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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20100228

Dossier : IMM-3167-10

Référence : 2011 CF 231

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 février 2011

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

ARTUR TOMCHIN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Le contexte

 

[1]               Le demandeur, M. Artur Tomchin, un citoyen d’Israël, est entré au Canada en 2003 et a épousé une Canadienne en 2006. En octobre 2008, le demandeur a présenté une deuxième demande de résidence permanente au Canada, à titre de membre de la catégorie des époux au Canada.

 

[2]               Dans sa demande, le demandeur a divulgué qu’en 2003, il avait été accusé et déclaré coupable de possession de biens qu’on croyait avoir été volés (soit, sept passeports portant les noms de femmes différentes). Il avait été condamné à une peine d’emprisonnement de six mois avec sursis et à une amende de 3 000 shekels. En 2008, il a obtenu une réhabilitation, conformément au droit israélien.

 

[3]               Dans une décision datée du 26 mai 2010, une agente d’immigration (l’agente) a rejeté la demande de résidence permanente. Le rejet était fondé sur une conclusion que la déclaration de culpabilité du demandeur en Israël était équivalente à une déclaration de culpabilité au Canada qui aurait été prononcée en application de l’article 354 du Code criminel du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-46 (le Code criminel), pour possession de biens criminellement obtenus, une infraction punissable d’un emprisonnement maximal de dix ans, si la valeur de l’objet de l’infraction dépasse cinq mille dollars ou de deux ans, si la valeur de l’objet de l’infraction ne dépasse pas cinq mille dollars (article 355 du Code criminel). Par conséquent, l’agente a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour « criminalité », en application de l’alinéa 36(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la LIPR).  

 

[4]               Le demandeur souhaite maintenant faire annuler la décision de l’agente.

 

II.        La question en litige

 

[5]               La seule question dont je suis saisie est de savoir si les motifs de l’agente sont suffisants. Je suis d’accord avec le demandeur qu’en l’espèce, les motifs de l’agente sont insuffisants.

 

III.       Analyse

 

[6]               Les parties reconnaissent que la démarche à suivre en ce qui concerne la détermination de l’équivalence est celle que la Cour d’appel fédérale a énoncée dans l’arrêt Hill c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1987), 1 Imm. L.R. (2d) 1, 73 N.R. 315, au paragraphe 16 :

[…] l’équivalence peut être établie de trois manières : tout d’abord, en comparant le libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s’il s’en trouve de disponible, par le témoignage d’un expert ou d’experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions respectives; en second lieu, par l’examen de la preuve présentée devant l’arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d’établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères, que les mêmes termes soient ou non utilisés pour énoncer ces éléments dans les actes introductifs d’instance ou dans les dispositions légales; en troisième lieu, au moyen d’une combinaison de cette première et de cette seconde démarches.

 

[7]               À mon avis, avant même que je puisse me pencher sur le caractère raisonnable de l’analyse relative à l’équivalence, je dois déterminer si l’agente s’est acquittée de son obligation de fournir des motifs suffisants (voir, à titre d’exemple, Via Rail Canada Inc. c. Lemonde, [2001] 2 C.F. 25, 193 D.L.R. (4th) 357, aux paragraphes 21 et 22). Je suis d’avis que les motifs de l’agente étaient insuffisants, et ce, sur deux aspects.  

 

[8]               Les motifs de l’agente sont extrêmement brefs et sont entièrement reproduits ci-dessous :

[traduction]

Le demandeur joint à sa demande des documents émanant des tribunaux israéliens, qui font état d’une déclaration de culpabilité en Israël en 2003 pour possession de biens qu’on croyait avoir été volés. Les documents du tribunal présentés par le demandeur indiquent que celui-ci a admis avoir été en possession de sept (7) passeports portant les noms de sept (7) femmes différentes. Cette déclaration de culpabilité équivaut à l’infraction prévue à l’article 354 du Code criminel du Canada, ce qui fait en sorte que le demandeur est interdit de territoire au Canada en application de l’article 36(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

Bien que le demandeur ait été réhabilité par l’État d’Israël, en application de l’article 18 de la loi israélienne en matière de casier judiciaire et de réhabilitations, ce qui entraînait le retrait de son casier judiciaire, les agents de la Direction générale du règlement des cas se sont penchés sur cette disposition et ont conclu qu’elle n’était pas équivalente à celle de la réhabilitation au Canada de par ses différences de contenu et d’effet. Il s’ensuit que les personnes dans cette situation doivent être vues comme ayant été déclarées coupables aux fins de la détermination de l’admissibilité au Canada.

 

Par conséquent, le demandeur, M. Tomchin, est interdit de territoire au Canada et est inadmissible au statut de résident permanent au Canada, en application du sous-alinéa 72(1)e)(i) du Règlement. Il s’ensuit que sa demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada est par la présente rejetée.

 

[9]               Le premier problème posé par les motifs de l’agente, c’est qu’elle n’a pas examiné le libellé des deux infractions, ni les éléments essentiels de l’infraction commise à l’étranger. De plus, si l’on fait abstraction d’une description générale de l’infraction commise en Israël, l’agente n’a pas fait ressortir la disposition législative en application de laquelle le demandeur avait été déclaré coupable.

 

[10]           Je conviens avec le demandeur que la présente affaire cadre parfaitement avec le principe énoncé par les juges Urie (au paragraphe 6) et Ryan (au paragraphe 38) de la Cour d’appel dans l’arrêt Brannson c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1981] 2 C.F. 141, 34 N.R. 411, en ce qui concerne le caractère adéquat des motifs d’une décision quant à l’équivalence :

À mon avis, il ne lui suffit pas de se fonder uniquement sur la preuve authentique d’une condamnation à l’étranger. Il faut qu’elle ait la preuve, tout d’abord, que les éléments essentiels de l’infraction punissable au Canada sont les mêmes que ceux de l’infraction punissable aux États-Unis, et ensuite, que les faits qui justifiaient les poursuites criminelles aux États-Unis, constitueraient au Canada les éléments d’une infraction punissable par voie d’acte d’accusation. […]

 

[l]orsqu’il s’agit de déterminer si une infraction commise à l’étranger constitue une infraction prévue au Canada par un texte de loi canadien, il convient d’appliquer le principe suivant : [q]uels que soient les termes employés pour désigner ces infractions ou pour les définir, il faut relever les éléments essentiels de l’une et de l’autre et s’assurer qu’ils correspondent. Naturellement, il faut s’attendre à des différences dans le langage employé pour définir les infractions dans les différents pays. Même en tenant compte de ce fait, je suis forcé de conclure que l’envoi ou la transmission de « lettres ou circulaires » est un élément essentiel de l’infraction invoquée du côté canadien. Nul ne peut être déclaré coupable de cette infraction s’il n’y a transmission ou livraison ni de lettres ni de circulaires.

[Non souligné dans l’original.]

 

[11]           Dans l’affaire dont je suis saisie, l’agente a négligé d’examiner les éléments essentiels des infractions avant d’arriver à sa conclusion quant à l’équivalence. Dans l’arrêt Brannson, précité, la Cour d’appel a fait une mise en garde contre le fait d’utiliser seulement « les termes employés pour désigner ces infractions ou pour les définir » dans l’analyse, plutôt que d’apprécier les éléments essentiels de l’infraction. C’est là où l’agente a commis une erreur en l’espèce. Il n’y a pas eu d’analyse quant aux éléments essentiels des deux infractions.  

 

[12]           Le défendeur prétend que le demandeur a admis que les dispositions étaient équivalentes. Je ne suis pas d’accord. Le demandeur n’a pas remis en question le fait qu’il avait été déclaré coupable, en Israël, de l’infraction visée. Il n’a cependant pas admis que ces deux infractions étaient équivalentes. Le conseil du demandeur, dans une lettre datée du 15 juillet 2009, déclarait qu’il pourrait y avoir, [traduction] « tout au plus », équivalence avec l’article 354 du Code criminel. C’est à l’agente qu’incombe le fardeau d’établir l’équivalence et elle a omis de le faire en l’espèce. Je n’ai d’autre choix que de conclure qu’il y a eu erreur susceptible de contrôle judiciaire.  

 

[13]           Le deuxième problème posé par la décision, c’est que l’agente a commis une erreur en ne se penchant pas sur l’équivalence des régimes canadiens et israéliens de réhabilitation.

 

[14]           Le défendeur affirme que la conclusion de l’agente voulant qu’il y ait des [traduction] « différences de contenu et d’effet » entre la loi israélienne et la loi canadienne n’était pas déraisonnable. Je ne suis pas de cet avis; il n’était pas suffisant que l’agente énonce simplement que les lois avaient des différences [traduction] « de contenu et d’effet », sans motifs pour étayer cet énoncé.  

 

[15]           Les faits de l’affaire dont je suis saisie et les déficiences dans l’analyse de l’agente sont similaires à ceux figurant au dossier dans la décision S.A. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 515, 54 Imm LR (3d) 18, rendue par le juge Gibson. En concluant que l’analyse de l’agente était irrémédiablement viciée, le juge a énoncé ce qui suit, au paragraphe 15 :

[...] La décideure n’a pas procédé à une analyse des ressemblances ou des différences entre le système juridique d’Israël et celui du Canada. La décideure semble avoir effectivement examiné l’objet, le contenu et les effets des dispositions israéliennes pertinentes, mais elle n’a abordé que de façon très indirecte dans la décision examinée les ressemblances ou les différences entre cet objectif, ce contenu et cet effet et l’objectif, le contenu et l’effet des règles canadiennes en matière de réhabilitation. Enfin, avec tout le respect que je lui dois, il semble que la décideure n’ait fourni aucune raison valide pour refuser de donner effet au droit israélien applicable.

 

[16]           En l’espèce, l’agente a commis une erreur similaire. Elle n’a pas fourni de motifs adéquats ou valides pour expliquer pourquoi les deux régimes de réhabilitation avaient des différences dans « le contenu et l’effet ».

 

[17]           Le défendeur désire maintenant présenter des observations en ce qui concerne ce pour quoi les régimes du Canada et d’Israël en matière de réhabilitation diffèrent. Il est possible que l’analyse du défendeur soit correcte; cependant, ces arguments ne faisaient pas partie des motifs de l’agente, et je ne peux donc pas les accepter à ce stade-ci.  

 

IV.       Conclusion quant à l’équivalence

 

[18]           Par conséquent, compte tenu des deux erreurs importantes commises par l’agente, je suis convaincue qu’il n’y avait pas de raisonnement adéquat qui permettrait à la Cour de confirmer la décision de l’agente quant à l’équivalence. Les motifs de l’agente démontraient un manque quant « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47). La décision était déraisonnable, et cela justifie l’intervention de la Cour.

 

[19]           Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et aucune question ne sera certifiée.    

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision est annulée et que l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvelle décision;

 

2.                  qu’aucune question grave d’importance générale n’est certifiée.  

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3167-10

 

INTITULÉ :                                       TOMCHIN c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 22 FÉVRIER 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 28 FÉVRIER 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Michael Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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