Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20110309

Dossier : T‑109‑10

Référence : 2011 CF 276

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 mars 2011

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

 

ENTRE :

 

GISSY VALOOKARAN

 

demanderesse

 

 

et

 

LA BANQUE ROYALE DU CANADA

 

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               La demanderesse, Mme Gissy Valookaran, a travaillé pour la défenderesse, la Banque Royale du Canada, de novembre 2002 à juin 2010. Le 19 mai 2009, elle a déposé une plainte contre la défenderesse auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), dans laquelle elle allègue qu’entre 2005 et 2009, elle a été victime de discrimination en raison de son origine nationale ou ethnique, de sa couleur, de sa religion, de sa situation de famille et de sa déficience. Cette chrétienne, originaire du sud de l’Inde, est mariée et a deux enfants. Dans une lettre datée du 23 décembre 2009, la Commission a informé la demanderesse qu’elle avait décidé, sur le fondement de l’al. 41(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la Loi), de ne pas statuer sur sa plainte parce que les allégations [traduction] « ne sont pas fondées sur un motif de distinction illicite prévu à l’article 3 de la Loi ». La demanderesse prie la Cour d’infirmer la décision.

 

II.        Les questions en litige

 

[2]               Les questions soulevées en l’espèce sont celles de savoir si la Commission a commis une erreur :

 

·                    en ne fournissant pas à la demanderesse l’occasion de répondre aux observations formulées par la défenderesse à la Commission;

 

·                    en limitant injustement la capacité de la demanderesse à énoncer sa plainte en imposant un nombre maximal de pages;

 

·                    en empêchant la demanderesse de présenter des éléments de preuve à l’appui de sa plainte en lui indiquant qu’elle n’avait pas besoin de fournir des exemples de mesures discriminatoires fondées sur sa couleur ou son origine avant que la décision de la Commission ne soit prise;

 

·                    en ignorant les observations que la demanderesse avait formulées le 7 novembre 2009.

 

III.       Historique

 

[3]               Je commencerai par énoncer l’historique de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[4]               La plainte de la demanderesse a été déposée selon la forme requise par la Commission et se limitait à trois pages. Les faits décrits dans la plainte consistaient principalement en une série d’interactions négatives avec ses superviseurs.

 

[5]               Après que la demanderesse ait déposé sa plainte initiale le 12 mai 2009, la défenderesse a eu l’occasion de répondre à la plainte. La Division des services de règlement anticipé de la Commission a rédigé un rapport sur le fondement de l’article 41 (le rapport). Le rapport visait à évaluer si la Commission devait refuser de statuer sur la plainte de la demanderesse sur le fondement des alinéas 41(1)c), d), ou e) de la Loi. Dans son rapport, qui comprenait des déclarations provenant des observations de la défenderesse, la Division des services de règlement anticipé a tenu compte des observations des deux parties et a analysé chacune des dispositions législatives. Fait important concernant la demande dont je suis saisie, la Division des services de règlement anticipé a conclu que la demanderesse n’avait pas établi un lien avec un motif de discrimination dans la Loi, comme l’exige l’al. 41(1)c). Tout simplement, la plainte de la demanderesse ne révélait rien de plus qu’un différend en milieu de travail n’ayant aucun lien avec son origine nationale ou ethnique, sa couleur, sa religion, sa situation de famille ou sa déficience.

 

[6]               La demanderesse a eu l’occasion de répondre au rapport. Un analyste en règlement anticipé a informé la demanderesse des lacunes dans sa réponse et lui a donné des [traduction] « renseignements détaillés sur la façon de rédiger de nouveau sa réponse ». Dans une lettre datée du 7 novembre 2009, la demanderesse a fourni sa réponse au rapport, laquelle précisait les allégations formulées dans sa plainte initiale. La défenderesse a fourni ses observations supplémentaires le 24 novembre 2009.

 

[7]               Par lettre datée du 23 décembre 2009, la Commission a avisé la demanderesse qu’elle avait décidé, sur le fondement de l’al. 41(1)c) de la Loi, qu’elle ne statuerait pas sur sa plainte parce que les allégations [traduction] « ne sont pas fondées sur un motif de distinction illicite prévu à l’article 3 de la Loi ». La Commission a adopté l’analyse du rapport fondé sur l’al. 41(1)c) et a refusé de se pencher sur les autres questions.

 

IV.       Régime législatif

 

[8]               Il est utile de décrire brièvement l’ensemble du régime de la Loi applicable lorsque l’on statue sur des plaintes. Selon la Loi (voir les art. 3 et 7), il s’agit d’un « acte discriminatoire » pour un employeur de « défavoriser [un employé] en cours d’emploi » sur le fondement d’un motif illicite, c’est‑à‑dire la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience. La Loi ne vise pas à donner suite aux griefs des employés qui n’équivalent pas à une telle discrimination. En général, les personnes qui estiment avoir des motifs raisonnables de croire qu’un employeur s’est livré à des actes discriminatoires fondés sur un ou plusieurs motifs de distinction illicite peuvent déposer une plainte auprès de la Commission (par. 40(1)).

 

[9]               Bien que l’art. 41 de la Loi charge la Commission de statuer « sur toute plainte dont elle est saisie », la Loi lui confère également le pouvoir d’écarter certaines plaintes, avant l’ouverture de toute enquête. 

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 

[...]

 

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

 

[...]

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

...

 

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

 

...

 

 

V.        Norme de contrôle

 

[10]           La Cour d’appel fédérale a systématiquement conclu que l’on doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard de la décision de la Commission de rejeter une plainte sur le fondement de l’art. 41 de la Loi. Ce genre de décisions doit être examiné selon la norme de la raisonnabilité (voir Balogun c. Canada, 2010 CAF 29, 399 NR 306, paragraphe 6; Wikwemikong Tribal Police Services Board c. Corbiere, 2007 CAF 97, 361 NR 69; Garvey c. Meyers Transport Ltd, 2005 CAF 327, 341 NR 102).

 

[11]           Toutefois, les préoccupations de la demanderesse portent principalement sur la question de savoir si la Commission a manqué à son devoir d’agir équitablement lorsqu’elle a traité sa demande. Les questions d’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, paragraphe 43).

 

VI.       Analyse

 

[12]           Comme nous l’avons déjà dit, la Commission est chargée de recevoir et de statuer sur des plaintes de discrimination sur le fondement, notamment, de la race, de l’origine nationale ou ethnique, de la couleur ou de la déficience. Le rôle de la Commission consiste à recevoir les plaintes et à en faire un examen préalable afin qu’elles soient traitées comme il convient (voir Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, paragraphe 52). Comme l’a indiqué la Cour suprême au paragraphe 53 de l’arrêt Cooper, précité :

Il ne lui [la Commission] appartient pas de juger si la plainte est fondée.  Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête.  L’aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s’il existe une preuve suffisante.

 

[13]           De plus, je remarque que l’al. 41(1)c) de la Loi confère à la Commission un pouvoir discrétionnaire considérable. Plus particulièrement, l’al. 41(1)c) prévoit que « la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable [parce que] la plainte n’est pas de sa compétence » [je souligne]. L’emploi des mots « elle estime » suppose l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.

 

[14]           En somme, la question à laquelle devait répondre la Commission était la suivante : les observations présentées par la demanderesse établissaient‑elles un lien entre le traitement qu’elle a subi par la défenderesse et la discrimination fondée sur son origine nationale ou ethnique ou sa déficience? Pour répondre à cette question, la Commission a dû évaluer si la preuve était suffisante et, ce faisant, elle a dû exercer son pouvoir discrétionnaire. Pour remplir cette fonction, la Commission doit se conformer aux règles de l’équité procédurale.

 

[15]           L’équité procédurale n’oblige pas la Commission à effectuer une analyse approfondie de la plainte aux étapes initiales. Lorsque la Commission rejette une plainte avant l’ouverture d’une enquête, la substance des allégations doit être considérée comme vraie (voir Michon‑Hamelin c. Canada (Attorney General), 2007 FC 1258, paragraphe 23). À supposer que les allégations soient vraies, s’il n’est pas évident aux yeux de la Commission que la plainte est visée par l’art. 41, il ne sera pas nécessaire de procéder à une enquête et la Commission pourra refuser de statuer sur la plainte (voir Société canadienne des postes c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1997), 130 F.T.R. 241, [1997] A.C.F. no 578 (QL) (1re inst.), paragraphe 3).

 

[16]           La demanderesse soutient que plusieurs erreurs ont été commises dans le traitement de sa plainte.

 

[17]           Premièrement, elle prétend qu’elle n’a pas eu l’occasion de répondre aux observations de la défenderesse.

 

[18]           Le rapport a clairement informé la demanderesse des problèmes qui risquaient d’être soulevés dans ses observations. Plus précisément, le rapport indiquait que la Loi [traduction] « ne s’applique pas à toute situation où une personne estime avoir été lésée [...] à moins que ce traitement soit lié à un motif illicite, il ne constitue pas un acte discriminatoire au sens de la Loi ». Certes, la demanderesse n’a pas reçu copie des observations initiales de la défenderesse, mais un résumé précis de ces observations figurait dans le rapport. La demanderesse a eu l’occasion de formuler des observations sur le rapport, moment où elle aurait pu indiquer toute préoccupation qu’elle avait concernant le rapport, les observations de la défenderesse (telles qu’elles étaient décrites dans le rapport) ou la procédure. Un analyste en règlement anticipé l’avait également informée des lacunes de sa réponse. 

 

[19]           Je ne saurais conclure que la demanderesse n’a pas eu l’occasion de présenter ses arguments ou de répondre aux préoccupations de la Commission ou de la défenderesse.

 

[20]           La demanderesse soutient également que sa capacité de présenter ses arguments a été limitée par le nombre maximal de pages de la plainte et de la réponse et par le fait qu’elle ne pouvait fournir d’éléments de preuve supplémentaires.

 

[21]           Comme d’autres entités administratives, la Commission est « maître de sa propre procédure » (voir Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392, paragraphe 119). En examinant cette procédure, la Cour doit tenir compte des intérêts opposés de la défenderesse et de la demanderesse et de la nécessité de mettre en place un système efficace sur le plan administratif (voir Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574, paragraphe 56 (1re inst.) confirmé par (1996), 205 NR 383 (C.A.)). Le fait de limiter la longueur des observations et de ne pas permettre de présenter des éléments de preuve à l’appui à la première étape de la plainte relève de la prérogative de la Commission et, ce faisant, elle n’a commis aucune erreur.

 

[22]           À l’étape de l’examen préalable, la demanderesse est tenue d’énoncer ses allégations de faits. Elle n’est pas tenue de fournir les éléments de preuve qui étaieraient ces allégations. De plus, à l’étape de l’examen préalable, la véracité des allégations n’est pas présumée. Il n’est pas nécessaire de fournir de la documentation ou des éléments de preuve à l’appui. Ces éléments de preuve ne deviennent nécessaires que si la plainte fait l’objet d’une enquête. Ainsi, la plainte de la demanderesse selon laquelle elle n’a pas été autorisée à présenter des documents ou des éléments de preuve supplémentaires est sans fondement.

 

[23]           Enfin, la demanderesse a soutenu que la Commission a manqué à l’équité procédurale en ne tenant pas compte des observations qu’elle a formulées le 7 novembre 2009 en réponse au rapport.

 

[24]           Dans ses observations du 7 novembre 2009, la demanderesse a ajouté quelques allégations de plus. Elle a affirmé qu’en janvier 2007, on lui avait refusé une augmentation de salaire en représailles de ses différends concernant son rendement. En août 2009, la demanderesse a passé une entrevue pour un poste d’administratrice de valeurs mobilières à l’interne, mais allègue qu’elle n’a pas obtenu le poste, malgré ses compétences, parce que son gestionnaire et son superviseur voulaient la réprimander. La demanderesse affirme également qu’elle n’a jamais été payée pour les heures supplémentaires effectuées. S’agissant de sa couleur ou de son origine ethnique, la demanderesse réitère simplement qu’elle est originaire du sud de l’Inde. De plus, elle déclare ce qui suit concernant sa couleur et son origine ethnique :

 

·                    elle a été réprimandée en mai 2005 en raison de sa couleur;

 

·                    elle a été affectée à de nouvelles fonctions sous le contrôle d’un superviseur différent en août 2006 et ce superviseur n’aimait pas les gens de [traduction] « couleur brune »;

 

·                    elle n’a reçu aucune augmentation en sept ans en raison de la couleur de sa peau;

 

·                    elle allègue que les systèmes de la défenderesse étaient discriminatoires envers les gens de sa couleur.

 

[25]           Bien que la demanderesse ait cité d’autres exemples liés à sa couleur, ces déclarations constituaient des affirmations et des accusations imprécises et vagues n’étant appuyées par aucun fait sous‑jacent. Par exemple, il est insuffisant d’affirmer que les systèmes de la défenderesse étaient discriminatoires sans décrire comment cet acte discriminatoire s’est manifesté dans le milieu de travail. En bref, dans ses observations du 7 novembre, la demanderesse n’a pas établi un lien évident entre un motif de distinction illicite prévu dans la Loi et les incidents factuels qu’elle a relatés.

 

[26]           Dans sa décision du 23 décembre 2009, la Commission affirme qu’elle a examiné les observations formulées en réponse au rapport. De plus, le compte rendu de la décision joint à la lettre de décision indique explicitement que les observations du 7 novembre [traduction] « ont été examinées ». Les observations n’ont pas été écartées et, puisque les observations supplémentaires n’ont aucunement abordé l’absence de lien, la Commission n’a pas commis une erreur en ne faisant pas davantage référence aux observations. Dans les circonstances, il n’était pas nécessaire, à mon avis, que la Commission effectue une analyse détaillée des observations. Aucune erreur n’a été commise.

 

VII.     Conclusion

 

[27]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[28]           La dernière question à analyser est celle des dépens. La demanderesse se représente elle‑même. À la fin de l’audience, la défenderesse a avisé la Cour qu’elle ne sollicitait pas les dépens. Même si elle a renoncé à son droit aux dépens (qui auraient été importants), la défenderesse a toujours droit à ses dépens pour les requêtes préliminaires. De plus, si la demanderesse choisit de porter la présente décision en appel et est déboutée, elle court le risque de devoir payer les dépens de la défenderesse en appel. En raison de ce risque, j’encouragerais la demanderesse à demander des conseils juridiques avant d’interjeter appel.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

2.                  aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                                    T‑109‑10

 

INTITULÉ :                                                   GISSY VALOOKARAN c.
BANQUE ROYALE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 2 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

et jugement :                                          La juge SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 9 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gissy Valookaran

 

POUR LA DEMANDRESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Richard J. Charney

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gissy Valookaran

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDRESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Ogilvie Renault, s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.