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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20101223

Dossier : T-172-10

Référence : 2010 CF 1325

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2010

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer 

 

ENTRE :

 

CONSEIL DES MONTAGNAIS DE NATASHQUAN

                                                                                                                                                

 

 

demandeur

ET

 

ÉVELYNE MALEC, SYLVIE MALEC, MARCELLINE KALTUSH, MONIQUE ISHPATAO, ANNE B. TETTAUT, ANNA MALEC, ESTELLE KALTUSH

ET

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

 

 

Défenderesses

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

FAITS 

[1]           La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le tribunal), rendue le 27 janvier 2010, accueillant partiellement la plainte des défenderesses au motif qu’elles ont fait l’objet de discrimination à l’emploi en raison de leur race, en violation de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H-6 (la Loi).

 

[2]           Les défenderesses, Évelyne Malec, Sylvie Malec, Marcelline Kaltush, Monique Ishpatao, Anne Bellefleur-Tettaut, Anna Malec et Estelle Kaltush sont des Innues de la communauté montagnaise de Natashquan. Elles travaillent toutes dans l’établissement scolaire Uautshitun, administré par le Conseil des Montagnais de Natashquan (le demandeur). Elles détiennent chacune un diplôme universitaire de niveau baccalauréat à l’exception d’Anne Bellefleur-Tettaut et de Sylvie Malec.

 

[3]           Évelyne Malec a enseigné en adaptation scolaire depuis 2001, à l’exception de l’année scolaire 2003-2004 durant laquelle elle n’a pas travaillé à l’école. Anne Bellefleur-Tettaut a enseigné la langue innue au niveau primaire depuis 1983, à l’exception de l’année 2003-2004. Sylvie Malec a également enseigné la langue innue depuis janvier 2003, à l’exception de l’année 2003-2004. Anna Malec a enseigné au niveau préscolaire depuis 1985, à l’exception de l’année 2003-2004. Monique Ishpatao a enseigné au préscolaire et au primaire depuis 1990, à l’exception de l’année 2003-2004. Marcelline Kaltush a enseigné de 1994 à 2007, à l’exception de l’année 2003-2004. Estelle Kaltush détenait le poste de directrice adjointe de 2003 à 2009. De janvier à juin 2007, elle était directrice par intérim.

 

[4]           L’école Uautshitun est située à l’intérieur de la communauté innue de Natashquan, sur la rive nord du golfe du St-Laurent, à 376 km à l’est de Sept-Iles, dans la province de Québec. La communauté est composée d’environ 1000 personnes. Il n’a pas été contesté que toutes les défenderesses résidaient à l’intérieur d’un rayon de 50 kilomètres de l’école Uautshitun, au sein de la communauté innue de Natashquan.

 

[5]           En juin 2005, les conditions de travail du personnel de l’école Uauitshitun étaient régies par un document intitulé « Entente intervenue entre le Conseil des Montagnais de Nutashkuan et le personnel de l’École Uauitshitun de Nutashkuan ─ Convention réciproque de traitement du personnel de l’École Uauitshitun de Nutashkuan » (l’entente de 2005). Cette entente prévoyait une prime d’éloignement pour le personnel enseignant et professionnel de l’école détenant au minimum un diplôme universitaire de niveau baccalauréat (article 6.5), trois allocations pour « sorties annuelles de l’employé embauché de l’extérieur du périmètre de 50 kilomètres » (article 6.4) ainsi qu’une allocation mensuelle de logement (article 8.6).

 

[6]           En 2007, le demandeur adopte une « Politique des ressources humaines ─ Personnel de l’école Uauitshitun » qui remplace l’entente de 2005. Cette politique prévoit également une prime d’éloignement pour le personnel professionnel et enseignant de l’école, mais elle précise qu’elle s’adresse au personnel non résidant, i.e. dont le lieu de résidence ordinaire et principal se situe à plus de 50 kilomètres de Natashquan. Cette politique prévoit aussi trois allocations pour sorties annuelles et une allocation mensuelle de logement pour les employés non résidants.

 

[7]           Le 21 avril 2007, les défenderesses déposent une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) à l’encontre de leur employeur, le Conseil des Montagnais de Natashquan, alléguant qu’elles font l’objet de discrimination dans leur emploi en raison de leur statut d’autochtone, contrairement à la Loi. Elles allèguent que la politique du demandeur concernant les primes d’éloignement discrimine contre les enseignants et le personnel professionnel autochtone puisque ceux-ci n’ont pas droit aux mêmes avantages que ceux accordés aux enseignants non autochtones. Cette plainte a été portée devant le Tribunal et une décision a été rendue le 27 janvier 2010, accueillant partiellement la demande.

 

[8]           Le Tribunal a déterminé que les défenderesses avaient établi, prima facie, que jusqu’en 2007, elles ont été défavorisées en cours d’emploi en raison de leur race parce que le défendeur a refusé de leur verser une prime d’éloignement alors qu’une telle prime était versée à tous les enseignants non autochtones qui résidaient ou non dans la communauté. Cependant cette preuve prima facie n’avait pas été établie en ce qui a trait aux allocations pour sorties annuelles et à l’allocation de logement.

 

[9]           En ce qui concerne la prime d’éloignement, le Tribunal a constaté que jusqu’en février 2007, la politique ne distinguait pas entre les enseignants qui résidaient dans la communauté innue et ceux qui résidaient à l’extérieur mais que néanmoins, la prime était uniquement versée aux enseignants non autochtones, bien qu’elle ait été versée une fois à une enseignante ayant acquis le statut d’autochtone en vertu de la Loi sur les indiens L.R.C. 1985, c. I-5. À partir de 2007, la politique fera clairement la différence entre le personnel résidant à l’extérieur de la communauté et celui résidant à l’intérieur du périmètre de la communauté. Le Tribunal a ensuite conclu que le demandeur n’avait pu justifier l’existence de ce traitement inégal et donc, renverser la présomption que les défenderesses avaient été discriminées pour ce motif.

 

[10]       Par ailleurs, la preuve ne soutenait pas les allégations des défenderesses selon lesquelles le demandeur aurait exercé envers elles des représailles suite au dépôt de la plainte, en contravention à l’article 14.1 de la Loi.

 

[11]       Le tribunal a déterminé que les plaignantes avaient droit, pour les années précédant 2007, au versement de la prime d’éloignement dont l’acte de discrimination les avait privées. Le montant de l’indemnité a été déterminé selon le cas spécifique de chaque défenderesse. Il ordonnait de plus le paiement d’une indemnité de 500$ pour préjudice moral à chacune d’entre elles.

 

POSITION DES PARTIES

 

[12]       Le demandeur soutient que le Tribunal a erré en déterminant qu’il n’avait pas été en mesure de justifier la raison d’être de la prime d’éloignement afin de renverser la preuve prima facie de discrimination alors qu’il était clair, à partir des témoignages, que la raison d’être de cette politique était la nécessité de recruter du personnel enseignant provenant de l’extérieur de la région de Natashquan.  Les défenderesses n’ont pas été discriminées en raison de leur race parce qu’il a été mis en preuve que Geneviève T. Néashit recevait elle aussi une prime d’éloignement bien qu’elle détenait un statut d’autochtone.

 

[13]       De plus, il était déraisonnable que le tribunal accorde une prime d’éloignement à Sylvie Malec et Anne B. Tettaut, lesquelles ne possédaient pas de diplôme universitaire de niveau baccalauréat, alors qu’en vertu de l’article 6.5 de l’entente de 2005, la détention d’un baccalauréat  était requise pour pouvoir bénéficier de cette prime. Il en est de même pour Marcelline Kaltush qui ne pouvait se voir attribuer la prime d’éloignement remise aux employés ayant des personnes à charge alors que cette dernière avait à sa charge non pas ses enfants biologiques mais son neveu et sa nièce. L’article 3.15 de l’entente de 2005 indique que la personne à charge doit être l’enfant de l’employé.

 

[14]       Le Tribunal a aussi erré en accordant des arrérages de primes d’éloignement aux défenderesses sur une période de plus de trois ans. L’article 2925 du Code civil du Québec fixe le délai de prescription à trois ans pour toute action faisant valoir un droit personnel ou réel. En vertu de l’article 8.2 de la Loi d’interprétation, L.R. (1985) ch. I-21, cette prescription du Code civil s’applique en l’espèce. Il aurait aussi dû prendre en considération le fait que toutes les défenderesses, à l’exception d’Évelyne Malec et de Marcelline Kaltush, ne travaillaient plus à l’école en 2003-2004.

 

[15]       Les défenderesses soumettent que le Tribunal n’a pas erré en concluant qu’il y avait eu discrimination basée sur la race. Geneviève T. Néashit était non autochtone et a acquis son statut  par mariage. Qui plus est, la preuve révèle que l’ensemble du groupe de résidants autochtones ne recevaient pas cette prime d’éloignement alors que des résidants non-autochtones la recevaient. Le Tribunal a raisonnablement conclu qu’en refusant d’accorder la prime d’éloignement à un groupe clairement identifié, le demandeur effectuait de la discrimination auprès de ce groupe.

 

[16]       Le Tribunal n’a pas non plus erré en concluant que le demandeur n’avait pas fourni de motifs justifiables pour refuser de payer aux défenderesses la prime d’éloignement. La prime d’éloignement ne pouvait se fonder sur la nécessité de recruter du personnel enseignant à l’extérieur de la région de Natashquan puisqu’aucune mention n’est faite à ce propos dans l’article 6.5 de l’entente de 2005. En outre, comme le Tribunal le mentionne dans sa décision, une nouvelle politique a été adoptée en 2007 afin de réintégrer le critère de résidence ordinaire et principal comme élément de détermination du versement de la prime, ce qui confirmerait que ce critère n’existait pas avant cette date.

 

[17]       Le Tribunal était également justifié d’accorder une prime d’éloignement à Sylvie Malec et Anne B. Tettaut, bien que celles-ci ne détenaient pas de baccalauréat. Celui-ci a considéré le fait qu’il est impossible d’obtenir un baccalauréat en langue innue puisqu’aucune université n’offre ce type de baccalauréat. Il était donc bien fondé de reconnaître l’expérience et les qualifications équivalentes de ces deux enseignantes. Il n’y a pas non plus eu de rupture du lien d’emploi entre les défenderesses et le demandeur. Ces dernières ont signé des quittances indiquant qu’elles seraient toutes réintégrées à leur poste d’enseignantes au début de l’année scolaire 2004. La réintégration suppose la reprise de possession intégrale des droits des enseignantes.

 

[18]       La Commission soutient pour sa part que le Tribunal n’a pas erré en accordant aux défenderesses une prime d’éloignement rétroactive de 17 ans en se fondant sur l’alinéa 53(2) (b) de la Loi.  Selon l’arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, au par. 13, les redressements accordés doivent être efficaces et compatibles avec la nature « quasi constitutionnelle » des droits protégés.

 

[19]       La prescription de trois ans prévue dans le Code civil n’a pas d’application dans les cas en l’espèce : puisque la législation relative au droit de la personne ne donne pas naissance à une cause d’action fondée sur la common law (Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, [2007] A.C.F. no 1134), l’on peut inférer que cette législation ne donne pas non plus droit à un recours fondé sur le droit civil.  En outre, il  revient au Tribunal de déterminer le moment du début et de la fin de l’acte discriminatoire. Il existe donc un lien de causalité entre la politique discriminatoire et les pertes subies par les défenderesses justifiant le versement des indemnités pour toute leur période d’emploi.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[20]       Le présent dossier soulève les questions suivantes :

 

(1)   Le Tribunal a-t-il erré en considérant que les défenderesses avaient été discriminées en raison de leur race?

(a) Le Tribunal a-t-il erré en déterminant que les défenderesses avaient établi, prima facie, qu’elles avaient été victimes de discrimination en cours d’emploi?

(b) Le Tribunal a-t-il erré en concluant que le demandeur n’avait pas fourni de motif justifiable pour refuser de verser aux défenderesses la prime d’éloignement ?

(2)   Le Tribunal a-t-il erré en accordant aux défenderesses des primes d’éloignement?

(a) Le Tribunal a-t-il erré en accordant une prime d’éloignement à deux défenderesses qui ne détenaient pas de diplôme de niveau baccalauréat et en accordant à une autre défenderesse le montant de la prime d’éloignement attribuable aux personnes ayant des enfants à charge?

(b)   Le Tribunal a-t-il erré en accordant aux défenderesses des arrérages de prime d’éloignement?

 

 

NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

 

[21]       Comme l’a souligné notre Cour dans l’arrêt Sadi c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 2006 CF 1067, [2006] A.C.F. no 1352 au par. 14, le Tribunal possède une expertise ainsi qu’une expérience et des compétences dans le domaine des droits de la personne. À cet égard, un niveau plus élevé de déférence doit lui être accordé.

 

[22]       La Cour doit également se montrer déférente envers un tribunal administratif lorsqu’il rend une décision en vertu de sa propre loi habilitante, comme c’est le cas en l’espèce (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC9, [2008] 1 R.C.S. 190, au par. 146; Alliance de la fonction publique du Canada c. Association des pilotes fédéraux du Canada et Procureur général du Canada, 2009 CAF 223, [2009] A.C.F. no 822 au par. 36). Ainsi, la norme applicable à l’ensemble des questions est celle de la décision raisonnable.

 

ANALYSE

 

(1) Le Tribunal a-t-il erré en considérant que les défenderesses avaient été discriminées en raison de leur race?

 

[23]       En vertu du paragraphe 7 b) de la Loi : 

 

 

 

Emploi

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est

fondé sur un motif de distinction illicite, le fait,

par des moyens directs ou indirects :

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

 

     Employment

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly:

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee, on a prohibited ground of discrimination.

 

[24]       La Cour suprême du Canada a établi qu’il incombait d’utiliser une méthode unifiée pour aborder les plaintes en matière des droits de la personne. Lorsqu’il s’agit d’une plainte de discrimination, la partie demanderesse doit d’abord établir une preuve prima facie de discrimination. Si cette preuve est établie, il revient ensuite à la partie intimée de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la politique discriminatoire est rationnellement justifiable (Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868  [Grismer] ; Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 [Meiorin].

 

(a) Le Tribunal a-t-il erré en déterminant que les défenderesses avaient établi, prima facie, qu’elles avaient été victimes de discrimination en cours d’emploi?

 

[25]        Dans l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, la Cour suprême du Canada a défini ce qui constitue une preuve prima facie dans un contexte de discrimination à l’emploi:

 

 

Dans les instances devant un Tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire qu'il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu'à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé.

 

 

[26]           En l’espèce, le Tribunal a conclu que les défenderesses avaient fait la preuve, prima facie, qu’elles avaient été discriminées en cours d’emploi en raison du fait que le demandeur refusait de leur verser une prime d’éloignement. Pour en venir à cette conclusion, le Tribunal a pris en considération le fait que l’entente de 2005 ne faisait pas la différence entre les enseignants résidants dans la communauté et ceux qui vivaient à l’extérieur et que nulle part il y était mentionné qu’elle était attribuée afin de recruter ou de faciliter le recrutement d’enseignants provenant de l’extérieur de la communauté. 

 

[27]           Le seul témoignage de Mme Geneviève Taschereau Neashit dont le statut d’autochtone a été acquis par alliance alors que les défenderesses sont toutes d’origine autochtone de par leur naissance n’a pas été retenu par le Tribunal qui a déterminé que les défenderesses formaient un groupe distinct susceptible de discrimination en raison de leur race.

 

[28]       La conclusion que les défenderesses avaient établi, prima facie, qu’elles étaient victimes de discrimination était également basée sur leurs témoignages et sur la preuve documentaire selon lesquels cette prime d’éloignement ne leur avait pas été versée alors qu’elle avait été versée à d’autres enseignants non autochtones résidant à l’intérieur de la communauté.

 

[29]       Ainsi, jusqu’à preuve du contraire et si tant est que l’on y ajoute foi, cette preuve est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur des plaignantes, en l’absence de réplique de l’employeur. Cette conclusion du Tribunal s’avère donc raisonnable et fait partie des issues acceptables au regard des faits et du droit.

 

(b)  Le Tribunal a-t-il erré en concluant que le demandeur n’avait pas fourni de motif justifiable pour refuser de verser aux défenderesses la prime d’éloignement ?

 

[30]       Lorsque cette preuve prima facie est établie, il revient ensuite au demandeur de démontrer qu’il n’y a pas eu de discrimination à l’égard des défenderesses ou que la politique ou pratique discriminatoire est justifiée. Le test établi par la Cour suprême dans  Meiorin, ci-dessus, au par. 54, s’applique en l’espèce :

 

Après avoir examiné les diverses possibilités qui s’offrent, je propose d’adopter la méthode en trois étapes qui suit pour déterminer si une norme discriminatoire à première vue est une EPJ.  L’employeur peut justifier la norme contestée en établissant selon la prépondérance des probabilités:

 

 1)   qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;

2)  qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;

3)   que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. (…) 

 

 

 

[31]       À cet égard, le Tribunal a déterminé qu’aucune preuve n’avait été présentée par le demandeur afin de justifier pourquoi cette prime n’avait pas été versée aux défenderesses :

 

Le fardeau incombe donc maintenant à l’intimé de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que son refus de verser aux plaignantes la prime d’éloignement comporte un motif justifiable. L’intimé n’a fourni aucune preuve pour justifier l’existence de ce traitement inégal. En plus, l’intimé n’a pas présenté de preuve afin d’établir que le traitement s’expliquait en raison de la résidence permanente des récipiendaires plutôt que de leur race/origine ethnique ou nationales. Lesdites « admissions » des plaignantes ne possèdent pas une valeur probante permettant une telle conclusion ou pratique ». (décision du Tribunal, au par. 45). [mon soulignement]

 

 

[32]       Or, il est faux d’affirmer que l’employeur n’a fourni aucune preuve justifiant la politique de la prime d’éloignement. Le Tribunal n’a pas tenu compte du témoignage de M. André Leclerc, ancien directeur de l’école Uauitshitun. M. Leclerc a aussi collaboré à la rédaction d’un rapport sur cette école intitulé « Rapport d’évaluation des services éducatifs de l’école Uauitshitun de Nutashkuan ». Il possède donc une expertise indéniable en ce qui a trait à cette école. Lors de son témoignage, afin d’expliquer le but de la prime d’éloignement, M. Leclerc a déclaré:

 

Je(…) c’est d’amener dans la…c’est d’amener des ressources et d’espérer qu’elles restent en place, pour éviter…Essayer de trouver des ressources compétentes d’abord, d’une part, et d’assurer une espèce de continuité, puis un intérêt à ce qu’ils restent chez nous.

 

 

[33]       Le Tribunal a aussi omis, sans motif valable, d’accorder une quelconque force probante à l’admission de Mme Malec, en contre-interrogatoire, selon laquelle son conjoint, non-autochtone mais résidant dans la communauté, avait reçu une prime d’éloignement parce qu’il se trouvait à l’extérieur de la communauté au moment de l’embauche:

 

Bien, je vais te dire pourquoi, parce que c’est de l’enseignement non-autochtone. Ils l’ont embauché, la date (inaudible) c’était à Québec, c’est pour ça qu’il a eu des primes.

 

 

[34]       Il n’a pas non plus examiné les déclarations de Mme Geneviève T. Néashit, une autochtone ayant acquis son statut par mariage qui a expliqué qu’elle recevait la prime en raison du fait qu’elle vivait à l’extérieur de la communauté :

 

« Q : Est-ce que vous aviez droit à des primes ?

   R : Oui.

   Q : Et à quelle sorte de primes aviez-vous droit ?

   R : La prime d’éloignement là, parce que je n’étais pas chez moi. […] »

 

[35]       Le Tribunal aurait dû prendre en considération l’ensemble des témoignages selon lesquelles la prime d’éloignement se justifiait par la volonté d’aller chercher des ressources professionnelles et professorales se trouvant à l’extérieur de la communauté de Natashquan au moment de l’embauche et d’ensuite les conserver.

 

[36]         Il est une chose de dire qu’une preuve est insuffisante pour renverser une preuve prima facie de discrimination mais il en est une autre de complètement ignorer, comme c’est le cas en l’espèce, la preuve de justification qui a été présentée. Le Tribunal aurait dû prendre en considération les explications apportées par le demandeur et décider si, en vertu de la jurisprudence applicable et de la totalité de la preuve, ces explications étaient suffisantes pour renverser la preuve prima facie de discrimination. 

 

[37]       La conclusion du Tribunal quant à l’absence de justification est donc déraisonnable et ne fait pas partie des issues acceptables au regard des faits et du droit. Il n’est donc pas nécessaire d’évaluer le caractère raisonnable des compensations accordées par le Tribunal aux défenderesses.

 

CONCLUSION

 

[38]       Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est cassée et renvoyée devant un membre instructeur du Tribunal canadien des droits de la personne pour décider de l’affaire en conformité avec ces motifs.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision soit cassée et que le dossier soit renvoyé devant un membre instructeur du Tribunal canadien des droits de la personne pour décider de l’affaire en conformité avec ces motifsLe tout avec dépens.

 

 

                                                                                    ­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­    « Danièle Tremblay-Lamer »

                                                                                                                  Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-172-10

 

INTITULÉ :                                       CONSEIL DES MONTAGNIAS DE NATASHQUAN

Demandeur

ÉVELYNE MALEC, SYLVIE MALEC, MARCELLINE KALTUSH, MONIQUE ISHPATAO, ANNE B. TETTAUT, ANNA MALEC, ESTELLE KALTUSH

ET

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Défenderesses

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Québec, (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 9 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      le 23 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me John White

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Daniel Jouis

Me François Lumbu

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dussault, Larochelle, Gervais, Thivierge

Québec (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

Jouis Lapierre

Sept-iles Québec

 

 

Commission canadadienne des droits de la personne

Ottawa (Ontario)

 

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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