Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20110317

Dossier : T‑1308‑10

Référence : 2011 CF 323

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

 

RAYMOND ANTHONY CLUE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Raymond Anthony Clue à l’égard d’une décision par laquelle le directeur des programmes de filtrage de sécurité de Transports Canada (le directeur), agissant sur avis de l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport (l’organisme consultatif), a annulé l’habilitation de sécurité en matière de transport (HST) de M. Clue, faisant ainsi obstacle à son emploi permanent à titre de manutentionnaire de bagages à l’aéroport international Pearson à Toronto. M. Clue soutient que la décision était abusive et arbitraire et qu’elle était par conséquent déraisonnable en droit. 

 

Contexte

[2]               M. Clue est un citoyen canadien naturalisé âgé de 28 ans qui est né en Jamaïque. Il est arrivé au Canada en 2002, à l’âge de 19 ans, et il vit ici depuis ce temps.

 

[3]               Le 20 octobre 2003, le ministre des Transports a émis à M. Clue une HST qui a été renouvelée le 10 octobre 2007. En octobre 2009, M. Clue a acheté un permis de stationnement d’Air Canada volé et il a été accusé de possession de biens volés par la police régionale de Peel. Le 26 novembre 2009, la HST de M. Clue a été suspendue, sous réserve de l’examen des questions suivantes :

a)         la poursuite criminelle pendante à l’époque;

b)         l’incident survenu le 6 juin 2009 où M. Clue aurait déposé un sac de sport contenant une arme de poing chargée à bord d’un aéronef à destination de la Jamaïque. 

 

[4]               Le 2 décembre 2009, le ministère public a retiré l’accusation criminelle contre M. Clue. Néanmoins, l’examen de son HST a continué et, le 5 mars 2010, sur avis de l’organisme consultatif, le directeur a révoqué l’HST de M. Clue au motif qu’il [traduction] « est sujet ou susceptible d’être incité à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile ».

 

[5]               M. Clue a présenté une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision du directeur et, le 15 juin 2010, avec le consentement des parties, le juge Roger Hughes de notre Cour a renvoyé l’affaire au directeur pour nouvel examen sur le fond.

 

[6]               Par lettre datée du 31 mai 2010, l’organisme consultatif a avisé M. Clue de son droit de présenter des renseignements outre les documents fournis en tout premier lieu, mais aucun autre document n’a été présenté en son nom, sauf un affidavit déposé à l’appui de sa première demande de contrôle judiciaire. 

 

[7]               Le 22 juin 2010, l’organisme consultatif a tenu une réunion pour examiner le cas de M. Clue et il a recommandé à nouveau au directeur de révoquer l’HST de M. Clue. Le procès‑verbal de la discussion indique que l’organisme consultatif a pris en considération les points clés suivants :

[traduction]

‑           L’organisme consultatif a souligné la gravité de l’incident comme le décrit le rapport de renseignements YYZ.

 

‑           L’organisme consultatif a souligné que, selon le rapport de police, le sujet a indiqué que même s’il connaissait l’identité des personnes impliquées (dans l’incident concernant le sac de sport) il ne la divulguerait pas à la police (voir le paragraphe 11d) ou le rapport de renseignements YYZ).

 

‑           L’organisme consultatif a également indiqué les paragraphes 12 à 20 de l’affidavit du demandeur, et le fait que celui‑ci ni n’explique ni ne nie son implication dans l’incident concernant l’arme et le sac de sport.

 

‑           Les membres de l’organisme consultatif ont souligné que les observations présentées par le demandeur, y compris son affidavit, ne contiennent pas de renseignements permettant d’atténuer leurs préoccupations.

 

 

Le rapport de renseignements susmentionné que l’organisme consultatif a pris en considération renferme un aperçu d’une enquête sur le comportement de M. Clue menée par l’unité du renseignement de l’aéroport. L’incident portant sur l’arme de poing y est décrit comme suit :

[traduction] Pendant l’une de ces enquêtes, on a vu le sujet CLUE, le samedi 6 juin 2009, déposer un sac de sport dans l’un des conteneurs no 43121 destinés au vol no TS784 d’Air Transat à destination de Montego Bay, en Jamaïque. Cet incident a fait l’objet d’une enquête et on a découvert dans le sac une arme de poing Smith & Wesson de 9 mm chargée de 16 projectiles et 2 sachets contenant des balles à pointe creuse. Les agents de l’ASFC ont obtenu les noms de tous les employés (détenteurs de CIZR) qui travaillaient sur le vol en question.

 

Le sujet CLUE était le principal suspect dans cet incident, mais, puisque d’autres employés avaient eu également accès au sac de sport et à l’aéronef par la suite, et pour assurer la protection de la source confidentielle, il n’a pas été accusé relativement à cet incident.

 

[Renvois omis.]

 

 

[8]               Le rapport décrit ainsi l’attitude de M. Clue lorsqu’il a été confronté à l’allégation sur l’arme de poing :

[traduction]

11.       Les enquêteurs de l’unité du renseignement YYZ ont interrogé le sujet CLUE au sujet des événements ayant mené à son identification comme étant la personne qui avait déposé le sac de sport contenant l’arme à feu à bord d’un aéronef en juin 2009 et il a déclaré ce qui suit :

 

a.         Il n’a pas nié immédiatement son implication; il a toutefois cherché à savoir qui avait parlé à la police de l’incident en question.

 

b.         Il semblait avoir peur de parler de son implication dans l’incident en question.

 

c.         Il a continué de nier les accusations portées contre lui et d’éviter la discussion au sujet de ce qui se serait passé à bord de l’aéronef relativement à l’arme à feu, et il était préoccupé plutôt par l’identité du collègue de travail qui l’aurait indiqué comme la personne responsable d’avoir déposé le sac de sport à bord de l’aéronef.

 

d.         Il a déclaré que même s’il connaissait l’identité des personnes impliquées, il NE la divulguerait pas à la police.

 

[Renvoi omis.]

 

 

[9]               Bien que M. Clue conteste, dans un affidavit présenté à l’organisme consultatif, certains propos qui lui ont été attribués lors de son entrevue avec l’unité du renseignement de l’aéroport, il ne nie pas avoir demandé à maintes reprises l’identité de l’informateur et avoir : [traduction] « dû leur faire part de [son] mécontentement au sujet de l’attaque à [sa] réputation, sans aucun fondement ».

 

[10]           Le 22 juin 2010, l’organisme consultatif a recommandé unanimement au directeur de révoquer définitivement l’HST de M. Clue pour les motifs suivants :

[traduction] L’organisme consultatif a recommandé unanimement d’annuler l’habilitation de sécurité en matière de transport. Un examen approfondi du dossier, y compris des rapports de police concernant sa participation à des activités criminelles à l’aéroport et de l’affidavit du demandeur, porte les membres de l’organisme consultatif à croire, selon la prépondérance des probabilités, que cette personne est sujette ou peut être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile. Le demandeur n’a pas fourni dans son affidavit et ses observations antérieures suffisamment de renseignements qui obligeraient l’organisme consultatif à recommander le rétablissement de son habilitation.

 

 

[11]           Le directeur a accepté, le 13 juillet 2010, la recommandation susmentionnée et l’a communiquée à M. Clue par lettre datée du 20 juillet 2010. La présente demande judiciaire porte sur cette décision.

 

Questions en litige

[12]           Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale dans le processus qui a conduit à la décision contestée?

 

[13]           La preuve invoquée à l’appui justifiait‑elle raisonnablement la décision contestée?

 

Analyse

            La norme de contrôle

[14]           Dans au moins quatre affaires antérieures, notre Cour a jugé que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer pour évaluer une décision administrative d’annuler ou de suspendre une habilitation de sécurité aéroportuaire était celle de la décision manifestement déraisonnable : voir Fontaine c. Canada (Transports), 2007 CF 1160, 313 FTR 309; Rivet c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1175, 325 F.T.R. 178; Lavoie c. Canada (Procureur général), 2007 CF 435, et Singh c. Canada (Procureur général), 2006 CF 802. Dans chacune de ces décisions, la Cour a reconnu le caractère discrétionnaire et spécialisé de la décision faisant l’objet du contrôle et de son objectif législatif[1]. Bien sûr, depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de la décision manifestement déraisonnable a été fondue en une seule norme de la raisonnabilité et c’est la norme qu’il faut appliquer en l’espèce. La norme de contrôle applicable à la question de l’équité procédurale est de toute évidence celle de la décision correcte : voir Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392.

 

            Le régime législatif

[15]           La décision du directeur d’annuler l’HST de M. Clue a été prise en conformité avec l’art. 4.8 de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C, 1985, ch. A‑2, et le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport (le Programme d’habilitation). En fin de compte, la décision a été prise au titre de l’article I.4 du Programme lequel vise à prévenir l’accès dans une zone réglementée d’un aéroport désigné (par ex. l’aéroport Pearson) lorsque le ministre, représenté par le directeur, croit, pour des motifs raisonnables, selon la prépondérance des probabilités, qu’une personne est sujette ou peut être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile.

 

[16]           Le Programme d’habilitation décrit également le processus à suivre en cas de refus, annulation ou suspension de l’HST, y compris le droit de la personne en question d’être avisée des allégations dont elle fait l’objet et le droit de présenter des observations. L’affaire est d’abord renvoyée à l’organisme consultatif qui formule des recommandations au directeur. 

 

Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale dans le processus qui a conduit à la décision contestée?

 

[17]           En l’espèce, le processus prévu au Programme d’habilitation a été suivi. M. Clue a été avisé des allégations dont il faisait l’objet et invité à répondre. Ni le directeur ni l’enquêteur n’étaient tenus de divulguer l’identité de l’informateur et M. Clue n’a pas expliqué comment l’absence de renseignements à cet égard aurait limité sa capacité de répondre aux allégations portées contre lui. Aux fins du processus administratif en l’espèce, M. Clue a obtenu suffisamment de renseignements pour répondre aux allégations portées contre lui et il a agi en conséquence. Il a été également représenté par un avocat. Il était loisible à M. Clue de demander des renseignements additionnels sur les allégations portées contre lui, mais rien au dossier n’indique qu’il a fait cette demande. Enfin, les motifs fournis par le directeur sont suffisants pour étayer la décision de révoquer l’HST de M. Clue. Je ne décèle aucun manquement à l’obligation d’équité dans le processus qui a conduit à la décision en cause. 

 

            La preuve invoquée à l’appui justifiait‑elle raisonnablement la décision contestée?

 

[18]           La préoccupation relative au fait que, lorsqu’il a été interrogé par les autorités aéroportuaires, M. Clue s’est montré très peu coopératif et a fait preuve d’une attitude agressive, voire obstructionniste, constituait un élément clé de la décision de révoquer l’HST de M. Clue. Bien que M. Clue ait tenté de justifier sa conduite, le directeur n’a manifestement pas accepté ses explications. 

 

[19]           Il va sans dire que la sécurité des aéroports canadiens repose en grande partie sur la vigilance des employés de l’aéroport, notamment leur volonté de signaler un comportement suspect ou criminel sans équivoque ni réserve. Il n’était pas déraisonnable pour le directeur de considérer que le manque apparent de volonté de M. Clue de reconnaître une telle responsabilité était incriminant compte tenu de la preuve établissant qu’il avait placé une arme à poing chargée à bord d’un aéronef. 

 

[20]           La prétention de M. Clue selon laquelle le directeur ne pouvait pas invoquer les allégations portées contre lui parce qu’elles n’avaient pas été prouvées dans une instance criminelle est sans fondement.  La décision de ne pas poursuivre M. Clue pour l’incident concernant l’arme de poing est justifiée au dossier par une preuve insuffisante qui ne répondait pas à la norme de preuve applicable en matière criminelle. Aux fins de la révocation d’une HST, la norme de preuve est beaucoup moins exigeante et ne requiert qu’un motif raisonnable de croire, selon la balance des probabilités, qu’une personne est sujette ou peut être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile (ou aider toute autre personne à commettre un tel acte). Cette disposition comporte une appréciation de la réputation d’une personne ou de ses penchants (« sujette ou peut être incitée à ») et n’exige aucune preuve de la perpétration d’un acte d’intervention illicite : voir Fontaine, précitée, aux par. 78, 81 et 83. Ce que le directeur est tenu de faire est d’examiner le comportement d’une personne pour déterminer, selon la prépondérance des probabilités, s’il est raisonnable de croire que celle‑ci peut commettre à l’avenir un acte d’intervention illicite touchant à la sécurité aéronautique. L’appréciation défavorable, par le directeur, de l’attitude d’un employé à l’égard des préoccupations en matière de sécurité aéroportuaire peut, comme c’est le cas en l’espèce, fournir un fondement probatoire pour la révocation d’une HST. En l’espèce, la décision était également fondée sur la preuve qui démontrait que M. Clue avait participé directement au chargement d’un sac contenant une arme de poing à bord d’un aéronef. Compte tenu de ces éléments, pris ensemble, il était raisonnable de croire que M. Clue pouvait être sujet à commettre ou aider toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile. 

 

[21]           Il n’appartient pas à la Cour, dans une procédure de contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau la preuve ou de substituer son point de vue à celui du décideur compétent. Il existait en l’espèce un fondement probatoire rationnel pour la décision du directeur et, par conséquent, la présente demande est rejetée.

 

[22]           Le défendeur a droit aux dépens fixés au montant convenu de 750 $, y compris les débours. 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens payables par le demandeur au défendeur, à savoir 750 $, y compris les débours.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1308‑10

 

INTITULÉ :                                                   CLUE c AGC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (ON)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 9 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   Le 17 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Adetayo Kainyemi

POUR LE DEMANDEUR

 

Michelle Ratpan

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Adetayo Kainyemi

Avocat

North York (ON)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (ON)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 



[1]     Dans Singh, précitée, le juge Konrad W. von Finckenstein a souligné l’importance de prévenir le libre accès des personnes indésirables dans les zones réglementées des aéroports canadiens. J’ajouterais la nécessité d’empêcher le transport de produits dangereux de contrebande sur le terrain de l’aéroport.

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.