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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110315

Dossier : IMM-4149-10

Référence : 2011 CF 312

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 mars 2011

En présence de monsieur le juge Scott

 

ENTRE :

 

PICKTON ALFONSO EARL

JOAN ROSEMARIE EARL ET

RANDY JAMES MADANNY EARL

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

A.          INTRODUCTION

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qu’ont présentée, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), Pickton Alfonso Earl, Joan Rosemarie Earl et Randy James Madanny Earl (les demandeurs) relativement à une décision qu’une commissaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rendue. La Commission a statué que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

B.          LES FAITS

[2]               Les demandeurs sont tous citoyens de la Jamaïque. Le demandeur principal - Pickton Earl - a travaillé comme pasteur au Mt. Refuge Church of the First Born de 1979 jusqu’à 2001, date à laquelle sa famille et lui ont quitté ce pays.

 

[3]               En 2001, le demandeur principal se trouvait à l’extérieur de son église, avant de célébrer un office, quand un individu du nom de Bigger, qui avait emprunté ou loué une automobile d’un homme dénommé Tucker pour s’en servir comme taxi, a prétendu que Tucker l’avait trompé. Ce dernier se trouvait dans l’église, attendant l’office. Le demandeur principal a tenté de calmer Bigger et l’a encouragé à attendre jusqu’à la fin de l’office, ce qu’il a fait. Bigger lui aurait dit que si Tucker s’en allait avant qu’il ait pu lui parler, il l’en tiendrait responsable. Après l’office, ils se sont rendus compte que Tucker avait disparu. En présence d’autres paroissiens, Bigger a frappé d’un coup de machette le demandeur à la tête, de l’arrière, et a déclaré qu’il allait se venger sur lui pour avoir permis à Tucker de s’enfuir.

 

[4]               Ce jour-là, le demandeur s’est présenté au poste de police local pour porter plainte, mais la police a refusé d’intervenir, disant qu’il n’y avait pas assez de preuves. Il s’est rendu le même jour à un poste de police différent, et on lui a dit la même chose. Il n’était pas accompagné de Tucker, pas plus qu’il n’a informé ce dernier qu’il était allé voir la police, et il n’a pas vérifié si sa plainte avait fait l'objet d'un rapport quelconque.

 

[5]               Le demandeur allègue qu’après cet incident, Bigger s’est présenté à plusieurs reprises à l’église et à son domicile, et qu’il a proféré d’autres menaces.

 

[6]               Le demandeur et sa famille sont arrivés au Canada le 16 août 2001. Munis de visas de visiteur temporaire, ils ont vécu au pays pendant plusieurs années. Le 6 juin 2006, ils ont sollicité le statut de résident permanent avec l’aide de leurs paroissiens. Leur demande a été rejetée, tout comme la demande de contrôle judiciaire que le demandeur a déposée en rapport avec cette décision (Earl c. MCI, 2008 CF 1144). Le 4 novembre 2008, les demandeurs ont demandé l’asile.

 

[7]               L’audience a eu lieu le 7 mai 2010. La décision a été rendue le 18 juin 2010 et les demandeurs l’ont reçue le 6 juillet suivant.

 

C.         La décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[8]               La Commission a conclu que les questions déterminantes étaient l’existence d’une protection de l’État ainsi que le fait que le demandeur n’avait pas pris de mesures appropriées pour obtenir cette protection, l’absence de preuves d’une crainte subjective, à cause de la longue période de temps écoulée avant que les demandeurs demandent l’asile, et l’absence de preuves de risque prospectif si les demandeurs retournaient en Jamaïque.

 

[9]               La Commission a fait état de la présomption selon laquelle il existe une protection de l’État, sauf en cas d’effondrement complet de ce dernier. Elle a passé en revue la documentation et conclu que la Jamaïque est une démocratie parlementaire constitutionnelle qui tient en général des élections libres et honnêtes. Elle a décrit les divers éléments des forces de sécurité dans ce pays, et noté que la Force de police jamaïquaine avait renforcé les services de police communautaires afin de contrer l’antipathie des habitants envers la police. La Commission a signalé qu’il existe encore une certaine impression de corruption. Elle a conclu que dans l’ensemble, même s’il existe des problèmes, les forces de sécurité jamaïquaines exercent une emprise efficace sur le territoire et constituent des forces fonctionnelles qui font respecter les lois et la Constitution. Elle a passé en revue la jurisprudence relative à la protection de l’État et a signalé qu’il incombait aux demandeurs de réfuter la présomption de son existence, et le fait qu’il ne doit pas y avoir simplement une réticence subjective à solliciter la protection de l’État.

 

[10]           Il convient de noter que, dans cette section de son analyse, la Commission a mentionné le « Mexique » plutôt que la « Jamaïque » à plusieurs reprises, et elle a noté, entre autres, que le Mexique tient des élections libres et honnêtes et dispose d’un appareil judiciaire relativement indépendant.

 

[11]           La Commission a noté que le demandeur avait bel et bien signalé l’agression à la police et avait obtenu la même réponse de deux postes de police différents. Elle a conclu que la constance de la réaction de la police fondait sa décision de ne pas intervenir; elle a signalé que le demandeur n’était pas accompagné de Tucker quand il avait tenté de communiquer avec la police et qu’il n’avait pas vérifié si les postes de police avaient consigné sa plainte. Selon la Commission, il serait déraisonnable dans n’importe quelle société de s’attendre à ce que tous les actes de violence signalés donnent lieu à une poursuite ou à une déclaration de culpabilité immédiate. Elle n’a relevé aucune indication que la police jamaïquaine n’avait pas fait d’efforts réels et sincères.

 

[12]           La Commission a pris acte de la déclaration du demandeur selon laquelle il n’avait aucune confiance en la police à cause de sa réaction négative. Il a déclaré que Bigger avait déjà aidé un parti politique et que, à cause cela, ce dernier le soutiendrait, et il a ajouté que Bigger aurait pu se faire divulguer un rapport de police. La Commission a noté que le demandeur n’avait aucune preuve de cela, sinon qu’il avait entendu quelqu’un le dire. Elle a trouvé que cela n’était pas convaincant, ni étayé par la preuve documentaire.

 

[13]           La Commission a dit qu’elle avait pris en considération des documents traitant de l’inefficacité et de la corruption des forces de sécurité jamaïquaines, mais qu’elle avait soupesé ce fait par rapport à la preuve convaincante que la Jamaïque reconnaît sincèrement que ces problèmes existent et qu’elle fait de sérieux efforts pour les corriger. Le demandeur n’avait pas réfuté la présomption. Au dire de la Commission, il n’y avait aucune preuve convaincante que le demandeur serait persécuté ou courrait l'un des risques énumérés à l’article 97 s’il retournait dans son pays, encore que la Commission, là encore, parle du « Mexique » plutôt que de la « Jamaïque ».

 

[14]           Pour ce qui est du bien-fondé de sa crainte de persécution, la Commission a signalé qu’il s’était écoulé sept ans avant que les demandeurs demandent l’asile. Elle a conclu que ce fait affaiblissait la crédibilité de la crainte subjective qu’avait le demandeur de retourner en Jamaïque. Elle a conclu aussi qu’au cours des neuf années qui s’étaient écoulées depuis le départ de la Jamaïque, le demandeur n’avait eu aucune nouvelle de Bigger, et qu’il ignorait si ce dernier cherchait encore à se venger, ni même s’il vivait dans la région. La Commission a conclu que la crainte qu’avait le demandeur d’être persécuté à son retour était tout à fait conjecturale et peu réaliste, et que, par ailleurs, la demande d’asile des demandeurs n'était qu'un moyen secondaire d’obtenir un statut officiel pour rester au Canada.

 

D.         Les dispositions légales applicables

Les dispositions applicables de la Loi sont les suivantes :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

E.          Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[15]           La présente demande soulève les questions suivantes :

a.       La Commission a-t-elle commis une erreur en faisant référence au mauvais pays dans son analyse relative à la protection de l’État?

b.      La Commission a-t-elle commis une erreur en appréciant la preuve liée à la disponibilité d’une protection de l’État?

c.       La Commission a-t-elle commis une erreur en appréciant la crainte subjective du demandeur?

 

La norme de contrôle applicable

-           La norme de contrôle qui s’applique aux questions soulevées dans le cadre de la présente demande est la raisonnabilité.

[16]           Dans les décisions Saeed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1016, au paragraphe 35, et Collins c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1403, au paragraphe 10, il a été conclu que l’analyse de la protection de l’État est susceptible de contrôle selon la norme de raisonnabilité. Cette norme s’applique également à l’appréciation de la preuve documentaire (Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 9, au paragraphe 34; Malveda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 527). Comme l’existence d’une crainte subjective est une question de fait, il incombe à la Commission de l’apprécier, et cette question doit elle aussi être contrôlée selon la norme de raisonnabilité : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

 

F.          ANALYSES

a) Les références faites au Mexique plutôt qu’à la Jamaïque

[17]           Sont reproduits ci-dessous tous les endroits où la Commission mentionne le Mexique au lieu de la Jamaïque :

(10)………. Là où le fonctionnement de la démocratie n’est pas remis en question, le demandeur d’asile devra s’acquitter d’un lourd fardeau pour démontrer qu’il n’était pas tenu d’épuiser tous les recours dont il pouvait disposer dans son pays avant de demander l’asile. Or, selon la preuve documentaire dont la Commission est saisie, le Mexique est un pays démocratique où les élections sont libres et honnêtes (paragraphe 10; footnoted to US Department of State Report on Jamaica 2008). Le pouvoir judiciaire y est relativement indépendant et impartial. Ainsi, lorsqu’il est question de pays comme le Mexique, le demandeur d’asile ne peut pas se contenter de montrer qu’il s’est adressé à des membres des services de police et que ses efforts ont été infructueux. (paragraphe 10)

 

Par conséquent, compte tenu de l’ensemble de la preuve, j’estime que le demandeur d’asile principal a échoué, en l’espèce, à réfuter la présomption relative à la protection de l’État par des éléments de preuve clairs et convaincants, et qu’il n’a pas pris tous les moyens raisonnables dans les circonstances pour obtenir cette protection avant de présenter sa demande d’asile. Je ne suis donc pas convaincue que l’État du Mexique serait incapable d’assurer raisonnablement la protection du demandeur d’asile principal si celui-ci la demandait. (paragraphe 18)

 

Rien dans la preuve dont je suis saisie ne permet de déterminer de façon concluante que le demandeur d’asile principal serait persécuté ou, selon la prépondérance des probabilités, qu’il serait exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à un risque de torture s’il retournait au Mexique. (Paragraphe 19)

 

[18]           Le demandeur soutient que l’analyse de la protection de l’État représente la majeure partie de l’analyse de la Commission, et il signale que l’analyse relative au Mexique est sans rapport avec le sujet. Il soutient qu’il est impossible de conclure avec certitude quel rôle la prise en considération de preuves extrinsèques ou non pertinentes a joué dans la décision de la Commission. Le demandeur cite la décision du juge Hugessen dans l'affaire B’Ghiel c. Canada (MCI), [1998] A.C.F. no 1023, au paragraphe 8, où le juge Hugessen a conclu qu'il ne pouvait pas déterminer quel poids l’agente d’immigration avait accordé aux bons facteurs ni « le poids attribué aux facteurs qui ont été examinés de façon non appropriée », et qu’il convenait donc d’annuler la décision.

 

[19]           Le demandeur cite également la décision Martinez c. MCI, (IMM-3598-08), une décision non publiée dans laquelle le juge Barnes a déclaré que [traduction] « la décision semble avoir été rendue sans une relecture minutieuse, car elle contient un certain nombre d’erreurs typographiques et rédactionnelles regrettables ». Selon le demandeur, ce fait a amené le juge Barnes à conclure qu’il serait difficile d’être sûr que la Commission n'avait pas agi machinalement dans son analyse au sujet de la protection de l’État. Il soutient que les erreurs commises en l’espèce font planer un doute sur la décision tout entière, vu l’importance que revêt l’analyse relative à la protection de l’État.

 

[20]           Dans le mémoire en réponse du demandeur, il est allégué de plus que la prétention du défendeur selon laquelle les erreurs ont été commises par « inadvertance » est conjecturale, et aussi que les quelques passages où la Commission fait bel et bien référence à la Jamaïque étayent la position du demandeur.

 

[21]           Le défendeur répond que les références faites au Mexique importent peu et constituent des erreurs typographiques, car chacune n’a été commise que dans le contexte d’un énoncé généralisé que l’on trouve habituellement dans n’importe quelle analyse concernant la protection de l’État. Cela n’a pas d’incidence sur les nombreuses références faites à la Jamaïque dans toute l’analyse de la Commission. En outre, le défendeur signale qu’avant l’unique énoncé non général selon lequel le Mexique est une démocratie qui tient des élections libres, la Commission avait conclu que la Jamaïque est une démocratie parlementaire constitutionnelle qui tient des élections généralement libres et honnêtes, au paragraphe 6 de sa décision.

 

[22]           Le défendeur soutient que les paragraphes types où figure le mot « Mexique » ne revêtent pas une importance cruciale, et ne dénotent pas que la Commission a omis de prendre en compte la situation propre à la Jamaïque, étant donné surtout qu’elle cite clairement ce pays dans d’autres références précises (aux paragraphes 14 à 17). Il ajoute que les motifs doivent être lus comme étant un tout; la Commission savait clairement qu’elle avait affaire à la Jamaïque et s’est lancée dans une analyse détaillée des forces de sécurité et du système judiciaire de ce pays. De plus, il se reporte aux notes sténographiques de l’audience et soutient que la Commission savait qu’il était question de la Jamaïque, et non du Mexique, et qu’elle ne s’est fondée que sur des documents concernant la Jamaïque.

 

[23]           Le défendeur cite la décision Miranda c. MEI (1993) 63 F.T.R. 81 (C.F. 1re inst.) :

Je suis toutefois d'avis qu'aux fins d'un contrôle judiciaire, les décisions de la Commission doivent être prises dans leur ensemble. Certes, on pourrait les découper au bistouri, les regarder à la loupe ou encore, en disséquer certaines phrases pour en découvrir le sens. Mais je crois qu'en général, ces décisions doivent être analysées dans le contexte de la preuve elle-même. J'estime qu'il s'agit d'une manière efficace de déterminer si les conclusions tirées étaient raisonnables ou manifestement déraisonnables.   

 

Analyse

[24]           Tout d’abord, la Cour conclut que la décision B’ghiel n'est pas pertinente en l’espèce. Dans cette affaire, l’agente d’immigration, au moment de déterminer dans le contexte d’une demande de résidence si le demandeur serait en mesure de s’adapter à la vie au Canada, a inclus dans son examen plusieurs facteurs non pertinents. Comme il ne s’agissait que de certains des facteurs dont elle avait tenu compte avant de rejeter la demande, le juge avait conclu qu’il était impossible de savoir comment elle les avait soupesés. Ce fait est à distinguer de la présente espèce, où les erreurs commises dans la décision ne sont pas, à une exception près, de la nature d’une conclusion de fait ou d’un facteur individuel.

 

[25]           Il y a deux autres décisions dans lesquelles la Commission a commis une erreur semblable en rapport avec le nom du pays en question dans le cadre de l’analyse relative à la protection de l’État. Dans Fernandez c. MCI, 2005 CF 536, il a été conclu que la Commission avait parlé du Brésil au lieu de l’Argentine, et le juge Rouleau a conclu, au paragraphe 20 de sa décision, que « j'ai pensé, lorsque j'ai lu Brésil (écrit plusieurs fois), que l'analyse des risques que courent les

 

demandeurs en Argentine était erronée. La confusion concernant le pays a donc un impact sur l'analyse et la décision ne peut être maintenue. » Dans Landaverde c. MCI, 2005 CF 1665, le juge O’Keefe a conclu au paragraphe 36, que la Commission avait traité de manière inexacte de la protection de l’État au Guatemala plutôt qu’au Salvador, et que « [l]es seules références que l'on trouve à une quelconque crainte de persécution dans la décision de la Commission ont trait au Guatemala, pas au Salvador ».

 

[26]           Les erreurs que la Commission a commises en l’espèce n’atteignent pas le degré mentionné dans les décisions Fernandez et Landaverde. Contrairement à ces deux dernières, il ressort clairement, quand on lit la décision, que la Commission parle bel et bien de la Jamaïque. Les paragraphes où il est question du Mexique sont des paragraphes généraux, souvent utilisés, au sujet de la jurisprudence relative à la protection de l’État, et je signale que la seule « conclusion » qui a été tirée plus précisément au sujet du fait que le Mexique est une démocratie qui tient des élections libres renvoie en fait à la documentation relative à la Jamaïque. En outre, plus tôt dans la décision, la même conclusion est explicitement tirée à propos de la Jamaïque.

 

[27]           Même si cette erreur suscite des doutes au sujet du manque évident de relecture de cette décision, je ne suis pas persuadé, après l’avoir lue, que la Commission croyait réellement parler du Mexique et, de ce fait, cela n’invalide pas la décision.

 

b) L’évaluation de la protection de l’État et de la preuve documentaire

[28]           Le demandeur cite longuement la décision Cepeda-Gutierrez c. MCI (1998), 157 F.T.R. 35, au paragraphe 17, où le juge Evans déclare ceci :

[…] plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] ». […] Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

[29]           Le demandeur reconnaît que l’on présume que la Commission a soupesé et pris en considération la totalité des éléments de preuve, sauf si le contraire est établi. Cependant, signale‑t‑il, quand la preuve documentaire est contradictoire, il incombe à la Commission d’examiner comment et pourquoi elle a décidé de se fonder sur certains éléments de preuve plutôt que sur le reste (Flores c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 565; Antunes c. MEI, [1991] A.C.F. no 154).

 

[30]           Le demandeur soutient que la Commission n’a fait référence qu’à deux documents : l’US Department of State Report et un Amnesty International country report. Il conteste le paragraphe 7 des motifs de la Commission, où celle-ci décrit les forces de sécurité jamaïquaines, note qu’il y a eu quelques problèmes en ce qui concerne l’impression de corruption et fait ensuite remarquer que « [a]près avoir examiné les renseignements ci-dessus », elle a conclu que, dans l’ensemble, la preuve « indique dans son ensemble que les forces de sécurité de la Jamaïque ont le contrôle effectif du territoire national et que l’État dispose de forces de sécurité capables de faire respecter les lois et la constitution nationales ». Selon le demandeur, la Commission n’a examiné aucune preuve substantielle ni cité quelque document, mais elle décrit simplement les forces de sécurité. Il ajoute que la référence suivante à un pays n’est faite qu’au paragraphe 10, où la Commission mentionne le Mexique. Le demandeur signale ensuite que la Commission fait référence à la Jamaïque au paragraphe 15, soit huit paragraphes après avoir fait référence à ce que le demandeur appelle des [traduction] « documents inexistants sur la situation du pays ».

 

[31]           Étant donné qu’aucune citation précise n’a été incluse pour les paragraphes 15 et 16, qui se rapportent précisément aux services de police en Jamaïque, soutient le demandeur, la Commission n’a fourni aucune preuve documentaire à l’appui de ses conclusions. Il signale que la seule référence qui est faite au rapport Amnesty International est pour en faire abstraction, même si, soutient‑il, ce document est l’un des plus importants, car il établit que de nombreux agents de police jamaïquains ont été accusés de violation des droits de la personne et que la violence des gangs est généralisée. Le demandeur allègue que cette preuve est plus pertinente que n’importe quelle référence faite par la Commission aux services de police communautaires. Le demandeur cite plusieurs passages de la preuve documentaire portant sur la violence des gangs et les violations des droits de la personne, et il ajoute que la Commission ne les a pas mentionnés. Il soutient que ces rapports [traduction] « contredisent carrément les conclusions de la commissaire » et qu’il aurait fallu y faire référence. Il cite à l’appui de cette prétention la décision Tetik c. MCI, 2009 CF 1240, où le juge de Montigny a infirmé une décision en partie parce que la Commission avait traité d’une manière générale de la protection de l’État en Turquie, sans s’occuper du fait que, dans cette affaire, les demandeurs étaient Arméniens, ou qu’ils vivaient à l’extérieur d’Istanbul.

 

[32]           Le demandeur fait aussi valoir qu’une part importante de la preuve documentaire étaye bel et bien le témoignage qu’il a fait à l’audience, à savoir qu’en Jamaïque il n’existe aucune protection de l’État efficace. Il a tenté d’obtenir l’aide de la police, mais n’en a reçu aucune, et il soutient que cela concorde avec la documentation. Il ne cite aucun document en particulier et ne fait que se reporter aux rapports susmentionnés sur la violence des gangs et les violations des droits de la personne.

 

[33]           Dans le mémoire en réponse du demandeur, l’avocat s’inscrit également en faux contre le fait que, selon le défendeur, le critère relatif à la protection de l’État est son caractère adéquat plutôt que son efficacité, et il ajoute que l’efficacité est un élément nécessaire du caractère adéquat. Il cite la décision Aguirre c. MCI, 2010 CF 916, au paragraphe 20 :

Il ressort de nombreux précédents qu’il ne suffit pas à un État de se doter des moyens nécessaires pour offrir une protection; il faut aussi établir objectivement que l’État est en mesure d’offrir en pratique cette protection […] la SPR [...] ne signale aucune preuve documentaire montrant que les moyens consacrés à la lutte contre le crime ont produit des résultats concrets

 

[34]           Le défendeur fait valoir qu’il était raisonnable de conclure que le demandeur n’avait pas pris toutes les mesures raisonnables pour solliciter l’aide de l’État. Il ajoute qu’un seul refus d’aider de la part des autorités ne satisfait pas au seuil nécessaire qui permet au demandeur de réfuter la présomption de protection de l’État, et qu'on ne peut pas renoncer après une seule mauvaise expérience (Morales Lozada c. MCI, 2008 CF 397, aux paragraphes 27 à 30; Sanchez c. MCI, 2008 CF 134, aux paragraphes 9 et 12; Kadenko c. MCI (1996), 143 D.L.R. (4th) 532, à la page 534 (C.A.F.)). Le défendeur réitère les conclusions de la Commission selon lesquelles le demandeur ne s’est pas renseigné pour savoir si un rapport de police avait été rédigé, qu'il n’est pas retourné au poste de police en compagnie de Tucker pour fournir d’autres preuves et qu'il n’a pas signalé à la police que Bigger le harcelait.

 

[35]           Le défendeur soutient qu’il n’incombe pas à la Commission d’établir la protection de l’État, mais plutôt au demandeur de réfuter la présomption d’une protection de l’État quand, comme c’est le cas en l’espèce, on conclut que le pays en question est une démocratie fonctionnelle. Le défendeur cite l’arrêt Ward c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 689, au paragraphe 50, et l’arrêt Carrillo c. MCI, 2008 CAF 94, aux paragraphes 18 et 19, 26 et 30. Il signale que le critère relatif à la protection de l’État consiste à savoir si cette protection est suffisante, et non si elle est parfaitement efficace, conformément à la décision Flores c. MCI, 2008 CF 723, au paragraphe 11, où il est dit que « [l]’imposition d’un critère d’efficacité à l’égard des autorités des autres pays reviendrait à demander à ceux-ci d’accomplir ce que notre propre pays n’est pas toujours en mesure de faire ». Le défendeur allègue que le fait d’exiger une protection efficace est une norme inatteignable, et qu’elle ferait passer à la Commission le fardeau d’établir l’existence de cette protection, plutôt que de laisser cette question au demandeur, comme cela devrait être le cas. Il fait également référence aux décisions Samuel c. MCI, 2008 CF 762, aux paragraphes 10 et 13, et Mendez c. MCI, 2008 CF 584, au paragraphe 23.

 

[36]           Pour ce qui est de l’appréciation de la preuve, le défendeur fait valoir qu’il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, et il signale que la Commission a conclu que la Jamaïque était dotée de forces de sécurité qui luttent contre les activités criminelles. Il est bien établi en droit qu’il est présumé que la Commission a passé en revue et pris en considération la totalité des éléments de preuve, et que rien ne l’oblige à faire référence à tous ces éléments (Hassan c. MEI, [1992] 147 N.R. 318 (C.A.F.)). Le défendeur allègue que les documents cités dans les arguments des demandeurs sont liés aux problèmes de sécurité auxquels font face les personnes vivant dans la pauvreté dans des ghettos intra-urbains où sévit la violence des gangs, et que cette preuve n’est pas pertinente à l’égard du dossier du demandeur.

 

[37]           Le défendeur signale que les déclarations du demandeur selon lesquelles une personne telle que Bigger était protégée par un parti politique et aurait pu se faire divulguer des rapports de police ne sont étayées par aucune preuve documentaire, contrairement à l’argument du demandeur.

 

Analyse

[38]           Il est bien établi en droit que le seuil nécessaire permettant de réfuter la présomption d’une protection de l’État est tel qu’un demandeur doit prendre toutes les mesures nécessaires pour se prévaloir de l’aide de l’État. Il a aussi été conclu qu’un seul refus ne suffit pas au demandeur pour réfuter cette présomption (voir Kadenko c. MCI (1996), 143 D.L.R. (4th) 532, à la page 534 (C.A.F). Morales Lozada c. MCI, 2008 CF 397, aux paragraphes 28 à 30). En examinant la décision de la Commission en l’espèce, je conclus qu’il est raisonnable de dire que le demandeur n’a pas pris toutes les mesures nécessaires pour obtenir l’aide des autorités.

 

[39]           Dans le même ordre d’idées, la manière dont la Commission a soupesé la documentation relative au pays est raisonnable en l’espèce. Comme le fardeau de réfuter la présomption d’une protection de l’État incombe au demandeur et comme il est présumé que la Commission a pris en considération la totalité des éléments de preuve, sans qu’il soit nécessaire de mentionner chacun des documents, je ne suis pas convaincu lorsque le demandeur fait état d’éléments de preuve qu’il aurait fallu, à son avis, mentionner. Ce dernier doit établir qu’il existe un lien véritable entre la preuve qui, dit-il, a été laissée de côté et la pertinence de cette dernière à l’égard des allégations des demandeurs en l’espèce, selon lesquelles la police jamaïquaine serait incapable d’assurer une protection adéquate. Je conclus que la preuve citée par le demandeur n'est pas de l'importance de celle analysée dans la décision Cepeda-Gutierrez, car les documents traitant des violations des droits de la personne commises par des agents de police, ainsi que de la violence des gangs dans les villes de la Jamaïque, ne sont pas pertinents en l’espèce. Aucune question de cette nature n’a été soulevée, pas plus que je ne relève un lien quelconque avec le récit du demandeur; je ne vois donc pas pourquoi il aurait fallu que la Commission analyse et explique pourquoi elle n’a pas accordé de poids à ces rapports. Après avoir passé en revue la décision Tetik, citée par les demandeurs, je ne crois pas qu’il existe de questions semblables en rapport avec l’analyse faite en l’espèce, car aucune circonstance spéciale qu’il aurait fallu mentionner n’a été alléguée.

 

[40]           La décision que le juge Mosley a rendue dans Flores c. MCI, 2008 CF 723, s’applique particulièrement à l’espèce, relativement à l’argument des demandeurs quant à l’efficacité de la protection de l’État :

8          Les demandeurs ont fait valoir dans leurs observations écrites que le critère juridique applicable à la protection de l’État est celui de savoir si la protection offerte est efficace, citant Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 320, [2008] 1 R.C.F. 3. Entre les dates du dépôt des observations et de l’audience, cette décision a été infirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Carrillo, 2008 CAF 94, [2008] A.C.F. no 399 qui a confirmé que le critère applicable n’est pas en soi celui de l’efficacité mais plutôt celui du caractère adéquat.

 

9          Les demandeurs soutiennent néanmoins qu’il reste que le tribunal de la SPR a commis une erreur en ne vérifiant pas si les mesures qu’il avait jugées adéquates offraient au moins une efficacité minimale.

 

10          Bien que cet argument soit intéressant, j’estime qu’il ne fait pas partie de l’état actuel du droit au Canada. Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans Carrillo, l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 précise que la protection aux réfugiés est une protection supplétive fournie en l’absence de protection par l’État dont le demandeur a la nationalité. Lorsque cet État est une société démocratique, telle que le Mexique, même si le demandeur fait face à des problèmes importants, dont la corruption et autres formes de criminalité, la qualité de la preuve nécessaire pour réfuter la présomption sera plus élevée. Il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.).

 

11          Les efforts sérieux déployés pour assurer la protection qui ont été constatés par le commissaire appuient la présomption formulée dans l’arrêt Ward. L’imposition d’un critère d’efficacité à l’égard des autorités des autres pays reviendrait à demander à ceux-ci d’accomplir ce que notre propre pays n’est pas toujours en mesure de faire.

 

[41]           Compte tenu de cette jurisprudence, je conclus que la Commission n’a pas appliqué le mauvais critère sur la question de la protection de l’État.

 

c) L’évaluation de la crainte subjective du demandeur

[42]           Le demandeur soutient qu’étant donné qu’il a toujours eu un statut légal au Canada, il n’était pas nécessaire qu’il demande l’asile avant que la soudaine possibilité d’un renvoi forcé en Jamaïque rende cette demande impérative. Il est en général très douteux que ce facteur, en soi, justifie que l’on tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité, et la Commission doit examiner avec soin les explications du demandeur et donner de bonnes raisons pour les rejeter. Le demandeur allègue que la Commission a confondu les tentatives légitimes faites par le demandeur pour vivre à l’extérieur de la Jamaïque avec une absence de crainte subjective, et il signale que tant qu’il avait la résidence légale au Canada, il n’y avait aucun besoin immédiat de solliciter une protection. Il cite l’arrêt Hue c. Canada (MEI), [1998] A.C.F. no 283 (C.A.F.), où il est dit « que tant qu'il avait ses papiers de matelot et un navire sur lequel il pouvait naviguer, il n'avait pas à chercher une protection ». Le demandeur ajoute que son souhait de solliciter la résidence permanente au Canada est un signe de crainte subjective dont la Commission a fait abstraction.

 

[43]           Le demandeur cite un long extrait de la décision Gyawali c. Canada (MCI), 2003 CF 1122, où la juge Tremblay-Lamer signale que le fait de ne pas avoir demandé l’asile à l’arrivée au pays peut être un facteur important à prendre en considération au moment de se prononcer sur la crédibilité du demandeur (paragraphe 16), mais que dans les circonstances de l’espèce ainsi que dans celles dont il était question dans la décision Hue, il n’était pas nécessaire de présenter immédiatement une demande car les demandeurs étaient temporairement en sécurité, et il n’était pas raisonnable que la Commission tire quelque inférence défavorable à l’encontre du demandeur (aux paragraphes 18 et 19).

 

[44]           Le défendeur soutient qu’à cause du temps écoulé avant que les demandeurs sollicitent le statut de réfugié, soit sept ans, il était loisible à la Commission de conclure que ces derniers n’éprouvaient aucune crainte subjective. Il signale que jusqu’en 2006, les demandeurs se trouvaient au Canada munis d’un visa temporaire et qu’ils n’avaient aucun statut permanent.

 

[45]           Par ailleurs, le défendeur signale que la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient aucune crainte raisonnable d’être persécutés s’ils retournaient en Jamaïque, et que leurs prétentions à cet égard étaient conjecturales car ils n’avaient eu aucune nouvelle de Bigger au cours de leurs neuf années d’absence. Le défendeur ajoute qu’il est bien établi que le critère relatif à la persécution est de nature prospective et que les demandeurs doivent craindre en permanence d’être victimes d’un préjudice. Il était donc loisible à la Commission, selon le défendeur, de conclure qu’en raison de la longue période de temps écoulée et du manque de preuves établissant qu'une menace continuait de peser sur eux, cette menace n’existait plus. Le défendeur cite le paragraphe 16 de la décision Pour-Shariah c. MEI, [1994] A.C.F. no 1928 (C.F. 1re inst.) :

Les preuves ainsi produites [pour établir l'existence de la menace] peuvent établir que la personne en cause a, dans le passé, fait l'objet de persécutions systématiques, dans son pays d'origine. Mais, en soi, cela ne suffit pas. En effet, le critère applicable aux fins du statut de réfugié au sens de la Convention est un critère prospectif. 

 

Analyse

[46]           Les décisions Hue et Gyawali n’écartent pas en fait la possibilité qu’il était déraisonnable de la part de la Commission de se fonder sur le temps que les demandeurs avaient pris avant de demander l’asile, parce que ces derniers avaient un statut légal au Canada pendant ce temps. Je signale cependant qu’il y a aussi des affaires dans lesquelles on est arrivé à la conclusion contraire, comme il est signalé dans la décision Taruvinga c. MCI, 2007 CF 1264, paragraphe 11 :

Il est de jurisprudence constante que la Commission peut conclure que le retard des demandeurs ne cadre pas avec celui des personnes ayant une crainte subjective de persécution (Bello c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. nº 446 (C.F. 1re inst.) Heer c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] A.C.F. nº 330 (C.A.)).

 

[47]           Dans Heer, le jugement tout entier est le suivant :

Bien qu'étant d'avis que la Commission d'appel de l'immigration a peut-être indûment insisté sur l'importance du retard dans la présentation de la revendication du statut de réfugié en l'espèce, nous convenons toutefois avec la Commission qu'une telle circonstance est un important facteur dont elle peut tenir compte en examinant une revendication du statut de réfugié. Vu le dossier, nous ne saurions dire que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire qui permettrait à la Cour de modifier sa décision. La demande fondée sur l'article 28 sera donc rejetée.

 

[48]           Quand on les applique aux faits de l’espèce, les commentaires de la Commission à propos du temps mis par le demandeur avant de faire passer son statut de temporaire à permanent ne rendent pas en soi la décision déraisonnable, car c’était à la Commission qu’il revenait de le décider et il s’agissait d’un facteur, parmi d’autres, à prendre en considération au moment d’apprécier la crainte subjective de persécution du demandeur.

 

CONCLUSION

 

[49]           En définitive, je conclus que la Commission n’a pas commis d’erreur dans son appréciation de la preuve relative à la disponibilité d’une protection de l’État.

 

[50]           En définitive, je conclus que la Commission n’a pas commis d’erreur dans son appréciation de la crainte subjective du demandeur.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

 

-           La demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4149-10

 

INTITULÉ :                                       PICKTON ALFONSO EARL

                                                            JOAN ROSEMARIE EARL

                                                            RANDY JAMES MADANNY EARL

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 15 mars 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Julian Jubenville

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Amy King

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamann Sandaluk

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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