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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110301

Dossier : T-1687-09

Référence : 2011 CF 239

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 1er mars 2011

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

 

GLAXOSMITHKLINE INC. et

BEECHAM GROUP p.l.c.

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

PHARMASCIENCE INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

défendeurs

 

 

 

 

       MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande d’interdiction présentée en vertu des dispositions du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, et ses modifications (Règlement AC). Le médicament en question est la rosiglitazone, un dérivé d’une classe de composés appelés thiazolidinediones (TZD). Il est utilisé pour traiter le diabète. La demanderesse, GlaxoSmithKline Inc. (GSK) vend la rosiglitazone sous le nom de marque AVANDIA. La défenderesse, Pharmascience Inc., désire vendre une version générique de ce médicament au Canada. Les demanderesses sollicitent une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer à Pharmascience un avis de conformité, lequel permettrait normalement à la défenderesse de vendre cette version générique au Canada jusqu’à l’expiration du brevet canadien no 1,328,452.

[2]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demande est accueillie avec dépens en faveur des demanderesses. Il est interdit au ministre de délivrer un avis de conformité à Pharmascience avant l'expiration du brevet canadien no 1,328,452 le 12 avril 2011.

 

TABLE DES MATIÈRES

[3]               Par souci de commodité, les questions examinées dans les présents motifs se trouvent aux paragraphes suivants :

Les parties............................................................................ paragraphes 4 à 7

LE brevet canadien no 1,328,452.................................. paragraphes 8 à 25

LA preuve............................................................................... paragraphes 26 à 30

LE contexte – DIABèTE .................................................. paragraphe 31

la mise au point de l'invention.............................. paragraphe 32

LES questions en litige................................................ paragraphes 33 à 35

LES instances relatives à un AC............................ paragraphes 37 à 42

LE fardeau de preuve................................................... paragraphes 43 à 44

LA personne moyennement versée dans l'art paragraphes 45 à 52

LA revendication 41interprétation.............. paragraphes 53 à 58

L’évidence............................................................................. paragraphes 55 à 76

L’INSUFFISANCE – L’UTILITÉ – L’ABSENCE DE PRÉDICTION VALABLE................................................................................... paragraphes 77 à 94

a) Résumé des allégations de Pharmascience ................... paragraphes 80 et 81

b) Résumé de la thèse de GSK......................................... paragraphe 82

c) Jurisprudence relative à l'interprétation d’un mémoire descriptif...................................................................................... paragraphes 83 à 85

d) Interprétation de la page 1 du brevet 452..................... paragraphes 90 à 94

Le mémoire descriptif est-il « suffisant » pour étayer l'utilité « promise »?...................................................... paragraphes 95 à 98

Le test réalisé par BEECHAM sur des souris. paragraphes 99 à 118

LES CONCLUSIONS ET LES DÉPENS................................ paragraphes 119 à 121

JUGEMENT

 

Les parties

[4]               La demanderesse, GlaxoSmithKline Inc. (GSK), est la « première personne » visée par le Règlement AC. Elle a reçu du ministre de la Santé une approbation, sous la forme d’un avis de conformité, qui lui permet de vendre au Canada un médicament contenant comme principe actif de la rosiglitazone et indiqué comme traitement d’appoint à la diète et à l’exercice pour réduire la résistance à l’insuline et améliorer l’équilibre glycémique chez les patients atteints de diabète sucré de type 2. Elle vend le médicament en comprimés renfermant différentes concentrations (1,0 mg, 2,0 mg, 4,0 mg et 8,0 mg) de rosiglitazone, sous le nom de marque AVANDIA.

 

[5]               L’autre demanderesse est Beecham Group p.l.c., du Royaume-Uni (Beecham). Beecham est la titulaire du brevet canadien n1,328,452, qui lui a été accordé le 12 avril 1994. Elle s’est constituée partie comme l'exige le paragraphe 6(4) du Règlement AC. Vu l'absence de preuve contraire, Beecham demeure la titulaire de ce brevet.

 

[6]               La défenderesse Pharmascience Inc. est une société de médicaments génériques qui a des bureaux à Montréal. Elle est la « seconde personne » visée par le Règlement AC. Elle a livré à GSK une lettre datée du 24 août 2009 ‑ un avis d'allégation selon le Règlement AC ‑, dans laquelle elle déclarait qu'elle sollicitait l'autorisation du ministre de la Santé pour commercialiser une version générique de la rosiglitazone de GSK au Canada, selon les mêmes concentrations sous forme de comprimés, pour les mêmes utilisations. Pharmascience allègue que les revendications pertinentes du brevet canadien n1,328,452 étaient invalides et, parce qu'elles étaient invalides, la version générique de Pharmascience ne constituerait pas une contrefaçon.

 

[7]               Le défendeur, le ministre de la Santé, est chargé de l'approbation de médicaments tels que celui en cause en l'espèce pour leur vente au Canada et délivre des avis de conformité aux sociétés pharmaceutiques en vertu du Règlement AC. Le ministre a été avisé de la présente instance, mais n'y a pas participé activement.

 

LE Brevet canadien no 1,328,452

[8]               Le brevet canadien no 1,328,452 (le brevet 452) est le brevet en cause en l'espèce. La demande de brevet a été déposée au Bureau canadien des brevets le 2 septembre 1988, date antérieure au 1er octobre 1989. En conséquence, les dispositions de l’« ancienne » Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑ 4, concernant les brevets dont l'échéance est liée à des demandes déposées avant le 1er octobre 1989, s'appliquent au brevet 452.

 

[9]               Parmi les questions pertinentes pour le brevet 452 en vertu des dispositions de l’« ancienne » Loi sur les brevets, mentionnons les suivantes :

a.       Le brevet a une durée de dix-sept (17) ans à compter de la date où il a été accordé. Il a été accordé le 12 avril 1994. En conséquence, sa durée expirera le 12 avril 2011.

b.      Le brevet et ses revendications doivent être interprétées à la date de sa publication qui est, dans le cas d'un brevet délivré en vertu de l’« ancienne » Loi sur les brevets, la date à laquelle il a été délivré, soit le 12 avril 1994 en l'espèce (voir Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 55).

c.       La nouveauté n'a pas été évoquée dans la présente instance. Cependant, elle doit être examinée en ce qui a trait à certains genres de publications et d'utilisations plus de deux ans avant la date du dépôt au Canada, soit avant le 2 septembre 1986.

d.      L'évidence, qui est une question soulevée dans la présente instance, doit être examinée à la « date de l'invention ». Cette date peut être établie en preuve. À moins d'une indication contraire, cette date est présumée être la date du dépôt au Canada, soit le 2 septembre 1988 en l’espèce. Dans la présente affaire, la priorité est revendiquée dans le brevet 452 sur le fondement de trois demandes déposées au bureau des brevets de la Grande-Bretagne le 4 septembre 1987, le 30 novembre 1987 et le 4 février 1988. Ces demandes n'ont pas été dûment présentées en preuve. Le dépôt en preuve de ces demandes et le fait qu’elles divulguent la même invention que celle revendiquée dans les revendications en cause du brevet 452 permettraient d’établir que la date du dépôt d’une ou plusieurs de ces demandes pertinentes au bureau des brevets de la Grande-Bretagne est la date d'invention.

 

[10]           En l’espèce, les demanderesses s’appuient uniquement sur une revendication du brevet 452, soit la revendication 41. Cette dernière concerne un composé spécifique qui est présenté sous une forme chimique, mais qui peut être simplement appelé rosiglitazone. La revendication 41 est rédigée dans les termes suivants :

[traduction]

41. Un composé selon la revendication 1 qui est la
5-(4-[2-(N-méthyl-N-(2-pyridyl)amino)éthoxy]benzyl)-
thiazolidine-2,4-dione; ou une forme tautomère de ce composé
et/ou un de ses sels pharmaceutiquement acceptables
et/ou un de ses solvates pharmaceutiquement acceptables.

 

Le mémoire descriptif commence à la page 1 par une description générale de l’invention :

[traduction]

COMPOSÉS NOUVEAUX

 

La présente invention concerne certains dérivés importants de thiazolidinedione, un procédé de préparation de ces composés, des compositions pharmaceutiques contenant ces composés et l’utilisation de ces composés et compositions en médecine.

 

[11]           Dans le paragraphe suivant du brevet 452, on renvoie aux antériorités relatives aux TZD, notamment à un certain nombre de demandes de brevet européen publiées et un article scientifique (désigné « Sohda II » dans la présente instance) qui ont tous trait aux dérivés de TZD :

[traduction] Les demandes de brevet européen, numéros de publication 0008203, 0139421, 0155845, 0177353, 0193256, 0207581 et 0208420, ont trait aux dérivés de thiazolidinedione qui présentent une activité hypoglycémiante et hypolipémiante. Un article, Chem. Pharm. Bull. 30 (10) 3580‑3600, traite également de certains dérivés de thiazolidinedione qui ont des activités hypoglycémiante et hypolipémiante.

 

 

[12]           Pharmascience invoque plusieurs de ces demandes de brevet, de même que Sohda II et un article connexe dans la même publication scientifique (désigné Sohda I dans la présente instance) comme « antériorités » pour étayer l'évidence. L'inventeur désigné du brevet 452, Richard M. Hindley, a témoigné dans la présente instance et reconnu que non seulement il connaissait Sohda I et Sohda II, mais que ces articles faisaient partie du fondement de sa recherche menant à la rosiglitazone (affidavit de M. Hindley, aux paragraphes 9 à 11). Monsieur Hindley a également reconnu qu'il a appris l’existence d'au moins quelques-unes de ces demandes de brevet européen au cours de sa recherche (affidavit de M. Hindley, aux paragraphes 28 à 30). Ces « antériorités » proviennent toutes de Takeda, une société pharmaceutique japonaise.

 

[13]           Les deux paragraphes suivants fournissent le fondement d’une bonne partie de l’argumentation dans la présente instance, à savoir en quoi consiste la promesse, le cas échéant, contenue dans le brevet et si cette « promesse » a été remplie :

[traduction] Chose étonnante, on a maintenant découvert que certains dérivés nouveaux de thiazolidinedione substitués présentent une meilleure activité hypoglycémiante et peuvent donc être utilisés dans le traitement et/ou la prévention de l’hyperglycémie et sont particulièrement utiles dans le traitement du diabète de type 2.

 

Il s’avère également que ces composés pourraient être utilisés dans le traitement et/ou la prévention d’autres maladies, notamment l’hyperlipidémie, l’hypertension, les maladies cardio‑vasculaires et certains troubles de l’alimentation.

 

 

[14]           Le mémoire descriptif, à partir de la page 1 et jusqu’aux deux premières lignes à la page 8 du brevet 452, expose les composés visés par le brevet, leur structure et leurs parties substituantes. Le nombre de composés est vaste. Je ne répéterai pas cette section en détail. La rosiglitazone n’est expressément mentionnée que beaucoup plus loin, dans l’exemple 30 du brevet 452.

 

[15]           Le mémoire descriptif du brevet 452, à partir de la page 8, ligne 5, jusqu’à la page 18, ligne 28, expose les procédés de préparation possibles des composés.

 

[16]           De la ligne 30 à la page 18 du brevet 452 jusqu’à la ligne 20, page 19, un certain nombre d’utilisations pour les composés sont décrites. En général, ces utilisations ont des visées thérapeutiques, notamment le traitement de l’hyperglycémie, de l’hyperlipidémie, de l’hypertension, des maladies cardio‑vasculaires et de certains troubles de l’alimentation.

 

[17]           Le mode d’administration, la formulation et la posologie du médicament sont décrits à partir de la ligne 22, page 19, jusqu’à la fin de la page 22.

 

[18]           À la page 21 du brevet, il est dit que l’invention fournit une méthode de traitement et/ou de prévention d’un certain nombre d’affections humaines et non humaines :

[traduction] La présente invention décrit également une méthode de traitement et/ou de prévention de l’hyperglycémie chez un mammifère humain ou non humain, qui comporte l’administration d’une quantité efficace, non toxique d’un composé de la formule générale (I), ou une de ses formes tautomères ou un de ses sels pharmaceutiquement acceptables ou un de ses solvates pharmaceutiquement acceptables à un mammifère humain ou non humain atteint d’hypoglycémie qui en a besoin.

 

La présente invention expose en outre une méthode de traitement de l’hyperlipidémie chez un mammifère humain ou non humain, qui comporte l’administration d’une quantité efficace, non toxique d’un composé de la formule (I), ou d’une de ses formes tautomères ou un de ses sels pharmaceutiquement acceptables ou un de ses solvates pharmaceutiquement acceptables à un mammifère humain ou non humain atteint d’hyperlipidémie qui en a besoin.

 

 

[19]           De la page 23 à la page 79, un certain nombre de préparations et d’exemples sont présentés. Un exemple important en l’espèce est l’exemple 30, à la page 78, qui est le seul à mentionner expressément la rosiglitazone :

[traduction]

 

EXEMPLE 30

 

5-(4-[2-(N-méthyl-N-(2-pyridyl)amino)éthoxy]benzyl)-thiazolidine-2,4-dione

 

 

Le composé du titre (p.f. 153‑15 °C; MeOH) a été obtenu à partir du 5-(4-[ 2-(N-méthyl-N-(2-pyridyl)amino)éthoxy]-benzylidene)-thiazolidine-2,4-dione par une méthode similaire à celle décrite dans l’exemple 1.

 

1H RMN et (DMSO – d6)

 

2,9-3,4 (2H, complexe); 3,1 (3H, s); 3,9 (2H, t); 4,15 (2H, t); 4,8 (1H, complexe); 6,5-6,85 (2H, complexe); 6,8 (2H, d); 7,2 (2H, d); 7,5 (1H, complexe); 8,1 (1H, d); 12,05 (1H, s large, échanges avec D2O).

 

[20]           Le protocole décrit à l’exemple 1, qui est mentionné dans l’exemple 30, est exposé aux pages 51 et 52 du brevet 452 :

[traduction] La 5-(4-[2-(N-méthyl-N-(2-benzothiazolyl)amino)éthoxy]benzylidene)-thiazolidine-2,4-dione (2 g) dans du 1,4-dioxane (70 ml) sec a été réduit par l’hydrogène en présence de palladium à 10 % sur du charbon (3 g) à la température ambiante et à la pression atmosphérique jusqu’à ce que la consommation d’oxygène cesse. La solution a été filtrée sur diatomées, le tampon‑filtre a été lavé à fond avec du dioxane et on a laissé sécher les filtrats combinés par évaporation sous vide. Le composé du titre (p.f. 167‑168 ºC) a été obtenu après cristallisation dans le méthanol.

 

 

[21]           Les seules données de test fournies dans le brevet 452 sont présentées aux pages 80 et 81. On y décrit un test où des souris obèses (également appelées ob/ob) ont reçu une diète en poudre dans laquelle avaient été incorporés des composés du type présenté dans certains des exemples du brevet. Il convient de souligner que le composé de l’exemple 30, la rosiglitazone, ne fait pas partie des composés testés :

[traduction]

 

DÉMONSTRATION DE L’EFFICACITÉ DES COMPOSÉS

 

Souris obèses, épreuve d’hyperglycémie provoquée par voie orale

 

Des souris obèses C57bl/6 (ob/ob) ont reçu une diète à base d’Oxoid en poudre. Après au moins une semaine, les souris ont continué de recevoir une diète à base d’Oxoid en poudre ou ont reçu une diète à base d’Oxoid en poudre contenant le composé testé. Après 8 jours de supplémentation, toutes les souris ont jeûné pendant 5 heures avant de recevoir une charge orale de glucose (3 g/kg). Des échantillons de sang pour une analyse de la glycémie ont été prélevés 0, 45, 90 et 135 minutes après l’administration du glucose; les résultats présentés ci‑dessous indiquent la réduction en pourcentage de l’aire sous la courbe de la glycémie, les groupes traités par le composé testé ayant été comparés avec les groupes témoins. Sept souris ont été utilisées pour chaque traitement.

 

                                   

                                    CONCENTRATION   % DE LA RÉDUCTION

                                    DANS LA DIÈTE        DE L’AIRE SOUS

                                    (μmol kg—1 de la          LA COURBE DE LA

EXEMPLE NO :          DIÈTE                         GLYCÉMIE

_____________          _____________          ________________

 

1                                  100                                          51

2                                  300                                          30

3                                  10                                           39

4                                  300                                          30

5                                  100                                          40

7                                  50                                           47

9                                  100                                          58

11                                100                                          34

13                                100                                          37

15                                100                                          39

17                                100                                          34

19                                30                                           22

21                                30                                           33

24                                30                                           15

25                                30                                           19

27                                300                                          56

29                                300                                          32

 

Toxicologie

 

Aucun effet toxique n’a été indiqué pour un composé quelconque de l’invention dans tous les tests susmentionnés.

 

 

[22]           Les revendications du brevet 452 commencent à la page 82. En tout, le brevet compte 49 revendications. Les revendications 1 à 42 concernent des composés. Les revendications 43 et 46 ont trait à une composition pharmaceutique contenant le(s) composé(s). Les revendications 44, 45, 47 et 48 se rapportent à une « quantité efficace » du (des) composé(s) pour le traitement. La revendication 49 concerne un procédé de préparation du (des) composé(s).

 

[23]           La revendication 1, qui est mentionnée dans la revendication 41, renvoie à un très grand nombre de composés (dont la rosiglitazone, bien qu’elle ne soit pas expressément citée) qui relèvent d’une structure générale. Je ne répéterai que la partie d’introduction, car le reste de la revendication décrit les divers substituants qui peuvent être utilisés :

[traduction]

1.         Un composé de la formule (I) :

 

ou une forme tautomère du composé et/ou un de ses sels pharmaceutiquement acceptables et/ou un de ses solvates pharmaceutiquement acceptables; où :

 

[24]           Les revendications 1 et 41 renvoient à une « forme tautomère » du composé. Personne ne s’est interrogé dans la présente instance sur la nature de la forme tautomère. Par souci de commodité, les parties ont accepté la définition de tautomère donnée dans Wikipédia (omission des représentations graphiques) :

[adaptation française]

Les tautomères sont des couples d’isomères de constitution interconvertibles par la réaction chimique réversible appelée tautomérisation. Dans la plupart des cas, la réaction se produit par migration d’un atome d’hydrogène ou d’un proton accompagnée d’un déplacement concomitant d’une liaison simple et d’une double liaison adjacente. Cette capacité de tautomérisation est appelée tautomérie. À cause de l’interconversion rapide des isomères, les structures chimiques qui sont des tautomères l’une de l’autre sont généralement considérées comme étant le même composé chimique. La tautomérie est un cas spécial d’isomérie structurale et peut jouer un important rôle dans l’appariement non canonique des bases dans l’ADN et en particulier dans les molécules d’ARN.

 

[25]           Les revendications 1 et 41 utilisent toutes les deux les termes « pharmaceutiquement acceptables », qui sont définis de la façon suivante aux pages 19 et 20 du brevet 452 :

[traduction] Dans le présent document, le terme « pharmaceutiquement acceptables » englobe les composés, les compositions et les ingrédients à usage tant humain que vétérinaire : par exemple, le terme « sels pharmaceutiquement acceptables » comprend des sels acceptables sur le plan vétérinaire.

 

 

LA PREUVE

 

 

[26]           Comme c’est souvent le cas dans les demandes de ce type, la preuve consistait en des affidavits, des transcriptions de contre‑interrogatoires et des pièces connexes. Aucun témoin n’a comparu en personne devant la Cour. À un moment donné, une ordonnance de confidentialité était en vigueur, mais à la demande des parties, cette ordonnance a été remplacée par mon ordonnance du 11 janvier 2011. Une partie des documents peut toujours être marquée d’un sceau de confidentialité, mais son contenu n’est plus confidentiel.

 

[27]           Les demanderesses ont produit les affidavits des témoins suivants :

 

                                                              i.      Carolyn Ann Lister, une employée de GSK (j’emploie cette appellation pour désigner ses prédécesseurs également) durant la période en question, notamment en 1988. Cette diplômée en science biologique s’occupait d’organiser et de gérer les tests in vivo au sein de ces entreprises qui ont été remplacées. Elle a témoigné au sujet des tests sur des composés, notamment la rosiglitazone, chez des souris ob/ob.

                                                            ii.      Professeur Clifford Bailey, de Birmingham, au R.‑U. Il est directeur de la recherche biomédicale, y compris de la recherche sur le diabète; il est également professeur de science clinique à l’Université Aston à Birmingham, R.‑U. Son mandat, tel que décrit au paragraphe 12 de son affidavit, consistait à fournir des données scientifiques et historiques pour étoffer les recherches sur le métabolisme anormal du glucose et le diabète avant le 2 septembre 1988 et à présenter des commentaires sur certains aspects du brevet 452 qui ont trait à l’utilisation de modèles animaux dans la recherche sur le diabète et aux données que GSK avait produites sur la rosiglitazone avant le 2 septembre 1988.

                                                          iii.      Richard M. Hindley, du Surrey, R.‑U. Il est l’inventeur désigné du brevet 452. Il a travaillé comme chimiste dans diverses industries. Il s’est joint à l’un des prédécesseurs de GSK en 1968. La majeure partie de sa carrière a été consacrée à la synthèse de nouveaux médicaments potentiels. Il a témoigné au sujet des activités de recherche et de développement qui ont mené au brevet 452.

                                                          iv.      Peter Jurs, de la Pennsylvanie, É.‑U. Il a obtenu un doctorat en chimie en 1969 et a passé une bonne partie de sa carrière dans le monde universitaire, les domaines de la recherche et de la consultation. Avant sa retraite en 2005, il était professeur de chimie à la Penn State University. Il est maintenant professeur émérite dans cette université. Son mandat, décrit au paragraphe 8 de son affidavit, consistait à donner son opinion au sujet de la lipophilicité afin d’appuyer l’allégation d’évidence ainsi que son opinion en général sur la lipophilicité.

                                                            v.      Professeur Peter Wipf, de la Pennsylvanie, É.‑U. Il a obtenu un doctorat en chimie en 1987 et a passé une bonne partie de sa carrière dans le monde universitaire, les domaines de la recherche et de la consultation. Il occupe actuellement le poste de professeur distingué de chimie à l’Université de Pittsburgh. On lui a demandé de brosser un tableau général de la chimie organique et de traiter d’un certain nombre de questions énumérées au paragraphe 11 de son affidavit :

 

[traduction]

Questions examinées

 

11.       On a sollicité mon avis concernant les questions suivantes :

 

a)      Qui est la personne versée dans l’art à laquelle s’adresse le brevet 452?

 

b)      Que revendique-t-on dans la revendication 41 du brevet 452?

 

c)      L’invention dans la revendication 41 du brevet 452 est‑elle évidente compte tenu des antériorités?

 

d)      La divulgation dans le brevet 452 permet‑elle à une personne versée dans l’art de synthétiser la rosiglitazone?

 

 

                                                          vi.      Christine Ingham, technicienne juridique au cabinet d’avocats des demanderesses. Son affidavit a permis qu’un certain nombre de documents soient des pièces versées au dossier. Cet affidavit et l’authenticité de ces documents ne prêtent pas à controverse.

 

[28]           Les témoignages de MM. Bailey, Jurs et Wipf ont été produits comme preuve d’expert. Pharmascience ne s’est pas opposée à ce que ces témoignages soient considérés par la Cour comme preuve d’expert. Madame Lister et MM. Bailey, Hindley, Jurs et Wipf ont tous été contre‑interrogés par l’avocat de Pharmascience. Madame Ingham n’a pas été contre‑interrogée.

 

[29]           La défenderesse Pharmascience a produit les affidavits des témoins suivants :

 

1.         Jonathan S. Dordick, de Schenectady, New York. Il a obtenu un doctorat en génie biochimique en 1986. Il a passé la plus grande partie de sa carrière dans le monde universitaire, les domaines de la recherche et de la consultation. Il est actuellement professeur au Département Howard P. Isermann de génie chimique et biologique, il travaille également au Département de biologie et de génie biomédical du Rensselaer Polytechnic Institute, Troy, NY. On lui a demandé d’examiner un certain nombre de documents et de répondre à quelques questions énumérées au paragraphe 22 de son affidavit :

                        [traduction]

22.       On m’a demandé d’examiner le brevet canadien no 1,328,452 (brevet 452) et de répondre aux questions suivantes :

 

(1)               Qui est la « personne versée dans l’art » à laquelle s’adresse le brevet 452?

 

(2)               Y a‑t‑il suffisamment de renseignements dans le brevet pour qu’une personne versée dans l’art comprenne en quoi consiste l’invention, et y a‑t‑il suffisamment de renseignements pour qu’une personne versée dans l’art comprenne que la rosiglitazone sera un composé efficace qui sera utilisé ou pourra être utilisé chez les humains?

 

(3)               Quelle est l’utilité promise du brevet? Y a‑t‑il suffisamment de renseignements dans l’affidavit de Mme Lister pour montrer que la rosiglitazone a l’utilité promise; sinon, l’information fournie dans le brevet permet‑elle de faire une prédiction scientifique valable que la rosiglitazone aura l’utilité promise?

 

(4)               Si M. Bailey a raison de dire au paragraphe 41 que « meilleure activité hypoglycémiante » signifie simplement que lorsque ces dérivés de TZD sont administrés à des animaux, il y a une amélioration des taux de glucose sanguin chez ces animaux; est‑ce à dire que la rosiglitazone est évidente?

 

 

2.                  Dr Barry L. Posner, de Montréal, Québec. Ce médecin est actuellement professeur de médecine et directeur du Laboratoire des hormones peptidiques à l’Université McGill. Il se dit expert en endocrinologie et en diabétologie, et en ce qui concerne le mécanisme d’action des hormones et des médicaments. Il a reçu un certain nombre de documents à examiner et on lui a demandé de répondre à certaines questions énumérées au paragraphe 19 de son affidavit :

[traduction]

19.       On m’a demandé d’examiner le brevet canadien no 1,328,452 et de répondre aux questions suivantes :

 

i.                    Qui est la « personne versée dans l’art » à laquelle s’adresse le brevet 452?

 

ii.                  Y a‑t‑il suffisamment de renseignements dans le brevet pour qu’une personne versée dans l’art comprenne en quoi consiste l’invention, et y a‑t‑il suffisamment de renseignements pour qu’une personne versée dans l’art comprenne que la rosiglitazone sera un composé efficace qui sera utilisé ou pourra être utilisé chez les humains?

 

 

iii.                Quelle est l’utilité promise du brevet? Y a‑t‑il suffisamment de renseignements dans l’affidavit de Mme Lister pour montrer que la rosiglitazone a l’utilité promise; sinon, l’information fournie dans le brevet permet‑elle de faire une prédiction scientifique valable que la rosiglitazone aura l’utilité promise?

 

iv.                 Si j’accepte le témoignage de M. Bailey selon lequel tous les dérivés de thiazolidinedione seraient utiles comme agents hypoglycémiants et utiles dans le traitement du diabète, est‑il évident que la rosiglitazone (qui est un composé de ce type) aurait la même utilité?

 

 

3.                  Brian Rodrigues, de Vancouver, Colombie‑Britannique. Il a obtenu son doctorat en sciences pharmaceutiques en 1989 et a passé la majeure partie de sa carrière dans le monde universitaire. Il est également directeur de l’Association canadienne du diabète. Il occupe actuellement le poste de professeur de pharmacologie et de toxicologie à l’Université de la Colombie‑Britannique. On lui a demandé d’examiner un certain nombre de documents et de donner son opinion sur les sujets indiqués au paragraphe 12 de son affidavit :

[traduction]

12.       Les avocats de Pharmascience m’ont demandé d’examiner les documents cités au paragraphe ci‑dessus de mon affidavit et de donner mon opinion sur les questions présentées dans l’avis d’allégation. Plus précisément, les avocats de Pharmascience ont sollicité mon avis concernant les questions suivantes :

 

a)      Suffisance du mémoire descriptif : les données divulguées dans le brevet 452 sont‑elles suffisantes pour qu’une personne versée dans l’art comprenne en quoi consiste l’invention?

 

b)      Utilité/prédiction valable : quelle est la promesse contenue dans le brevet 452 et la rosiglitazone a‑t‑elle l’utilité promise dans le brevet? Les renseignements additionnels fournis par GSK établissent‑ils l’utilité de la rosiglitazone telle que promise dans le brevet? Sinon, le brevet offre‑t‑il une prédiction scientifique valable pour étayer l’utilité de la rosiglitazone?

 

c)      Évidence : Si j’accepte le témoignage de M. Bailey selon lequel tous les dérivés de thiazolidinedione seraient utiles comme agents hypoglycémiants et utiles dans le traitement du diabète, est‑il évident que la rosiglitazone (qui est un composé de ce type) aurait la même utilité?

 

 

4.                  Professeur Alexander M. Klibanov, de Boston, É.‑U. Il a obtenu son doctorat en enzymologie chimique en 1974. Il a passé la majeure partie de sa carrière dans le monde universitaire, les domaines de la recherche et de la consultation. Il a examiné le brevet 452 et les témoignages de MM. Hindley et Wipf et de Mme Lister et a donné son avis à ce sujet.

 

[30]           Les témoignages de MM. Dordick, Rodriguez et Klibanov et du Dr Posner ont été produits par Pharmascience en tant que preuve d’expert sans que GSK ne s’objecte à ce que la Cour reconnaisse leur qualité d’expert. Chacun de ces témoins a été contre‑interrogé par l’avocat de GSK.

 

LE CONTEXTE – DIABÈTE

[31]           Le brevet 452 concerne, dans une large mesure, des composés qui seraient utiles dans le traitement d’affections liées au taux de glycémie chez les humains. Le diabète est l’une de ces affections et est assez répandu. GSK a produit le témoignage de M. Bailey à cet égard. L’avocat de Pharmascience a avisé la Cour, dans une lettre datée du 30 décembre 2010, que les parties ont convenu que la Cour pouvait admettre les paragraphes 11 à 18 de l’affidavit de M. Bailey comme exposant le contexte. Monsieur Bailey déclare ce qui suit aux paragraphes 13 à 18 :

[traduction]

 

Contexte scientifique

 

13.       Étant donné que des composés pouvant être utiles pour traiter des maladies associées à un trouble du métabolisme du glucose ‑ notamment le diabète ‑ sont divulgués et revendiqués dans le brevet 452, il convient de présenter d’abord une brève introduction des principes de base du métabolisme du glucose et du diabète. Une personne versée dans l’art (définie plus loin) connaîtrait, en date du 2 septembre 1988, ces principes de base dont il est question ci‑dessous, et ces mêmes principes sont connus aujourd’hui.

 

Métabolisme du glucose

 

14.       Le glucose est un sucre qui fournit de l’énergie à toutes les cellules de l’organisme. Les cellules captent le glucose dans le sang, le dégradent pour en tirer de l’énergie. Le glucose sanguin provient des aliments. Lorsqu’on consomme des aliments, le glucose est absorbé par les intestins et distribué par la circulation sanguine à toutes les cellules du corps. Chez une personne normale, en santé, le taux de glucose sanguin est régulé. L’organisme essaie de maintenir un équilibre entre la quantité de glucose disponible dans la circulation sanguine et la quantité qui est éliminée. Dans le cas où le glucose est surabondant, le corps emmagasine l’excédent de glucose dans le foie et les muscles en fabriquant du glycogène (longues chaînes de glucose). Lorsque l’apport en glucose est faible, l’organisme puise dans le glycogène emmagasiné ou fabrique du glucose à partir d’autres sources.

 

15.       Pour que le taux de glucose dans le sang demeure constant, l’organisme s’en remet à un certain nombre de processus permanents qui opèrent simultanément de façon coordonnée. Après l’ingestion d’aliments, le corps stimule la sécrétion d’insuline, une hormone produite dans le pancréas. L’insuline est fabriquée et sécrétée par les cellules bêta (cellules β) des îlots de Langerhans du pancréas, qui contiennent des cellules endocrines. Presque toutes les cellules de l’organisme ont besoin d’insuline, mais les principales cibles de l’insuline sont les cellules du foie, les cellules adipeuses et les cellules musculaires. La combinaison d’une hyperinsulinémie (taux élevés d’insuline dans le sang) et d’une hyperglycémie (taux élevés de glucose dans le sang) favorise la captation du glucose par les tissus périphériques (principalement les muscles) et supprime la production de glucose dans le foie. L’insuline stocke ainsi les nutriments après l’ingestion d’aliments en réduisant les concentrations de glucose dans la circulation sanguine et maintient une concentration stable de glucose dans le sang. Des déficits au niveau des cellules β, des cellules musculaires ou hépatiques peuvent entraîner l’apparition d’une intolérance au glucose ou d’un diabète patent.

 

Diabète

 

16.       Le diabète est une maladie qui empêche le corps d’utiliser normalement le glucose. Il est classé en deux principaux types : type 1 et type 2. Le diabète de type 1 (aussi appelé diabète juvénile ou insulinodépendant) est causé par un déficit en insuline. C’est le type dont souffrent 5 à 10 % des diabétiques et qui apparaît habituellement durant l’enfance ou l’adolescence. Chez ces diabétiques, les cellules β des îlots pancréatiques sont détruites soit par le système immunitaire de l’organisme, soit par des facteurs génétiques ou environnementaux. Ces patients présentent donc des taux anormaux de glucose et peu ou pas d’insuline dans leur sang.

 

17.       Le diabète de type 2 (aussi appelé diabète de l’adulte ou non insulinodépendant) résulte de deux déficits principaux. Chez certains patients, le principal déficit apparaît au niveau des cellules β et se manifeste par une sécrétion d’insuline insuffisante. On dit alors que ces personnes souffrent d’un diabète maigre. Chez d’autres patients, le principal défaut provient d’une diminution de la sensibilité des tissus (muscles et foie) à l’insuline (insulinorésistance). Ces personnes souffrent d’un diabète gras (diabétiques obèses). Toutefois, les deux déficits déclenchent l’apparition d’un diabète de type 2 et entraînent une intolérance au glucose. Le diabète de type 2 est la forme dont sont atteints 90 à 95 % des diabétiques et frappe habituellement les adultes de plus de 40 ans, apparaissant le plus souvent entre l’âge de 50 et de 60 ans.

 

Insulinorésistance

 

18.       L’insulinorésistance est une caractéristique centrale du diabète de type 2. Il s’agit d’une « réduction de la réponse biologique à la quantité physiologique d’insuline ». Elle entraîne une élévation de la glycémie à jeun et après un repas (diminution de la tolérance au glucose). Comme l’organisme ne répond pas à l’insuline, les cellules ne captent pas le glucose dans la circulation sanguine, ce qui contribue à augmenter les concentrations de glucose dans le sang. Comme les cellules ne reçoivent plus du glucose en provenance du sang, le corps « croit » être en état d’inanition et déclenche une cascade d’événements : certaines hormones agissent sur le foie et les muscles pour dégrader le glycogène emmagasiné et libère du glucose dans le sang, ce qui contribue à élever la glycémie.

 

 

LA MISE AU POINT DE L’INVENTION

[32]           La Cour a entendu le témoignage de Richard M. Hindley, la personne désignée comme inventeur du brevet 452, et de Carolyn Ann Lister, l’employée de GSK chargée de tester les composés comme la rosiglitazone chez la souris. À partir de leur témoignage, notamment de leurs affidavits, des transcriptions de leur contre‑interrogatoire et des pièces produites (en particulier la pièce X annexée à l’affidavit de M. Hindley, un article scientifique ‑ dont M. Hindley et Mme Lister sont désignés comme étant les coauteurs ‑ appelé article de M. Cantello dans la présente instance, et la pièce C, un tableau utile, annexée à l’affidavit de M. Hindley), on peut dresser de la façon suivante l’historique de la mise au point de l’« invention » du brevet 452 :

a.       1968 : Après avoir travaillé ailleurs comme chimiste, M. Hindley s’est joint à Beecham comme chimiste‑chercheur.

b.      1981 : Monsieur Hindley a été chargé de travailler sur un programme de recherche sur le diabète à Beecham; M. Cantello était son superviseur. Madame Lister a effectué ou supervisé bon nombre des tests sur des composés fabriqués qui ont été effectués chez des animaux.

c.       1982 : Monsieur Hindley a appris l’existence des articles de Sohda I et de Sohda II publiés par Takeda. Ils dévoilaient ce que M. Hindley a qualifié au paragraphe 10 de son affidavit de résultats préliminaires intéressants concernant la TZD. Il considérait qu’il s’agissait du point de départ de sa recherche.

d.      1983 : Une série de recherches expérimentales ont été entreprises en utilisant comme référence l’un des composés de TZD divulgués dans Sohda II, la ciglitazone (AD‑3878).

e.       Été 1988 : Monsieur Hindley et ses collègues avaient déjà fabriqué et testé environ 129 composés, dont certains présentaient une activité hypoglycémiante plus grande que la ciglitazone, et d’autres une activité moins grande.

f.       Entre 1983 et 1988 : Monsieur Hindley et ses collègues ont appris l’existence de certaines demandes de brevet européen publiées par Takeda et énumérées dans le brevet 452, notamment les demandes 0155845 (EP845) et 0177353 (EP353). Ces demandes ont servi à orienter les recherches de M. Hindley.

g.      1er août 1988 : Monsieur Hindley avait synthétisé le composé appelé HG 49653, maintenant connu sous le nom de rosiglitazone. Les détails de ce composé, de sa structure et de la méthode de synthèse ont été présentés à l’agent de brevet de Beecham et apparaissent maintenant dans l’exemple 30 du brevet 452.

h.      Août 1988 : Un échantillon de rosiglitazone a été remis au groupe de Mme Lister pour des tests.

i.        Mi-août 1988 : Le groupe de Mme Lister a soumis le composé à base de rosiglitazone de même qu’un autre composé à un test sur des souris. Il s’agit essentiellement du même test décrit pour d’autres composés à la page 80 du brevet 452. Un groupe de souris appelé groupe « témoin » a reçu une diète normale seulement, sans additifs. Un autre groupe a reçu des aliments contenant une dose du composé à l’étude. Seule une dose a été testée pour la rosiglitazone. Après huit jours, chaque groupe de souris a été soumis à un jeûne d’une durée de cinq heures; des échantillons de sang ont ensuite été prélevés dans chaque groupe à différents intervalles; les concentrations de glucose mesurées et les résultats obtenus pour chaque groupe ont été comparés. Normalement, le test comporterait l’administration de deux doses différentes, mais apparemment à cause des contraintes d’espace, seule une dose a été administrée pour le test sur la rosiglitazone. Deux doses ont été utilisées pour tester l’autre composé. Le résultat obtenu pour la rosiglitazone, à savoir une aire sous la courbe (non présentée) calculée par ordinateur, montrait qu’il y avait une réduction de 42 % du taux de glucose dans le sang, ce qui est, semble‑t‑il, proche du maximum auquel on pourrait s’attendre.

j.        Les résultats chez les souris ont été reçus trop tard pour être remis au service des brevets de Beecham.

k.      2 septembre 1988 : La demande de brevet 452 a été déposée au Canada.

l.        Les travaux se sont poursuivis, et d’autres composés ont été mis au point.

m.    12 avril 1994 : Le brevet 452 a été délivré.

n.      Fin 1994 : Les travaux de M. Hindley et de Mme Lister ont été publiés sous la forme de l’article de M. Cantello.

o.      1999 : La vente de la rositiglazone, de même que d’un autre dérivé de TZD, la proglitazone, a été approuvée pour le traitement du diabète aux États‑Unis et ailleurs dans le monde. Parallèlement, un dérivé de TZD déjà approuvé, la troglitazone, a été retiré du marché à cause de ses effets hépatotoxiques (Dr Posner, pièce D).

p.      L’affidavit du Dr Posner prouve également qu’au milieu des années 2000 et par la suite, on a commencé à s’inquiéter de l’effet nocif possible de la rosiglitazone sur les personnes souffrant de troubles cardiaques. Dans certains pays, le médicament a été retiré. Ailleurs, comme au Canada, son usage a été restreint (affidavit du Dr Posner, paragraphes 56 et 57, pièces F et G).

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[33]           La principale question est celle de savoir si les demanderesses ont établi, conformément au paragraphe 6(2) du Règlement AC, qu'aucune des allégations présentées par la défenderesse Pharmascience dans son avis d'allégation n’est fondée. Ces allégations visaient la validité d’un certain nombre de revendications du brevet 452. D'autres revendications n'auraient pas été pertinentes dans le cadre de la présente instance. Les revendications en cause ont été réduites à une seule : la revendication 41.

 

[34]           La contrefaçon n'est pas alléguée, la prétention de Pharmascience à cet égard repose sur ses allégations concernant l’invalidité. En conséquence, aucune revendication valide ne serait contrefaite.

 

[35]           En ce qui a trait à l'invalidité de la revendication 41 du brevet 452, Pharmascience a allégué l'invalidité pour les motifs suivants au paragraphe 53 de son avis d'allégation :

a.       l'évidence;

b.      l'insuffisance de la divulgation;

c.       l'absence d'utilité;

d.      l'absence de prédiction valable;

e.       des revendications d'une portée plus large que l'invention réalisée ou divulguée.

 

[36]           Dans son mémoire, Pharmascience a réduit le nombre de ces questions à trois :

1.      l'inutilité (à cet égard, l'avocat de Pharmascience a clairement indiqué qu'il ne prétendait pas que la description présentée dans le brevet était insuffisante en ce qui a trait à la fabrication du composé);

2.      la suffisance;

iii)  l'évidence.

 

LES Instances relatives à un AC

[37]           Le Règlement AC est unique. Il s'inspire de la loi américaine intitulée Hatch-Waxman Act (Drug Price Competition and Patent Term Restoration Act of 1984, Pub. L. No 98-47, 98 Stat. 1586) et a été pris en 1993 pour remplacer le régime antérieur de permis obligatoires concernant les brevets de médicaments au Canada. Il ne fait pas de doute que sa rédaction était imparfaite, qu'il a fait l'objet de modifications imparfaites et que les tribunaux l'ont interprété de façon imparfaite.

 

[38]           Le Règlement AC désigne deux groupes de personnes, une « première personne », communément appelée le « fabricant de la marque », qui est la personne titulaire de brevet ou d'une licence en vertu d’un brevet et qui a reçu l'autorisation de vendre au Canada un médicament qui se rapporte de quelque façon à ce brevet (paragraphe 4(1)). Une « seconde personne », communément appelée un « fabricant de génériques » est une société pharmaceutique qui désire se prévaloir d'une grande partie des renseignements présentés par la première personne afin d'obtenir elle-même l'autorisation de vendre le médicament. La seconde personne doit aviser la première personne en fournissant des détails de sa demande visant à obtenir l'autorisation et déclarer qu'il n'y aura pas contrefaçon du brevet ou que celui-ci est invalide ou que la deuxième personne attendra l'expiration du brevet. Cet avis prend la forme d'un « avis d'allégation ».

 

[39]           En vertu du sous‑alinéa 5(3)b)(ii) du Règlement AC, cet avis d'allégation doit contenir « un énoncé détaillé du fondement juridique et factuel de l'allégation ». En l'espèce, les allégations portent que certaines revendications du brevet 452, maintenant limitées à la revendication 41, sont invalides pour plusieurs motifs. Lorsque le Règlement AC est entré en vigueur en 1993, l'avis d'allégation prenait la forme d'une simple lettre de quelques pages qui contenait des énoncés très généraux. La situation a évolué. De nos jours, l'avis d'allégation est en règle générale celui déposé en l'espèce, d'une longueur de 50 pages, contenant 173 paragraphes et rédigé comme s'il s'agissait d'un mémoire des faits et du droit.

 

[40]           Je dirai, sans exprimer d’opinion sur la question de savoir s'ils sont justes ou erronés du point de vue de l'« équité », que certains principes, notamment les suivants, ont été dégagés de l'interprétation judiciaire des avis d'allégation :

                                                              i.      L'avis d'allégation ne peut plus être modifié une fois qu'une instance a commencé, sauf que certaines allégations faites peuvent être omises ou ne plus être invoquées (par exemple, Hoffmann-La Roche Ltd c. Canada (Ministre de la santé et du bien-être social) (1996), 70 C.P.R. (3rd) (CAF); Bayer A/G c. Novopharm Ltd. (2006), 46 C.P.R. (4th) 46, aux paragraphes 72 à 84 (CF)).

 

                                                            ii.      L'avis d'allégation doit être suffisant pour que la « première personne » soit pleinement informée des motifs soulevés relativement à l'invalidité ou à la non‑contrefaçon (Mayne Pharma (Canada) Inc. c. Aventis Pharma Inc. (2005), 38 C.P.R. (4th) 1, aux paragraphes 19 à 21 (CAF)).

 

                                                          iii.      Dans une instance instituée devant la Cour, une seconde personne ne peut présenter une preuve et une argumentation visant une question qui déborde le cadre de l'avis d'allégation (par exemple, Ratiopharm Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2007), 58 C.P.R. (4th) 97, au paragraphe 25 (C.A.F.)).

 

                                                          iv.      Au cours de l'instance, la seconde personne ne peut pas changer de motifs ou soulever un nouveau motif qui n'a pas été soulevé dans son avis d'allégation (Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2006), 54 C.P.R. (4th) 279, aux paragraphes 70 et 71 (CF)).

 

[41]           Dans les instances judiciaires, la première personne est tenue d’établir, conformément au paragraphe 6(2) du Règlement AC, « qu'aucune des allégations n’est fondée ». Ainsi, l'objet de l'instance consiste à examiner les allégations, à analyser la preuve, à appliquer la loi et à déterminer si l'allégation faite dans l'avis d'allégation est fondée. Une telle décision, par exemple sur la question de savoir si une allégation d’invalidité est fondée, n'empêche pas cette question d'être débattue dans une action ordinaire concernant le brevet; en d'autres termes, il n'y a pas chose jugée (Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc. (2006), 46 C.P.R. (4th) 401, au paragraphe 7 (C.A.F.)). 

 

[42]           En conséquence, l'objet de la présente instance consiste à examiner ce que Pharmascience a allégué dans son avis d'allégation concernant la validité de la revendication 41 du brevet 452 et de déterminer si ces allégations sont « fondée[s] ».

 

LE Fardeau de preuve

[43]           Dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 26, 59 CPR (4th) 183 (confirmé par 2007 CAF. 195, autorisation de pourvoi refusée, [2007] C.S.C.R. no 371), le juge O’Reilly de notre Cour a résumé aux paragraphes 9 et 12 en quoi consiste le fardeau de preuve lorsque la question en litige est l’invalidité :

 

9     À mon avis, la charge qui repose sur un défendeur d’après le Règlement est une « obligation de présentation de preuve » – une obligation de produire simplement une preuve d’invalidité. Après que le défendeur s’est acquitté de cette obligation, la présomption de validité du brevet devient caduque et la Cour doit alors dire si le demandeur a apporté la preuve qu’il devait apporter. Je crois que c’est de cela qu’il s’agit dans les précédents où la Cour a dit que le défendeur doit faire jouer ses prétentions. Le défendeur doit produire une preuve propre à donner un semblant de réalité à ses allégations d’invalidité.

[...]

 

12     Pour résumer, Pfizer a l’obligation légale d’établir, suivant la prépondérance de la preuve, que les allégations d’invalidité faites par Apotex sont injustifiées. Apotex assume simplement l’obligation de faire jouer ses prétentions et de produire une preuve qui suffise à donner un semblant de réalité à ses allégations d’invalidité. Si Apotex s’acquitte de cette obligation, alors la présomption de validité du brevet de Pfizer sera réfutée. Je devrai alors dire si Pfizer a prouvé que les allégations d’invalidité faites par Apotex sont injustifiées. Si Apotex ne s’acquitte pas de son obligation de présentation de preuve, alors Pfizer pourra simplement invoquer la présomption de validité pour obtenir l’ordonnance d’interdiction qu’elle sollicite.

 

 

[44]           Dans Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 11, 69 C.P.R. (4th) 191, voici ce que j'ai déclaré, au paragraphe 32, concernant la même chose :

32     À mon avis, la décision de chacune des deux formations de la Cour d’appel fédérale n’est pas substantiellement divergente. Le juge Mosley de la Cour a concilié ces deux décisions dans les motifs qu’il a énoncés dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 971 (aux paragraphes 44 à 51). Certains éléments, formulés comme suit, sont requis lorsque sont soulevées des questions de validité d’un brevet :

 

1. La seconde personne peut, dans son avis d’allégation, soulever un ou plusieurs motifs pour faire valoir l’invalidité.

2. La première personne peut, dans son avis de demande déposé auprès de la Cour, lier contestation à l’égard d’un ou de plusieurs de ces motifs.

3. La seconde personne peut produire une preuve pendant l’instance devant la Cour pour étayer les motifs à l’égard desquels a été liée contestation.

4. La première personne peut, à ses risques, se fier simplement sur la présomption de validité prévue par la Loi sur les brevets ou, si elle est plus prudente, présenter sa propre preuve quant aux motifs d’invalidité mis en cause.

5. La Cour apprécie la preuve. Si la première personne se fie uniquement sur la présomption, la Cour va malgré cela apprécier la solidité de la preuve produite par la seconde personne. Si cette preuve n’est pas concluante ni pertinente, la présomption prévaudra. Si les deux parties produisent une preuve, la Cour appréciera la preuve et tranchera la question selon la norme habituelle de la prépondérance des probabilités.

6. Si la preuve de l’une et l’autre partie s’équivaut à l’étape 5 (ce qui est rare), le requérant (la première personne) n’aura pas réussi à démontrer l’absence de fondement de l’allégation d’invalidité et n’aura pas droit à la délivrance de l’ordonnance d’interdiction sollicitée.

 

LA personne moyennement versée dans l'art

[45]           Lorsque les tribunaux doivent examiner un brevet, il est devenu habituel de prendre en postulat l'existence d'une personne ou d'un groupe de personnes fictives à qui le brevet serait destiné. Cette personne est dite moyennement versée dans l'art.

 

[46]           La Cour doit examiner des questions telles que l'interprétation du brevet, ses revendications et son évidence du point de vue de la personne moyennement versée dans l'art.

 

[47]           On décrira la personne moyennement versée dans l'art de façon différente dans chaque cas. La Cour doit cependant se méfier des distinctions et des subtilités très fines invoquées par les parties à l'égard d'une telle description. Une description simple et étoffée est bien suffisante.

 

[48]           En l'espèce, les témoins experts de chaque partie ont présenté des observations quant à la description qui convient à la personne moyennement versée dans l'art. Puisque tous ces experts possèdent un diplôme d’études supérieures, il n'est pas étonnant que l'on décrive la personne moyennement versée dans l’art comme possédant un tel diplôme. Les médecins ont inclus des médecins dans la description.

 

[49]           Dans son argumentation écrite, GSK a proposé la description suivante :

[traduction] Une personne qui détient un diplôme d'études supérieures en chimie médicale, en pharmacologie ou en biochimie.

 

[50]           Dans son argumentation écrite, Pharmascience a proposé la description suivante :

[traduction] (Une personne qui détient) un diplôme d'études supérieures en pharmacologie, en biochimie ou en chimie médicale et qui possède de l'expérience pratique dans l'étude du métabolisme des animaux (et) une personne ayant une formation médicale.

 

 

[51]           Lors des discussions avec les avocats de chaque partie au cours des plaidoiries, ils ont tous convenu que ces descriptions étaient trop exigeantes et excluraient des personnes telles que M. Hindley, l'inventeur désigné, qui avait une très grande expérience pratique mais ne détenait pas de diplôme d'études supérieures. Il a de plus été souligné qu'une telle personne, à l'instar des nombreux témoins en l'espèce, serait désignée comme l’auteur d’une invention revendiquée dans un brevet et que celle-ci est apte à comprendre les brevets. Je discuterai de ce point plus loin lorsque j'aborderai la décision de lord Hoffman dans Amgen, ci-dessous.

 

[52]           En conséquence, je propose de définir comme suit la personne moyennement versée dans l'art relativement au brevet 452 :

Une personne qui possède des connaissances considérables, qu'elles aient été acquises par le biais des études ou de l'expérience pratique, ou les deux, en chimie médicale, en pharmacologie ou en biochimie, y compris la préparation de composés et leurs essais relativement à des maladies comme le diabète, et qui est suffisamment apte à comprendre les brevets.

 

 

LA REVENDICATION 41 – INTERPRÉTATION

 

[53]           La Cour doit interpréter le brevet et la (les) revendication(s) en litige avant de passer à d’autres questions comme la validité et la contrefaçon (Whirlpool, précité, au paragraphe 43).

 

[54]           En l’espèce, seule la revendication 41 est en litige :

41. Un composé selon la revendication 1 qui est la 5-(4-[2-(N-méthyl-N-(2-pyridyl)amino)éthoxy]benzyl)-thiazolidine-2,4-dione; ou une forme tautomère de ce composé et/ou un de ses sels pharmaceutiquement acceptables et/ou un de ses solvates pharmaceutiquement acceptables.

 

[55]           Si l’on remplace simplement la formule chimique par le terme « rosiglitazone », la revendication 41 se lit comme suit :

41.       Un composé selon la revendication I qui est la rosiglitazone, ou une forme tautomère de la rosiglitazone et/ou un des sels pharmaceutiquement acceptables et/ou un de ses solvates pharmaceutiquement acceptables.

 

 

[56]           C’est précisément la façon dont la revendication 41 a été décrite par Pharmascience au paragraphe 132 de son avis d’allégation :

[traduction] […] La revendication 41 concerne un composé (soit la rosiglitazone) ou une forme tautomère du composé et/ou un de ses sels pharmaceutiquement acceptables et/ou un de ses solvates pharmaceutiquement acceptables.

 

 

[57]           C’est la façon dont j’interprète la revendication 41. GSK ne s’y oppose pas.

 

[58]           Lors de l’audience, Pharmascience a soutenu que la revendication 41, lorsqu’elle est interprétée à la lumière de la divulgation, doit être libellée de façon à indiquer que la rosiglitazone elle‑même est pharmaceutiquement acceptable, par exemple qu’elle n’est pas toxique. Je ne suis pas d’accord avec cette interprétation. En outre, compte tenu de l’interprétation donnée à la revendication 41 par Pharmascience dans son avis d’allégation, il n’est pas loisible à cette dernière de promouvoir lors de l’audience une interprétation différente dans son argumentation.

 

L’ÉVIDENCE

[59]           Dans son argumentation écrite et lors de l’audience, Pharmascience a affirmé que ce qui était revendiqué comme une invention dans la revendication 41 du brevet 452 était évident, donc invalide, pour deux raisons différentes :

                                                              i.      Si la revendication concerne le composé rosiglitazone, qui réduit les taux de glucose sanguin et peut éventuellement être utile pour traiter certaines affections comme l’hyperglycémie et le diabète, une personne versée dans l’art pourrait, à la lumière des antériorités, en arriver directement et facilement à ce composé.

                                                            ii.      Si la revendication concerne le composé rosiglitazone, qui réduit les taux de glucose sanguin comparativement à tout autre composé qui ne le fait pas, il va donc de soi que tout dérivé de TZD, y compris la rosiglitazone, pourrait avoir une telle action.

 

 

[60]           La première de ces raisons est soulevée dans l’avis d’allégation de Pharmascience. Les allégations sont un peu longues. Je ne répéterai que quelques paragraphes :

[traduction]

63.       PMS soutient qu’il n’y a pas d’invention dans la découverte des dérivés de thiazolidinedione substitués, ni dans leur utilisation pour le traitement de l’hyperglycémie, du diabète de type 2 ou de toute autre maladie susmentionnée. En effet, les dérivés de thiazolidinedione, y compris ceux qui ont été substitués, étaient connus avant la date pertinente, le 4 septembre 1987, et faisaient partie des connaissances générales courantes d’une personne versée dans l’art.

 

[. . .]

 

Résumé des arguments relatifs à l’évidence

 

108.     Avant la date pertinente, une personne versée dans l’art savait qu’elle pouvait remplacer la fraction convertible du composé revendiqué par différents substituants, notamment (CH4N)N(CH3)‑(CH2)n‑O‑ pour en arriver à un dérivé de thiazolidinedione substitué qui présentait l’activité connue recherchée. Une personne versée dans l’art serait incitée à apporter de tels changements à la fraction de glitazone (ou à son squelette) par les antériorités, par exemple les articles scientifiques : Sohda et al., « Studies on Antidiabetic Agents. I. Synthesis of 5-[4-(2-Methyl-2-phenypropoxy)benzyl]thiazolidine-2,4-dione (AL-321) and Related Compounds », Chem. Pharm. Bull. 30(10), pp. 3563‑3573, 1982 (ci‑après appelé « Sohda I ») et Sohda et al., « Studies on Antidiabetic Agents. II. Synthesis of 5-[4-(1-Methylcyclohexylmethoxy)benzyl]thiazolidine-2,4-dione (ADD-3878) and its Derivatives », Chem. Pharm. Bull. 30(10), pp. 3580-3600, 1982 (ci‑après appelé « Sohda II »). En fait, l’homologie de structure des composés figurant dans les antériorités et de ceux revendiqués dans le brevet 452, en particulier la rosiglitazone, met en évidence la relation structurale et l’importance de la fraction de thiazolidinedione et fournirait ainsi à la personne versée dans l’art les justifications nécessaires pour modifier des composés connus en vue d’obtenir le composé revendiqué, la rosiglitazone. La personne versée dans l’art pourrait donc s’attendre à ce que ces modifications évidentes apportées à la fraction ou au squelette de la glitazone possèdent des propriétés et des activités similaires à celles des composés connus de thiazolidinedione.

 

[. . .]

 

 

 

Évidence des revendications 1 à 3, 6 à 11, 41 et 43 à 48 du brevet 452

 

121.     PMS soutient que la revendication I du brevet 452, qui a trait à une classe de composés inclus dans la formule (1) et à laquelle appartient la rosiglitazone, est évidente à la lumière des enseignements d’une ou plusieurs des réalisations antérieures (EP 203, EP 926, EP 845, EP 256, Sohda I et Sohda II) et des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art. Le fait que le brevet 452 ne décrit pas la méthode de préparation de la rosiglitazone ni ne présente des données expérimentales, des résultats de test ou de données toxicologiques concernant ce composé devrait être considéré et serait interprété par la personne versée dans l’art comme une indication qu’un tel composé est évident pour une personne versée dans l’art.

 

122.     Plus précisément, chacune des antériorités décrit l’utilisation d’un squelette éthoxybenzylthiazolidine-2-4-dione auquel différents substituants (fractions) peuvent être rattachés pour permettre aux composés d’avoir une activité hypolipémiante et hyperglycémiante [sic]. En effet, une personne versée dans l’art aurait su, à la lumière des antériorités, qu’il fallait remplacer la fraction convertible (ou la fraction gauche) du composé revendiqué par différents substituants, y compris par exemple (C5 H4N)N(CH3)‑(CH2)n‑ pour en arriver à un dérivé de thiazolidinedione substitué ayant une activité hypoglycémiante et hypolipémiante (c.‑à‑d. la rosiglitazone).

 

[. . .]

 

132.     PMS avance que la revendication 41 est évidente pour la même raison que les revendications 1 à 3 et 6 à 11 le sont. En outre, la revendication 41 a trait à un composé, la 5-(4-[2-(N-méthyl-N-(2-pyridyl)amino)éthoxy]benzyl)-thiazolidine-2,4-dione (c.‑à‑d. la rosiglitazone); ou une forme tautomère de la rosiglitazone et/ou un de ses sels pharmaceutiquement acceptables et/ou un de ses solvates pharmaceutiquement acceptables. À la lumière des enseignements des réalisations antérieures décrits ci‑dessus et se fondant sur ses connaissances générales courantes, la personne versée dans l’art en arriverait directement et facilement à l’objet de la revendication 41. La revendication 41 est ainsi invalide, nulle et non avenue, car elle est évidente.

 

 

[61]           Le critère juridique de l'évidence, tel qu'invoqué par Pharmascience aux paragraphes 54 à 59 de son avis d'allégation, et auquel je souscris, est celui qu’a énoncé par le juge Rothstein, au nom de la Cour suprême, dans l'arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265, au paragraphe 67 :

67     Lors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée par le lord juge Oliver dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.). La démarche devrait assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté. Le lord juge Jacob l’a récemment reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37 (p. 872), [2007] EWCA Civ 588, par. 23 :

 

[traduction]  Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :

 

(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

 

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

 

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité? [Je souligne.]

 

La question de l’« essai allant de soi » se pose à la quatrième étape de la démarche établie dans les arrêts Windsurfing et Pozzoli pour statuer sur l’évidence.

 

[62]           J’ajouterais à ce qui précède ce que le juge Rothstein a écrit aux paragraphes 69 et 70 :

69     Lorsque l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, les éléments énumérés ci‑après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence. Tout comme ceux pertinents pour l’antériorité, ils ne sont pas exhaustifs et s’appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré.

 

1. Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

 

2. Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

 

3. L’art antérieur fournit‑il un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

 

70     Les mesures concrètes ayant mené à l’invention peuvent constituer un autre facteur important. Il est vrai que l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme du métier aurait agi à la lumière de l’art antérieur. Mais on ne saurait pour autant écarter l’historique de l’invention, spécialement lorsque les connaissances des personnes qui sont à l’origine de la découverte sont au moins égales à celles de la personne versée dans l’art.

 

[63]           La Cour d'appel fédérale a examiné ce critère dans l'arrêt Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., [2009] 4 R.C.F. 223, 2009 Caf 8, aux paragraphes 25 à 29, dans lequel elle a déclaré que l'évidence ne signifiait pas quelque chose « valant d'être tenté », mais signifie « très clair ». Ce n'est pas parce que l'art antérieur éveille simplement chez une personne versée dans l'art la possibilité qu'une chose vaille d'être tentée que cela rend cette chose évidente.

25     Sous le titre « La notion d’évidence au Canada », le juge Rothstein note que jusqu’ici les tribunaux canadiens ont souvent vu dans le critère établi dans l’arrêt Beloit une prescription légale limitant l’examen de l’évidence (au paragraphe 61). Le critère de l’« essai allant de soi » peut avoir un rôle utile en droit canadien (au paragraphe 64).

 

26     Le juge Rothstein s’attache ensuite à la portée du critère. Après avoir mentionné que les facteurs présentés dans l’extrait adopté par lord Hoffmann dans l’arrêt H. Lundbeck A/S c. Generics (UK) Ltd., [2008] R.P.C. 19, [2008] EWCA Civ 311, qu’il cite au paragraphe 59, fournissent une orientation utile, il affirme (au paragraphe 64) :

 

Cependant, la notion d’« essai allant de soi » commande la prudence. Ce n’est qu’un des éléments à considérer pour statuer sur l’évidence. Elle ne saurait permettre de réfuter toute allégation de contrefaçon. Le régime des brevets vise à favoriser le financement de la recherche et du développement, ce qui est assurément d’une importance capitale dans le domaine pharmaceutique et celui de la biotechnologie.

 

27     Le juge Rothstein cible ensuite précisément le critère. Au paragraphe 66, il dit :

 

Pour conclure qu’une invention résulte d’un « essai allant de soi », le tribunal doit être convaincu selon la prépondérance des probabilités qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention. La seule possibilité d’obtenir quelque chose ne suffit pas. [Non souligné dans l’original.]

 

Au paragraphe précédent, il a clairement établi que le terme « allant de soi » dans la locution « essai allant de soi » doit recevoir son acception première de « très clair ».

 

28     J’en déduis que le critère qu’adopte la Cour suprême n’est pas celui qu’on exprime par la formule approximative « quelque chose valant d’être tenté ». Après avoir noté l’argumentation d’Apotex faisant valoir que le critère de quelque chose « valant d’être tenté » devrait être accepté (au paragraphe 55), le juge Rothstein n’utilise plus jamais par la suite l’expression « valant d’être tenté » et l’erreur qu’il identifie dans la question dont il est saisi est le défaut d’appliquer le critère de l’« essai allant de soi » (au paragraphe 82).

 

29     Le critère reconnu est celui de l’« essai allant de soi », où l’expression « allant de soi » signifie « très clair ». Suivant ce critère, une invention n’est pas rendue évidente par le fait que l’état de la technique aurait éveillé la personne versée dans l’art à la possibilité que quelque chose valait d’être tenté. L’invention doit aller plus ou moins de soi. La question à trancher dans le présent appel est de savoir si le juge de la Cour fédérale a ou n’a pas appliqué ce critère.

 

[64]           L'évidence à l'égard d'un brevet visé par l’« ancienne » Loi comme celui en l'espèce doit être examinée à la « date d’invention ». GSK ne fait pas valoir une date d'invention antérieure à la date du dépôt de la demande de brevet au Canada, le 2 septembre 1988. Selon la preuve, même si je devais conclure à une date antérieure, ce ne serait que quelques jours plus tôt, soit la date à laquelle Mme Lister a terminé le test sur les souris. Le 2 septembre 1988 est une date d'invention pertinente en l'espèce.

 

[65]           Pharmascience s'en remet principalement au témoignage du professeur Klibanov en ce qui a trait à cette question de l'évidence. Il aborde dans son affidavit une analyse de l'évidence aux paragraphes 52 et 53 :

[traduction]

 

VIII.    Évidence

 

52.       En ce qui a trait à l’évidence, je présumerai que l’auteur d’un des affidavits de GSK, le professeur Bailey, a raison et que la seule invention dans le brevet 452 concerne des composés qui valent mieux que rien (groupe témoin) (p. ex. voir les paragraphes 41 à 43 de l’affidavit de M. Bailey) et qu’une personne versée dans l’art saurait qu’il avait été démontré que les dérivés de TZD réduisaient les taux de glucose dans le sang et amélioraient les déficits manifestés dans le diabète de type 2 (p. ex. voir le paragraphe 52 de l’affidavit de M. Bailey).

 

53.       À mon avis, si l’on part des hypothèses avancées dans le paragraphe précédent, il n’y a pas alors d’invention dans le brevet 452. Si des chercheurs savaient que les dérivés de TZD réduiraient les taux de glucose sanguin, un autre dérivé qui utiliserait le même mécanisme n’aurait rien d’original. De même, il n’y a pas d’invention si l’on savait également que les dérivés de TZD pouvaient être utiles pour traiter le diabète de type 2. Autrement dit, si l’ensemble de l’effet hypoglycémiant du composé provient de la portion TZD de sa molécule, il n’y a donc rien d’original dans le fait qu’on apporte ou non des changements à la portion restante de la molécule. Qui plus est, comme on le dit plus loin, les antériorités contenaient des indications concernant certains dérivés prometteurs de TZD; en suivant les indications dans Sohda I, Sohda II et EP 203, la rosiglitazone serait l’un des composés évidents à fabriquer pour en arriver à cette fin.

 

[66]           Le professeur Klibanov établit ce qu’il considère comme étant les connaissances générales courantes dans le domaine et examine les articles de Sohda I et Sohda II de même que bon nombre des demandes de brevet européen identifiées comme constituant les antériorités. Il conclut en disant que seuls des « changements mineurs » apportés aux composés divulgués dans les réalisations antérieures étaient nécessaires, que les tests effectués sur le composé résultant seraient usuels et courants et qu’il y avait suffisamment d’indications dans les réalisations antérieures pour inciter à examiner des composés ayant une activité et une innocuité plus grandes.

 

[67]           GSK s’en remet principalement au témoignage d’expert du professeur Wipf, de même qu’à la preuve factuelle de M. Hindley et de Mme Lister, pour répondre à l’argument de Pharmascience concernant l’évidence. Des éléments de preuve ont également été présentés par M. Jurs, concernant ce qui a été décrit comme la question du « Log P ». Comme Pharmascience n’a pas donné suite à cette question, il n’est pas nécessaire de l’examiner davantage.

 

[68]           Le professeur Wipf a examiné la déclaration de Pharmascience et les antériorités sur lesquelles elle s’appuyait. Il a fait un examen détaillé des antériorités dans son affidavit. Je reprends certaines de ses conclusions :

[traduction]

Conclusions concernant l’allégation d’évidence de Pharmascience

 

185.     La structure de la rosiglitazone n’était décrite dans aucune des antériorités, prises isolément ou combinées, qui ont été citées par Pharmascience. Il n’y a aucun enseignement dans les réalisations antérieures qui permet de créer un composé de TZD, notamment un 2‑pyridyle et un lieur consistant en un groupe méthylamino et deux carbones. La liaison d’un composé 2‑pyridyle à un lieur constitué d’un méthylamino et de deux carbones n’était pas évidente pour une personne versée dans l’art en septembre 1988.

 

186.     Comme je l’ai expliqué ci‑dessus, je ne suis pas d’accord avec pratiquement toutes les prémisses de l’analyse effectuée par Pharmascience. Pour appuyer sa conclusion et dériver la structure de la rosiglitazone, Pharmascience prétend qu’il y a un enseignement dans les réalisations antérieures concernant la relation entre la lipophilicité et l’activité hypoglycémiante ou hypolipémiante alors qu’il n’en existe aucun, elle ne tient pas compte des enseignements relatifs à la toxicité et aux réponses physiologiques inexpliquées dans les réalisations antérieures qui incitent à ne pas considérer un composé 2‑pyridyle non substitué de TZD, elle ne tient pas compte de l’absence d’enseignement relatif à un composé 2‑pyridyle méthylamino de TZD et présente de manière inexacte des enseignements dans les réalisations antérieures sur lesquelles elle se fonde. Cette analyse forcée faite par Pharmascience mine complètement sa reconstitution a posteriori des informations pour dériver la structure de la rosiglitazone. Cette analyse n’a rien à voir avec la méthode qu’utiliserait en septembre 1988 un spécialiste en chimie médicinale dans le monde réel pour faire une découverte. À la lumière des antériorités, la rosiglitazone n’est donc pas évidente.

 

[69]           Le professeur Wipf s’est inspiré des questions relatives à l’évidence examinées dans l’arrêt « Sanofi » (qui ont été abordées dans les présents motifs) et il a examiné chacune d’entre elles, concluant au paragraphe 205 de son affidavit que les travaux de M. Hindley et de Mme Lister n’étaient pas évidents, ni n’étaient très simples ni n’allaient de soi. Il a souligné en outre, tout comme M. Hindley, que GSK a reçu un prix de la Society of Medicines Research pour ces travaux.

 

[70]           Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, y compris ce qui précède, je suis convaincu que GSK a suffisamment démontré que l’allégation relative à l’évidence de Pharmascience, exposée dans son avis d’allégation, n’est pas justifiée. Les travaux de M. Hindley, qui se sont étendus sur plusieurs années, étaient le fruit d’une recherche minutieuse. Cette recherche a été récompensée par la communauté scientifique. Takeda n’a apparemment jamais obtenu un résultat comparable à celui de M. Hindley. Le fait de prendre plusieurs réalisations antérieures, comme l’a fait le professeur Klibanov, et de choisir certains composés, en rejeter d’autres, puis essayer de tracer une avenue de recherche soi‑disant évidente, est un exercice classique de réflexion après coup. Le résultat n’était pas évident.

 

[71]           Le deuxième argument soulevé par Pharmascience dans son mémoire et lors de l’audience concernant l’évidence n’a pas été présenté dans l’avis d’allégation et, pour cette seule raison, il doit être rejeté. Cet argument se fonde essentiellement sur le fait de qualifier des affirmations faites par M. Bailey dans son affidavit et d’en débattre. Il est évident qu’à l’époque où Pharmascience a rédigé et transmis son avis d’allégation, l’affidavit de M. Bailey n’existait même pas.

 

[72]           Cet argument relatif à l’évidence soulève une question d’interprétation, non pas de la revendication, mais de la description à la page 1 du brevet 452 et en particulier des termes utilisés dans le troisième paragraphe, « meilleure activité hypoglycémiante ». Voici ce qu’a écrit M. Bailey au paragraphe 41 de son affidavit :

[traduction]

41.       Pour ce qui est du premier élément, il ressort clairement des déclarations faites au paragraphe 39 ci‑dessus que les composés visés par le présent brevet sont des dérivés de TZD, qui exercent apparemment une « meilleure activité hypoglycémiante ». Une personne versée dans l’art comprendrait que l’expression « meilleure activité hypoglycémiante » signifie que lorsque ces nouveaux dérivés de TZD ont été administrés à des animaux, on a observé une amélioration dans les taux de glucose sanguin chez ces animaux. Une personne versée dans l’art n’interpréterait pas le terme « meilleure » comme indiquant que cette nouvelle classe de dérivés de TZD a été comparée à des dérivés connus de TZD et présentait une « meilleure » activité hypoglycémiante par rapport à ces composés connus. Ce terme ne fait que décrire l’effet de ces nouveaux dérivés de TZD sur les taux de glucose sanguin chez les animaux testés.

 

 

[73]           La preuve présentée par Pharmascience à cet égard provenait de la réponse de ses experts à une question posée par l’avocat de Pharmascience. Le paragraphe 22(4) de l’affidavit de M. Dordick donne un exemple de cette question :

[traduction]

22.       On m’a demandé d’examiner le brevet canadien no 1,328,452 (brevet 452) et de répondre aux questions suivantes :

 

[. . .]

 

(4)        Si M. Bailey a raison d’affirmer au paragraphe 41 que « meilleure activité hypoglycémiante » signifie simplement que lorsque ces dérivés de TZD sont administrés à des animaux, il y a une amélioration des taux de glucose sanguin chez ces animaux; est-ce à dire que la rosiglitazone est évidente?

 

[74]           Il est possible de résumer les témoignages des experts de Pharmascience en se reportant aux réponses fournies par le professeur Klibanov aux questions exposées aux pages 167‑168 de la transcription de son contre‑interrogatoire :

[traduction]

Q.        Quelle que soit la promesse offerte par le brevet, après avoir examiné les antériorités, et en particulier Sohda I, Sohda II et EP 203, diriez‑vous que vous arriveriez à la rosiglitazone?

 

R.         Je ne dirais rien. Ce que je voulais dire est bien indiqué ici, à partir du paragraphe 83 et dans les paragraphes suivants. Je veux simplement dire qu’en ce qui concerne l’analyse que j’ai effectuée ici, par exemple après le paragraphe 83, l’opinion du professeur Bailey au sujet de ce que le terme « meilleure » signifie n’est pas pertinente.

 

Q.        Ainsi, d’après les antériorités, vous dites que la rosiglitazone est évidente?

 

R.         La rosiglitazone serait évidente si l’on accepte l’hypothèse ou la conclusion avancée par le professeur Bailey. Si l’on n’en arrive pas à cette conclusion, toute cette discussion est – si l’on n’en arrive pas à la même conclusion que le professeur Bailey, je ne parlerais pas d’évidence.

 

Q.        Donc, si le professeur Bailey n’avait pas fait cette affirmation dont vous avez discuté au paragraphe 52, vous ne diriez pas alors que la rosiglitazone est évidente?

 

R.         Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’en discuter. Mon avis personnel, comme je l’ai déjà expliqué, est que le brevet 452 pèche par absence d’utilité et de prédiction valable. Autrement dit, les revendications ont une trop grande portée et ce sont les raisons sur lesquelles se fondent mes déclarations.

 

            Il ne serait donc pas nécessaire pour moi de discuter de l’évidence si le professeur Bailey n’avait pas fait une telle déclaration.

 

 

[75]           J’abonde quelque peu dans le sens du professeur Klibanov. Ce n’est pas réellement une question d’évidence. La question a plutôt trait à l’utilité et à la suffisance et doit être résolue par l’interprétation du brevet, en particulier du contenu de la page 1.

 

[76]           Comme cette question d’évidence n’a pas été exposée dans l’avis d’allégation, notre Cour n’est donc pas tenue de déterminer si l’allégation est justifiée. Les questions relatives à l’interprétation, à l’utilité et à la suffisance seront abordées dans les présents motifs.

 

L’INSUFFISANCE – L’UTILITÉ – L’ABSENCE DE PRÉDICTION VALABLE

[77]           Les arguments de Pharmascience en ce qui concerne l’insuffisance, l’utilité et l’absence de prédiction valable sont liés. Je suis conscient que GSK ne soulève pas d’argument fondé sur la prédiction valable.

 

[78]           Pour examiner ces arguments, la Cour doit s’en tenir au contenu des deuxième, troisième et quatrième paragraphes de la page 1 du brevet 452, que revoici :

[traduction] Les demandes de brevet européen, numéros de publication 0008203, 0139421, 0155845, 0177353, 0193256, 0207581 et 0208420, ont trait aux dérivés de thiazolidinedione qui présentent une activité hypoglycémiante et hypolipémiante. Un article, Chem. Pharm. Bull. 30 (10) 3580‑3600, traite également de certains dérivés de thiazolidinedione qui ont des activités hypoglycémiante et hypolipémiante.

 

Chose étonnante, on a maintenant découvert que certains dérivés nouveaux de thiazolidinedione substitués présentent une meilleure activité hypoglycémiante et peuvent donc être utilisés dans le traitement et/ou la prévention de l’hyperglycémie et sont particulièrement utiles dans le traitement du diabète de type 2.

 

On indique également que ces composés pourraient être utilisés dans le traitement et/ou la prévention d’autres maladies, notamment l’hyperlipidémie, l’hypertension, les maladies cardio‑vasculaires et certains troubles de l’alimentation.

 

 

[79]           Les allégations de Pharmascience sont assez longues. L’insuffisance, l’absence d’utilité et l’absence de prédiction valable sont liées ensemble. Voici quelques‑unes de ces allégations :

[traduction]

 

INSUFFISANCE DU MÉMOIRE DESCRIPTIF

 

140.     PMS soutient que le mémoire descriptif du brevet 452 est insuffisant parce qu’il ne définit pas en termes clairs la nature et les caractéristiques des attributs spéciaux ou des avantages importants, le cas échéant, que pourrait posséder le composé revendiqué dans le brevet 452, plus particulièrement, la rosiglitazone, ayant la désignation chimique 5-(4-[2-(N-méthyl-N-(2-pyridyl)amino)éthoxy]benzyl)-2,4-dione et englobée dans les revendications 1 à 3, 6 à 11, 41 et 43 à 48 du brevet 452.

 

141.     PMS avance, dans le cas de la rosiglitazone, que le brevet 452 ne fournit aucune donnée expérimentale, résultat de test ou donnée toxicologique, ni de fondement logique pour appuyer la revendication d’une soi‑disant « meilleure activité hypoglycémiante » (voir page 1, ligne 23 de la divulgation) comparativement à d’autres dérivés de thiazolidinedione. En fait, la divulgation du brevet 452 en ce qui concerne la rosiglitazone ne fait aucunement mention de données à l’appui de l’activité de ce composé.

 

142.     PMS allègue que la divulgation du brevet 452 ne démontre pas qu’il y a des résultats inattendus pour le composé chimique appelé 5-(4-[2-(N-méthyl-N-(2-pyridyl)amino)éthoxy]benzyl)-2,4-dione (c.‑à‑d. la rosiglitazone).

 

143.     À la page 1, lignes 12 à 31 de la divulgation du brevet 452, il est dit ce qui suit :

 

[. . .]

 

144.     Même si la divulgation du brevet 452 (voir page 21, ligne I à la page 22, ligne 29) dit que le composé de la formule générale (I) peut être utilisé dans le traitement et/ou la prévention de l’hyperglycémie, de l’hyperlipidémie, de l’hypertension, des maladies cardio‑vasculaires ou de certains troubles de l’alimentation, aucune donnée expérimentale, résultat de test ni donnée toxicologique ne sont fournis pour la rosiglitazone. De plus, le brevet 452 mentionne uniquement que des dérivés de thiazolidinedione substitués peuvent être utilisés « dans le traitement et/ou la prévention de l’hyperglycémie et sont particulièrement utiles dans le traitement du diabète de type 2 » (voir page I, lignes 24 à 26 du brevet 452) et « dans le traitement et/ou la prévention d’autres maladies, notamment l’hyperlipidémie, l’hypertension, les maladies cardio‑vasculaires et certains troubles de l’alimentation » (voir page I, lignes 28 à 31 du brevet 452).

 

145.     Le tableau présenté à la page 80 du brevet 452 (reproduit ci‑dessous), qui porte sur le test de tolérance au glucose, ne nous éclaire nullement sur les données expérimentales, les résultats de test ou les données toxicologiques des composés chimiques correspondant aux exemples 6, 8, 10, 12, 14, 16, 18, 20, 22, 23, 26, 28, 30 (rosiglitazone) et 31.

 

146.     Plus particulièrement, la divulgation ne fournit aucune donnée expérimentale, aucun résultat de test ni aucune donnée toxicologique concernant le composé chimique rosiglitazone (correspondant à l’exemple no 30 […])

 

[. . .]

 

147.     En fait, aucune donnée expérimentale, aucun résultat de test ni donnée toxicologique ne sont fournis pour étayer l’activité thérapeutique (activité hypoglycémiante et activité hypolipémiante) de la rosiglitazone, c.‑à‑d. la 5-(4-[2-(N-méthyl-N-(2-pyridyl)amino)éthoxy]benzyl)-thiazolidine-2,4-dione, par rapport à d’autres composés appartenant à la classe des thiazolidinediones.

 

148.     Il est également dit ce qui suit à la page I, lignes 21 à 26 de la divulgation du brevet 452 :

 

Chose étonnante, on a maintenant découvert que certains dérivés nouveaux de thiazolidinedione substitués présentent une meilleure activité hypoglycémiante et peuvent donc être utilisés dans le traitement et/ou la prévention de l’hyperglycémie et sont particulièrement utiles dans le traitement du diabète de type 2.

 

(Non souligné dans l’original)

 

149.     Rien dans le brevet 452 n’appuie l’affirmation qu’il y a quelque chose d’« étonnant » dans l’utilisation de la

5-(4-[2-(N-méthyl-N-(2-pyridyl)amino)éthoxy]benzyl)- thiazolidine-2,4-dione (rosiglitazone) ou d’autres dérivés de thiazolidinedione qui ont une « meilleure activité hypoglycémiante et peuvent donc être utilisés dans le traitement et/ou la prévention de l’hyperglycémie et sont particulièrement utiles dans le traitement du diabète de type 2 » (voir page 1, lignes 23 à 26).

 

[. . .]

 

ABSENCE D’UTILITÉ/ABSENCE DE PRÉDICTION VALABLE

 

157.     PMS soutient que les revendications 1 à 3, 6 à 11, 41 et 43 à 48 du brevet 452 sont invalides à cause de l’absence d’utilité. PMS reprend les allégations faites à la rubrique « Insuffisance du mémoire descriptif » ci‑dessus.

 

158.     Il est dit ce qui suit à la page 1, lignes 21 à 26, de la divulgation du brevet 452 :

 

Chose étonnante, on a maintenant découvert que certains dérivés nouveaux de thiazolidinedione substitués présentent une meilleure activité hypoglycémiante et peuvent donc être utilisés dans le traitement et/ou la prévention de l’hyperglycémie et sont particulièrement utiles dans le traitement du diabète de type 2.

 

159.     PMS avance qu’il n’y a rien d’« étonnant » dans la découverte de la rosiglitazone plutôt que d’autres dérivés de thiazolidine (qui ont été divulgués) vu que les inventeurs n’ont pas démontré son efficacité et par conséquent n’ont pas fourni de preuve de l’utilité de la rosiglitazone, en dehors de ce qu’on savait de l’utilité des composés connus de la glitazone en général dans le brevet 452. Aucune donnée quantitative ou qualitative n’a pas non plus été fournie à cet égard.

 

160.     PMS ajoute que l’« étonnante » découverte de la rosiglitazone ne satisfaisait pas aux exigences relatives à la prédiction valable vu que le brevet ne présentait pas de raisonnement valable pour démontrer la « meilleure » efficacité du composé, telle qu’avancée à la page I du brevet 452, lignes 21‑26).

 

161.     Comme il a été établi dans Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, un inventeur doit être en mesure d’établir l’utilité de l’invention au moyen d’une démonstration ou d’une prédiction valable fondée sur l’information et l’expertise disponibles au moment du dépôt de la demande de brevet prioritaire ou bien à la date de dépôt au Canada.

 

162.     Si l’utilité d’une invention n’est pas démontrée, elle doit donc se fonder sur une prédiction valable. La règle de la prédiction valable comporte trois éléments, qui doivent tous être respectés :

 

1.         la prédiction doit avoir un fondement factuel;

 

2.         à la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et valable qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité;

 

3.         il doit y avoir une divulgation suffisante du fondement factuel et du raisonnement.

 

163.     PMS allègue que le brevet 452 ne présente pas de fondement factuel ni de raisonnement valable pour étayer l’utilité de la rosiglitazone comme agent hypoglycémiant ou hypolipémiant plus efficace que d’autres composés appartenant à la classe des thiazolidinediones ou ayant une « meilleure activité hypoglycémiante » (voir page 1, ligne 23, de la description) que ces composés.

 

164.     Le brevet 452 ne mentionne pas non plus que la rosiglitazone possède des caractéristiques bénéfiques, sur le plan clinique ou autre, comparativement à d’autres dérivés de thiazolidinedione.

 

165.     PMS ajoute que le brevet 452 ne fournit pas de données expérimentales, de résultats de test ni de données toxicologiques qui pourraient étayer l’utilité de tous les composés visés par les revendications du brevet 452, et plus particulièrement de la rosiglitazone (correspondant à l’exemple 30 du brevet 452).

 

166.     Ainsi, les revendications 1 à 3, 6 à 11, 41 et 43 à 48 englobent des composés ou des compositions dont l’utilité n’a pas été démontrée et dont l’utilité comme agents pharmaceutiques n’a pas été valablement prédite.

 

167.     Ainsi, les revendications du brevet 452 doivent être rejetées à cause de l’absence d’utilité et de l’absence de prédiction valable.

 

 

 

a)         Résumé des allégations de Pharmascience

 

[80]           En bref, les allégations de Pharmascience dégagées des paragraphes qui précèdent sont exposées aux paragraphes suivants :

1.         Les trois paragraphes en question à la page 1 n’emploient pas des termes clairs et suffisants;

 

2.         Il n’y a rien d’« étonnant » dans la rosiglitazone; il s’agit simplement d’un autre dérivé de TZD dont l’activité aurait pu être soupçonnée par une personne versée dans l’art;

 

3.         Le mémoire descriptif n’indique pas en quoi la rosiglitazone est « meilleure », ni s’il s’agit du meilleur de tous les composés connus, du meilleur de tous les composés dans les réalisations antérieures ou si elle est simplement meilleure par rapport à l’absence de composé médicinal;

 

4.         On promet que la rosiglitazone pourrait aussi traiter le diabète de type 2, mais le brevet ne contient aucune donnée ni d’autres renseignements qui permettraient à la personne versée dans l’art de prédire de façon valable que ce produit serait utile pour traiter le diabète de type 2.

 

[81]           GSK soutient que dans l’avis d’allégation, cet argument n’est pas présenté clairement. J’estime toutefois que l’argument est bien exposé dans l’avis d’allégation , que GSK était bien consciente des allégations présentées et qu’elle en a tenu compte dans sa preuve et son argumentation.

 

b)         Résumé de la thèse de GSK

[82]           La thèse de GSK en ce qui concerne ces allégations peut être résumée de la façon suivante :

1.         Le mémoire descriptif n’est pas parfaitement rédigé, il faut le lire en cherchant à comprendre;

 

2.         Le mémoire descriptif ne présente aucune donnée de test concernant la rosiglitazone, mais ce n’est pas nécessaire parce qu’à la date de dépôt au Canada, soit le 2 septembre 1988, GSK avait fabriqué la rosiglitazone et l’avait soumise à un test initial, qui était suffisant pour étayer les allégations d’utilité présentées à la page 1 du brevet 452, selon une interprétation raisonnable;

 

3.         Le terme « étonnante » fait simplement partie du jargon utilisé par les agents de brevets. Le terme « meilleure » indique que les composés tels que la rosiglitazone font partie des composés qui ont une activité plus grande que celle observée chez un groupe témoin de souris dans un test décrit à la page 80, où des souris ayant reçu le médicament ont été comparées avec des souris non traitées.

 

c)         Jurisprudence relative à l'interprétation d’un mémoire descriptif

[83]           Il existe une jurisprudence considérable concernant l'interprétation d'une revendication, qui fait partie de l’ensemble du mémoire descriptif d’un brevet. Cependant, la jurisprudence est moins importante concernant l'interprétation du mémoire descriptif, plus particulièrement concernant la « promesse » d’un brevet.

 

[84]           Dans l'arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Limited, [1981] 1 R.C.S. 504, la Cour suprême du Canada a énoncé comme suit, aux pages 520 et 521, la manière d’interpréter le mémoire descriptif d'un brevet :

Il faut considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement, (Noranda Mines Limited c. Minerals Separation North American Corporation) [[1950] R.C.S. 36], sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. Ce n’est pas le moment d’être trop rusé ou formaliste en matière d’oppositions soit au titre ou au mémoire descriptif puisque, comme le dit le juge en chef Duff, au nom de la Cour, dans l’arrêt Western Electric Company, Incorporated, et Northern Electric Company c. Baldwin International Radio of Canada [[1934] R.C.S. 570], à la p. 574 : [TRADUCTION] « quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet ». Sir George Jessel a dit à peu près la même chose il y a beaucoup plus longtemps dans l’arrêt Hinks & Son v. Safety Lighting Company [(1876), 4 Ch. D. 607]. Il a dit que l’on devait aborder le brevet « avec le souci judiciaire de confirmer une invention vraiment utile ».

 

[85]           La Cour doit aborder l'interprétation d'un brevet du point de vue de la personne versée dans l'art sans recourir à des « considérations » techniques. Le juge Pigeon, s'exprimant pour la Cour suprême, a écrit ce qui suit à la page 563 de l'arrêt Burton Parsons Chemicals Inc. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555 :

Avec respect, je ne puis admettre que la revendication N° 17 est invalide parce que les mots « qui soit compatible avec une peau normale » précèdent le mot « comprenant » au lieu de le suivre, de sorte que la revendication serait valide, semble-t-il, si les mots étaient réarrangés de cette façon :

 

17. Une crème pour électrocardiographes, à utiliser avec les électrodes de contact avec la peau, comprenant une émulsion aqueuse stable, anionique, cationique ou non ionique, et contenant suffisamment de sel très ionisable pour assurer une bonne conductibilité électrique et qui est compatible avec une peau normale.

 

A mon avis, on ne peut faire échec aux droits des titulaires de brevets par de telles considérations. Même si la Cour doit interpréter un brevet comme tout autre document juridique, cette interprétation doit se faire en tenant compte du fait que le destinataire est un homme de l’art, et en tenant compte également du savoir que cet homme est censé posséder. Il doit être évident pour l’homme de l’art, qu’une crème à utiliser avec des électrodes de contact avec la peau ne peut pas être composée d’éléments qui seraient toxiques, irritants ou susceptibles de tacher ou de décolorer la peau. L’homme de l’art apercevra tout aussi bien cette nécessité que la crème soit décrite comme « compatible avec une peau normale » ou qu’elle soit décrite comme ne contenant que des éléments compatibles avec une peau normale.

 

[86]           Pour aider la Cour, il est possible d'utiliser la preuve d'expert afin d'expliquer les expressions techniques, de montrer le fonctionnement pratique d'une invention et d'aider à distinguer ce qui est vieux de ce qui est nouveau. Toutefois, l'interprétation du mémoire descriptif relève exclusivement de la compétence de la Cour; il s'agit d'une question de droit. Le juge en chef Duff, de la Cour suprême, a écrit ce qui suit dans l'arrêt Western Electric Co. v. Baldwin International Radio of Canada, [1934] S.C.R. 570, aux pages 572 et 573 :

[traduction]

Je devrais également ajouter que non seulement l'interprétation du mémoire descriptif relève-t-elle exclusivement de la compétence de la Cour, mais il s'agit également d'une question de droit que la Cour doit examiner. Dans British Thomson‑Houston Co. v. Charlesworth, Peebles & Co. [(1925) 42 R.P.C. 180, à la page 208], lord Buckmaster a déclaré ce qui suit :

 

Vos Seigneuries, que divulguait le mémoire descriptif de 1906 et que protégeait le brevet de 1909? Voilà les questions soulevées dans le présent appel que la Cour doit trancher et leur résolution dépend de l'interprétation de deux documents. Une telle interprétation est du devoir exclusif de la Cour et ce devoir ne peut être ni délégué ni usurpé. Cependant, comme dans les cas habituels, les circonstances prévalant dans lesquelles les documents ont été rédigés, la relation des parties et l'interprétation des termes techniques constituent l'objet pertinent de la preuve, il s'ensuit que dans le mémoire descriptif des brevets, l'état des connaissances du métier, de l’art ou de la science que vise le mémoire descriptif et l'explication des termes, des mots et expressions techniques constituent l'objet pertinent de la preuve pour contribuer à l’interprétation; mais la preuve touchant l'interprétation ne devrait pas s'éloigner de ce qui précède. Enfin, le document doit être considéré comme étant destiné aux artisans appartenant au secteur particulier de l'industrie auquel l'invention alléguée se rapporte.

 

De plus, dans Brooks v. Steele and Currie [(1896) 14 R.P.C. 46, à la page 73], le lord juge Lindley a déclaré ce qui suit :

 

Le juge peut, et en général doit, avoir recours à une preuve d'expert qui lui explique les expressions techniques, qui lui montre le fonctionnement pratique de l'équipement décrit ou dessiné, et qui porte à son attention ce qui est ancien et ce qui est nouveau dans la description du brevet. La preuve d'expert est également admissible, et est souvent nécessaire, pour montrer les situations précises dans lesquelles une invention alléguée a été utilisée par un contrefacteur présumé, et l'importance véritable des différences qui peuvent exister entre l'invention du demandeur et ce qui est fait par le défendeur. Mais au fond, la nature de l'invention à l'égard de laquelle un brevet est délivré doit être vérifiée dans le mémoire descriptif et doit être déterminée par le juge et non un jury, ni par un expert ou autre témoin. Cette méthode est reconnue en droit, même si elle semble souvent ignorée lorsque des témoins sont interrogés.

 

 

[87]           Lord Hoffman, écrivant au nom de la Chambre des lords, a récemment traité de la même question dans l’arrêt Kirin-Amgen Inc. v. Hoechst Marion Roussel Inc., [2005] R.P.C. 9 (H.L.), aux paragraphes 32 et 33 :

[traduction]

32.              L'interprétation du brevet ou de tout autre document ne concerne évidemment pas directement ce que l'auteur voulait dire. Il n'est pas possible de lire dans les pensées du breveté ou de l'auteur de tout autre document. L'interprétation est objective en ce sens qu'elle porte sur ce que la personne raisonnable à qui le message est adressé aurait compris de ce que son auteur voulait dire. Il y a toutefois lieu de signaler qu'il ne s'agit pas, comme on le dit parfois, de trouver « le sens des mots employés par l'auteur du message » mais bien de déterminer ce que le destinataire fictif a compris que l'auteur voulait dire en employant les mots en question. Le sens des mots est affaire de convention; il est régi par des règles que l'on trouve dans les dictionnaires et les grammaires. Ce qu'on peut penser que l'auteur voulait dire en employant les mots en question n'est pas simplement une question de règles. Tout dépend du contexte dans lequel le message a été donné et non seulement des mots choisis par l'auteur, mais aussi de la nature de l'auditoire auquel il est censé s'adresser et des connaissances et postulats que l'on attribue à cet auditoire. J'ai discuté de ces questions assez longuement dans Mannai Investment Co Ltd v. Eagle Star Life Assurance Co Ltd, [1997] A.C. 749, et Investors Compensation Scheme Ltd v. West Bromwich Building Society, [1998] 1 W.L.R. 896.

 

33.              Dans le cas du mémoire descriptif d'un brevet, le destinataire fictif est l'homme du métier. Il aborde l'interprétation du mémoire avec les connaissances générales courantes de sa spécialité. Et il interprète le mémoire descriptif en partant du principe qu'il sert à décrire l'invention et à en délimiter la portée - une idée pratique que le breveté a eue relativement à un nouveau produit ou à un procédé - et non qu'il constitue un traité de mathématique ou de chimie ou une liste d'emplettes de produits chimiques ou de quincaillerie. Voilà l'idée au cœur de l'« interprétation téléologique ».

 

[88]           Au paragraphe 78, lord Hoffman a indiqué que l’on doit présumer qu'une personne versée dans l’art connaît les principes de base de la brevetabilité.

[traduction]

78.       D'après l'interprétation que fait valoir Amgen, la revendication 1 devrait être interprétée comme incluant toute séquence d'ADN, exogène ou endogène, qui exprime l’EPO en conséquence de l'application à la cellule de toute forme de techniques de l'ADN recombinant. Il aurait été facile de rédiger une telle revendication. La question de savoir si le mémoire descriptif aurait été suffisant pour l’étayer, dans le sens de permettre l'expression par toute forme de technologie de l'ADN recombinant, est une autre question à laquelle je reviendrai lorsque je traiterai de la question de la validité. Mais la personne versée dans l'art (l'on doit présumer, à mon avis, qu’elle connaît les principes de base de brevetabilité) aurait très bien pu penser que les revendications étaient limitées à la technologie existante en raison de doutes quant à la suffisance plutôt qu'en raison de l'absence de prévision. En 1983, Amgen aurait très bien su que la technologie de l'ADN recombinant progressait rapidement et que la recombinaison homologue artificielle avait été réalisée dans les cellules bactériennes et les cellules de levure et que son utilisation dans les cellules de mammifères était considérée comme étant un objectif souhaitable.

 

[89]           Dans son livre intitulé « The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Invention », 4e éd., Carswell, Toronto, 1969 (Fox on Patents), feu Harold Fox a fourni un éclairage utile sur ces questions aux pages 208 et 209 (notes de bas de page omises) :

[traduction]

interprétation impartiale

 

Au départ, les brevets étaient considérés défavorablement au motif qu'ils relevaient de la nature des monopoles et on avait généralement tendance à donner au brevet une interprétation inutilement rigoureuse à l'encontre du breveté. La tendance s'est ensuite inversée et les tribunaux faisaient souvent preuve de beaucoup d'ouverture d'esprit envers le titulaire de brevet qui avait introduit un nouveau procédé. Il ne devrait pas être nécessaire de souligner qu'une interprétation qui est trop rigoureuse ou trop large, même dans la moindre mesure, cesse d'être une interprétation impartiale et est, par conséquent, inappropriée. Le mémoire descriptif d'un brevet est assujetti aux mêmes principes d'interprétation impartiale que ceux qui s'appliquent habituellement aux documents écrits en général. Comme le juge Chitty l'a indiqué dans Lister v. Norton : « Il ne devrait certainement pas être interprété de façon rigoriste; je ne dirais pas qu'il devrait être interprété en faisant preuve d'ouverture d'esprit; je dis qu'il devrait être interprété équitablement. Il doit être lu par un esprit désireux de comprendre, et non pas par un esprit désireux de ne pas comprendre. »

 

[...]

 

Lorsqu'il interprète un mémoire descriptif, le tribunal devrait alors être un arbitre juste et impartial entre le titulaire du brevet et le public. L'interprétation doit être raisonnable, équitable et logique, conforme à la façon d'interpréter tous les documents écrits en se fondant sur l'intention véritable. Rien ne devrait être présumé en faveur du breveté ou d’un contrefacteur présumé, bien qu'il soit normal que le tribunal tente de justifier un brevet si un tel exercice peut être honnête et équitable et ne pas verser dans une interprétation erronée, car il est raisonnable de présumer que le titulaire d'un brevet ne revendiquerait rien qui pourrait faire annuler son brevet.

 

 

d)         Interprétation de la page 1 du brevet 452

 

[90]           Je reprends les trois alinéas de la page 1 du brevet 452 qui sont en cause :

Les demandes de brevet européen, numéros de publication 0008203, 0139421, 0155845, 0177353, 0193256, 0207581 et 0208420, ont trait aux dérivés de thiazolidinedione qui présentent une activité hypoglycémiante et hypolipémiante. Un article, Chem. Pharm. Bull. 30 (10) 3580‑3600, traite également de certains dérivés de thiazolidinedione qui ont des activités hypoglycémiante et hypolipémiante.

 

Chose étonnante, on a maintenant découvert que certains dérivés nouveaux de thiazolidinedione substitués présentent une meilleure activité hypoglycémiante et peuvent donc être utilisés dans le traitement et/ou la prévention de l’hyperglycémie et sont particulièrement utiles dans le traitement du diabète de type 2.

 

On indique également que ces composés pourraient être utilisés dans le traitement et/ou la prévention d’autres maladies, notamment l’hyperlipidémie, l’hypertension, les maladies cardio‑vasculaires et certains troubles de l’alimentation.

 

[91]           Ces paragraphes ont été interprétés de façon très différente par les experts produits par chacune des parties. Voici un exemple de la thèse adoptée par les experts de Pharmascience, qui se trouve au paragraphe 27 de l’affidavit de M. Dordick :

[traduction]

27.       Une personne versée dans l’art comprendrait la promesse qu’offre le brevet, à savoir que les composés ont une meilleure activité par rapport aux composés de TZD connus et que les composés seront utiles chez les humains. Le brevet dit expressément que les milliards de composés représentés dans la formule I, et non seulement les composés sélectionnés dans le tableau à la p. 80, présentent une activité plus grande. Ce doit être le cas parce que la rosiglitazone ne figure pas dans ce tableau.

 

 

[92]           Le professeur Bailey, un expert assigné par GSK, voit les choses autrement, comme l’indiquent les paragraphes 39 à 47 de son affidavit. Je reprends les paragraphes 40, 41, 44 et 47 :

[traduction]

40.       Selon moi, ces déclarations comportent trois éléments : 1) certains dérivés nouveaux de TZD présentent une meilleure activité hypoglycémiante; 2) ces composés peuvent être utilisés dans le traitement ou la prévention de l’hypoglycémie et sont particulièrement utiles dans le traitement du diabète de type 2; 3) ces composés peuvent être utilisés pour le traitement ou la prévention d’autres maladies, notamment l’hyperlipidémie, l’hypertension, les maladies cardio‑vasculaires et certains troubles de l’alimentation.

 

41.       Pour ce qui est du premier élément, il ressort clairement des déclarations au paragraphe 39 ci‑dessus que les composés visés par le présent brevet sont des dérivés de TZD qui exercent apparemment une « meilleure activité hypoglycémiante ». Une personne versée dans l’art comprendrait que l’expression « meilleure activité hypoglycémiante » signifie que lorsque ces nouveaux dérivés de TZD ont été administrés à des animaux, on a observé une amélioration dans les taux de glucose sanguin chez ces animaux. Une personne versée dans l’art n’interpréterait pas le terme « meilleure » comme indiquant que cette nouvelle classe de dérivés de TZD a été comparée à des dérivés connus de TZD et qu’elle présentait une « meilleure » activité hypoglycémiante par rapport à ces composés connus. Ce terme ne fait que décrire l’effet de ces nouveaux dérivés de TZD sur les taux de glucose sanguin chez les animaux testés.

 

44.       Pour comprendre le deuxième élément des déclarations citées au paragraphe 39 ci‑dessus, il faut se rappeler l’état de la technique dans le cas des dérivés de TZD au moment du dépôt du brevet 452 (comme nous l’avons déjà mentionné, on savait à l’époque que les composés de cette classe réduisaient les taux de glucose sanguin (p. ex. en augmentant la sensibilité à l’insuline dans les tissus périphériques) et abaissaient les concentrations plasmatiques d’insuline dans des modèles animaux de diabète de type 2. En examinant les données présentées à la page 80 du brevet 452, on constaterait donc que la réduction signalée de la glycémie était une indication de l’activité relative du composé testé comme agent hypoglycémiant et capable de réduire en même temps les concentrations plasmatiques d’insuline.

 

[. . .]

 

 

47.       Pour ce qui est du troisième élément des déclarations citées au paragraphe 39 ci‑dessus, une personne versée dans l’art saurait que le métabolisme du glucose joue un rôle dans l’hyperlipidémie, l’hypertension, les maladies cardio‑vasculaires et certains troubles de l’alimentation (p. ex. obésité). Les composés qui améliorent l’action du glucose pourraient donc être utilisés pour le traitement et/ou la prévention de maladies comme l’hyperlipidémie, l’hypertension, les maladies cardio‑vasculaires et certains troubles de l’alimentation.

 

 

[93]           L’interprétation du brevet actuellement en litige n’est pas très différente de celle envisagée par la juge Snider de la Cour fédérale dans Laboratoires Servier c. Apotex Inc. (2008), 67 C.P.R. (4th) 241, 2008 CF 825, confirmé par (2009), 75 C.P.R. (4th) 443, 2009 CAF 222. Je reprends ce qu’elle a écrit aux paragraphes 281 et 284 à 287 :

281     Pour trancher cette question de la promesse du brevet, je dois me rappeler ce qui suit : « […] quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet […] » (Consolboard, précité, à la page 521).

 

[. . .]

 

284     La première mention de l’utilité du brevet 196, et la mention la plus importante, apparaît dans trois paragraphes de la page 3 du mémoire descriptif :

 

Les composés selon l'invention ainsi que leurs sels possèdent des propriétés pharmacologiques intéressantes. Ils exercent notamment une activité inhibitrice sur certaines enzymes, comme les carboxypolypeptidases, les enkephalinases ou la kininase II. Ils inhibent notamment la transformation du décapeptide angiotensine I en l'octapeptide angiotensine II, responsable dans certains cas de l'hypertension artérielle, en agissant sur l'enzyme de conversion.

 

L'emploi en thérapeutique de ces composés permet donc de réduire ou même supprimer 1'activité de ces enzymes responsables de la maladie hypertensive ou de 1'insuffisance cardiaque. L'action sur la kininase II a pour résultat 1'augmentation de la bradykinine circulante et également la baisse de la tension artérielle par cette voie.

 

L'invention s'étend aussi aux compositions pharmaceutiques renfermant comme principe actif au moins un compose de formule générale I ou un de ses sels d'addition, avec une base ou un acide minéral ou organique, en association avec un excipient inerte, non toxique, pharmaceutiquement acceptable.

 

285     J’estime qu’il ne fait aucun doute que la promesse de l’inhibition de l’ECA est faite, de manière non ambiguë et sans réserve, dans le premier paragraphe cité ci‑dessus. Comme traduit, ce passage indique clairement que les composés inhibent la transformation du décapeptide angiotensine I en l’octapeptide angiotensine II.

 

286     Le deuxième paragraphe mentionne l’utilisation thérapeutique, mais il est ambigu dans une certaine mesure. Est‑ce que les mots « permet donc de réduire ou même supprimer l’activité de ces enzymes […] » signifient que tous les composés auront une utilité à titre de médicaments antihypertenseurs chez les humains? Ou bien le mémoire descriptif du brevet dit‑il que l’emploi thérapeutique des composés peut avoir une valeur thérapeutique? Cette ambiguïté apparaît dans les opinions divergentes des experts. S’il y avait une signification commune, je me serais attendue à ce que tous les experts arrivent à la même opinion. Ce n’est pas ce qui s’est produit.

 

287     À mon avis, les passages cités ne décrivent pas que chacun des composés possède la même utilisation thérapeutique chez les humains ou une utilisation thérapeutique quelconque. L’opinion la meilleure et la plus raisonnable du deuxième paragraphe, lu dans son entier avec le reste du brevet 196, est qu’il contient une explication de la manière dont un composé particulier pourrait être employé de manière thérapeutique. En d’autres mots, le brevet enseigne que l’inhibition de l’ECA démontrée par tous les composés rend possible leur utilisation pour traiter l’hypertension et l’insuffisance cardiaque. Selon ma lecture, ces mots ne constituent pas une garantie, comme cela a été le cas dans la lecture du Dr Gavras, de même que de MM. Marshall, Thorsett, McLelland et Brunner.

 

 

[94]           J’ai lu l’ensemble du brevet 452, j’ai examiné ce que les experts de chaque partie avaient à dire concernant l’interprétation de ce qui se trouve à la page 1 de ce brevet, j’ai opté pour l’impartialité afin d’être équitable envers le titulaire du brevet et le grand public et j’ai évité les considérations techniques et une rigueur ou une ouverture indues, et je conclus ce qui suit :

a.       le terme « étonnante » tel qu’il est utilisé dans le troisième paragraphe serait considéré par une personne versée dans l’art qui a déjà lu des brevets comme un mot souvent utilisé dans les brevets pour mousser un produit et peu utile pour déterminer la nature réelle de l’invention;

 

b.      le terme « meilleure » serait interprété à la lumière du type de test divulgué à la page 80 du brevet, qui vise à comparer un groupe de souris obèses ayant reçu une diète contenant le composé à l’étude avec un groupe de souris ayant reçu les mêmes aliments mais sans le composé en question;

 

c.       le segment « peuvent donc être utilisés dans le traitement et/ou la prévention de l’hyperglycémie et sont particulièrement utiles dans le traitement du diabète de type 2 » est maladroitement formulé; si on la lit cependant dans le contexte du brevet entier, elle ne signifie pas que les composés traiteront le diabète. Elle indique qu’ils peuvent être utilisés dans le traitement du diabète. On peut dire la même chose du paragraphe suivant; les composés peuvent être utilisés pour traiter l’hyperlipidémie, etc.

 

Le mémoire descriptif est-il « suffisant » pour étayer l'utilité « promise »?

[95]           La présente espèce n'est pas une affaire qui porte sur la « prédiction valable » dans laquelle le titulaire du brevet aurait été tenu d’établir, dans la description du brevet, un fondement factuel pour la prédiction, d’avoir un raisonnement valable qui permette d’inférer le résultat souhaité et une divulgation suffisante (Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] R.C.S. 153, au paragraphe 70). Il s'agit d'une affaire dans laquelle le titulaire du brevet affirme qu'à la date de dépôt, soit le 2 septembre 1988, il a fait tout ce qui était nécessaire pour étayer l'invention divulguée et l'utilité promise dans le brevet.

 

[96]           Dans l'arrêt Novopharm Limited c. Pfizer Canada Inc., 2010 CAF 242, la Cour d'appel fédérale a examiné les exigences concernant la divulgation dans ce contexte. Il n'est pas nécessaire que le brevet démontre l'utilité dans l’exposé dès lors que la Cour estime que cette preuve a été faite en cas de contestation judiciaire. S'exprimant au nom de la cour, le juge Nadon a écrit ce qui suit aux paragraphes 82 et 85 à 90 :

82     Je souscris à la prétention de Pfizer et à la conclusion du juge de première instance suivant lesquelles il n’est pas nécessaire que le brevet démontre l’utilité dans l’exposé de l’invention, dès lors que l’arbitre des faits estime que cette preuve a été faite en cas de contestation juridique.

 

[…]

 

85     De même, dans l’arrêt Ranbaxy, notre Cour s’est penchée sur les obligations prévues au paragraphe 27(3) en ce qui concerne l’exposé de l’invention. Voici ce que j’ai écrit, dans cet arrêt, aux paragraphes 57 et 58 :

 

[57] La question de savoir si un breveté a obtenu suffisamment de données pour étayer son invention n’est pas pertinente, à mon sens, au regard de l’application du paragraphe 27(3). L’analyse à cet égard met en cause le caractère suffisant de la divulgation et non le caractère suffisant des données sous‑jacentes à l’invention. Permettre à Ranbaxy d’attaquer l’utilité, la nouveauté et/ou l’évidence du brevet 546 par le biais de l’exigence de divulgation élargit indûment la portée de l’obligation de l’inventeur suivant le paragraphe 27(3), et ignore l’objet de cette disposition.

 

[58] Bien qu’il soit vrai que le paragraphe 27(3) exige que l’inventeur « décrive d’une façon exacte et complète » son invention, cette disposition veut qu’on s’assure que le breveté fournit l’information nécessaire à la personne versée dans l’art pour qu’elle utilise l’invention avec le même succès que le breveté.

 

86     Dans l’arrêt Ranbaxy, il ne s’agissait donc pas tant de définir les obligations prévues à l’article 2 en ce qui concerne l’utilité, mais de compléter les exigences énoncées au paragraphe 27(3) en ce qui concerne l’exposé de l’invention. Suivant l’arrêt Ranbaxy, pour ce qui est des obligations du breveté en matière de divulgation, il suffit que le breveté fournisse suffisamment de renseignements pour permettre à quelqu’un d’autre de mettre l’invention en pratique; l’arrêt Ranbaxy ne dit pas que le breveté est tenu de démontrer l’utilité de l’invention dans le brevet.

 

87     Bien qu’il n’y ait pas de jurisprudence précisant s’il est nécessaire ou non de démontrer l’utilité dans l’exposé de l’invention du brevet, je suis d’avis que la réponse est qu’il n’est pas nécessaire que l’utilité soit démontrée dans l’exposé de l’invention du brevet. Premièrement, il n’y a rien dans la Loi qui donne à penser qu’une telle démonstration est nécessaire. Deuxièmement, il n’existe a priori aucune raison de penser que l’exposé de l’invention du brevet devrait contenir une preuve de tous les éléments requis pour qu’on puisse obtenir le brevet. Au §25 de leur ouvrage, Hughes &Woodley expliquent comme suit l’objectif visé par l’exposé de l’invention :

[traduction] La description de l’invention […] vise à fournir au public une description adéquate de l’invention de nature à permettre à un ouvrier, versé dans l’art auquel l’invention appartient, de construire ou d’exploiter l’invention quand sera terminée la période de monopole. Essentiellement, ce qui doit figurer dans le mémoire descriptif (qui comprend à la fois la divulgation, c.‑à‑d., la partie descriptive de la demande de brevet, et les revendications) c’est une description de l’invention et de la façon de la produire ou de la construire, à laquelle s’ajoutent une ou plusieurs revendications qui exposent les aspects nouveaux pour lesquels le demandeur demande un droit exclusif. Le mémoire descriptif doit définir la portée exacte et précise de la propriété et du privilège exclusifs revendiqués.

 

88     En d’autres termes, l’exposé de l’invention fournit aux praticiens, non pas une preuve, mais des orientations : il explique comment mettre l’invention en application. Il ne leur prouve pas son utilité, bien qu’ils puissent exiger cette preuve en introduisant une instance en invalidité.

 

89     D’ailleurs, dans sa décision la plus récente portant sur l’utilité, l’arrêt Wellcome (CSC), précité, la Cour suprême ne mentionne nulle part la nécessité de prouver l’utilité dans l’exposé de l’invention. Au paragraphe 56 de ses motifs, le juge Rothstein écrit :

[56] Lorsque la nouvelle utilisation est l’élément essentiel de l’invention, l’utilité requise pour qu’il y ait brevetabilité (art. 2) doit, dès la date de priorité, être démontrée ou encore constituer une prédiction valable fondée sur l’information et l’expertise alors disponibles. Si un brevet qu’on a tenté d’étayer par une prédiction valable est par la suite contesté, la contestation réussira si, comme l’a affirmé le juge Pigeon dans l’arrêt Monsanto Co. c. Commissaire des brevets, [1979] 2 R.C.S. 1108, p. 1117, la prédiction n’était pas valable à la date de la demande ou si, indépendamment du caractère valable de la prédiction, « [i]l y a preuve de l’inutilité d’une partie du domaine visé ».

 

90     L’argument de l’appelante suivant lequel Pfizer était tenue d’inclure dans l’exposé de l’invention du brevet des éléments de preuve pour démontrer l’utilité est non fondé. On peut satisfaire aux exigences en matière de démonstration de l’utilité en présentant des éléments de preuve au cours d’une instance en invalidité plutôt que dans le brevet lui‑même. Il semble que, dès lors que l’exposé de l’invention cite une étude qui démontre l’utilité, il n’y ait aucune autre exigence à satisfaire pour respecter l’article 2.

 

 

[97]           L'utilité en question doit être déterminée, compte tenu de la preuve dont la Cour dispose, en fonction de ce qui a été réalisé chez Beecham avant le 2 septembre 1988. Il faut la comparer avec l’utilité promise dans le brevet. Dans l'arrêt Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltd. (2010), 85 CPR (4th) 413, 2010 CAF 197, la juge Layden‑Stevenson, se prononçant pour la Cour d'appel fédérale, a écrit ce qui suit aux paragraphes 74 à 76 :

74     L'article 2 de la Loi exige que l'objet d'un brevet présente le caractère de la nouveauté et de l'utilité. Le principe général veut que, à la date pertinente (la date du dépôt), l'utilité de l'invention doit avoir été démontrée ou avoir fait l'objet d'une prédiction valable. Une preuve autre que celle exposée dans le mémoire descriptif peut être nécessaire et elle le sera normalement.

 

75     Pour établir l'absence d'utilité, la partie soupçonnée de contrefaçon doit démontrer [TRADUCTION] « que l'invention ne fonctionnera pas, dans le sens qu'elle ne produira rien du tout ou, dans un sens plus général, qu'elle ne fera pas ce que le mémoire descriptif prédit qu'elle fera » : Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504 (Consolboard).

 

76     Lorsque le mémoire descriptif ne promet pas un résultat précis, aucun degré particulier d'utilité n'est requis; la « moindre parcelle » d'utilité suffira. Toutefois, lorsque le mémoire descriptif exprime clairement une promesse, l'utilité sera appréciée en fonction de cette promesse : Consolboard, Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) et Ranbaxy Laboratories Inc., [2009] 1 R.C.F. 253, 2008 CAF 108 (Ranbaxy). La question est de savoir si l'invention fait ce que le brevet promet qu'elle fera.

 

 

 

[98]           Selon l'interprétation que j'ai donnée à la « promesse » du brevet énoncé à la page 1, certains composés, notamment la rosiglitazone :

a.       sont « meilleurs » en ce que, dans un test visant à comparer un groupe de souris obèses ayant reçu une diète contenant le composé à l’étude avec un groupe de souris ayant reçu une diète normale, les souris qui ont reçu la diète contenant le composé montraient une activité hypoglycémiante;

 

b.      le composé, la rosiglitazone en l'espèce, peut être utilisé pour le traitement et/ou la prévention de maladies comme l’hypoglycémie, plus particulièrement le diabète de type 2 et d’autres maladies, notamment l’hyperlipidémie, l’hypertension, les maladies cardio‑vasculaires et certains troubles de l’alimentation.

 

 

 

Le test réalisé par BEECHAM sur des souris

 

[99]           Il n'est pas contesté que Beecham (Hindley) a fabriqué de la rosiglitazone au début du mois d'août 1988 et l’a remise à Mme Lister qui l’a utilisée dans un test sur les souris du genre décrit à la page 80 du brevet 452. Elle a réalisé un test contenant une seule dose avant le 2 septembre 1988 et il montrait qu'il y avait une réduction de 42 % du taux de glucose dans le sang chez les souris qui avaient reçu la diète contenant la rosiglitazone en comparaison d'un autre groupe ayant reçu la diète sans la rosiglitazone.

 

[100]       Même si le protocole du test était le protocole habituel, il était également courant de réaliser un test avec trois groupes de souris, un groupe « témoin » qui ne recevait pas le médicament et deux groupes de souris qui recevaient chacun une dose différente du composé. Il en est ainsi pour voir [traduction] l'« activité » (activity) (qui est une mesure de la réduction du taux de glucose dans le sang) et la [traduction] « puissance » (potency) (qui détermine la dose la plus faible à administrer pour obtenir le résultat souhaité). Aux paragraphes 23, 24 et 25 de son affidavit, Mme Lister a décrit comme suit les résultats du test réalisé :

[traduction]

23. Comme le montrent les données pour le composé HG 49653, il a indiqué, à tous les intervalles, une importante réduction des niveaux de glucose dans le sang en comparaison du groupe témoin. Ce résultat montrait que le composé avait un effet sur la capacité de l'animal d'utiliser le glucose dans le sang.

 

24. En plus d'indiquer la moyenne des niveaux de glucose avec le HG 49653 chez les souris à chaque intervalle, j'indique également le pourcentage de réduction dans l’aire sous la courbe de glucose dans le sang. L’aire sous la courbe du glucose dans le sang a été calculée par un programme informatisé avec la règle du trapèze. Comme le montrent les résultats présentés ci-dessus, le composé HG 49653 a réduit de 42 % l’aire sous la courbe de glucose dans le sang. Ce résultat était statistiquement significatif lorsque comparé avec le groupe témoin. Cela démontrait encore une fois que le composé HG 49653 améliorait l'élimination du glucose dans le sang chez l'animal.

 

25. Si l'un des membres de l'équipe que je supervisais ou moi‑même constations un effet négatif pendant le criblage (c'est‑à‑dire si les souris avaient une convulsion ou mouraient), l'incident était consigné sur la feuille des résultats. La feuille des résultats pour la rosiglitazone n'indique aucun effet négatif.

 

 

[101]       Au moment où le groupe de Mme Lister a effectué ce test, un autre composé, le 48972 a également été testé. Deux doses de cet autre composé ont été étudiées alors que la rosiglitazone n’a été testée qu’à une seule dose. Aucune raison n’a été fournie. La rosiglitazone a probablement été testée plus tard à deux doses différentes. En réponse aux questions 153 à 170, Mme Lister a déclaré ce qui suit (nous avons omis certaines questions et réponses non pertinentes) :

[traduction]

 

153.     Q. Habituellement, ces tests auraient ainsi été effectués par des techniciens ou des scientifiques plus subalternes?

R. Oui, c’est probable.

 

154.     Q. Ces tests faisaient‑ils partie du criblage courant effectué pour les composés de Beecham?

                        R. Oui.

 

155.     Q. Et celui — le test sur la rosiglitazone que vous décrivez ici, a duré une semaine. Est‑ce le délai d’exécution habituel pour ce genre de tests?

            R. Il s’agissait de notre criblage primaire standard pour ce modèle animal, oui. Il comportait une semaine d’administration sans diète, suivie d’un test de tolérance au glucose.

[...]

 

158.     Q. Pouvez‑vous me dire pourquoi vous avez examiné un groupe témoin en même temps que vous effectuiez le test sur la rosiglitazone? Pourquoi ne pas vous servir du même groupe témoin que vous aviez utilisé pour le premier test sur le premier composé?

            R. La raison pour laquelle nous avons utilisé le groupe témoin est que dans la population de souris obèses, il y a un certain degré de variabilité. Lorsque nous avons préparé l’étude, comme je l’ai décrit dans mon affidavit, nous avons pesé tous les animaux et les avons répartis dans leur groupe de traitement respectif d’après leur poids corporel. Il y avait donc une distribution similaire de poids corporel dans chacun des groupes. L’utilisation d’un groupe témoin vise à permettre, dans cette étude particulière, de comparer des animaux d’un groupe similaire, j’imagine.

 

159.     Q. Serait‑ce également le cas des comparaisons avec d’autres composés? Vous voudriez le faire dans le même test avec le même type de témoins que dans le cas présent?

            R. Non. En fait, ce n’est pas réellement nécessaire parce que vous effectuez un test dans un lot d’animaux, vous mesurez toujours votre réduction dans une aire sous la courbe en comparaison avec un groupe témoin composé d’animaux similaires. Ainsi, dans un test subséquent, vous mesureriez encore une fois ces composés dans ce test chez des animaux comparativement à un groupe témoin composé d’animaux similaires, de sorte qu’il ne serait pas nécessaire d’intégrer deux composés connus dans le même test.

 

160.     Q. Quel était l’autre composé auquel vous compariez la rosiglitazone dans vos tests? Qu’est‑ce que le 48972?

            R. Sans le relevé des structures, je ne pourrais le dire. Tout ce que je peux vous dire c’est que ce serait une autre glitazone.

 

161.     Q. Et savez‑vous pourquoi cet autre composé a été choisi pour être testé en même temps que la rosiglitazone?

            R. Il devait s’agir du composé suivant fabriqué par les chimistes. Les chimistes produisaient des composés et nous les remettaient pour des tests, et nous les testions à mesure qu’ils arrivaient.

 

162.     Q. Pourquoi avez‑vous testé le HG48972 en utilisant deux doses et testé la rosiglitazone à une seule dose?

            R. Normalement, nous utilisions deux doses pour tester les composés afin de déterminer leur efficacité. À l’intérieur d’une étude, il y avait de l’espace seulement pour trois groupes de traitement. Dans le cas particulier qui nous intéresse, nous n’avons testé la rosiglitazone qu’à une seule dose.

 

163.     Q. D’accord. Alors savez‑vous pourquoi, en l’occurrence, vous ne testiez pas la rosiglitazone à deux doses et l’autre composé à une dose?

            R. Non, je ne le sais pas.

 

164.     Q. Ainsi, vous auriez dû recommencer et refaire un autre test à deux doses pour la rosiglitazone, n’est‑ce pas?

            R. À la lumière de ces données, je dirais que oui.

 

165.     Q. Et vous dites que vous testiez couramment les composés en utilisant deux doses pour déterminer leur efficacité. Pourquoi?

            R. La raison est la suivante, comme je l’ai décrit précédemment pour la feuille de données sur la pioglitazone, nous aurions effectué un test à 3 000 et 1 000 micromoles par kilogramme d’aliments et aurions obtenu une réponse maximale dans chaque cas. En utilisant deux doses pour le test, il est possible de démontrer l’activité réelle du composé.

 

166.     Q. Et je pense que vous m’avez dit précédemment que le type – la dose que vous examiniez – se situait autour de 55 à 65 pour cent; est‑ce exact?

            R. C’est la réduction dans l’aire sous la ---

 

167.     Q. Oui, désolé, la réduction ---

            R. Oui.

[…]

 

170.     Q. Ce que vous avez obtenu (42 %) n’était pas tout à fait dans cette zone, n’est‑il pas vrai?

            R. L’aire de réduction sous la courbe, la réponse maximale – le résultat de 42 % est assez proche d’une réponse maximale. À la lumière des données dans cette étude et à la page 9 de mon affidavit, le résultat de 42 % serait considéré comme assez proche d’une réponse maximale.

 

 

[102]       Compte tenu du fait que ces tests effectués à Beecham avant le 2 septembre 1988 révèlent une meilleure activité hypoglycémiante, il faut donc se demander si les résultats de ce test démontrent également à une personne versée dans l’art que la rosiglitazone « pouvait être utilisée » dans le traitement de l’hypoglycémie, du diabète de type 2 et d’autres troubles énoncés à la page 1 du brevet 452.

 

[103]       Le professeur Bailey, un expert de GSK, a donné son opinion à ce sujet aux paragraphes 45 et 52 de son affidavit :

[traduction]

45. Compte tenu des connaissances concernant les dérivés de TZD en date du 2 septembre 1988, on pourrait s’attendre à la lumière des données divulguées dans le brevet 452 que les composés de TZD testés qui réussissaient à abaisser le taux de glucose sanguin devraient accroître la sensibilité à l’insuline, réduire la résistance à l’insuline et réduire les concentrations plasmatiques d’insuline. Par conséquent, ces composés seraient utiles pour améliorer les déficits manifestés dans le diabète de type 2 (p. ex. insulinorésistance, intolérance au glucose, hyperglycémie) et on pourrait s’attendre à ce qu’ils soient utiles pour traiter le diabète de type 2. Sur la base des effets connus des composés et du modèle animal utilisé pour les tester (c.‑à‑d. des souris ob/ob), il aurait donc été clair pour quiconque connaît bien ce domaine que les composés décrits dans le brevet 452 devraient être utiles pour traiter le diabète de type 2.

 

[…]

 

52. Compte tenu des données dont disposait Beecham le 2 septembre 1988, les chercheurs possédaient suffisamment d’information pour savoir que la rosiglitazone présentait une meilleure activité hypoglycémiante que dans le groupe témoin. Beecham savait également que des dérivés de TZD étaient utilisés dans divers modèles animaux d’insulinorésistance et de diabète et qu’on avait découvert qu’ils réduisaient les taux de glucose sanguin et les taux d’insuline dans le sang, ce qui indiquait une amélioration de la sensibilité à l’insuline. Comme on avait démontré que les dérivés de TZD amélioraient les déficits manifestés dans le diabète de type 2 et réduisaient l’insulinorésistance, l’intolérance au glucose et l’hyperglycémie, on s’attendrait à ce qu’un dérivé de TZD qui présente une activité hypoglycémiante chez les souris ob/ob soit utile dans le traitement du diabète de type 2.

 

 

[104]       En contre‑interrogatoire, le professeur Bailey a reconnu que bien qu’il y eût des indications de l’usage potentiel de composés comme la rosiglitazone, il fallait effectuer un beaucoup plus grand nombre de tests avant d’être sûr de l’efficacité du composé. En réponse aux questions 115 à 118, il a déclaré ce qui suit (l’épreuve HPO était le test indiqué à la page 80 du brevet 452) :

[traduction]

 

115.     Q. Et il est possible de prédire la réduction de la glycémie chez l’humain à partir d’une épreuve HPO chez une souris?

            R. C’est assez difficile à faire. La bonne réponse serait probablement qu’on peut avoir une bonne indication, mais on ne peut jamais être sûr.

 

116.     Q. Pouvez‑vous prédire la dose administrée aux humains à partir d’un test chez la souris?

            R. Rarement. Encore une fois, cette indication peut être utile.

 

117.     Q. Mais que devez‑vous donc faire pour déterminer la dose pour l’humain? Devez‑vous augmenter progressivement la dose chez des animaux plus gros avant d’en arriver à cette conclusion?

            R. La façon d’établir la dose pour les humains serait de suivre le protocole standard.

 

118.     Q. Et selon le protocole standard, on passerait à des animaux plus gros; n’est‑ce pas?

            R. Le protocole standard consiste à prendre les données précliniques comme telles, à déterminer la dose la plus faible qui est efficace et la dose la plus forte qui n’est pas efficace, et à quelque part entre les deux, réduire la dose soit par un facteur de 10 ou de 100 selon d’autres paramètres disponibles, on commence à cette très petite dose, puis on augmente progressivement.

 

 

 

[105]       Le professeur Bailey a dit la même chose dans sa réponse à la question 323 :

[traduction]

 

323.     Q. Ainsi, même s’ils pouvaient avoir une connaissance générale des dérivés de TZD sans avoir testé les composés, ils n’auraient pas été en mesure de déduire le mécanisme d’action, n’est‑ce pas?

            R. Ils ne pourraient en être sûrs. Vous avez raison.

 

 

[106]       Les experts de Pharmascience abordent la question sous un angle différent. Ils posent la question suivante : À partir du test effectué avant le 2 septembre 1998, pourrait‑on prédire que la rosiglitazone serait utile pour traiter des humains, et pourrait-on notamment déterminer si ce produit serait toxique. Monsieur Dordick affirme ce qui suit aux sous‑paragraphes 40(2) et (3) de son affidavit :

[traduction]

(2) Le test effectué dans le brevet 452 a été réalisé en utilisant une seule dose par composé, et la concentration n’était pas la même pour tous les composés. Si l’on veut revendiquer qu’un composé peut être utile pour traiter les humains, il faut tester le composé en utilisant plus d’une dose. Une personne versée dans l’art s’attendra à ce qu’on lui présente suffisamment de points de données pour tracer une courbe dose‑effet (au moins trois pour une analyse qualitative et jusqu’à 6 à 10 pour une analyse quantitative) qui montre que l’augmentation de la dose entraînera une intensification de l’effet. La variation du dosage, c.‑à‑d. l’utilisation d’au moins trois doses, est essentielle pour évaluer la variation de la pente d’une courbe de réponse, telle qu’illustrée à la figure 1. Ainsi, le simple fait de connaître l’effet d’une dose (comme dans le tableau à la p. 80) ne permettra pas à une personne versée dans l’art d’évaluer l’efficacité du composé, et certainement pas son efficacité par rapport à d’autres composés, y compris ceux qui sont étroitement apparentés sur le plan structural.

Cet argument est corroboré par M. Wipf (paragraphe 117) (qui se réfère à EP 926) :

« L’activité mesurée une seule fois en utilisant une seule concentration de dose pour chaque composé est comparée à l’activité de la ciglitazone. Par conséquent, l’activité (la dose d’un composé requise pour produire une réponse biologique définie) n’est pas indiquée dans EP 926. Une personne versée dans l’art ne peut donc comparer l’activité signalée dans ce brevet avec l’activité décrite dans d’autres brevets qui constituent des antériorités. »

Sans information sur la relation dose‑effet, on ne peut conclure qu’un médicament est efficace, même chez la souris. De plus, les doses qui sont mentionnées dans le brevet 452 ne se traduiront pas nécessairement directement par des doses chez les humains. En outre, même si on voulait faire un classement très qualitatif « par rang » de l’activité hypoglycémiante, il faudrait quand même utiliser la même dose pour tous les composés testés. Cela n’a pas été fait, d’après les résultats présentés dans le tableau à la p. 80 du brevet 452.

 

(3) Il n’y a aucun test de toxicité. Avant de pouvoir formuler une revendication concernant l’utilisation d’un médicament chez les humains, il faut avoir fait un certain nombre de tests de toxicité pour déterminer à quelle dose le médicament deviendra toxique. Il est impossible, à partir des quelques résultats sur l’efficacité d’une seule dose, de conclure qu’il n’y aura pas de problème de toxicité pour les milliards de composés visés par ce brevet.

 

 

[107]       En contre‑interrogatoire, M. Dordick a reconnu que même s’il pensait qu’on coupait les cheveux en quatre, son témoignage différait de celui du professeur Bailey en ce que, selon lui, le brevet 452 disait que le composé serait utile alors que le professeur Bailey disait qu’on s’attendait à ce qu’il soit utile. Aux pages 113 et 114 de la transcription de son contre‑interrogatoire, on trouve l’échange suivant :

[traduction]

 

Q.        Et vous avez prétendu que M. Bailey disait au paragraphe 52 que le simple fait de savoir qu’un composé est un dérivé de TZD qui présente une activité hypoglycémiante chez la souris ob/ob est suffisant pour conclure que ce composé aura une utilité thérapeutique chez les humains. Est‑ce vrai?

 

R.         C’est vrai.

 

Q.        En fait, il ne dit pas tout à fait ça, n’est‑ce pas?

 

R.         À la fin du paragraphe 52, il dit qu’on s’attendrait à ce qu’un dérivé de TZD qui présente une activité hypoglycémiante chez la souris ob/ob soit utile pour traiter le diabète de type 2. Ce que j’ai dit est donc assez près de la vérité.

 

Q.        Bien, il a dit qu’on pourrait s’attendre à ce que le composé soit utile et vous avez prétendu qu’il avait dit qu’il sera utile. Ces deux choses sont‑elles comparables?

 

R.         À mon avis, M. Bailey conclut qu’on s’attendrait à ce que le produit soit utile par opposition à sera utile. Les deux expressions sont assez proches l’une de l’autre. Il aurait pu dire puisse être utile. Il ajoute qu’on s’attendrait à ce qu’il soit utile. Je crois donc qu’il prévoyait qu’il serait utile. Il a rédigé son propre affidavit, j’ai rédigé le mien. Je crois qu’ils s’équivalent.

 

Q.        Vous ne croyez pas que le fait de dire qu’un produit sera utile à quelque chose a plus de force que de dire qu’on pourrait s’attendre à ce qu’un produit soit utile à quelque chose?

 

R.         Cela revient pas mal au même. Je ne dis pas que ce sera absolument et incontestablement le cas. Je dis que le composé sera utile. En plus d’être utile, on pourrait même aller jusqu’à dire qu’il sera utilisé pour traiter des humains. C’est assez certain. Mais bien sûr, je ne l’ai pas dit et personne ne l’a fait non plus. C’est couper les cheveux en quatre. À mon avis, lorsqu’il a dit qu’il s’attendrait à ce que le composé soit utile, cette affirmation avait beaucoup de force. Encore une fois, il aurait pu dire peut être utile, est potentiellement utile, est peut‑être utile. Mais le fait de dire qu’on s’attend à ce qu’il soit utile indique que dans le passé on croyait pleinement que le composé serait utile.

 

 

[108]       L’expert de Pharmascience, le Dr Posner, établit la même distinction dans son témoignage. La thèse qu’il adopte est que le brevet promet que le composé sera efficace pour traiter le diabète et non pas qu’il est potentiellement efficace. Au paragraphe 49 de son affidavit, il affirme ce qui suit :

[traduction]

49. Les données de test que l’on trouve dans l’affidavit de Mme Lister ne sont qu’une étape préliminaire ou un « criblage » comme elle le reconnaît au paragraphe 25. Ce n’est que le premier d’un certain nombre de tests requis pour en arriver à la conclusion qu’il s’agit d’un médicament qui pourra éventuellement être étudié chez les humains. Il est donc impossible pour une personne versée dans l’art de conclure que la rosiglitazone peut être employée pour traiter des humains en se basant sur une étude utilisant une seule dose chez des souris ob/ob.

 

 

 

 

[109]       En contre‑interrogatoire, il a donné la réponse suivante à la page 45 de la transcription :

[traduction]

Q.        Dois‑je interpréter que vous dites que ce brevet promet que les composés du brevet 452 seront utiles chez les humains?

R.         C’est exact.

 

 

[110]       L’expert de Pharmascience, M. Rodrigues, fait la même distinction. Selon lui, le brevet 452 dit que le composé sera utile plutôt que potentiellement utile. Voici ce qu’il écrit au paragraphe 70 de son affidavit :

[traduction]

70. Je ne suis pas d’accord avec les commentaires de M. Bailey au paragraphe 47. Il est impossible de passer d’un seul dosage de la glycémie aux nombreuses maladies énumérées dans ce paragraphe. Si l’on présume que M. Bailey a raison quand il dit au paragraphe 19 qu’« on ne connaissait pas grand‑chose de la façon dont les agents hypoglycémiants existants utilisés dans le traitement du diabète agissaient à l’échelle moléculaire ou cellulaire », il reste que les connaissances n’étaient pas suffisantes pour qu’on puisse faire le bond de géant de passer de la réduction de la glycémie au traitement des problèmes cardiaques, de l’hyperlipidémie et des troubles de l’alimentation.

 

 

[111]       Aux pages 79 à 81 de la transcription de son contre‑interrogatoire, il traite comme suit de l’usage potentiel :

[traduction]

 

Q.        Je continue de vous poser des questions concernant le terme « potentiel » qui – comprenez‑vous ce que ce mot signifie?

 

R.         Oui, je comprends.

 

Q.        D’accord, que veut-il dire?

 

R.         Qu’il pouvait être potentiellement utilisé comme traitement.

 

Q.        Parfait. On ne dit pas qu’il le sera, est‑ce exact?

 

R.         Oui.

 

Q.        On ne dit pas qu’il sera réellement utilisé dans le traitement de l’hyperglycémie, n’est‑ce pas?

 

R.         Si le terme « potentiel » signifie qu’il pourrait être utilisé.

 

Q.        D’accord. Alors il n’y a pas de promesse dans le brevet que le composé sera utile pour traiter l’hyperglycémie, n’est‑il pas vrai?

 

R.         Non, mais je reviens à toute cette histoire autour du terme meilleur, s’il est meilleur, c’est qu’il pourrait être potentiellement utilisé de préférence à d’autres composés.

 

Q.        D’accord, mais s’il n’est pas meilleur, s’il abaisse le taux de glucose sanguin chez les souris ob/ob, c’est un composé qui pourrait être utilisé dans le traitement de l’hyperglycémie, est‑ce exact?

 

R.         Non, ce que je veux dire, c’est qu’il faut tenir compte de tous les autres tests qui devraient être faits.

 

Q.        Avant de pouvoir conclure –

 

R.         Avant de pouvoir arriver à cette conclusion.

 

Q.        Qu’il sera utile?

 

R.         Qu’il sera utile.

 

Q.        D’accord. Je parle du fait que le composé pourrait être potentiellement utile. Si un composé réduit le taux de glucose sanguin chez les souris ob/ob dans l’épreuve HPO, on peut dire que le composé est susceptible d’être utilisé dans le traitement de l’hyperglycémie; n’est‑ce pas?

 

R.         Là encore j’ai dit – à cause de la formulation dans le brevet – qu’ils présentent une meilleure activité hypoglycémiante et peuvent donc être utilisés. Si je comprends bien ce que ces personnes essaient de démontrer, c’est que comme il constitue une amélioration par rapport aux composés figurant dans les réalisations antérieures, ce n’est qu’alors qu’il pourrait avoir un usage potentiel. C’est l’interprétation que je donne à cette phrase dans le brevet et par la suite dans certains documents qui m’ont été remis.

 

 

[112]       L’expert de Pharmascience, le professeur Klibanov, croyait lui aussi qu’aucune prédiction valable du développement futur de la rosiglitazone ne pouvait être faite à partir du brevet ou des travaux de Mme Lister. Il a ainsi résumé sa thèse aux paragraphes 29a) et b) de son affidavit :

[traduction]

 

III. Bref résumé de mon opinion

 

29.       À mon avis,

 

a)         Le brevet 452 ne fournit pas suffisamment de renseignements pour qu’une personne versée dans l’art conclue que la rosiglitazone présente une meilleure activité hypoglycémiante que les composés de thiazolidinedione connus et ne fournit pas suffisamment de renseignements pour montrer que la rosiglitazone peut être utilisée dans le traitement du diabète de type 2. Le brevet ne fournit pas de données sur l’efficacité ni sur la toxicité de la rosiglitazone. Une personne versée dans l’art devrait mener à bien le même projet de recherche que l’inventeur du brevet pour déterminer si la rosiglitazone réduit davantage les taux de glucose sanguin que les composés déjà connus et/ou si son développement pourrait progresser jusqu’aux tests chez les humains.

 

b)         Les renseignements additionnels fournis par GSK dans l’affidavit de Mme Lister n’établissent pas l’utilité de la rosiglitazone. Aucun test n’a été effectué dans ce document ou dans le brevet 452 pour comparer le composé avec des composés connus de TZD afin de montrer que la rosiglitazone exerçait une « meilleure » activité hypoglycémiante qu’eux. Aucun test de toxicité n’a été réalisé pour appuyer une prédiction que le développement du composé pourrait être poursuivi jusqu’aux tests chez les humains en vue de son utilisation dans le traitement du diabète de type 2. Il n’y a aucun fondement factuel dans le brevet 452 pour appuyer une prédiction scientifique valable de l’utilité de la rosiglitazone.

 

 

[113]       En contre‑interrogatoire, le professeur Klibanov a expliqué que tout composé devrait faire l’objet de tests minutieux avant d’être utilisé en pratique comme médicament. Aux pages 88 et 89 de la transcription, il a déclaré ce qui suit au sujet d’un autre composé de TZD, la ciglitazone :

[traduction]

 

Q.        Ils ajoutent : « Ces composés n’ont toutefois pas été utilisés en pratique », est‑ce vrai?

 

R.         C’est vrai.

 

Q.        Et lorsqu’ils disent « ces composés », cela inclut la ciglitazone, n’est‑ce pas?

 

R.         Oui.

 

Q.        Et ils disent : « Comme motifs, on peut invoquer premièrement une activité insuffisante et/ou deuxièmement, des effets toxiques graves », est-ce exact?

 

R.         Oui.

 

Q.        Cette explication montre que la ciglitazone n’est pas un bon composé, n’est‑ce pas?

 

R.         Je ne sais pas ce que vous entendez par un bon composé. Il y a peut-être lieu de se demander si un composé donné a été utilisé en pratique, s’il est devenu un médicament; les composés ne deviennent pas des médicaments pour toutes sortes de raisons, certaines n’ayant absolument rien à voir avec la valeur intrinsèque de ces composés. C’est le premier argument.

            Deuxièmement, ils disent que l’activité insuffisante et/ou des effets toxiques graves peuvent être mentionnés, je ne sais pas si cela renvoie à la ciglitazone, et plus précisément quel argument renvoie à la ciglitazone.

            Il reste que la ciglitazone est un composé figurant dans les réalisations antérieures qui a été clairement décrit à maintes reprises comme un composé ayant une activité antidiabétique. Est‑ce le composé parfait? Non.

            À mesure que les connaissances progressent, on s’aperçoit que la rosiglitazone n’est pas un composé parfait non plus, bien que ce soit un médicament approuvé; elle peut comporter certains inconvénients, comme la ciglitazone, et c’est ce que les auteurs mentionnent ici.

 

 

[114]       À la page 146 de la transcription, le professeur Klibanov a expliqué que la recherche d’un composé nouveau et amélioré est une quête perpétuelle :

[traduction]

 

Q.        Et pourtant, ces chercheurs de Takeda continuent de travailler et de déposer des demandes de brevet, n’est‑ce pas?

 

R.         C’est la façon de faire. GSK continue également de travailler et de déposer des demandes de brevet, même après le brevet 452. C’est ce que font les chercheurs dans le domaine pharmaceutique.

 

Q.        Parce que tant que vous n’avez pas fabriqué et testé un nouveau composé, vous ignorez s’il fonctionnera?

 

R.         Non, parce qu’on continue de rechercher un composé nouveau et meilleur. C’est une quête perpétuelle. C’est la raison pour laquelle on continue de fabriquer de nouveaux composés et de les tester, la perfection est sans limite.

 

 

[115]       Il ressort clairement de la preuve que le 2 septembre 1988, le groupe de Mme Lister avait effectué un test sur la rosiglitazone chez la souris. Ce test suivait le protocole établi à la page 80 du brevet 452. Le test a démontré que la rosiglitazone avait amélioré la capacité hypoglycémiante, à un niveau proche de la réponse maximale, comparativement à ce qui avait été observé chez les souris qui n’avaient pas reçu le composé. Il s’agissait d’un criblage primaire, comme l’a expliqué Mme Lister dans son contre‑interrogatoire en réponse à la question 81 :

[traduction]

 

81.       Q. Savez‑vous cependant dans le cas de votre entreprise – quelle serait la marche normale suivie pour développer un composé? Laissez‑moi juste faire un retour en arrière. Vous avez mentionné un criblage primaire. Qu’entendez‑vous par là?

 

            R. Un criblage primaire est le premier test effectué pour examiner l’efficacité. Notre département se base sur ce test pour déterminer s’il développerait un composé ou serait désireux de poursuivre son développement.

 

 

[116]       Le titulaire d'un brevet n'est pas tenu d'établir l'utilité d’un médicament, notamment l'absence de toxicité et d'autres caractéristiques; il s'agit d'exigences concernant l'innocuité et l'efficacité, non la brevetabilité. S'exprimant au nom de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., précité, le juge Binnie a écrit ce qui suit au paragraphe 77 :

77        Les appelantes contestent la conclusion du juge de première instance. Dans leur mémoire (mais non dans leur plaidoirie), elles allèguent que l’utilité doit être démontrée au moyen d’essais cliniques préalables sur des êtres humains, établissant la toxicité, les caractéristiques métaboliques, la biodisponibilité et d’autres éléments. Ces facteurs sont conformes à ce que la présentation d’une drogue nouvelle doit comporter pour que le ministre de la Santé puisse en évaluer l’« innocuité » et l’« efficacité ». Voir maintenant le Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C. 1978, ch. 870, par. C.08.002(2), modifié par DORS/95-411, par. 4(2), qui prévoit notamment :

 

La présentation de drogue nouvelle doit contenir suffisamment de renseignements et de matériel pour permettre au ministre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle. [...]

 

Les conditions préalables en matière de preuve que doit remplir le fabricant qui souhaite commercialiser une drogue nouvelle visent un objectif différent de celui visé par le droit des brevets. Dans le premier cas, on parle d’innocuité et d’efficacité alors que, dans le deuxième cas, il est question d’utilité, mais dans le contexte de l’inventivité. De par sa nature, la règle de la prédiction valable présuppose l’existence d’autres travaux à accomplir.

 

 

[117]       Avant le 2 septembre 1988, la rosiglitazone avait franchi le premier criblage qui constituait le fondement à partir duquel une personne versée dans l’art pouvait conclure que le composé pouvait aller de l'avant et subir des tests supplémentaires. Il n'était pas certain, à ce moment-là, que la rosiglitazone serait utile, par exemple pour traiter le diabète de type 2. Toutefois, à ce moment-là, un usage [traduction] « potentiel » avait été établi. Voilà tout ce que promet le brevet 452. Pharmascience a déraisonnablement érigé cette promesse en une promesse que la rosiglitazone fonctionnera.

 

[118]       Après avoir examiné le brevet 452, la jurisprudence et la preuve, je conclus que GSK m'a convaincu que les allégations faites par Pharmascience à l'égard de l'insuffisance et de l'incapacité ne sont pas fondées.

 

CONCLUSIONS et dépens

[119]       J’ai conclu que GSK m'a convaincu que les allégations faites par Pharmascience en ce qui a trait à l’invalidité du brevet 452, notamment la revendication 41, ne sont pas fondées.

 

[120]       Les demanderesses ont droit aux dépens à être taxés selon la valeur de la colonne IV. Pour l'évaluation des dépens, notamment les honoraires d'experts et les débours, il y a lieu de se laisser guider par ce que j'ai déclaré aux paragraphes 190 à 192 dans Bristol‑Myers Squibb Canada Co. c. Apotex Inc. (2009), 74 CPR (4th) 85, 2009 CF 137 :

190     Les dépens pour deux avocats lors de l’audience, un avocat principal et un avocat adjoint pour les deux premiers jours, et un avocat principal pour le troisième, peuvent être taxés. Ceux pour deux avocats, un principal et un adjoint, s’ils étaient présents, lors des contre-interrogatoires, peuvent être taxés. Un seul avocat, le principal, est admis en défense lors d’un contre-interrogatoire. Je n’accorde pas de dépens pour les autres avocats, internes ou externes, les étudiants, les parajuridiques ou les secrétaires.

 

191     Je demeure préoccupé par le fait que les honoraires accordés pour les experts puissent être excessifs. J’ai tenté de restreindre ces honoraires en introduisant des tarifs et en les plafonnant au tarif demandé par les avocats principaux. Les honoraires peuvent naturellement être calculés en multipliant le tarif par un nombre d’heures donné, ce qui pourrait permettre d’éviter le plafonnement des tarifs horaires en augmentant le nombre d’heures. Ce n’est pas le résultat que j’escompte. Selon ma proposition, les honoraires accordés à un expert donné ne seront pas proportionnellement plus importants que ceux demandés par tout autre expert de l’une ou l’autre partie. En l’espèce, aucun des experts ne m’est apparu, de façon notable, d’une plus grande utilité, ou autrement dit, d’une valeur supérieure. Apotex est libre de payer ses experts selon ce qui a été convenu, ce qui n’autorise cependant pas la taxation de ces honoraires selon un tel tarif. J’ai en conséquence laissé la question entre les mains des avocats pour qu’ils en tiennent compte en précisant que les honoraires ne seront pas accordés s’ils sont trop importants.

 

192     De plus, les honoraires pour les experts seront limités exclusivement à ceux relatifs aux services des experts ayant témoigné dans les affidavits déposés par Apotex en l’instance, soit notamment MM. McClelland, Langer et Cima. Je n’accorde pas d’honoraires pour les experts ou autres personnes dont Apotex aurait pu retenir les services ou dont les services ont été retenus par les experts susmentionnés pour les assister.

 

[121]       J'invite les parties à présenter des observations, d'une longueur maximale de trois pages, dans les dix (10) jours du prononcé des présents motifs, dans le cas où il y aurait des points qui n’ont pas été portés à l’attention de la Cour ‑ des offres de règlement par exemple ou d’autres points ‑ qui auraient une incidence sur l'adjudication des dépens ou leur montant.

 


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT,

la cour statue que :

1.         La demande est accueillie.

2.         Il est interdit au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Pharmascience Inc. à l'égard de sa demande relative à la rosiglitazone avant l'expiration du brevet canadien no 1,328,452 le 12 avril 2011.

3.         Les demanderesses ont droit aux dépens sur la base de ce qui est énoncé dans les motifs.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.



cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-1687-09

 

Intitulé :                                      GLAXOSMITHKLINE INC. et

                                                            BEECHAM GROUP p.l.c. c. PHARMASCIENCE

                                                            et le ministre de la santé

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATES DE L'AUDIENCE :           Du 15 février 2011 au 17 février 2011

 

 

Motifs du jugement

et jugement :                            le juge HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 1er mars 2011

 

 

Comparutions :

 

Peter Wilcox

Andrew Shaughnessy

Asma Faizi

 

Pour les demanderesses

 

 

Carol Hitchman

Arif Mahood

Pour la défenderesse

PHARMASCIENCE INC.

 

Aucune comparution

Pour le défendeur

le ministre de la santé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Torys LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour les demanderesses

 

 

Gardiner Roberts LLP

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse

PHARMASCIENCE INC.

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

le ministre de la santé

 

 

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