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Date : 20110314

Dossier : T‑1358‑10

Référence : 2011 CF 301

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2011

EN PRÉSENCE :       Madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

SAMUEL OLUSEYI SOTADE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Contexte

 

[1]               M. Samuel Oluseyi Sotade, le demandeur, est un citoyen du Nigéria qui souhaite devenir citoyen du Canada. Le 30 mai 2008, il a présenté une demande de citoyenneté, faisant valoir qu’il avait résidé au Canada pendant au moins trois ans (1095 jours) en tout dans les quatre ans ayant précédé sa demande. Dans une décision en date du 29 juin 2010, une juge de la Citoyenneté a conclu que le demandeur n’avait pas satisfait à l’obligation de résidence prévue à l’al. 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29 [ la Loi sur la citoyenneté]. Le demandeur demande l’annulation de cette décision.

 

[2]               Le présent appel est interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté. Ces appels sont présentés par voie de demande fondée sur le dossier soumis au juge de la citoyenneté et sont régis par les Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, se rapportant aux demandes (alinéa 300c) des Règles); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Wang, 2009 CF 1290, 87 Imm LR (3d) 184). Les décisions de notre Cour ne sont pas susceptibles d’appel. Si l’affaire n’est pas renvoyée pour réexamen, le demandeur débouté qui répond aux critères de la loi peut présenter une nouvelle demande.

 

II.        Questions en litige et norme de contrôle

 

[3]               La seule question en litige dans la demande en cause est de savoir si la Juge de la citoyenneté a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il avait été physiquement présent au Canada pendant 1095 jours au cours de la période pertinente de quatre ans.

 

[4]               L’appréciation de la preuve soumise à un juge de la citoyenneté relève de son expertise et dans ses connaissances spécialisées (voir, par exemple, Shubeilat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1260, [2010] ACF no 1546 (QL), par. 46). Ainsi que l’enseigne la jurisprudence et le reconnaissent les parties, la question de savoir si un demandeur est physiquement présent au Canada pendant 1095 jours est une question de fait, susceptible de contrôle suivant la norme de la raisonnabilité (Ghahremani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 411, [2009] ACF no 524 (QL), par. 19). Suivant cette norme, la décision sera maintenue à moins qu’elle n’appartienne pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c New‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au par. 47 [Dunsmuir]).

 

III.       Cadre législatif applicable

 

[5]               La disposition pertinente de la Loi sur la citoyenneté est l’al. 5(1)c).

Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

. . .

 

c)                  est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

(i)   un demi‑jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

 

 

 

 

 

(ii)  un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

The Minister shall grant citoyenneté to any person who:

 

 

. . . 

 

(c)                is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her demande, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i)      for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one‑half of a day of residence, and

 

(ii)    for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

IV.       Analyse

 

[6]               La Juge de la citoyenneté a souligné dans sa décision qu’elle se fondait sur le critère d’analyse établi par le juge Muldoon dans Re Pourghasemi (1993), 62 FTR 122, 19 Imm LR (2d) 259 (CFPI) [Re Pourghasemi], où il a été déterminé que le candidat à la citoyenneté doit établir sa présence effective au Canada pendant un total de 1095 jours durant les quatre années ayant précédé sa demande de citoyenneté, selon l’al. 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Ainsi, le demandeur devait établir qu’il s’était trouvé effectivement au Canada pendant un total de 1095 jours entre le 29 mai 2004 et le 30 mai 2008.

 

[7]               Il est important de garder en tête qu’il incombe au demandeur d’apporter la preuve de ce qu’il avance. Comme l’a fait observer le juge Rennie dans Abbas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 145 [Abbas], au par. 8 :

[I]l incombe à tout candidat à la citoyenneté de soumettre des éléments de preuve suffisamment crédibles pour permettre l’appréciation de la résidence, qu’elle soit quantitative (Pourghasemi) ou qualitative (Koo). À cet égard, le juge de la citoyenneté doit tirer des conclusions de fait que notre Cour ne peut modifier que si elles sont déraisonnables.

 

[8]               Dans la présente espèce, le demandeur a déclaré qu’il s’est trouvé au Canada pendant 1096 jours durant la période pertinente. La Juge de la citoyenneté a mis en doute l’exactitude de ce chiffre parce que le demandeur avait passé une grande partie de cette période à faire la navette entre les États‑Unis et Windsor, en Ontario. Il est devenu résident permanent des États‑Unis le 22 mai 2008 et a finalement vendu sa maison au Canada (dont il était copropriétaire avec sa femme) au début de 2009.

 

[9]               Dans ses observations écrites, le demandeur ne conteste pas l’application du critère de la présence physique. Il soutient plutôt que la Juge de la citoyenneté n’a pas pris en compte ou a mal apprécié le volumineux dossier documentaire qui, d’après lui, vient étayer la preuve de sa présence physique au Canada pendant toute la période.

 

[10]           Je ne suis pas convaincue que la Juge de la citoyenneté ait omis de prendre en compte des éléments de preuve documentaire importants. La Juge de la citoyenneté a spécifiquement renvoyé à une bonne partie de ces éléments en concluant de façon explicite qu’elle n’étayait pas  la présence physique du demandeur au Canada. Il reste à déterminer si l’appréciation que la Juge de la citoyenneté a faite de cette preuve était déraisonnable. À mon avis, elle ne l’était pas.

 

[11]           L’un des principaux arguments du demandeur a trait à sa carte de résident permanent des États‑Unis portant la date du 22 mai 2008 et les estampilles d’entrée aux États‑Unis portant également la date du 22 mai 2008. Il appert de la décision que la Juge de la citoyenneté a conclu que ces deux documents datés indiquaient un déménagement aux États‑Unis le 22 mai 2008. Dans sa décision, la Juge de la citoyenneté a expliqué, en termes clairs et non équivoques, la raison pour laquelle aucun des documents fournis par le demandeur ne réfutait cette conclusion.

 

[12]           Le demandeur fait valoir devant moi qu’il n’est pas inhabituel qu’avant de s’établir en permanence, un résident permanent arrive dans son nouveau pays pour en repartir aussitôt pour « faire le ménage » dans son pays d’origine. Il peut certes en être ainsi, mais il doit exister une preuve claire et convaincante du retour du demandeur au Canada. En l’espèce, la preuve présentée était en grande partie vague et équivoque. Par exemple :

 

·                    Aucune des lettres décrivant le travail bénévole du demandeur à Windsor et dans les environs n’indique sa résidence véritable. De plus, à l’audience, le demandeur a dit à la Juge de la citoyenneté qu’il a poursuivi son travail bénévole à Windsor même lorsqu’il était résident des États‑Unis.

 

·                    Un compte de banque au Canada ne constitue pas nécessairement une preuve de présence physique au Canada.

 

·                    L’utilisation d’une adresse postale commerciale UPS n’établit pas la résidence (et soulève la question de savoir si le demandeur cherchait plutôt à « occulter » son lieu de résidence).

 

·                    Une carte Santé de l’Ontario n’est pas concluante en ce qui concerne la résidence, car il tombe sous le sens qu’un demandeur tentera de conserver l’assurance‑santé ontarienne, même s’il ne se trouvait pas physiquement au Canada.

 

[13]           Certes, le demandeur offre des explications en ce qui a trait à la carte de résident permanent des États‑Unis et aux estampilles dans son passeport, mais il n’était pas déraisonnable de la part de la Juge de la citoyenneté de conclure, suivant la prépondérance de la preuve, que le demandeur ne se trouvait pas physiquement au Canada après le 22 mai 2008. Cela signifiait qu’il lui manquait au moins huit jours de présence physique minimum pour répondre à l’exigence de la Loi sur la citoyenneté. Ce seul déficit de huit jours aurait été suffisant pour entraîner le rejet de la demande. Or, la Juge de la citoyenneté a pris en considération la totalité de la demande avant de conclure comme elle l’a fait.

 

[14]           La Juge de la citoyenneté signale plusieurs problèmes en ce qui concerne la résidence déclarée du demandeur au Canada entre le 29 mai 2004 et le 30 mai 2008. Par exemple, plusieurs documents étaient au seul nom de sa femme, ce qui jetait un doute sur la présence physique du demandeur en tout temps pendant la période pertinente. Comme l’a dit la Juge de la citoyenneté :

[traduction] Le principal problème que comporte le présent dossier est l’absence d’éléments de preuve objectifs démontrant l’existence d’une « piste de vérification » confirmant que M. Sotade a vécu au Canada pendant la période en cause, et ce, dans le but de démontrer qu’il a établi et maintenu sa résidence pendant le nombre de jours exigé par la Loi.

 

 

En d’autres termes, la preuve présentée à la Juge de la citoyenneté ne permettait pas d’établir qu’il se trouvait physiquement au Canada pendant une bonne part des 1096 jours de présence alléguée. Le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de présenter suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’il satisfait aux obligations de résidence prévues par la Loi sur la citoyenneté en matière de résidence (Abbas, précité; Maharatnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté), [2000] ACF no 405 (QL), 96 ACWS (3d) 198, par. 5).

 

[15]           Le demandeur soulève également la question de savoir si la Juge de la citoyenneté a commis une erreur en prenant en compte des périodes postérieures au 30 mai 2008. Selon le demandeur, ses agissements au‑delà de cette période ne sont pas pertinents pour ce qui est de l’al. 5(1)c). Je reconnais que Citoyenneté commettrait une erreur en comptant les jours d’absence au‑delà de la période pertinente – en l’espèce, après le 30 mai 2008 (Shakoor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 776, [2005] ACF no 972 (QL)). Toutefois, dans l’affaire qui m’est soumise, lorsqu’elle a parlé de la période postérieure au 30 mai 2008 la Juge de la citoyenneté renvoyait à des événements qui étaient liés aux prétentions et aux agissements du demandeur durant la période pertinente. En particulier, la vente de sa maison en 2009, bien que postérieure à la période pertinente, n’était pas incompatible avec une intention du demandeur de vivre aux États‑Unis et non au Canada. Cela vient étayer encore davantage la conclusion de la Juge de la citoyenneté selon laquelle le demandeur avait véritablement déménagé aux États‑Unis quelque temps avant le 30 mai 2008. La Juge de la citoyenneté ne comptait pas les jours d’absence du Canada après la période pertinente; il n’y a aucune erreur.

 

[16]           Après examen de la preuve documentaire que le demandeur a soumise à la Juge de la citoyenneté, j’estime que celle‑ci pouvait raisonnablement tirer les inférences et les conclusions susmentionnées. Un autre juge de la citoyenneté aurait certes pu arriver à une conclusion différente sur le fondement de la preuve, mais je ne puis conclure que la décision rendue en l’espèce était déraisonnable. Il n’appartient pas à notre Cour d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait la Juge de la citoyenneté (Dunsmuir, précité, par. 47).

 

[17]           À mon avis, la décision de la Juge de la citoyenneté appartient aux issues acceptables possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, par. 47). L’appel sera rejeté.

 

[18]           Dans deux lettres écrites et remises après la conclusion de l’audience, l’avocat du demandeur a fait parvenir à la Cour des documents censés apporter une preuve additionnelle de sa résidence au Canada. Cette preuve ne faisait pas partie du dossier du tribunal non plus que de la preuve soumise à la Juge de la citoyenneté. Il est bien établi que selon les règles actuelles la demande soumise à notre Cour doit être examinée sur la base du seul dossier soumis au juge de la citoyenneté (voir, par exemple, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hung (1998) Imm LR (2d) 182, [1998] ACF no 1927, par. 8 (CFPI)). La preuve soumise après l’audience et les observations afférentes n’ont donc pas été prises en considération.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que l’appel de la décision de la Juge de la citoyenneté est rejeté.

 

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1358‑10

 

INTITULÉ :                                                   SAMUEL OLUSEYI SOTADE c.
LE MINISTRE DE
LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 1er mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                                           LA JUGE SNIDER

 

EN DATE DU :                                              Le 14 mars 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sandra Saccucci‑Zaher

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Amy King

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sandra Saccucci‑Zaher

Avocate

Windsor (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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