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Date : 20110323

Dossier : IMM‑3047‑10

Référence : 2011 CF 358

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2011

En présence de madame la juge Bédard

 

 

ENTRE :

 

SIVAPAKIYAM SANDRAMOORTHY, NIRANSANI SANDRAMOORTHY, ANOJAN SANDRAMOORTHY

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

       MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande par laquelle Sivapakiyam Sandramoorthy (la demanderesse principale) et deux de ses enfants, Niransani Sandramoorthy et Anojan Sandramoorthy (collectivement, les demandeurs), en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la LIPR], sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent d’immigration (l’agent) de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), datée du 11 mai 2010, qui a rejeté la demande de résidence permanente qu’ils ont présentée au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

I. Contexte

 

[2]               Madame Sandramoorthy et ses trois enfants, Niransani Sandramoorthy (née le 9 mai 1984), Pirinthan Sandramoorthy (né le 11 août 1986) et Anojan Sandramoorthy (né le 10 septembre 1990), sont des citoyens du Sri Lanka. Ils sont arrivés au Canada en 1999. En octobre 2001, la demanderesse principale a présenté une demande de résidence permanente depuis le Canada, laquelle était fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Dans sa demande, elle a inscrit ses trois enfants comme « personnes à charge au Canada ». Le 2 mars 2005, CIC a conclu que les motifs d’ordre humanitaire étaient suffisants et, pour cette raison, a accordé aux demandeurs une évaluation favorable à l’étape 1 de la demande.

 

[3]               Plus tard en 2005, Ponniah Sandramoorthy, qui est l’époux de la demanderesse principale et le père des enfants et qui vivait au Sri Lanka, y a présenté une demande de résidence permanente au Canada. Le 22 février 2010, le Haut‑commissariat du Canada au Sri Lanka l’a informé que sa demande avait été rejetée parce qu’il était frappé d’une interdiction de territoire pour une période de deux ans en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, ayant fait une présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait, dans sa demande de 2005.

 

[4]               Le 22 janvier 2010, Pirinthan, un des fils de la demanderesse principale, a été reconnu coupable de deux chefs d’« omission de se conformer à une condition d’une promesse ou d’un engagement » en vertu du paragraphe 145(3) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46. En conséquence, il a été déclaré interdit de territoire au Canada conformément à l’alinéa 36(2)a) de la LIPR et une mesure d’expulsion a été prononcée contre lui.

 

II. Décision contestée

 

[5]               Par lettre adressée par l’agent à la demanderesse principale [traduction] « et sa famille », le 11 mai 2010, les demandeurs ont été informés que leur demande avait été rejetée à l’étape 2 parce qu’ils ne répondaient pas aux exigences en matière de résidence permanente prévues à l’article 21 de la LIPR. L’agent a conclu que les demandeurs étaient interdits de territoire en raison de l’interdiction de territoire frappant Pirinthan et Ponniah. Le raisonnement de l’agent est présenté dans l’extrait suivant de sa décision :

 

[traduction] Le sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement pris en application de la LIPR prévoit que pour devenir résident permanent du Canada, il doit être établi que ni l’étranger au Canada, ni les membres de sa famille — qu’ils l’accompagnent ou non — ne sont interdits de territoire au Canada.

 

De plus, l’alinéa 42a) de la LIPR prévoit qu’un étranger devient interdit de territoire au Canada si un membre de sa famille qui l’accompagne est interdit de territoire.

 

En conséquence de l’interdiction de territoire de Pirinthan et de Ponniah, votre famille et vous ne remplissez pas les exigences prévues à l’article 21 de la LIPR.

 

 

[6]               Dans ses motifs détaillés, qui ont été fournis ultérieurement, l’agent n’a pas expliqué pourquoi il concluait que les demandeurs étaient interdits de territoire. Il a cependant indiqué qu’il ne serait pas justifié de lever l’interdiction dans le cas des demandeurs puisque ces derniers n’étaient pas très enracinés au Canada : ni la demanderesse principale ni sa fille, Niransani, n’avaient travaillé depuis leur arrivée en 1999, touchant toutes deux des prestations d’aide sociale; les deux fils, Anojan et Pirinthan, avaient un salaire combiné d’à peine 9 000 $ en 2009. De l’avis de l’agent, cette situation, conjuguée au fait que deux interdictions de territoire frappaient la famille – c’est‑à‑dire celle de Ponniah et celle de Pirinthan – militait contre la levée des interdictions de territoire.

 

[7]               Il faut souligner à ce moment‑ci que ni l’époux de la demanderesse principale, Ponniah, ni son fils, Pirinthan, ne sont des demandeurs dans la présente affaire.

 

III. Questions en litige

 

[8]               Les demandeurs prétendent que la décision de l’agent était fondée sur l’alinéa 42a) (et non à la fois sur les alinéas a) et b) de l’article 42) et que l’agent a commis une erreur dans son application de l’alinéa 42a) de la LIPR et du sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement]. Ils soutiennent que l’agent a donné à l’expression « membre de la famille » une définition erronée pour l’application de ces dispositions. Selon eux, si l’agent avait appliqué la bonne définition, il n’aurait pas conclu que Anojan et Niransani étaient interdits de territoire, pas plus qu’il n’aurait conclu que l’interdiction de territoire de Pirinthan avait une incidence sur les demandeurs. Les demandeurs contestent également la décision de l’agent de ne pas lever les autres interdictions de territoire. Ils allèguent que l’examen de l’agent à cet égard était contaminé par l’application erronée de l’alinéa 42a) de la LIPR et du sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement.

 

[9]               Le défendeur soutient que la décision de l’agent reposait en fait sur l’alinéa 42a) et sur l’alinéa 42b) de la LIPR, et que le fait que l’agent n’ait pas mentionné l’alinéa 42b) dans sa décision était simplement une erreur technique qui ne devrait pas invalider sa décision. Le défendeur fait de plus valoir que l’agent n’a pas appliqué une définition erronée de l’expression « membre de la famille ». Il prétend plutôt que les enfants de la demanderesse principale répondaient tous à la définition de « membre de la famille » parce qu’il fallait tenir compte de l’âge des enfants à la date déterminante, soit la date de la demande en 2001.

 

[10]           Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de l’agent était déraisonnable en ce qu’elle n’était pas justifiée, transparente et intelligible. L’agent n’a aucunement expliqué comment et pourquoi l’alinéa 42a) de la LIPR et le sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement avaient pour effet de rendre les demandeurs interdits de territoire.

 

IV. Analyse

 

[11]           J’estime utile à ce moment‑ci de décrire le cadre législatif applicable.

 

[12]           L’article 42 de la LIPR est rédigé comme suit :

 

Inadmissibilité familiale

 

42. Emportent, sauf pour le résident. permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :

 

a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas;

 

b) accompagner, pour un membre de sa famille, un interdit de territoire.

Inadmissible family member

 

42. A foreign national, other than a protected person, is inadmissible on grounds of an inadmissible family member if

 

 

 

(a) their accompanying family member or, in prescribed circumstances, their non‑accompanying family member is inadmissible; or

 

 

(b) they are an accompanying family member of an inadmissible person.

 

 

[13]           Le sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement est semblable à la disposition qui précède, mais plutôt que de conclure à l’interdiction de territoire de l’étranger pour inadmissibilité familiale, il exige de l’étranger qu’il établisse que les membres de sa famille ne sont pas interdits de territoire avant qu’il ne puisse devenir un résident permanent. La disposition est rédigée comme suit :

 

Obtention du statut

 

72. (1) L’étranger au Canada devient résident permanent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

[…]

e) sauf dans le cas de l’étranger ayant fourni un document qui a été accepté aux termes du paragraphe 178(2) ou de l’étranger qui fait partie de la catégorie des résidents temporaires protégés :

 

(i) ni lui ni les membres de sa famille – qu’ils l’accompagnent ou non – ne sont interdits de territoire,

Obtaining status

 

72. (1) A foreign national in Canada becomes a permanent resident if, following an examination, it is established that

. . .

(e) except in the case of a foreign national who has submitted a document accepted under subsection 178(2) or of a member of the protected temporary residents class,

 

(i) they and their family members, whether accompanying or not, are not inadmissible,

. . .

 

 

[14]           Essentiellement, et sauf exception, l’alinéa 42a) de la LIPR et le sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement prévoient que l’étranger est interdit de territoire si un « membre de sa famille » est interdit de territoire.

 

[15]           Pour l’application de l’article 42 de la LIPR et de l’article 72 du Règlement, l’expression « membre de la famille » est définie au paragraphe 1(3) du Règlement. Cette définition est rédigée comme suit :

 

Définition de « membre de la famille »

 

(3) Pour l’application de la Loi – exception faite de l’article 12 et de l’alinéa 38(2)d) – et du présent règlement – exception faite des articles 159.1 et 159.5 –, « membre de la famille », à l’égard d’une personne, s’entend de :

 

a) son époux ou conjoint de fait;

 

b) tout enfant qui est à sa charge ou à la charge de son époux ou conjoint de fait;

 

c) l’enfant à charge d’un enfant à charge visé à l’alinéa b).

Definition of “family member”

 

 

(3) For the purposes of the Act, other than section 12 and paragraph 38(2)(d), and for the purposes of these Regulations, other than sections 159.1 and 159.5, “family member” in respect of a person means

 

 

 

(a) the spouse or common‑law partner of the person;

 

(b) a dependent child of the person or of the person’s spouse or common‑law partner; and

 

(c) a dependent child of a dependent child referred to in paragraph (b).

 

 

[16]           La définition d’« enfant à charge » figure à l’article 2 du Règlement :

 

Définitions

 

2. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

 

[…]

 

« enfant à charge » L’enfant qui :

 

a) d’une part, par rapport à l’un ou l’autre de ses parents :

 

 

(i) soit en est l’enfant biologique et n’a pas été adopté par une personne autre que son époux ou conjoint de fait,

 

 

(ii) soit en est l’enfant adoptif;

 

 

b) d’autre part, remplit l’une des conditions suivantes :

 

 

(i) il est âgé de moins de vingt‑deux ans et n’est pas un époux ou conjoint de fait,

 

(ii) il est un étudiant âgé qui n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt‑deux ans ou est devenu, avant cet âge, un époux ou conjoint de fait et qui, à la fois :

 

 

 

 

(A) n’a pas cessé d’être inscrit à un établissement d’enseignement postsecondaire accrédité par les autorités gouvernementales compétentes et de fréquenter celui‑ci,

 

(B) y suit activement à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle,

(iii) il est âgé de vingt‑deux ans ou plus, n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt‑deux ans et ne peut subvenir à ses besoins du fait de son état physique ou mental.

 

Interpretation

 

2. The definitions in this section apply in these Regulations.

 

. . .

 

“dependent child”, in respect of a parent, means a child who

 

(a) has one of the following relationships with the parent, namely,

 

(i) is the biological child of the parent, if the child has not been adopted by a person other than the spouse or common‑law partner of the parent, or

 

(ii) is the adopted child of the parent; and

 

(b) is in one of the following situations of dependency, namely,

 

(i) is less than 22 years of age and not a spouse or common‑law partner,

 

(ii) has depended substantially on the financial support of the parent since before the age of 22 — or if the child became a spouse or common‑law partner before the age of 22, since becoming a spouse or common‑law partner — and, since before the age of 22 or since becoming a spouse or common‑law partner, as the case may be, has been a student

 

(A) continuously enrolled in and attending a post‑secondary institution that is accredited by the relevant government authority, and

 

 

(B) actively pursuing a course of academic, professional or vocational training on a full‑time basis, or

(iii) is 22 years of age or older and has depended substantially on the financial support of the parent since before the age of 22 and is unable to be financially self‑supporting due to a physical or mental condition.

 

[17]           Dans sa lettre, l’agent a expressément mentionné qu’il s’appuyait sur l’alinéa 42a) de la LIPR et le sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement pour conclure qu’en raison de l’interdiction de territoire de Ponniah et de Pirinthan, les demandeurs ne respectaient pas les exigences en matière de résidence permanente.

 

[18]           Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur en concluant que l’alinéa 42a) de la LIPR et le sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement s’appliquaient de sorte à interdire les demandeurs de territoire. Ils prétendent que l’agent est parvenu à tort à cette conclusion parce qu’il a mal interprété l’expression « membre de la famille » pour l’application de ces dispositions. Ils font valoir que ni Ponniah ni Pirinthan ne sont des « membres de la famille » à l’égard des deux demandeurs, Niransani et Anojan. En fait, Ponniah est leur père – il n’est pas un époux [alinéa 1(3)a)] et il n’est pas un enfant à charge [alinéas 1(3)b) et 1(3)c)] – et, par conséquent, il n’est pas un « membre de [leur] famille » pour l’application de l’alinéa 42a) de la LIPR ou du sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement. De plus, Pirinthan est le frère de ces deux demandeurs – il n’est pas un époux [alinéa 1(3)a)] et il n’est pas un enfant à charge [alinéas 1(3)b) et 1(3)c)] – et, de ce fait, il n’est pas non plus un « membre de [leur] famille » pour l’application de l’alinéa 42a) de la LIPR ou du sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement. C’est pourquoi les demandeurs soutiennent que l’agent a manifestement commis une erreur lorsqu’il a invoqué ces deux dispositions pour conclure que Niransani et Anojan étaient interdits de territoire et n’étaient pas admissibles à devenir résidents permanents. Selon les demandeurs, cette erreur est déterminante quant à l’issue de la demande de contrôle judiciaire à l’égard de Niransani et d’Anojan.

 

[19]           En ce qui concerne la demanderesse principale, les demandeurs reconnaissent que Ponniah est un « membre de [sa] famille » parce qu’il est son époux et répond ainsi au critère énoncé à l’alinéa 1(3)a) du Règlement. Les demandeurs soutiennent cependant que l’agent a néanmoins commis une erreur parce qu’il a également indiqué que l’interdiction de territoire de Pirinthan avait une incidence sur l’admissibilité de la demanderesse principale relativement à la résidence permanente. À cet égard, les demandeurs font valoir que Pirinthan n’est pas un « membre de la famille » de la demanderesse principale parce qu’il n’est pas un « enfant qui est à sa charge » et ne répond donc pas à l’exigence énoncée à l’alinéa 1(3)b) du Règlement. Ils soutiennent que, parce que Pirinthan est âgé de plus de 22 ans, qu’il travaille à plein temps et qu’il n’est pas financièrement à la charge de sa mère, il ne répond pas à la définition d’« enfant à charge » figurant à l’article 2 du Règlement. Selon les demandeurs, cette erreur remet en question la validité de la conclusion de l’agent à l’égard de la demanderesse principale.

 

[20]           Pour sa part, le défendeur soutient que l’agent a appliqué les articles 42 de la LIPR et 72 du Règlement de façon tout à fait raisonnable. Selon lui, Pirinthan répond en effet à la définition de « membre de la famille » à l’égard de la demanderesse principale parce qu’il fallait tenir compte de son âge à la date déterminante, soit la date de la demande. Ainsi, Pirinthan est visé par l’alinéa 1(3)b) du Règlement à l’égard de la demanderesse principale. De plus, le défendeur souligne qu’il n’est pas contesté que Ponniah est un « membre de la famille » de la demanderesse principale en vertu de l’alinéa 1(3)a) du Règlement puisqu’il est son époux. Pour cette raison, la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse principale était interdite de territoire en vertu de l’alinéa 42a) de la LIPR était correcte. Le défendeur fait de plus valoir que puisque la demanderesse principale était à juste titre réputée interdite de territoire, les membres de la famille qui l’accompagnaient étaient également à juste titre réputés interdits de territoire en vertu de l’alinéa 42b), et non de l’alinéa 42a), de la LIPR. Il soutient que l’agent a correctement considéré que Niransani et Anojan étaient des enfants à charge de la demanderesse principale parce que la date déterminante était également celle de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Aussi, Niransani et Anojan étaient des « membre[s] de la famille » de la demanderesse principale au sens de l’alinéa 1(3)b) du Règlement.

 

[21]           J’examinerai tout d’abord l’incidence de l’interdiction de territoire de Ponniah sur la demanderesse principale. Il n’est pas contesté que Ponniah, à titre d’époux de la demanderesse principale, est un « membre de la famille » au sens du paragraphe 1(3). Il n’est pas non plus contesté que cette définition est la définition qu’il convient d’appliquer pour les besoins de l’article 42 de la LIPR. L’alinéa 42a) indique notamment qu’emporte interdiction de territoire de l’étranger l’interdiction de territoire frappant un membre de sa famille qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas. L’article 23 du Règlement énonce les cas réglementaires et le sous‑alinéa 23b)(i) prévoit en particulier que si le membre de la famille qui ne l’accompagne pas est « l’époux de l’étranger, sauf si la relation entre celui‑ci et l’étranger est terminée, en droit ou en fait », alors l’interdiction de territoire du membre de la famille qui ne l’accompagne pas emporte interdiction de territoire de l’étranger lui‑même. Rien n’indique que la relation entre la demanderesse principale et son époux était terminée, en droit ou en fait et, en conséquence, il était tout à fait raisonnable que l’agent conclue que l’interdiction de territoire de Ponniah emportait interdiction de territoire de la demanderesse principale en raison de l’alinéa 42a) de la LIPR.

 

[22]           Cependant, la situation n’est pas aussi claire lorsque nous examinons l’incidence de l’interdiction de territoire de Ponniah sur les deux enfants, Niransani et Anojan. Les demandeurs ont raison de préciser que Ponniah n’est pas un « membre de la famille » à l’égard de Niransani et d’Anojan au sens du paragraphe 1(3) du Règlement. Il est leur père. Il n’est pas un époux et il n’est pas un enfant à charge. En conséquence, ni l’alinéa 42a) de la LIPR ni le sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement n’a pour effet direct de rendre les deux enfants interdits de territoire ou inadmissible au statut de résident permanent. Puisqu’il s’agit des seules dispositions mentionnées par l’agent dans ses motifs, on ne peut que faire des hypothèses sur la façon dont celui‑ci est arrivé à la conclusion que l’interdiction de territoire frappant Ponniah avait une incidence sur Niransani et Anojan.

 

[23]           Le défendeur soutient que l’agent a vraisemblablement appliqué le concept de l’âge à la date déterminante en plus de l’alinéa 42b) de la LIPR, et non de l’alinéa 42a), pour tirer la conclusion selon laquelle les deux enfants étaient tous deux interdits de territoire et qu’il s’agissait d’une conséquence indirecte de l’interdiction de territoire de Ponniah. Le défendeur fait valoir que puisque l’interdiction de territoire de Ponniah emportait interdiction de territoire de la demanderesse principale, elle emportait alors – en application de l’alinéa 42b) de la LIPR – interdiction de territoire des enfants parce qu’ils étaient des « membres de la famille » qui accompagnaient leur mère qui était interdite de territoire. Ils étaient des « membres de la famille » de leur mère au sens de l’alinéa 1(3)b) du Règlement : ils étaient ses enfants à charge.

 

[24]           Le défendeur soutient que malgré le fait que Niransani ne répondait plus à la définition d’« enfant à charge » à l’article 2 du Règlement (elle était âgée de 26 ans à la date à laquelle l’agent a rendu sa décision), elle a été correctement considérée comme étant un enfant à charge parce qu’il fallait tenir compte de son âge à la date déterminante, soit celle de la demande initiale fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, c’est‑à‑dire que, comme Niransani était une « enfant à charge » au moment où les demandeurs ont présenté leur demande de résidence permanente en 2001, elle était toujours une « enfant à charge » au moment où l’agent a rendu sa décision en 2010. Ainsi, Niransani était un « membre de la famille » qui accompagnait la demanderesse principale à la date de la décision de l’agent, et l’interdiction de territoire de la demanderesse principale emportait son interdiction de territoire de même que celle de son frère.

 

[25]           Cet argument pose problème en ce que non seulement l’agent n’a fait aucune mention de l’alinéa 42b) de la LIPR dans sa lettre ou dans ses motifs, mais qu’il n’a pas non plus mentionné qu’il s’était fondé sur l’âge à la date déterminante. Ces omissions sont particulièrement préoccupantes parce qu’il n’est pas clair que la notion d’âge à la date déterminante s’applique dans le contexte des motifs d’ordre humanitaire. Il est vrai que la Cour et la Cour d’appel fédérale ont reconnu que CIC a pour politique de tenir compte de l’âge à la date déterminante dans le contexte des demandes de résidence permanente présentées à l’étranger (Skobodzinska c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 887, par. 18, 331 FTR 295; Hamid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 217, par. 55, [2007] 2 R.C.F. 152; Mou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 125 FTR 203, 69 ACWS (3d) 149 (CFPI)). Cependant, les guides opérationnels sur le traitement des demandes à l’étranger établissent que la notion d’âge à la date déterminante doit être appliquée dans ces contextes (voir par exemple, le paragraphe 5.24 du guide « OP 1 – Procédures » (2010-09-23); le paragraphe 5.4 du guide « OP 2 – Traitement des demandes présentées par des membres de la catégorie du regroupement familial » (2006‑11‑14); le paragraphe 9.3 du guide « OP 6 – Travailleurs qualifiés – fédéral » (2010‑12‑14)). En revanche, le guide sur le traitement des demandes présentées au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, « IP 5 ‑ Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire » (2009-08-31), est silencieux quant à cette notion d’âge à la date déterminante, et la Cour ne s’est jamais penchée sur cette question dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[26]           Même si la notion d’âge à la date déterminante était retenue, il n’est pas certain qu’elle pourrait être correctement utilisée pour défavoriser les demandeurs de la manière indiquée par le défendeur.

 

[27]           Puisque l’agent n’a fait mention ni de l’alinéa 42(b) de la LIPR ni de la notion d’âge à la date déterminante, je conclus que les observations du défendeur à cet égard sont au mieux hypothétiques. En fait, la conclusion de l’agent quant à l’incidence de l’interdiction de Ponniah sur Niransani repose sur un fondement pour le moins vague.

 

[28]           Le raisonnement de l’agent est tout aussi incertain si l’on considère l’incidence de l’interdiction de territoire de Pirinthan sur les demandeurs. Au moment où l’agent a rendu sa décision, Pirinthan était âgé de 23 ans et occupait un emploi à temps plein. Ainsi, il n’était pas un « enfant à charge » de la demanderesse principale ni un quelconque « membre de la famille » des demandeurs. Encore là, on ne sait pas comment l’agent est arrivé à la conclusion que l’alinéa 42a) de la LIPR et le sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement s’appliquaient de façon à rendre les demandeurs interdits de territoire ou inadmissibles au statut de résident permanent. Rien dans les motifs de l’agent n’indique qu’il avait tenu compte de l’âge de Pirinthan à la date de la demande, pas plus qu’il n’existe quelque élément tendant à indiquer que l’agent s’est fondé sur un âge déterminé pour conclure que les demandeurs étaient interdits de territoire. S’il était clair que l’agent avait effectivement agi ainsi, certaines questions intéressantes mériteraient alors d’être examinées dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Or, ce n’est pas clair.

 

[29]           Dans l’arrêt Administration de l’aéroport international de Vancouver c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, au paragraphe 16, 320 DLR (4th) 733, la Cour d’appel fédérale énonce les « quatre objectifs fondamentaux » de l’obligation de motiver une décision dans le contexte du droit administratif :

a)         L’objectif sur le plan du fond. Au moins de façon minimale, le fond de la décision doit être compris au même titre que la raison pour laquelle le décideur administratif a pris une telle décision.

 

b)        L’objectif sur le plan de la procédure. Les parties doivent être en mesure de décider s’il convient ou non d’exercer leurs droits de demander le contrôle judiciaire de la décision à un tribunal de révision. Il s’agit d’un aspect de l’équité procédurale en droit administratif. Si les motifs sur lesquels repose la décision ne sont pas indiqués, les parties ne peuvent évaluer s’ils donnent ouverture au contrôle judiciaire.

 

c)         L’objectif sur le plan de la responsabilité judiciaire. La décision et ses fondements doivent comporter suffisamment de renseignements pour permettre au tribunal de révision d’évaluer, valablement, si le décideur a satisfait aux normes minimales de la légalité. Ce rôle des tribunaux de révision est un aspect important de la règle de droit et doit être respecté : Crevier c. Procureur général du Québec, [1981] 2 R.C.S. 220; Dunsmuir, précité, paragraphes 27 à 31. Dans des cas où la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité, le tribunal de révision doit évaluer si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, paragraphe 47. Si le tribunal de révision n’a pas pu évaluer cet aspect parce que la décision comporte trop peu de renseignements, les motifs sont insuffisants : voir, p. ex., Association canadienne des radiodiffuseurs, précité, paragraphe 11.

 

d)        L’objectif sur le plan de la « justification, de la transparence et de l’intelligibilité » : Dunsmuir, précité, paragraphe 47. Cet objectif chevauche dans une certaine mesure l’objectif sur le plan du fond. La décision est justifiée et intelligible lorsque son fondement est précisé et qu’il est compréhensible, rationnel et logique. La transparence fait référence à la capacité des observateurs à analyser et à comprendre la décision d’un décideur administratif et les motifs de sa décision. En l’espèce, les observateurs seraient les parties engagées dans l’affaire, les employés dont les postes sont en cause et les employés, employeurs, syndicats et entreprises qui pourraient se heurter à des problèmes semblables à l’avenir. La transparence ne se limite toutefois pas simplement aux observateurs qui ont un intérêt précis dans la décision. Le public en général a également un intérêt dans la transparence : en l’espèce, le Conseil est une institution publique gouvernementale et fait partie de notre structure de gouvernance démocratique.

 

 

[30]           J’estime que les motifs de l’agent dans la présente affaire sont insuffisants à l’égard d’au moins trois des quatre objectifs. L’objectif sur le plan du fond n’a pas été atteint parce qu’on ne sait pas pourquoi l’agent a conclu que l’alinéa 42a) de la LIPR et le sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement s’appliquaient aux trois demandeurs. L’objectif sur le plan de la responsabilité n’a pas non plus été atteint. En tant que cour de révision, la Cour ne dispose pas de suffisamment de renseignements pour pouvoir véritablement déterminer si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Enfin, les motifs manquent de « justification, de [] transparence et d’[]intelligibilité » parce qu’on n’y n’explique pas pourquoi les trois demandeurs [traduction] « ne rempliss[aient] pas les exigences » de la LIPR en raison de l’interdiction de territoire de Ponniah et de Pirinthan. Ni la Cour ni les observateurs externes ne disposent de renseignements suffisants qui leur permettraient d’analyser et de comprendre la raison pour laquelle l’agent a pris la décision qu’il a prise.

 

[31]           L’insuffisance des motifs de l’agent fait que son application de l’alinéa 42a) de la LIPR et du sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement est déraisonnable, du moins à l’égard de Niransani. Cela est suffisant pour accueillir la présente demande à l’égard de cette demanderesse. Cependant, les conclusions de l’agent selon lesquelles la demanderesse principale et Anojan [traduction] « ne rempliss[aient] pas les exigences » de la LIPR comportaient suffisamment d’explications. Il est clair que l’interdiction de territoire de l’époux de la demanderesse principale emportait interdiction de territoire de la demanderesse principale elle‑même en raison de l’alinéa 42a) de la LIPR et l’empêchait d’obtenir son statut en vertu du sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement, comme je l’ai expliqué ci‑dessus. Même si l’agent n’a pas mentionné l’alinéa 42b) de la LIPR, Anojan demeurait manifestement un enfant à charge de la demanderesse principale au moment de la décision de l’agent, puisqu’il était âgé de 19 ans. Ainsi, il était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 42b) de la LIPR parce qu’il était un membre de la famille qui accompagnait sa mère interdite de territoire.

 

[32]           En conséquence, je poursuivrai mon examen de la question de la levée de l’interdiction, mais seulement en ce qui concerne la demanderesse principale et Anojan.

 

[33]           Les demandeurs soutiennent que la décision de l’agent de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire de lever l’interdiction de territoire était guidée par sa conviction qu’il existait deux conclusions d’interdiction de territoire, lesquelles avaient une incidence directe sur le statut des demandeurs. Ils soutiennent que si l’agent n’avait pas commis d’erreur en appliquant l’alinéa 42a) de la LIPR et le sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement, il se serait rendu compte qu’une seule conclusion d’interdiction de territoire était pertinente (celle de Ponniah). De plus, les demandeurs font valoir que si l’agent avait compris que Niransani et Anojan n’étaient ni l’un ni l’autre directement interdits de territoire, il aurait alors considéré le statut des enfants au Canada comme un facteur favorisant la levée de l’interdiction de territoire à l’égard de la demanderesse principale. En réponse à cette prétention, le défendeur soutient que les demandeurs n’ont pas demandé la levée de l’interdiction.

 

[34]           Le chapitre IP 5 du guide opérationnel de CIC, intitulé « Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire » (2009-08-31), souligne qu’un agent d’immigration a le pouvoir discrétionnaire de lever certaines interdictions de territoire à l’étape 2 du processus de demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La disposition est rédigée comme suit :

Si le demandeur obtient la levée d’une interdiction de territoire, il ne doit faire l’objet d’aucune autre interdiction de territoire avant la décision définitive. Si l’agent découvre d’autres motifs d’interdiction de territoire à l’étape 2, et s’il ne croit pas que les considérations d’ordre humanitaire l’emportent sur ces interdictions de territoire, il doit refuser la demande de résidence permanente, sauf s’il choisit d’accorder une dispense de sa propre initiative.

 

 

[35]           Même si les demandeurs n’ont pas expressément demandé la levée de l’interdiction, l’agent a néanmoins abordé la question dans ses motifs. Bien que sa décision de ne pas lever l’interdiction de territoire ait reposé en partie sur le fait que les demandeurs ne s’étaient pas suffisamment intégrés au marché canadien du travail, il est évident que cette décision était également fondée sur l’interdiction de territoire de Ponniah et de Pirinthan. Le passage suivant des motifs de l’agent en témoigne :

Je considère donc que le faible degré d’établissement de la famille combiné aux deux interdictions de territoire amènent un poids négatif significatif dans ce dossier et que la levée de l’interdiction de territoire en raison de l’inadmissibilité familiale ne saurait être justifiée.

 

[36]           Je suis d’accord avec les demandeurs que l’application déraisonnable par l’agent de l’alinéa 42a) de la LIPR et du sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement, dont il a été question ci‑dessus, mine sa décision de ne pas lever l’interdiction de territoire à l’égard de la demanderesse principale. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne sa conclusion sur l’effet de l’interdiction de territoire de Pirinthan, puisque cette conclusion n’était pas suffisamment expliquée dans ses motifs.

 

[37]           De plus, l’agent était clairement d’avis qu’il fallait lever l’interdiction à l’égard de toute la famille alors qu’en fait, ses motifs ne justifient adéquatement que la conclusion portant sur l’interdiction de territoire de la demanderesse principale et d’Anojan. En fait, plutôt que de porter sur la question de savoir s’il fallait lever l’interdiction de territoire qui frappait les trois demandeurs par suite de l’interdiction de territoire de Ponniah et de Pirinthan, les motifs de l’agent n’étayent que le scénario où celui‑ci aurait eu à examiner la possibilité de lever l’interdiction à l’égard de la demanderesse principale et d’Anojan en raison de la seule interdiction de territoire de Ponniah.

 

[38]           En conséquence, je conclus que la façon dont l’agent a appliqué l’article 42 de la LIPR et le sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement, qui n’était pas justifiée, transparente et intelligible, entache au bout du compte sa décision de ne pas lever l’interdiction.

 

[39]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande est accueillie et renvoyée pour réexamen par un autre agent d’immigration. Compte tenu de la présente conclusion, j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’analyser la proposition des demandeurs concernant les questions à certifier proposées et je conclus qu’aucune question grave de portée générale n’est soulevée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La décision de l’agent d’immigration est annulée.

2.                  L’affaire est renvoyée à Citoyenneté et Immigration Canada afin qu’un autre agent d’immigration rende une nouvelle décision.

3.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Marie‑Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3047‑10

 

Intitulé :                                                  SANDRAMOORTHY ET AL. c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 16 février 2011

 

Motifs du jugement :                       la juge Marie‑Josée Bédard

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 23 mars 2011

 

 

comparutions :

 

Peter Shams

 

Pour les demandeurs

 

Michel Pépin

 

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peter Shams

Montréal (Québec)

 

Pour les demandeurs

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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