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Date : 20110209

Dossiers : T-979-09

T-980-09

Référence : 2011 CF 143

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 février 2011

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

Dossier : T-979-09

ENTRE :

 

DINA QUASTEL

 

 

demanderesse

et

 

 

 

AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

 

 

 

Dossier : T-980-09

ET ENTRE :

 

JONAS QUASTEL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

 

 

défenderesse

 

A

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Jonas Quastel et son épouse, Dina Quastel, ont chacun présenté une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a refusé leur demande respective, fondée sur les « dispositions en matière d’équité » de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R. 1985, ch. 1 (5e suppl.) et de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15, visant à faire annuler les pénalités et les intérêts qui avaient été ajoutés à leur dette fiscale. Comme les deux dossiers découlent du même cadre factuel général, la Cour statuera sur les deux demandes dans les présents motifs du jugement et jugement. Une copie des présents motifs sera versée dans chacun des deux dossiers.

 

[2]               La demande des Quastel a été évaluée par un fonctionnaire de l’ARC chargé de formuler des recommandations. Leur dossier a ensuite été examiné par un autre fonctionnaire de l’ARC, à la suite de quoi une décision a été rendue au premier palier. Les demandes d’allègement pour les contribuables que les demandeurs avaient présentées ont été refusées. Après que les demandeurs eurent déposé des documents complémentaires, une demande a été présentée au second palier et un troisième fonctionnaire de l’ARC a analysé la demande. Une décision défavorable aux demandeurs a été rendue au second palier. Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de ces décisions.

 

Les cotisations contestées

[3]               Les demandeurs contestent la cotisation que l’ARC a établie à leur égard pour les années d’imposition 1999, 2000 et 2001. Pour les années 1999 et 2001, les demandeurs n’avaient pas produit de déclarations de revenus, de sorte que leur revenu a été imposé en vertu du paragraphe 152(7) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

Documents fiscaux de M. Quastel

[4]               Un avis de nouvelle cotisation portant sur les années d’imposition 1999, 2000 et 2001 a été communiqué à M. Quastel le 8 février 2005. Des pénalités pour faute lourde et production tardive ont été imposées. M. Quastel a contesté cette nouvelle cotisation en présentant un avis d’opposition daté du 2 mars 2005.

 

[5]               Une nouvelle cotisation a toutefois été établie après analyse des dépôts bancaires et un avis de la méthode d’analyse utilisée a été donné à M. Quastel le 4 juillet 2006. Cet avis a fait l’objet d’un appel à la Cour canadienne de l’impôt. Celle-ci a rendu un jugement sur consentement dans lequel elle a annulé les pénalités imposées pour faute lourde et a fixé les montants respectifs de revenu imposable.

 

[6]               Parallèlement au calcul du revenu de M. Quastel en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, un processus semblable a été engagé relativement à la taxe sur les produits et services (la TPS) impayée. Un premier avis de cotisation a été signifié le 26 novembre 2004. À l’époque, M. Quastel avait déposé un avis d’opposition à cette cotisation le 2 mars 2005. Une nouvelle cotisation a été établie et lui a été communiquée le 31 mai 2006. Cette nouvelle cotisation a également été contestée devant la Cour canadienne de l’impôt. Aux termes d’un jugement sur consentement, les montants payables ont été fixés et les pénalités pour faute lourde ont été annulées.

 

[7]               M. Quastel a demandé à l’ARC de renoncer aux intérêts et aux pénalités pour production tardive relativement à sa dette fiscale et à la TPS qu’il devait.

 

Documents fiscaux de Mme Quastel

[8]               Un avis de nouvelle cotisation portant sur les années d’imposition 1999, 2000 et 2001 a été communiqué à Mme Quastel le 13 décembre 2004. Des pénalités pour faute lourde et production tardive ont été imposées. Mme Quastel a contesté cette nouvelle cotisation en présentant un avis d’opposition daté du 2 mars 2005.

 

[9]               Une nouvelle cotisation a toutefois été établie après analyse des dépôts bancaires et un avis de la méthode d’analyse utilisée a été donné à Mme Quastel le 4 juillet 2006. Cet avis a fait l’objet d’un appel à la Cour canadienne de l’impôt. La Cour de l’impôt a rendu un jugement sur consentement dans lequel elle a fixé les montants respectifs de revenu imposable et annulé les pénalités imposées pour faute lourde, sauf pour l’année d’imposition 2000, à l’égard de laquelle elles devaient être rajustées en fonction des revenus d’entreprise non déclarés.

 

[10]           Parallèlement au calcul du revenu de Mme Quastel effectué en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, un processus semblable a été engagé relativement à la taxe sur les produits et services (la TPS) impayée. Un premier avis de cotisation a été signifié le 7 décembre 2004. Mme Quastel a déposé un avis d’opposition à cette cotisation le 19 décembre 2004. Une nouvelle cotisation a été établie et lui a été communiquée le 31 mai 2006. Cette nouvelle cotisation a également été contestée devant la Cour canadienne de l’impôt. Aux termes d’un jugement sur consentement, les montants payables ont été réduits.

 

[11]           Le montant en souffrance a été payé intégralement en décembre 2008 et les demandeurs réclament le remboursement du montant qui aurait selon eux été payé en trop.

 

[12]           Là encore, bien que les demandeurs aient présenté des demandes distinctes, les décisions  contestées sont en fait identiques et elles seront donc examinées dans les présents motifs comme si les demandes de premier et de second palier d’allègement pour les contribuables étaient une seule et même demande. Les seules divergences portent sur les montants des cotisations et sur des questions similaires et, pour les besoins du présent contrôle judiciaire, ces aspects ne tirent pas à conséquence. Les demandeurs invoquent les mêmes arguments de fond dans les pièces qu’ils ont soumises.

 

Dispositions législatives applicables

[13]           La demande d’allègement des demandeurs a été présentée en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.1985, ch. 1 (5e suppl.) et de l’article 281.1 de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15 (collectivement désignées les dispositions en matière d’équité). Il est utile de reproduire ici le texte intégral de ces dispositions :

 

Loi de l’ impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.)

 

Income Tax Act, R.S., 1985, c. 1 (5th Supp.)

Renonciation aux pénalités et aux intérêts

Waiver of penalty or interest

220(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

220(3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

 

Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, c. E-15

Excise Tax Act, R.S.C. 1985, c. E-15

Renonciation ou annulation — Intérêts

 

Waiving or cancelling interest

281.1 (1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin d’une période de déclaration d’une personne ou sur demande de la personne présentée au plus tard ce jour-là, annuler les intérêts payables par la personne en application de l’article 280 sur tout montant qu’elle est tenue de verser ou de payer en vertu de la présente partie relativement à la période de déclaration, ou y renoncer.

281.1 (1) The Minister may, on or before the day that is 10 calendar years after the end of a reporting period of a person, or on application by the person on or before that day, waive or cancel interest payable by the person under section 280 on an amount that is required to be remitted or paid by the person under this Part in respect of the reporting period.

 

[14]           Ainsi que le libellé de ces dispositions le laisse entendre, la décision du ministre d’accorder un allègement est discrétionnaire (« peut renoncer ou annuler »). Pour encadrer l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire et pour s’assurer que les dispositions en matière d’équité sont appliquées de façon juste, l’ARC a adopté des lignes directrices. Ces lignes directrices se situent au cœur de la présente affaire, étant donné que l’ARC les a invoquées pour refuser de faire droit à la demande d’allègement présentée par les demandeurs en vertu des dispositions en matière d’équité. Ainsi qu’il ressort clairement de la jurisprudence et des principes de droit administratif applicables, les lignes directrices ne sont pas censées entraver l’exercice du pouvoir discrétionnaire du décideur. Chaque cas est un cas d’espèce et doit être évalué selon son bien‑fondé, étant donné que les lignes directrices ne sont pas juridiquement contraignantes : « En général, les lignes directrices comme les dispositions d’allègement pour les contribuables ne constituent pas des règles de droit, mais peuvent être très utiles tant pour les décideurs que pour les membres du public, parce qu’elles permettent de formuler des analyses et motifs plus structurés et d’assurer une conduite plus uniforme et plus responsable envers le public » (Spence c. Agence du revenu du Canada, 2010 CF 52, au paragraphe 24; voir également, notamment, Nixon c. Canada (Revenu national), 2008 CF 917, Guerra c. Canada (Agence du revenu), 2009 CF 459, et Laflamme c. Canada (Revenu national), 2008 CF 1403).

 

[15]           Les lignes directrices relatives à l’application du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu sont connues sous le nom de « Circulaire d’information IC07-1 – Dispositions d’allègement pour les contribuables ». Des directives analogues existent en ce qui concerne la Loi sur la taxe d’accise. Voici les extraits pertinents des lignes directrices sur les dispositions d’allègement pour les contribuables :

¶ 23. Le ministre peut accorder un allègement de l’application des pénalités et des intérêts lorsque les situations suivantes sont présentes et qu’elles justifient l’incapacité du contribuable à s’acquitter de l’obligation ou de l’exigence fiscale en cause :

a) circonstances exceptionnelles;

b) actions de l’ARC;

c) incapacité de payer ou difficultés financières.

¶ 24. Le ministre peut également accorder un allègement même si la situation du contribuable ne se trouve pas parmi les situations mentionnées au paragraphe 23.

Circonstances exceptionnelles

¶ 25. Les pénalités et les intérêts peuvent faire l’objet d’une renonciation ou d’une annulation, en tout ou en partie, lorsqu’ils découlent de circonstances indépendantes de la volonté du contribuable. Les circonstances exceptionnelles qui peuvent avoir empêché un contribuable d’effectuer un paiement lorsqu’il était dû, de produire une déclaration à temps ou de s’acquitter de toute autre obligation que lui impose la Loi sont les suivantes, sans être exhaustives :

a) une catastrophe naturelle ou causée par l’homme, telle qu’une inondation ou un incendie;

b) des troubles publics ou l’interruption de services, tels qu’une grève des postes;

c) une maladie grave ou un accident grave;

d) des troubles émotifs sévères ou une souffrance morale grave, tels qu’un décès dans la famille immédiate.

Actions de l’ARC

¶ 26. Les pénalités et les intérêts peuvent également faire l’objet d’une renonciation ou d’une annulation si ces pénalités et ces intérêts découlent principalement d’actions prises par l’ARC, telles que :

a) des retards de traitement, qui ont fait en sorte que le contribuable n’a pas été informé d’une somme en souffrance dans un délai raisonnable;

b) des erreurs dans la documentation mise à la disposition du public, ce qui a amené des contribuables à soumettre des déclarations ou à faire des paiements en se fondant sur des renseignements inexacts;

c) des renseignements inexacts qu’un contribuable a reçus, comme dans le cas où l’ARC a informé, par erreur, un contribuable qu’aucun acompte provisionnel n’était requis pour l’année en cours;

d) des erreurs de traitement;

e) des renseignements fournis en retard, comme dans le cas où un contribuable n’a pas pu faire les paiements appropriés d’acomptes provisionnels ou d’arriérés, parce que les renseignements nécessaires n’étaient pas disponibles;

f) des retards indus pour régler une opposition ou un appel, ou la réalisation d’une vérification.

Incapacité de payer ou difficultés financières

¶ 27. Il peut être approprié, lorsque l’incapacité de payer tous les montants dus est confirmée, de considérer la renonciation ou l’annulation aux intérêts, en tout ou en partie, pour permettre au contribuable de régler son compte. Par exemple :

a) lorsque les mesures de recouvrement ont été suspendues à cause de l’incapacité de payer et qu’un montant considérable d’intérêts s’est accumulé ou s’accumulera;

b) lorsque la démonstration de la capacité de payer d’un contribuable exige une prolongation de l’arrangement de paiements, on peut considérer la renonciation aux intérêts, en tout ou en partie, pour la période allant du début des paiements jusqu’à ce que le solde soit acquitté, aussi longtemps que les paiements convenus sont faits à temps et que l’observation des termes de la Loi est maintenue;

c) lorsque le paiement des intérêts accumulés causerait une incapacité prolongée (difficultés financières) à subvenir aux besoins essentiels, tels que la nourriture, les soins médicaux, le transport, ou le logement, on peut considérer l’annulation des intérêts accumulés, en tout ou en partie.

¶ 28. De façon générale, on ne considèrera pas l’annulation d’une pénalité en raison d’une incapacité de payer ou de difficultés financières à moins que des circonstances exceptionnelles, telles qu’elles sont décrites au paragraphe 25, aient empêché l’observation. Cependant, des situations exceptionnelles peuvent donner lieu à l’annulation totale ou partielle des pénalités. Par exemple, lorsqu’une entreprise a des difficultés financières extrêmes et que l’application des pénalités mettrait en danger la continuité de son exploitation, des emplois et du bien-être de la collectivité dans son ensemble, on peut considérer un allègement des pénalités.

 

 

[16]           Il est donc évident qu’il existe, selon les lignes directrices, trois principales situations qui justifient l’application des dispositions en matière d’équité, bien qu’elles n’aient pas pour effet de restreindre la portée des dispositions en matière d’équité elles-mêmes ou le pouvoir discrétionnaire du décideur. Ces situations sont les suivantes : 1) circonstances exceptionnelles; 2) actions de l’ARC; 3) difficultés financières. On trouve également des lignes directrices sur les facteurs dont on doit tenir compte pour apprécier ces situations :

¶ 33. Lorsque des circonstances indépendantes de la volonté du contribuable, des actions de l’ARC, ou l’incapacité de payer ou les difficultés financières ont empêché le contribuable de respecter la Loi, les facteurs suivants seront considérés pour déterminer si l’ARC annulera ou renoncera aux pénalités et aux intérêts, ou non :

a) le contribuable a respecté, par le passé, ses obligations fiscales;

b) le contribuable a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés;

c) le contribuable a fait des efforts raisonnables et n’a pas été négligent dans la conduite de ses affaires en vertu du régime d’autocotisation;

d) le contribuable a agi avec diligence pour remédier à tout retard ou à toute omission.

 

Décisions au premier et au second paliers

[17]           Les demandeurs ont fait valoir que les circonstances de l’espèce commandent l’application des dispositions en matière d’équité. Ils attendaient un autre enfant, ce qui devait alourdir leur fardeau financier. Ils excipaient de leur bonne foi et de leur honnêteté tout en dénonçant [traduction] « le harcèlement des agents de recouvrement et l’inefficacité déplorable de l’ARC ». Ils ont soutenu que les retards qu’accuse leur dossier sont tels qu’il y a lieu de recourir aux dispositions en matière d’équité pour modifier ou annuler les intérêts accumulés. Jonas Quastel est malade depuis 1999 et a dû se rendre en Israël pour se faire soigner. Cette situation devait, selon les demandeurs, être considérée comme une circonstance exceptionnelle. Ils ont allégué que les dépenses que l’ARC présumait discrétionnaires étaient essentielles aux activités professionnelles de M. Quastel, qui est réalisateur de films. Les demandeurs ont soutenu que les intérêts accumulés depuis le prononcé des jugements de la Cour canadienne de l’impôt ne devaient pas être comptés, étant donné que les retards étaient attribuables à l’inefficacité de l’ARC dans le traitement de la demande d’allègement. Les demandeurs ont ajouté que le professionnel qu’ils ont embauché pour les aider était incompétent et qu’il n’a pas été en mesure de régler l’affaire. De façon plus générale, les demandeurs ont affirmé qu’ils étaient incapables de payer et qu’ils étaient aux prises avec des difficultés financières.

 

[18]           La première décision n’a pas accordé aux demandeurs l’allègement demandé. En résumé, on peut dire que cette décision était négative compte tenu des éléments suivants :

 

a)         Rien ne permettait de penser que le traitement de ce dossier par l’ARC avait été exceptionnellement long ou que les retards qu’accusait le dossier pouvaient être attribués à l’ARC. En fait, les retards étaient imputables aux demandeurs, qui ne s’étaient pas occupés de la question en temps opportun.

 

b)         L’erreur commise par le représentant des demandeurs n’était pas jugée suffisante et ne constituait pas une situation indépendante de leur volonté.

 

c)         On ne pouvait raisonnablement établir un lien entre la maladie dont souffrait M. Quastel en 1999 et la production tardive des déclarations, étant donné que la plus ancienne devait être produite en 2000. De plus, les revenus d’entreprise de M. Quastel pour 1999 laissaient croire que son incapacité n’était pas aussi invalidante que ce qu’il affirmait.

 

d)         Les difficultés financières sont définies comme une incapacité prolongée à subvenir aux besoins essentiels. Le fonctionnaire de l’ARC a laissé entendre qu’une réduction des dépenses discrétionnaires serait utile à cet égard. En fait, la situation des demandeurs ne répondait pas à la définition de « difficultés financières ».

 

e)         Les demandeurs ont acheté une maison en 2001 tout en laissant sciemment subsister un solde.

 

 

[19]           N’ayant pas obtenu gain de cause, les demandeurs ont porté cette décision en appel au second palier devant l’ARC. Dans la décision rendue au second palier, l’ARC a confirmé la décision qui avait été rendue au premier palier et a indiqué ce qui suit à l’appui de sa décision.

[traduction]

a)         Il n’existe aucun lien de causalité entre l’état de santé de M. Quastel et les retards et les intérêts imposés par l’ARC que les demandeurs contestaient.

 

b)         Les retards et les erreurs étaient imputables aux actes des demandeurs.

 

c)         Il n’y avait pas de difficultés financières, étant donné que les documents fournis étaient incomplets et ne donnaient pas un portrait fidèle de la situation financière des demandeurs. En tout état de cause, les revenus familiaux équivalaient à près au double du montant minimal considéré comme le seuil de faible revenu.

 

d)         L’historique des demandeurs en matière d’observation fiscale démontre que les déclarations de revenus des années 2002 et 2003 n’avaient toujours pas été transmises.

 

e)         Tout bien pesé, les demandeurs n’étaient pas admissibles à un allègement pour les contribuables en vertu des dispositions en matière d’équité.

 

Norme de contrôle

[20]           C’est la décision rendue au second palier que la Cour est appelée à examiner dans le cadre du présent contrôle judiciaire, conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. Comme nous l’avons déjà signalé, le contrôle de la Cour porte en l’espèce sur le pouvoir discrétionnaire que le ministre tient du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu et de l’article 281.1 de la Loi sur la taxe d’accise. La Cour relève donc que les motifs invoqués à l’appui de la demande de contrôle sont que le ministre a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait, pour reprendre la formule employée à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[21]           Comme la Cour suprême l’a expliqué dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 46 : « De façon plus générale, il ressort clairement de l’al. 18.1(4)d) que le législateur voulait qu’une conclusion de fait tirée par un organisme administratif appelle un degré élevé de déférence. Ce qui est tout à fait compatible avec l’arrêt Dunsmuir. Cette disposition législative précise la norme de contrôle de la raisonnabilité applicable aux questions de fait dans les affaires régies par la Loi sur les Cours fédérales ». Ainsi, comme c’est la façon dont le pouvoir discrétionnaire a été exercé qui est contestée, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, ainsi que la jurisprudence pertinente le confirme (Agence du revenu du Canada c. Telfer, 2009 CAF 23; Spence c. Agence du revenu du Canada, 2010 CF 52; Northview Apartments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2009 CF 74; Cayer c. Agence du revenu du Canada, 2009 CF 1195).

 

[22]           Les demandeurs n’étaient pas représentés devant la Cour et les observations qui précèdent au sujet de la norme de contrôle peuvent par conséquent leur sembler techniques. Il y a une différence entre un contrôle judiciaire et un appel, surtout lorsque la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. La Cour doit se demander si la décision contestée appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, ce qui indique que l’auteur de la décision administrative dispose effectivement d’une certaine marge de manœuvre (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Les pouvoirs dont dispose la Cour ne vont pas jusqu’à lui permettre de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve ou à remplacer la décision de l’ARC par la sienne. À l’étape du contrôle judiciaire, les issues sont limitées : ou bien l’affaire est renvoyée à l’auteur de la décision pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire ou bien la décision est considérée comme « raisonnable » ou « correcte », selon la norme de contrôle applicable.

 

Analyse

[23]           La décision contestée qui a été rendue au second palier est raisonnable. Bien que cette décision ne soit pas favorable aux demandeurs, son auteur y apprécie effectivement les éléments de preuve portés à sa connaissance et examine les éléments requis soumis par les demandeurs. Il s’inspire de façon raisonnable des balises proposées par les lignes directrices applicables sans aller jusqu’à entraver le pouvoir discrétionnaire conféré par la loi.

 

[24]           Ainsi que les lignes directrices le précisent, l’ARC doit tenir compte des facteurs pertinents pour se prononcer sur l’application des dispositions en matière d’équité. Je répète les lignes directrices que l’on trouve à ce sujet au paragraphe 33 :

¶ 33. Lorsque des circonstances indépendantes de la volonté du contribuable, des actions de l’ARC, ou l’incapacité de payer ou les difficultés financières ont empêché le contribuable de respecter la Loi, les facteurs suivants seront considérés pour déterminer si l’ARC annulera ou renoncera aux pénalités et aux intérêts, ou non :

a) le contribuable a respecté, par le passé, ses obligations fiscales;

b) le contribuable a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés;

c) le contribuable a fait des efforts raisonnables et n’a pas été négligent dans la conduite de ses affaires en vertu du régime d’autocotisation;

d) le contribuable a agi avec diligence pour remédier à tout retard ou à toute omission.

 

 

[25]           Ainsi qu’il ressort du dossier, les demandeurs ne s’étaient pas conformés par le passé à leurs obligations en matière fiscale, comme le démontre le fait que leurs documents fiscaux de 1999 et de 2000 ont d’abord été examinés en vertu du paragraphe 152(7) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Ils n’avaient par ailleurs pas produit leurs déclarations de revenus pour les années 2002 et 2003. L’ARC a donc tenu dûment compte de ce facteur.

 

[26]           Ainsi qu’il est signalé dans la décision rendue au second palier, les demandeurs ont sciemment laissé un solde subsister. Au cours de cette période, ils ont versé un montant considérable à titre d’acompte pour l’achat d’une maison tout en négligeant d’acquitter le solde de leur compte fiscal. Il s’agit d’un facteur dont l’ARC a tenu compte.

 

[27]           Tout au long des démêlés qu’ils ont eus avec l’ARC, les demandeurs ont fait défaut de soumettre tous les documents pertinents, de sorte que l’ARC a dû leur adresser des rappels à quelques reprises. L’ARC a estimé que les demandeurs avaient ainsi eux-mêmes contribué à retarder le traitement de leur dossier.

 

[28]           Des vérifications ont également été faites pour savoir si l’ARC avait elle-même contribué aux retards. On n’a constaté aucun acte exceptionnel de sa part, de sorte que les motifs prévus à l’alinéa 23c) des Lignes directrices ne pouvaient être invoqués. Parallèlement, la situation financière des demandeurs a été évaluée objectivement en fonction des lignes directrices applicables sur la pauvreté. La situation financière des demandeurs n’a pas été jugée difficile. L’ARC a suggéré aux demandeurs de réduire leurs dépenses et notamment leurs dépenses discrétionnaires pour faciliter le paiement de leur dette fiscale.

 

[29]           Les demandeurs n’ont pas expliqué en quoi les erreurs et les omissions commises par des tiers avaient contribué à la situation; ils se sont contentés de généralités. En tout état de cause, les tribunaux trouvent raisonnable d’obliger les contribuables à répondre des erreurs commises par les tiers qui agissent en leur nom en matière fiscale devant l’ARC et considèrent que de telles erreurs ne constituent pas des « circonstances indépendantes de leur volonté » (Succession Jones c. Canada (Procureur général), 2009 CF 646; Northview Apartments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2009 CF 74; Légaré c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2003 CF 1047). Ainsi que la même Cour l’a fait observer dans la décision Babin c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CF 972, il peut exister un recours contre le tiers en question, mais ce recours est indépendant du cas qui nous occupe.

 

[30]           À première vue, il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale et aucun manquement à cet égard n’a d’ailleurs été allégué. La Cour conclut que l’ARC a apprécié l’ensemble de la preuve dont elle disposait et qu’elle a tiré des conclusions raisonnables. La décision rendue au second palier était motivée et claire et était fondée sur les faits et les règles de droit applicables. On a en effet tenu compte des lignes directrices et des facteurs pertinents pour rendre la décision au second palier. De plus, un bref survol de la jurisprudence montre que les dispositions en matière d’équité sont habituellement utilisées dans des situations beaucoup plus désespérées que la présente (voir, par exemple, l’affaire Laflamme c. Canada (Revenu national), 2008 CF 1403). Ces facteurs ne sont pas contraignants, mais ils confirment que la décision était raisonnable, étant donné que les situations analogues devraient être traitées de façon similaire en raison du caractère « équitable » inhérent des dispositions en matière d’équité.

 

[31]           La Cour n’a donc d’autre choix que de refuser d’intervenir puisque la décision attaquée est « raisonnable » au sens de la norme de contrôle judiciaire applicable.

 

[32]           Le défenderesse réclame 3 000 $ des demandeurs à titre de dépens. La Cour refuse de les lui adjuger en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/2004-283 et eu égard au fardeau fiscal très onéreux déjà imposé aux demandeurs par suite de la décision contestée. Les demandeurs avaient une opinion différente du présent recours. Ils croyaient qu’il s’agissait d’un appel alors qu’il s’agit d’un contrôle judiciaire. Les deux demandeurs reconnaissent qu’ils sont responsables, au moins en partie, de la situation actuelle et ajoutent qu’ils en ont tiré des leçons. En vertu du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 400 des Règles des Cours fédérales, la Cour estime qu’il est dans l’intérêt public de ne pas faire droit à la demande visant à obtenir plus que 3 000 $ à titre de dépens.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE les demandes de contrôle judiciaire. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                                  T-979-09 et T-980-09

 

INTITULÉ :                                                   DINA QUASTEL

                                                                        c.

                                                                        MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

                                                                        JONAS QUASTEL

                                                                        c.

                                                                        MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 1er février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 9 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS DANS LE DOSSIER T-979-09 :

 

Dina Quastel

 

LA DEMANDERESSE,

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Selena Sit

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER T-979-09 :

 

Dina Quastel

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

LA DEMANDERESSE,

POUR SON PROPRE COMPTE

 

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

COMPARUTIONS DANS LE DOSSIER T-980-09 :

 

Jonas Quastel

 

LE DEMANDEUR,

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Selena Sit

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER T-979-09 :

 

Jonas Quastel

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

LE DEMANDEUR,

POUR SON PROPRE COMPTE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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