonnable d’assurer un traitement équitable des parties concernées. La décision finale et la manière dont elle a été prise étaient claires et appartenait aux issues acceptables.

 

[28]           Par conséquent, la décision du ministre est raisonnable et ne devrait pas être modifiée.

 


IV.       CONCLUSION

[29]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens adjugés en faveur des deux défendeurs.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens adjugés en faveur des deux défendeurs.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-2128-09

 

INTITULÉ :                                       LE CHEF ET LE CONSEIL DES PREMIÈRES NATIONS WHITE BEAR, en leur propre nom et en celui de tous les membres des PREMIÈRES NATIONS WHITE BEAR

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN, au nom de Sa Majesté la Reine du chef du Canada

 

                                                            et

 

                                                            LE CHEF ET LES CONSEILLERS DE LA BANDE D’OCEAN MAN, en leur propre nom et en celui des membres de la BANDE INDIENNE D’OCEAN MAN

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 24 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                      le 23 mars 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey Howe

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Karen Jones

Gwen MacIsaac

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

 

Brian Barrington-Foote, c.r.

Joshua Morrison

POUR LE DÉFENDEUR,

LE CHEF ET LES CONSEILLERS DE LA BANDE D’OCEAN MAN

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

WOLOSHYN & COMPANY

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LES DEMANDEURS

M. MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

 

MacPHERSON LESLIE & TYERMAN LLP

Avocats

Regina (Saskatchewan)

POUR LE DÉFENDEUR,

LE CHEF ET LES CONSEILLERS DE LA BANDE D’OCEAN MAN

 

 

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