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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110228

Dossier : T-1043-07

Référence : 2011 CF 234

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 28 février 2011

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

GUTTER FILTER COMPANY, L.L.C.

D/B/A GUTTERFILTER COMPANY

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

GUTTER FILTER CANADA INC., ET

TOTAL EAVESTROUGH PROTECTION INC.

 

 

 

défenderesses 

 

                ET ENTRE :

 

 

 

GUTTER FILTER CANADA INC. ET

TOTAL EAVESTROUGH PROTECTION INC.

 

 

demanderesses reconventionnelles

 

et

 

 

GUTTER FILTER COMPANY, L.L.C.

D/B/A GUTTERFILTER COMPANY,

ADAM’S EAVES ET

TORONTO CLEAR VIEW WINDOW CLEANING

 

 

défenderesses reconventionnelles

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les défenderesses demandent une ordonnance accordant un jugement conformément à un présumé règlement de la présente action. Elles soutiennent qu’un document daté du 16 décembre 2009 définit les modalités de leur entente. La demanderesse soutient que le document ne constitue pas un règlement exécutoire parce que les parties n’ont pas réussi à s’entendre sur toutes les modalités essentielles du règlement proposé.

 

[2]               La défenderesse a intenté une action devant la Cour demandant une ordonnance visant à obtenir la radiation de l’enregistrement de la marque de commerce obtenue par Gutter Filter Canada Inc., ainsi que des dommages-intérêts. Les défenderesses soutiennent que la marque de commerce a été enregistrée correctement et a intenté une demande reconventionnelle contre la demanderesse pour contrefaçon de marque de commerce.

 

[3]               Il existe un litige parallèle entre les parties devant la Cour de district des États-Unis, district de l'Ouest du Michigan (Dossier no 1:08-cv-00019-GJQ) (l'action intentée aux États-Unis).

 

[4]               Les parties ont assisté à une séance de médiation le 16 décembre 2009, présidée par un protonotaire de la Cour. Ce n’est qu’à la fin de l’après-midi que les parties ont conclu une entente, qu’elles ont couchée écrit (le document de règlement). Le document de règlement, qui a été rédigé à la main et signé par les parties, se lit comme suit :

[TRADUCTION]

 

PROCÈS-VERBAL DE RÈGLEMENT

CE 16E JOUR DE DÉCEMBRE 2009, À TORONTO

 

LES PARTIES ACCEPTENT DE RÉGLER LA DEMANDE ET LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE POUR LES MOTIFS SUIVANTS :

 

1.         LES DÉFENDERESSES VERSERONT LA SOMME DE CINQUANTE MILLE DOLLARS (50 000 $) À LA DEMANDERESSE POUR RÉGLER LA PRÉSENTE ACTION.

 

2.         LES DEMANDERESSES [sic] CESSERONT D’UTILISER LE NOM ET LA MARQUE GUTTERFILTER APRÈS AVOIR REÇU UN PAIEMENT IMPORTANT DE LA PART DES DÉFENDERESSES.

 

3.         LES PARTIES SIGNERONT UN PROCÈS-VERBAL DE TRANSACTION DÉTAILLÉ INCLUANT LES MODALITÉS HABITUELLES ET STANDARDS, LES DISPOSITIONS EN CAS DE DÉFAUT ET L’ORDONNANCE REJETANT TOUTES LES ACTIONS SANS FRAIS.

 

4.         LA PRÉSENTE MÉDIATION EST AJOURNÉE EN ATTENDANT L’ISSUE D’AUTRES NÉGOCIATIONS.

 

 

[5]               Il a été convenu que l’avocat des défenderesses préparerait une ébauche du « procès-verbal de règlement détaillé » dont il est question au paragraphe 3 du document de règlement. Malheureusement, l’ébauche n’a été fournie que cinq mois plus tard environ, le 27 mai 2010. Dans l’intervalle, la relation entre les parties s’est détériorée, chacune alléguant l’inconduite continue de l’autre.

 

[6]               La demanderesse a envoyé un courriel le 9 juin 2010, rejetant le procès-verbal de règlement détaillé :

[traduction]

David, la proposition qui vous avez présenté est tout à fait inacceptable. Les modalités du règlement abordées lors de la médiation, règlement qui n’a jamais été terminé, envisageaient une résolution beaucoup plus simple. De plus, mon client a une version entièrement différente des événements survenus depuis la médiation qui, sans aller dans les détails, implique que votre client vend déjà aux États-Unis sous un nom d’entreprise différent. Le moment du paiement est, avec tout le respect que je vous dois, absolument inacceptable. Il y a beaucoup d’autres points dans votre proposition qui n’ont jamais été abordés lors de la médiation.

 

Dans les circonstances, j’ai reçu comme instruction de mettre fin aux négociations en vue d’un règlement.

 

[7]               Les parties ont ensuite communiqué avec le protonotaire comme le prévoit le paragraphe 4 du document de règlement. Aucune autre réunion n’a eu lieu puisque la demanderesse a informé la Cour qu’elle n’était pas disposée à participer à d’autres pourparlers en vue de conclure un règlement.

 

[8]               Le 4 novembre 2010, la demanderesse a obtenu un jugement par défaut dans l’action intentée aux États-Unis et s’est vu accorder des dommages-intérêts et des frais d’avocats de 111 916,99 $ US.

 

[9]               Une entente de règlement d’une demande constitue un contrat. Les défenderesses soutiennent que le document de règlement est un contrat valide et exécutoire. La demanderesse affirme que les modalités du document de règlement ne sont pas suffisamment certaines pour le rendre exécutoire.

 

[10]           John McCamus, dans The Law of Contracts (Toronto : Irwin Law, 2005), donne, à la page 91, un exposé concis de l’exigence que, pour être exécutables, les modalités d’un contrat doivent être certaines :

[traduction]

Pour qu’une entente soit exécutoire, les parties doivent avoir conclu une entente sur toutes les modalités essentielles de leur entente. Comme on le dit souvent, les parties doivent conclure l’entente, les tribunaux ne le feront pas pour elles. De plus, les parties « doivent s’exprimer de telle sorte que le sens puisse être attribué avec un certain degré de certitude ». Lorsque les parties n’arrivent pas à s’entendre sur toutes les modalités essentielles de l’entente ou qu’elles s’expriment de telle sorte que leurs intentions ne peuvent pas être devinées par la Cour, l’entente échouera par manque de certitude des modalités. [note de bas de page omise]

 

 

 

[11]           Le document de règlement, et en particulier le paragraphe 3, indique que les parties ont l’intention de régler tous leurs différends, y compris l’action intentée aux États-Unis. Il est aussi clair que les parties avaient l’intention qu’un autre document, le procès-verbal de transaction détaillé, soit rédigé et qu’il y ait « d’autres négociations ». Le fait qu’un autre document ait été requis pour officialiser l’entente entre les parties n’empêche pas de conclure que le document de règlement est un contrat qui a force obligatoire si les modalités du document de règlement contiennent l’entente sur toutes ses modalités essentielles.

 

[12]           Les avocats des parties ont reconnu, lors de l’audience de la présente requête, que les parties envisageaient que les fonds de règlement seraient payés au fil du temps – c.-à-d. qu’il n’y aurait pas de paiement forfaitaire. Il n’y avait pas d’entente expresse quant à la longueur de la période ni sur le sens de « paiement important ».

 

[13]           Le simple fait que les parties aient eu l’intention de conclure un contrat n’est pas un facteur déterminant du caractère exécutoire du contrat. Comme l’explique le juge Morden, écrivant au nom de la Cour d’appel de l’Ontario dans Canada Square Corp et al c VS Services Ltd et al (1981), 34 OR (2d) 250 (CA), au paragraphe 29 :

… Je suis convaincu que le juge d’instance avait raison de conclure que, dans l’exécution du document du 14 octobre 1969, les parties avaient l’intention de conclure un contrat. Cependant, cela ne met pas fin à l’affaire. Malgré le fait que les parties peuvent se penser liées, si les modalités essentielles du présumé contrat manquent de certitude, soit parce qu’elles sont vagues ou parce qu’elles sont nettement incomplètes, le résultat ne sera pas un contrat contraignant : 9 Hals., 4e édition, au paragraphe 262; Trietel, The Law of Contracts, 5e éd. (1979), à la p. 40; Corbin on Contracts à la p. 394.

 

[14]           Dans Fieguth c Acklands Ltd (1989), 59 DLR (4e instance) 114 (BCCA), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu qu’une entente visant à régler une action sur le paiement d’une somme d’argent contenait toutes les modalités essentielles en termes de contrat, même s’il n’y avait pas d’entente quant à la date du paiement, puisqu’il pourrait être impliqué que le paiement serait effectué dans un délai raisonnable après avoir été accepté. Fieguth visait une situation où un seul paiement forfaitaire était envisagé, certes, mais il se peut que, si la seule incertitude du document de règlement dans cette affaire était le choix du moment des paiements, une période raisonnable aurait pu être sous-entendue, comme le proposaient les défenderesses. Cependant, il ne s’agit pas du seul domaine d’incertitude dans le document de règlement.

 

[15]           Les parties ont aussi convenu que la demanderesse devait cesser d’utiliser la marque contestée après avoir reçu un « paiement important ».

 

[16]           Le terme « important » n’est pas un terme technique, et « paiement important » n’est pas une tournure de phrase qui possède un sens juridique particulier ou une définition claire. Un sommaire utile de la jurisprudence abordant le sens de « important » a été donné par le juge en chef adjoint Bowman, (plus tard Juge en chef), dans Watts c Canada, 2004 CCI 535, aux paragraphes 26 à 34. Les décisions citées dans Watts précisent que le thème courant dans l’examen judiciaire du mot « important » est que le mot n’a pas un seul sens absolu. L’observation suivante par la Cour fédérale australienne dans Tillmanns Butcheries Pty Ltd c Australasian Meat Industry Employees’ Union and Others (1979), 42 FLR 331, à la page 348, 27 ALR 367 (CAF), est particulièrement appropriée : [traduction] « Non seulement le mot « important » est-il susceptible d’ambiguïté, il s’agit d’un mot utilisé précisément pour dissimuler une absence de précision. »

 

[17]           À la lumière de la définition malléable du mot « important », la formulation utilisée dans le document de règlement, « APRÈS AVOIR REÇU UN PAIEMENT IMPORTANT DE LA PART DES DÉFENDERESSES », manque de certitude. Il est permis de croire que le mot « important » dans le contexte dans lequel il est utilisé signifie un large éventail de montants différents. 

 

[18]           Étant donné cette incertitude, il faut se demander si cette disposition constitue une modalité essentielle du contrat. À mon avis, c’est le cas. Le versement d’un « paiement important » est ce qui déclenche la cessation de l’utilisation de la marque de commerce GUTTERFILTER – la question qui se trouve au cœur même de l’entente et du litige. Si la Cour assignait une certaine somme d’argent au contrat comme « paiement important », cette somme serait arbitraire, car l’entente ne contient aucune preuve des intentions des parties quant au montant.

 

[19]           Pour ces motifs, je conclus que les parties n’ont pas d’entente pour régler ce litige et la requête des défenderesses est rejetée. Les parties ont convenu qu’une somme de 3 000 $ était une somme raisonnable à attribuer à la partie qui obtient gain de cause; je suis d’accord.

 



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE que cette requête est rejetée avec dépens à la demanderesse de 3 000 $ incluant les frais, honoraires, débours et taxes.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1043-07

 

INTITULÉ :                                       GUTTER FILTER COMPANY L.L.C. c.

                                                            GUTTER FILTER CANADA INC. ET AL

                                                           

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 14 février 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      le 28 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me David Shiller

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me David Seed

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SHILLERS LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

DAVID SEED

Avocat

Etobicoke (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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