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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110225

Dossier : IMM-3412-10

Référence : 2011 CF 227

Ottawa (Ontario), le 25 février 2011

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

 

LUIS FERNANDO VILLA RAMIREZ, BIVIANA MARIA OSORIO OTALVARO, ESTEBAN VILLA OSORIO, LUIS FERNANDO VILLA OSORIO, LUISA FERNANDA VILLA OSORIO

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 c. 27 (la LIPR), d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 27 mai 2010, concluant qu’elle ne reconnait pas aux demandeurs la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger.

 

I. Le contexte

 

[2]               Luis Fernando Villa Ramirez (le demandeur principal), sa conjointe Biviana Maria Osorio Otalvaro et leur fille Luisa Fernanda Villa Osorio sont citoyens de la Colombie. Leurs deux autres enfants, Esteban Villa Osorio et Luis Fernando Villa Osorio, sont citoyens des États-Unis d’Amérique (É-U). Ils ont tous demandé l’asile au Canada le 18 août 2008. La demande d’asile des demandeurs est fondée sur celle du demandeur principal qui soutient craindre d’être l’objet de menaces de la part de différents groupes de milices populaires (FARC, EPL, ELN) qui chercheront à le recruter s’il retourne en Colombie.

 

[3]               Le demandeur principal allègue avoir travaillé pour la police nationale de Medellin en Colombie, de juin 1986 à mars 1989. Il a démissionné de son poste de policier en raison de menaces téléphoniques reçues principalement au domicile de sa mère. Selon lui, les auteurs des menaces provenaient de différentes milices populaires (FARC, EPL, ELN), mais ils ne se sont jamais identifiés. Il a déménagé à plusieurs reprises afin de protéger sa sécurité, mais soutient avoir continué à recevoir des appels au domicile de sa mère. Les appels avaient maintenant pour objet de le recruter comme membre de ces forces populaires.

 

[4]               Le demandeur a travaillé comme gardien de prison 1996 à 1997 et dit avoir démissionné en 1997 parce que des membres des milices l’avaient repéré. Il a reçu un appel de menace au travail et a voulu se protéger ainsi que sa famille en démissionnant. Il a ensuite travaillé comme agent de sécurité de 1997 à 1999 et démissionné parce qu’il recevait encore des menaces des milices populaires.

 

[5]               Il affirme ne pas avoir fait de dénonciation à la police ou autres autorités parce que ces institutions sont infiltrées de membres des milices populaires et que cela aurait augmenté le risque encouru pour lui et sa famille. En 1999, la conjointe du demandeur principal et sa fille se sont rendues aux É-U. En 2000, le demandeur principal a quitté la Colombie pour les É‑U afin d’y rejoindre sa conjointe et sa fille. Les deux autres enfants du couple sont nés aux É-U.

 

[6]               En octobre 2002, il est retourné en Colombie pour vérifier s’il pouvait y vivre à nouveau sans recevoir de menaces et pour obtenir des documents facilitant une demande d’asile aux É‑U. En février 2003, il est retourné aux É-U avec la volonté d’y demander l’asile. Après avoir reçu des conseils, il a décidé de faire une demande de statut de réfugié au Canada en son nom et au nom des membres de sa famille. Aucune crainte aux É-U n’a été alléguée par les demandeurs.

 

II. La décision contestée

 

[7]               La Commission a jugé que le récit du demandeur principal n’était pas crédible. Elle a également déterminé que les demandeurs pouvaient bénéficier d’une possibilité de refuge interne (PRI), notamment à Bogota, et qu’ils n’avaient pas démontré qu’il serait déraisonnable pour eux de chercher refuge à Bogota. La Commission a jugé que cette conclusion était déterminante et suffisante pour disposer de la demande d’asile en vertu de l’article 96 ou du paragraphe 97(1) de la LIPR.

 

[8]               La Commission a jugé qu’il était peu plausible que les milices tentent de recruter le demandeur principal près de 10 ans après son départ de la Colombie. La Commission a appuyé sa conclusion sur le fait que la preuve documentaire révélait que le recrutement fait par les milices s’effectuait sur une base volontaire et que le recrutement forcé y était prohibé. La Commission a également estimé que le demandeur principal, qui est âgé de près de 45 ans, n’a pas le profil des candidats recherchés par les milices qui sont normalement âgés entre 15 et 30 ans. Elle a aussi retenu que le demandeur principal n’avait pas été l’objet de menaces directes, mais plutôt de menaces effectuées de façon anonyme, ni démontré qu’il avait été forcé de joindre les milices.

 

[9]               La Commission a également estimé que le demandeur principal n’avait pas non plus démontré que les tentatives de recrutement des milices pouvaient se transformer en représailles s’il refusait de joindre leurs rangs. Elle a en outre conclu qu’il était invraisemblable que les auteurs des appels aient continué leurs tentatives de recrutement après son départ de Colombie et les poursuivent encore aujourd’hui.

 

[10]           En ce qui a trait à la PRI, la Commission a noté qu’elle s’était enquise auprès du demandeur principal de ce qu’il pouvait craindre s’il retournait vivre ailleurs au pays, plus précisément dans la ville de Bogota. Elle a indiqué que le demandeur principal n’avait pas donné de raison pouvant la mener à conclure qu’il serait déraisonnable que les demandeurs y trouvent refuge. Le seul motif invoqué par les demandeurs était que les auteurs des appels téléphoniques seraient capables de les retrouver partout en Colombie. La Commission a rejeté cette allégation, jugeant qu’il était peu probable que le demandeur principal présente, aux yeux des milices, un intérêt tel qu’ils  chercheraient à le retrouver ailleurs en Colombie.      

 

III. Questions en litige

 

[11]           Les reproches des demandeurs à l’encontre de la décision soulèvent les deux questions suivantes :

1)      Le tribunal a-t-il erré en déterminant que le demandeur principal n’était pas crédible?

2)      Le tribunal a-t-il erré en concluant qu’il y avait possibilité de refuge interne pour les demandeurs?

 

IV. La norme de contrôle

 

[12]           Il est bien établi que les questions de fait et d’appréciation de la crédibilité sont révisables selon la norme de la décision raisonnable. Le caractère raisonnable d’une décision se manifeste principalement par sa transparence, la compréhensibilité du processus décisionnel et du raisonnement, ainsi qu’au fait que les conclusions du tribunal sont acceptables et font partie des issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au para. 47).

[13]           La conclusion tirée quant à la PRI doit aussi être révisée selon la norme de la décision raisonnable et la Cour devra également faire preuve de retenue face à la décision du tribunal (Guerilus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 394, au para. 10 (disponible sur CanLII) [Guerilus]).

 

V. Analyse

 

[14]           Le demandeur principal soutient que la Commission a erré dans l’appréciation de sa crédibilité. Il prétend que la Commission aurait dû déterminer qu’il était raisonnable que les milices tentent de le recruter environ 10 ans plus tard et malgré son âge puisque dans le passé, la guérilla avait voulu lui donner une position importante et que, plusieurs années après sa démission comme policier, les membres de la guérilla continuaient de l’appeler. 

 

[15]           Le demandeur principal reproche également à la Commission d’avoir fondé sa décision sur la preuve documentaire traitant exclusivement des méthodes de recrutement des FARC et non de celles d’autres milices, alors qu’il a toujours soutenu ne pas avoir été interpelé uniquement par les FARC. Le demandeur principal soutient également que la Commission aurait dû considérer la dénonciation et la déclaration qu’il a fournies aux autorités concernant les menaces de mort.

 

[16]           Le demandeur principal soutient que les erreurs commises par la Commission dans l’appréciation de sa crédibilité ont vicié son raisonnement quant à l’évaluation d’une PRI. Il allègue aussi que la conclusion de la Commission quant à la PRI est déraisonnable puisqu’elle n’a pas apprécié correctement sa crainte. La Commission aurait également dû considérer la preuve documentaire au dossier selon laquelle lorsqu’une personne est persécutée par des milices telles que les FARC ou l’ELN, il n’existe pas de PRI.

 

[17]           Comme il est mentionné dans l’arrêt Perez c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2010 CF 345 (disponible sur CanLII), il revient au tribunal d’évaluer les explications données par le demandeur:

[28]      La Cour signale que la Commission est la mieux placée pour évaluer les explications données par le demandeur sur les incohérences perçues, et qu’il ne lui incombe pas de substituer son jugement aux conclusions de fait que tire la Commission quant à la crédibilité du demandeur d’asile (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 181 (CanLII), 2006 CF 181, 146 A.C.W.S. (3d) 325, au paragraphe 36; Mavi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2001), 104 A.C.W.S. (3d) 925, [2001] A.C.F. no 1 (QL)).

 

[18]           J’ai lu la transcription de l’audience devant la Commission et pris connaissance de l’ensemble de la preuve documentaire au dossier. Je considère que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée puisque la conclusion de la Commission quant à la crédibilité du demandeur principal est raisonnable au regard de l’ensemble de la preuve, tant documentaire que testimoniale. Elle respecte les principes de droit applicables. Les demandeurs sont essentiellement en désaccord avec l’appréciation faite par la Commission, mais il n’appartient pas à la Cour de procéder à sa propre évaluation des faits et aucune erreur ne justifie son intervention.

 

[19]           Malgré ses conclusions quant à la crédibilité du demandeur principal, la Commission a tout de même procédé à l’analyse de la PRI et estimée qu’il était possible pour les demandeurs de s’établir ailleurs qu’au lieu allégué de persécution et, plus spécifiquement, à Bogota. L’analyse et les conclusions de la Commission sont raisonnables et ne justifient pas l’intervention de la Cour. 

 

[20]           Il revient au demandeur de prouver qu’il n’est objectivement pas raisonnable qu’il puisse bénéficier d’une PRI dans un autre endroit au pays. Il lui revient aussi de démontrer qu’il risque la persécution partout au pays, tel qu’indiqué dans Guerilus, précité, au para. 14:

[…] Le fardeau de preuve repose sur le revendicateur d’asile de démontrer qu’il serait déraisonnable pour lui de chercher refuge dans une autre partie du pays ou de prouver l’existence réelle de conditions l’empêchant de se relocaliser ailleurs (Ramirez c. Canada (Ministère de la citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF 1214, [2008] A.C.F. no. 1533 (QL); Palacios c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF 816, 169 A.C.W.S. (3d) 619 au par. 9). […]

 

[21]           En l’espèce, bien que le tribunal ait donné aux demandeurs la possibilité d’étayer leur preuve en audience, ces derniers n’ont pas satisfait leur fardeau en se limitant à alléguer que les présumés auteurs des appels téléphoniques pourraient les retracer partout au pays. Les demandeurs n’ont pas non plus fourni de preuves réelles et concrètes prouvant qu’ils pouvaient être persécutés ou subir des menaces à leur vie ou des traitements cruels ou inusités advenant leur retour en Colombie. La Commission a conclu qu’il était peu probable que le demandeur principal présente, aux yeux des milices, un intérêt tel qu’elles chercheraient à le retrouver ailleurs en Colombie et cette conclusion était raisonnable en regard de la preuve. L’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

[22]           Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

                                                                                                                               


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3412-10

 

INTITULÉ :                                      LUIS FERNANDO VILLA RAMIREZ, BIVIANA MARIA OSORIO OTALVARO, ESTEBAN VILLA OSORIO, LUIS FERNANDO VILLA OSORIO, LUISA FERNANDA VILLA OSORIO c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Luciano Mascaro

 

POUR LES DEMANDEURS

Alain Langlois

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Luciano Mascaro

Montréal, Québec

 

POUR LES DEMANDEURS

Miles J. Kirvan

Sous-Procureur Général du Canada

Montréal, Québec

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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