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Date : 20110209

Dossier : T-1168-09

Référence : 2011 CF 148

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 février 2011

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

 

DONNA Casler

 

 

demanderesse

 

et

 

 

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

 

défenderesse

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande par laquelle Mme Donna Casler conteste une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) rejetant sommairement, en vertu de l’article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R., 1985, ch. H-6 (la Loi), la plainte de discrimination qu’elle avait portée contre la Compagnie des chemins de fer nationaux (le CN).

 

Contexte

[2]               Mme Casler travaillait depuis 25 ans pour le CN lorsqu’elle a été licenciée en septembre 2006 à la suite d’une longue absence liée à des problèmes de santé. Le 22 septembre 2004, Mme Casler a déposé une plainte en matière de droits de la personne dans laquelle elle alléguait que le CN ne lui avait pas offert de mesures d’adaptation appropriées eu égard à ses contraintes médicales et que le CN l’avait traité moins favorablement que ses employés handicapés de sexe masculin.

 

[3]               La plainte en matière de droits de la personne de Mme Casler avait été précédée par une plainte portée devant le Conseil canadien des relations industrielles (le CCRI) dans laquelle Mme Casler alléguait que son syndicat avait manqué à son devoir de juste représentation en ne défendant pas ses intérêts devant le CN pour l’aider à obtenir des mesures d’adaptation. À la suite de cette plainte devant le CCRI, le syndicat avait déposé, le 23 août 2004, un grief dans lequel il alléguait que le CN n’avait pas pris de mesures d’adaptation pour tenir compte des besoins de Mme Casler. Le CN a répondu en affirmant que le grief avait été déposé après l’expiration des délais et que le CN n’avait jamais reçu de préavis l’informant que Mme Casler nécessitait des mesures d’adaptation.

 

[4]               Le 6 janvier 2005, la Commission a décidé, en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi, de ne statuer que sur les allégations qui étaient antérieures d’un an à la plainte de Mme Casler. Elle a également reporté à plus tard toute autre intervention compte tenu du droit de Mme Casler d’exercer son droit de formuler un grief en matière d’emploi. Ce n’est que le 5 mai 2008 que Mme Casler a demandé la réactivation de sa plainte en matière de droits de la personne et, aux termes d’une décision datée du 20 août 2008, la Commission a accepté d’examiner l’affaire. Conformément à sa pratique habituelle, la Commission a confié la plainte à un enquêteur pour qu’il procède à un examen préalable en vertu de l’article 41 de la Loi.  

 

[5]               Le 17 octobre 2008, l’enquêteur a écrit au CN pour lui demander de répondre à la plainte de Mme Casler. L’enquêteur a confirmé que son enquête se limiterait aux faits survenus entre août 2000 et septembre 2004 (la période de référence) et qu’il n’était pas nécessaire que le CN réponde aux allégations de Mme Casler portant sur des faits n’étant pas survenus au cours de cette période.

 

[6]               Le CN a répondu en niant avoir soumis Mme Casler à une différence de traitement et en affirmant que, pendant la plus grande partie de la période de référence, Mme Casler n’avait pas demandé de mesures d’adaptation. Le CN a ajouté que Mme Casler ne l’avait pas tenu au courant de son état de santé et n’avait demandé des mesures d’adaptation qu’après le 23 août 2004. Plus précisément, le CN a expliqué à l’enquêteur que Mme Casler ne lui avait communiqué aucun renseignement entre les mois d’août 2000 et d’avril 2003. Ce n’est que lorsque le CN était entré en contact avec elle que des renseignements avaient été communiqués et, même alors, Mme Casler n’avait pas demandé de mesures d’adaptation. Le CN a souligné qu’en décembre 2003, Mme Casler avait déposé devant le CCRI une plainte dans laquelle elle alléguait que son syndicat ne l’avait pas aidée à obtenir des mesures d’adaptation. Quelques mois plus tard, le syndicat a déposé au nom de Mme Casler un grief de principe, que le CN a rejeté au motif qu’il avait été présenté après l’expiration du délai prescrit. En dépit de ce problème de dépôt tardif, le CN avait fait savoir à l’époque qu’il était disposé à discuter de mesures d’adaptation avec le syndicat.

 

[7]               Le CN a également adopté le point de vue que Mme Casler s’était montrée très peu coopérative face aux demandes que le CN lui avait adressées pour obtenir des renseignements médicaux et des renseignements sur son recyclage en matière de réglementation et les tests auxquels elle devait se soumettre. Le CN a présenté des éléments de preuve portant sur les rendez-vous médicaux manqués en 2003 et en 2004 et sur le défaut de Mme Casler de se présenter aux séances de mentorat et aux tests sur la réglementation.

 

[8]               Invitée par l’enquêteur à répondre au point de vue défendu par le CN, Mme Casler a fourni une réponse de 15 pages, qui portait surtout sur des faits survenus soit avant août 2000 soit après septembre 2004. Pendant une grande partie de la période visée par sa plainte, Mme Casler n’avait pas été en mesure de démontrer qu’elle avait eu des contacts directs avec le CN. Malgré l’absence de corroboration précise des contacts qu’elle aurait eus avec le CN, elle a affirmé à l’enquêteur qu’elle croyait qu’elle avait tenu la compagnie au courant de son état de santé et de la nécessité de prévoir des mesures d’adaptation.

 

[9]               Mme Casler n’a pas contesté la plupart des allégations du CN au sujet de ses absences, mais elle a soutenu que, dans la plupart des cas, elle avait des excuses raisonnables pour expliquer son comportement. Elle a notamment reconnu qu’elle était tellement confuse et anxieuse qu’elle ne se sentait pas capable de se présenter à l’examen obligatoire sur la réglementation. Elle a également continué à soutenir que les employés de sexe masculin qui avaient des contraintes médicales étaient traités plus favorablement par le CN et a offert quelques exemples à l’appui de ses dires.

 

            Rapport de l’enquêteur

[10]           L’enquêteur a commencé en faisant observer que la plainte de Mme Casler ne porterait que sur la période de référence. L’enquêteur a conclu qu’entre le mois d’août 2000 et le mois de mars 2001, Mme Casler avait été inapte au travail et qu’elle avait reçu des prestations d’invalidité de courte durée. L’enquêteur a pris acte d’un rapport psychiatrique daté du 11 avril 2003 qui indiquait que Mme Casler était alors [traduction] « apte à accomplir des travaux légers avec un soutien éclairé ». Le même médecin avait signé en août 2003 un autre rapport dans lequel il déclarait que Mme Casler était inapte à accomplir quelque travail que ce soit.

 

[11]           L’enquêteur a conclu que Mme Casler souffrait de fibromyalgie et de restrictions permanentes. L’enquêteur a néanmoins déclaré ce qui suit au sujet de la preuve médicale :

[traduction]

 

19.       Les preuves médicales qui ont été examinées sont contradictoires en ce qui concerne l’aptitude au travail de la plaignante, avec ou sans mesures d’adaptation. On ne sait par ailleurs pas avec certitude de quelles mesures d’adaptation la plaignante a besoin.

 

 

[12]           L’enquêteur a estimé qu’il n’existait aucun élément de preuve documentaire démontrant que Mme Casler ou son syndicat avait cherché à obtenir des mesures d’adaptation du CN entre août 2000 et mars 2003. Le CN n’avait été mis au courant de l’état de santé précis de Mme Casler que lors de l’échange de lettres de mars 2003 entre le CN et l’avocat de Mme Casler. La lettre de son avocat n’a pas été versée au dossier qui m’a été soumis, mais l’enquêteur a conclu qu’elle visait à garantir que Mme Casler continue à recevoir des revenus et qu’il n’y était pas question d’un besoin de mesures d’adaptation en milieu de travail.

 

[13]           L’enquêteur a également conclu qu’une grande partie des antécédents médicaux de Mme Casler n’avaient été portés à la connaissance du CN que lorsque son syndicat avait présenté un grief en son nom en 2004. L’enquêteur a conclu de ces faits que le CN n’avait pas été informé que Mme Casler avait besoin de mesures d’adaptation avant le dépôt de son grief en 2004. Dans son résumé de la preuve, l’enquêteur écrit ce qui suit : 

[traduction]

 

59.       Il ressort de la preuve que la plaignante n’a fait connaître son besoin de mesures d’adaptation à l’intimé qu’en août 2004.

 

60.       Il ressort de la preuve que la plaignante n’a pas collaboré avec l’intimé en vue de trouver des mesures d’adaptation en refusant de retourner au travail, en ne lui fournissant pas de renseignements médicaux pour appuyer sa demande de mesures d’adaptation complémentaires et en ne se présentant pas aux épreuves de recyclage sur la réglementation malgré les nombreuses occasions qui lui ont été offertes. On aurait peut-être mieux répondu aux besoins de la plaignante si elle avait occupé un poste sédentaire plutôt qu’un poste dans des trains en mouvement. Toutefois, la plaignante n’a jamais fourni à l’intimé de renseignements d’ordre médical pour justifier le besoin de mesures d’adaptation sous forme de poste sédentaire et la plaignante n’a jamais cherché à obtenir des mesures d’adaptation en demandant un poste sédentaire.

 

61.       Vu l’ensemble de la preuve, il semble que la plaignante n’a pas collaboré avec l’intimé, excluant ainsi la possibilité que des mesures d’adaptation soient prises pour lui offrir un poste ailleurs que dans la gare de triage. Compte tenu de son manque de collaboration, de son défaut de soumettre des renseignements médicaux utiles et de l’omission de formuler une demande claire, on ne peut conclure que l’intimé avait l’obligation d’accommoder la plaignante en lui offrant un poste sédentaire.

 

62.       La preuve ne semble pas appuyer l’allégation de la plaignante suivant laquelle elle a fait l’objet d’une différence de traitement préjudiciable sur le fondement de son sexe.

 

 

[14]           Après examen de la plainte de différence de traitement de Mme Casler, l’enquêteur a conclu que, parmi les personnes que le CN avait accommodées, certaines étaient des femmes. L’enquêteur a également consulté la base de données de Travail Canada qui indiquait qu’en pourcentage, le CN employait un nombre plus élevé de femmes handicapées que d’hommes handicapés. L’enquêteur a conclu, à partir de ces éléments de preuve, qu’aucune discrimination systémique ne pouvait être démontrée.

 

[15]           Une grande partie du reste de l’examen que l’enquêteur a fait de la conduite de Mme Casler et du CN portait sur des faits survenus en dehors de la période de référence.

 

[16]           Sur le fondement des conclusions qui précèdent, l’enquêteur a recommandé que la plainte de Mme Casler soit rejetée et la Commission a souscrit à cette conclusion pour les raisons suivantes :

a)         il semble que le CN avait fait des efforts raisonnables pour tenir compte du handicap de Mme Casler;

b)         il semble que Mme Casler n’avait pas pleinement collaboré avec le CN en vue de trouver des mesures d’adaptation;

c)         il semble que la preuve n’appuyait pas l’allégation de différence de traitement préjudiciable fondé sur le sexe.

 

[17]           La présente demande de contrôle judiciaire fait suite à cette décision de la Commission.

 

Questions en litige

[18]           L’enquête menée par la Commission était-elle inadéquate au point de constituer un manquement à l’équité procédurale?

 

[19]           La Commission a-t-elle omis de tenir compte d’éléments de preuve importants?

 

Analyse

 

[20]            L’examen préalable auquel se livre la Commission en vertu de l’article 44 de la Loi a été comparé au rôle qu’exerce le juge chargé de présider une enquête préliminaire. La Cour suprême du Canada décrit ce rôle comme suit dans l’arrêt Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, 140 DLR (4th) 193, au paragraphe 53 :

53        La Commission n’est pas un organisme décisionnel; cette fonction est remplie par les tribunaux constitués en vertu de la Loi. Lorsqu’elle détermine si une plainte devrait être déférée à un tribunal, la Commission procède à un examen préalable assez semblable à celui qu’un juge effectue à une enquête préliminaire. Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L’aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s’il existe une preuve suffisante. Le juge Sopinka a souligné ce point dans Syndicat des employés de production du Québec et de L’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, à la p. 899 :

 

L’autre possibilité est le rejet de la plainte. À mon avis, telle est l’intention sous‑jacente à l’al. 36(3)b) pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d’un tribunal en application de l’art. 39. Le but n’est pas d’en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[21]           Lorsqu’elle procède à l’examen préalable d’une plainte, la Commission s’en remet au travail de l’enquêteur, qui rencontre habituellement des témoins et examine le dossier documentaire disponible. Il a été jugé que, lorsque la Commission adopte les recommandations de l’enquêteur dans sa décision, le rapport de l’enquêteur fait partie des motifs de la Commission (Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392, au paragraphe 37).

 

[22]           Ainsi que les tribunaux l’ont fait observer dans les décisions précitées, la décision de la Commission de rejeter la plainte ou de la renvoyer à un tribunal exige une certaine appréciation de la preuve pour déterminer si elle est suffisante pour justifier la tenue d’une audience sur le fond. C’est cet aspect du processus qui, comme il a été dit, commande la déférence dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence, toutefois, lorsqu’il s’agit d’examiner l’équité du processus et notamment l’exhaustivité de l’enquête. S’agissant de ces questions, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Best c. Canada (Procureur général), 2011 CF 71, aux paragraphes 16 à 19; Ibrahim c. Shaw Cablesystems G.P., 2010 CF 1220, au paragraphe 16).

 

[23]           Pour me prononcer sur la question de l’équité, je m’inspire des énoncés suivants que l’on trouve dans l’arrêt Sketchley, précité : 

112      Il est clair que, dans ses enquêtes sur des plaintes individuelles, la Commission a une obligation d’équité procédurale puisque la question de savoir « si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante » (SEPQA, à la page 899) ne peut être examinée si l’enquête est viciée à la base. Comme l’a dit la Cour suprême du Canada dans SEPQA, « [d]’une manière générale, les plaignants comptent sur la Commission pour produire des preuves devant un tribunal constitué en vertu de l’article 39 [aujourd’hui, l’article 49]. Une enquête sur la plainte est donc indispensable pour permettre à la Commission de remplir ce rôle » (à la page 898). Le même facteur, à savoir la nature indispensable de l’enquête concernant le traitement de chaque plainte par la Commission, s’applique également à une enquête entreprise avant le rejet d’une plainte en vertu de l’alinéa 44(3)b). Lorsqu’une enquête appropriée n’a pas été faite pour examiner la plainte, une décision de la Commission fondée sur cette enquête ne peut être raisonnable puisque le défaut découle de la preuve même utilisée par la Commission pour prendre sa décision (Singh, au paragraphe 7).

 

[…]

 

120      Dans Slattery, le juge des requêtes a examiné le degré de rigueur requis pour que l’enquête satisfasse aux règles d’équité procédurale dans ce contexte. Il a souligné le « rôle essentiel que les enquêteurs sont appelés à jouer lorsqu’il s’agit de déterminer le bien‑fondé de chaque plainte » (à la page 599) et les intérêts respectifs du plaignant, de l’intimé et de l’appareil administratif dans son ensemble (à la page 600). Il a conclu en ces termes (aux pages 600 et 601) :

 

56        Il faut faire montre de retenue judiciaire à l’égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n’est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante, qu’un contrôle judiciaire s’impose [. . .]

 

57        Dans des situations où les parties ont le droit de présenter des observations en réponse au rapport de l’enquêteur, comme c’est le cas en l’espèce, les parties peuvent compenser les omissions moins graves en les portant à l’attention du décideur. Par conséquent, ce ne serait que lorsque les plaignants ne sont pas en mesure de corriger de telles omissions que le contrôle judiciaire devrait se justifier. Même s’il ne s’agit pas d’une liste exhaustive, il me semble que les circonstances où des observations supplémentaires ne sauraient compenser les omissions de l’enquêteur devraient comprendre : (1) les cas où l’omission est de nature si fondamentale que le seul fait d’attirer l’attention du décideur sur l’omission ne suffit pas à y remédier; ou (2) le cas où le décideur n’a pas accès à la preuve de fond en raison de la nature protégée de l’information ou encore du rejet explicite qu’il en a fait.

 

[121]    Eu égard aux facteurs de l’arrêt Baker, je conviens qu’il s’agit d’une description appropriée du contenu de l’équité procédurale en l’espèce.

 

 

            Équité

[24]           Mme Casler affirme que la Commission a commis une erreur en n’examinant ou en n’analysant pas les éléments de preuve, en particulier des éléments de preuve médicaux cruciaux. Elle reproche également à l’enquêteur [traduction] « de ne s’être jamais donné la peine de [l’]interroger » ou d’interroger d’autres témoins importants pour déterminer l’ampleur des communications échangées avec le CN au sujet de la nécessité de prendre des mesures d’adaptation. Ces omissions constituent selon elle un manquement au devoir d’équité procédurale.

 

[25]           Les préoccupations exprimées par Mme Casler au sujet du fait que l’enquêteur ne l’a pas interrogée sont fallacieuses. L’enquêteur lui a demandé une entrevue qu’elle a refusée par le truchement de son avocat. Cet aspect est mentionné dans le passage suivant du rapport de l’enquêteur :

[traduction]

 

[…]  À l’époque, la plaignante a expliqué qu’en raison de la nature de son handicap, elle n’était pas en mesure de participer à une entrevue parce qu’elle devenait confuse. Elle a invité l’enquêteur à passer par son avocat.

 

13.       L’enquêteur a parlé à l’avocat de la plaignante le 11 mars 2009 et lui a demandé s’il avait des éléments de preuve à ajouter à ceux qui avaient déjà été soumis et s’il pouvait faciliter la tenue d’une entrevue avec la plaignante. L’avocat a expliqué que la plaignante n’allait pas bien et qu’elle aurait de la difficulté à participer à une entrevue téléphonique. Il a ajouté qu’il examinerait le dossier avec la plaignante pour voir s’il avait des éléments de preuve complémentaires à soumettre pour le compte de celle-ci. L’enquêteur a communiqué avec l’avocat de la plaignante le 24 mars 2009 pour savoir si d’autres éléments de preuve allaient être présentés. En date du 27 mars 2009, aucun autre élément de preuve n’avait été reçu de la plaignante ou de son avocat.

 

 

Mme Casler n’est pas d’accord avec ces explications au sujet de sa disponibilité, citant une lettre que son avocat lui a adressée le 1er mai 2009 dans laquelle la possibilité d’une entrevue téléphonique avait été évoquée [traduction] « pour aborder toute autre question que vous pouvez avoir au sujet de la présente plainte ».

 

[26]           Je ne décèle aucune contradiction entre les observations de l’enquêteur et l’offre subséquente d’entrevue téléphonique de Mme Casler. Ce qui est clair, c’est que Mme Casler a refusé la première demande d’entrevue de l’enquêteur. Ce n’est qu’après avoir pris connaissance du rapport de l’enquêteur qu’elle a exprimé un certain intérêt pour une entrevue téléphonique. Il me semble que les préoccupations que soulève maintenant Mme Casler au sujet des faiblesses de l’enquête doivent être examinées en tenant compte de son propre manque d’empressement à offrir sa pleine collaboration pour faciliter le processus. Sa volonté apparente de participer à la fin de l’enquête contredit vraisemblablement l’argument qu’elle n’était pas en mesure de participer à l’enquête lors de ses premières étapes. On ne saurait reprocher à l’enquêteur de manquer à ses obligations en matière d’équité parce qu’il n’a pas donné suite à l’offre tardive d’entrevue téléphonique, d’autant plus que celle-ci ne devait porter que sur [traduction] « toute autre question ». On ne devrait par ailleurs pas être étonné d’apprendre que la version des faits de l’employeur est celle que l’enquêteur a finalement retenue après que Mme Casler eut refusé dans un premier temps de participer à une entrevue.

 

[27]           Les reproches que Mme Casler adresse à la Commission, qui aurait selon elle omis de tenir compte d’éléments de preuve cruciaux, sont également dénués de tout fondement. D’ailleurs, une partie importante du dossier médical sur lequel elle se fonde maintenant a été créé bien en dehors de la période de référence, de sorte que la Commission ne pouvait en tenir compte pour rendre sa décision. Il en est de même pour une grande partie de la réponse de Mme Casler au rapport de l’enquêteur, dans laquelle elle continue à se plaindre de la conduite du CN avant août 2000 et après septembre 2004. Elle reproche aussi sans raison à son syndicat de ne pas l’avoir aidée. Les griefs que Mme Casler pouvait avoir contre son syndicat n’ont aucun rapport avec sa plainte contre le CN.

 

[28]           Bien que Mme Casler ait soutenu énergiquement dans sa réponse à l’enquêteur que la preuve médicale (en particulier le rapport du 16 avril 2004 du docteur Morrison) appuyait sa demande de mesures d’adaptation, il n’y a rien dans sa réponse qui laisse entendre qu’il était nécessaire d’interroger d’autres témoins ou que l’enquêteur avait de toute évidence négligé des éléments de preuve importants relatifs à son état de santé ou à son emploi. En tout état de cause, la Commission et ses enquêteurs jouissent d’une grande latitude quant à la façon de mener l’enquête; ils procèdent de la façon qui s’impose et qui est appropriée selon eux. Ce qui importe, c’est qu’ils recueillent suffisamment de renseignements pour comprendre les éléments essentiels de la plainte, pas nécessairement chaque détail (Tutty c. Canada (Procureur général), 2011 CF 57, au paragraphe 29, Herbert c. Canada (Procureur général), 2008 C 969, au paragraphe 18).

 

[29]           Bien que je sois d’accord avec Me Scher pour dire qu’une grande partie de la preuve médicale indiquait que l’état de santé de Mme Casler limitait sa capacité à travailler pendant la plus grande partie de la période de référence, il m’est impossible de conclure que la conclusion de l’enquêteur était déraisonnable. Les divers rapports médicaux offrent des avis différents au sujet des limitations précises de Mme Casler, en partant de l’avis du 13 août 2003 dans lequel le docteur Flor-Henry se disait d’avis que Mme Casler était inapte à quelque travail que ce soit, jusqu’à l’avis du 25 octobre 2004 dans lequel le docteur Esmail se disait d’avis qu’elle pouvait soulever à l’occasion des charges allant jusqu’à 75 livres et des charges maximales de 40 livres de façon régulière. De même, il est vrai que le rapport fouillé du 16 avril 2004 du docteur Morrison n’a identifié aucune restriction sur le plan mental, mais le même médecin a par la suite signalé des restrictions cognitives graves au point où Mme Casler était selon lui incapable de se présenter aux examens sur la règlementation exigés par le CN. Il existe des éléments de preuve à l’appui de la conclusion de l’enquêteur suivant laquelle la preuve médicale ne correspondait pas tout à fait avec l’état de santé de Mme Casler ou avec ses restrictions à l’emploi et il ne m’est pas loisible, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, de réévaluer ces éléments de preuve ou de substituer mon appréciation à celle de l’auteur de la décision.

 

[30]           Il existe également de solides éléments de preuve qui permettaient à l’enquêteur de conclure que, pendant une grande partie de la période de référence, des éléments importants du dossier médical de Mme Casler n’avaient pas été divulgués au CN. Il se peut fort bien que Mme Casler ait communiqué ces éléments à son syndicat en s’attendant jusqu’à un certain point à ce que celui-ci les communique au CN, mais, ainsi que la Commission l’a implicitement reconnu, on ne peut reprocher au CN de ne pas avoir tenu compte de renseignements dont il ne disposait pas.

 

[31]           Le relevé d’emploi de Mme Casler indique qu’elle s’est contentée de retirer des prestations d’invalidité lorsqu’elle y avait droit et qu’elle a fait très peu d’efforts, au cours de la période de référence du moins, pour tenir le CN au courant de l’évolution de son état de santé ou pour montrer qu’elle était apte au travail. En fait, entre mars 2001, lorsque son droit à des prestations d’invalidité de courte durée a pris fin, et août 2004, lorsque son syndicat a déposé un grief pour son compte, elle semble n’avoir pratiquement rien fait pour faire savoir au CN qu’elle était intéressée à reprendre le travail à condition que des mesures d’accommodement soient prises. L’obligation de tenir compte des besoins de l’employé ne reposait pas uniquement sur le CN (Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, 95 DLR (4th) 577). Mme Casler et son syndicat avaient l’obligation correspondante de justifier ses contraintes et de faciliter activement son retour au travail sous une forme ou une autre d’emploi rémunérateur. Il n’était pas déraisonnable de la part de l’enquêteur de conclure, au vu du dossier, que Mme Casler n’avait pas défendu comme il se doit sa propre cause en vue d’obtenir un emploi adapté à ses besoins.

 

[32]           Le dossier indique également que le CN avait effectivement tenu compte de la situation de Mme Casler en l’affectant temporairement à un poste de signaleuse, poste qu’elle a occupé jusqu’à la fin du mois d’août 2000. Entre le 3 septembre 2000 et le 6 mars 2001, Mme Casler a reçu des prestations d’invalidité de longue durée. Ce n’est qu’après l’expiration de sa période d’admissibilité à ces prestations qu’elle a demandé l’aide de son syndicat et qu’elle a ensuite porté plainte au CCRI, en 2003, en faisant valoir que son syndicat avait manqué à son devoir de l’aider à obtenir des mesures d’adaptation. Suivant la décision du CCRI, Mme Casler n’avait pas été en mesure de fournir des renseignements médicaux entre avril 2001 et avril 2003 et avait communiqué pour la dernière fois avec son syndicat en août 2001. La conclusion du CCRI est compatible avec le dossier qui m’est soumis, qui fait état d’un trou de deux ans dans le dossier médical et qui ne renferme rien au sujet de tentatives faites en vue d’établir un contact avec le CN avant l’échange de lettres de mars 2003. Malgré ces éléments de preuve, Mme Casler affirme qu’elle avait l’impression que son syndicat s’occuperait de demander des mesures d’adaptation pour elle.  

 

[33]           La plainte que Mme Casler a portée devant le CCRI semble avoir débouché sur le grief que le syndicat a déposé en août 2004 (à la fin de la période de référence). Malgré la position du CN suivant laquelle le grief a été présenté longtemps après l’expiration du délai prescrit, le CN a fait savoir au syndicat qu’il était prêt à discuter de l’affaire :

[traduction]

 

En l’espèce, la compagnie n’a aucune trace de communication de Mme Casler ou de demande de mesures d’adaptation que celle-ci lui aurait adressée, étant donné qu’elle a cessé de travailler et a commencé à toucher des prestations de maladie en août 2000. Ainsi que le syndicat l’a souligné, les prestations de maladie de Mme Casler ont cessé en mars 2001, de sorte que tout grief devait être présenté au plus tard en juin 2001 et, en tout état de cause, ne devait pas être présenté plus de trois ans plus tard.

 

Malgré ce qui précède, la compagnie est disposée à rencontrer le syndicat, en dehors de toute procédure de règlement des griefs, pour discuter de la situation de Mme Casler et des éventuelles mesures d’adaptation viables qui pourraient être prises, en tenant compte de ses restrictions. Veuillez nous préciser vos disponibilités.

 

 

Ce grief a vraisemblablement été par la suite retiré. En 2008, le CCRI a rejeté la plainte portée par Mme Casler contre son syndicat, en partie parce que ce grief avait été déposé quelque 26 mois après son dernier contact avec le syndicat, mais aussi parce que ses longues absences avaient eu pour effet de retarder le processus.

 

[34]           À la lumière de ces faits, il n’est guère étonnant que la Commission ait elle aussi rejeté la plainte de Mme Casler. Il ressort du dossier qui m’a été soumis que, pour une raison ou pour une autre, Mme Casler a, pendant la plus grande partie de la période de référence, montré très peu d’empressement à chercher à convaincre le CN de prendre des mesures d’adaptation raisonnables à son égard. Dans la mesure où elle peut être justifiée de se plaindre des agissements du CN après 2004, ces agissements ne se rapportent pas à la période que la Commission avait entrepris d’examiner. On ne sait pas avec certitude pourquoi l’enquêteur a choisi de se pencher sur une partie de ces faits ultérieurs, mais cette décision a eu comme résultat malheureux de compliquer inutilement le dossier de la preuve, en plus de donner lieu à des arguments qui débordaient manifestement le cadre du présent contrôle judiciaire.

 

[35]           J’ajouterais, pour conclure, qu’il n’y a aucune raison valable de contester la conclusion de l’enquêteur suivant laquelle Mme Casler n’a pas fait l’objet d’une différence de traitement préjudiciable par rapport aux employés de sexe masculin se trouvant dans la même situation qu’elle. La preuve versée au dossier justifiait amplement cette conclusion, et Mme Casler ne l’a pas vraiment contestée.

 

Conclusion

[36]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Pour le cas où CN souhaiterait que Mme Casler soit condamnée aux dépens, je vais accorder au CN 10 jours pour formuler par écrit des observations d’au plus trois pages. S’il le fait, Mme Casler se verra accorder une possibilité équivalente de présenter une réponse.

 


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire et suspend sa décision quant aux dépens.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-1168-09

 

INTITULÉ :                                                   CASLER c. COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 12 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 9 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hugh Scher

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Simon-Pierre Paquette

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Scher Law Professional Corporation

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

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