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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20110208

Dossier : IMM-3117-10

Référence : 2011 CF 139

Ottawa (Ontario), le 8 février 2011

En présence de monsieur le juge Boivin 

 

ENTRE :

 

JOSE ALFREDO VEGA ZARZA

ABIGAIL PICHARDO ROMERO

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) à l'encontre d'une décision rendue le 7 mai 2010 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (le Tribunal). Dans sa décision, le Tribunal a statué que les demandeurs n'avaient qualité ni de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

Contexte factuel

[2]               Les demandeurs, monsieur Jose Alfredo Vega Zarza et sa conjointe, madame Abigail Pichardo Romero, sont citoyens du Mexique.

 

[3]               Le 6 novembre 2007, un individu aurait abordé monsieur Vega Zarza pour lui proposer de vendre de la drogue pour le compte d’un certain El Gavilan. Monsieur Vega Zarza affirme avoir aussitôt refusé la proposition.

 

[4]               Deux jours plus tard, soit le 8 novembre 2007, un individu serait venu une autre fois pour avoir sa réponse. Monsieur Vega Zarza aurait une fois de plus décliné l’offre. La même journée, quatre individus se sont présentés à leur résidence, en faisant croire qu’ils étaient des policiers. Madame Pichardo Romero a refusé de leur ouvrir la porte. Ils lui auraient dit qu’ils reviendraient. Les demandeurs allèguent que leur maison fut surveillée pendant environ une semaine.

 

[5]               Le 16 novembre 2007, monsieur Vega Zarza se serait présenté au Palais de Justice de Toluca pour déposer une requête de protection. Les personnes en place l’auraient fait revenir plusieurs fois et la requête n’aurait pas eu de suite.

 

[6]               Le 20 novembre 2007, monsieur Vega Zarza aurait été enlevé, battu, séquestré par cinq (5) individus qui lui auraient réitéré leur demande de vendre de la drogue pour eux. Les individus l’auraient laissé inconscient sur le bord de la route. Après être rentré chez lui, le couple aurait décidé de chercher refuge ailleurs.

 

[7]               Le 21 novembre 2007, les demandeurs sont allés chez des oncles de madame Pichardo Romero à San Mateo. Ils ont du quitter puisque les agresseurs les auraient retrouvés.

 

[8]               Le 24 novembre 2007, les demandeurs sont ensuite allés se réfugier chez un autre oncle de madame Pichardo Romero dans le District fédéral. Le16 décembre 2007, deux des quatre (4) hommes qui étaient venu à la résidence du couple se sont présentés à la résidence de l’oncle et aurait menacé de mort les demandeurs ainsi que leur enfant à naître.

 

[9]               Le 11 février 2008, les demandeurs sont venus au Canada et ont demandé l’asile le jour même.

 

Décision contestée

[10]           Dans sa décision du 7 mai 2010, le Tribunal a rejeté la demande d'asile des demandeurs pour deux motifs. En premier lieu, le Tribunal a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles puisque l’audience a révélé des inconsistances, incohérences et contradictions dans les témoignages.

 

[11]           Toutefois, le Tribunal a noté qu’il ne s’est pas attardé à valider ou réfuter les allégations des demandeurs ni à démontrer le manque de crédibilité puisque même si les demandeurs étaient crédibles, le Tribunal est arrivé à la conclusion que les demandeurs disposaient d’un refuge interne.

 

[12]           À cet égard, le Tribunal a fait une analyse de la jurisprudence applicable en matière de possibilité de refuge interne (PRI). Le Tribunal a noté que lors de l’audience, il a donné la chance aux demandeurs d’étayer leur preuve à ce sujet et que ces derniers ont été incapables d’expliquer pourquoi les villes proposées pouvaient s’avérer déraisonnables et/ou pourquoi il pouvait exister pour eux une possibilité sérieuse qu’ils y soient persécutés.  

 

[13]           Le Tribunal a identifié deux villes à titre de PRI et jugé que les demandeurs n'y seraient pas exposés à une crainte de persécution de la part de leurs agresseurs. Le Tribunal a estimé que le déménagement des demandeurs dans l'une des villes identifiées constituait une option réaliste et raisonnable. Le Tribunal a donc conclu que les demandeurs ne s'étaient pas déchargés du fardeau qui leur incombait de démontrer qu'il n'existait pas de PRI pour eux.

 

Législation pertinente

[14]           Les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés se lisent comme suit :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

Question en litige

[15]           Cette demande présente la question en litige suivante :

Est-ce que le Tribunal a erré en concluant qu'il existe une possibilité de refuge interne (PRI) pour les demandeurs?

 

Norme de contrôle

[16]           La Cour a conclu dans la décision Mejia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de
l'Immigration)
2009 CF 354, [2009] ACF no 438, au paragraphe 26, qu'à la lumière de l'arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, la norme de contrôle applicable aux conclusions quant à la crédibilité et aux décisions relatives à la PRI était celle de la raisonnabilité :

[26] Pour ce qui est de la norme de contrôle applicable à l'existence d'une PRI, la Cour, dans la décision Diaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2008] A.C.F. no 1543 (C.F.), au paragraphe 24, a résumé comme suit la jurisprudence :

 

[...] Ortiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2006] A.C.F. no 1716, résume les éléments des conclusions relatives à une PRI en contrôle judiciaire : "[Le juge Richard] a statué au paragraphe 26 qu'il faut faire preuve de retenue à l'égard de ces décisions rendues par la Commission parce que cette question relève directement du champ d'expertise de celle-ci. Ces décisions exigent l'appréciation de la situation des demandeurs, telle qu'ils l'ont expliquée dans leur déposition, et une compréhension experte de la situation existant dans le pays" (voir Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 2018). Compte tenu de ces questions, la Cour a conclu que la norme de contrôle applicable est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui existait avant l'arrêt Dunsmuir susmentionné.

 

            […]

 

Par conséquent, la jurisprudence est fixée : la Cour ne doit modifier la conclusion de la Commission concernant la question de la PRI que si cette conclusion est manifestement déraisonnable. Par conséquent, à la suite de l'arrêt Dunsmuir, susmentionné, la norme de contrôle applicable est la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

Analyse

[17]           Les demandeurs soulèvent que le Tribunal a erré dans son analyse sur la crédibilité des faits. Selon l’argument présenté par la procureure des demandeurs, le Tribunal se devait d’élaborer sur la question de la crédibilité. Malgré la présentation habile de la procureure des demandeurs, la Cour ne peut souscrire à ses arguments. 

 

[18]           En effet, en lisant le paragraphe 6 de la décision du Tribunal dans son contexte, il ressort que les commentaires du Tribunal sont à l’effet qu’il ne s’attarderait pas à valider ou à réfuter les allégations des demandeurs car, en l’espèce, le Tribunal pouvait disposer de la demande d’asile sur la base d’une PRI. Dans ce cas, la jurisprudence de cette Cour confirme que lorsqu’un Tribunal conclut au sujet d'une PRI, cette conclusion est suffisante pour rejeter la demande d'asile puisque la possibilité de refuge interne est inhérente à la notion même de réfugié et de personne à protéger (Estrella c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 633, [2008] ACF no 806). Ainsi, la Cour est d’opinion que, dans les circonstances, il n’était pas nécessaire d’aborder point par point les allégations des demandeurs puisque la décision du Tribunal ne s’appuie pas sur la question de la crédibilité mais plutôt sur la possibilité d’un refuge interne. La jurisprudence soumise par la procureure des demandeurs lors de l’audience (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration) c Koriagin, 2003 CF 1210, [2003] ACF no 1534; Kedelashvili c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 465, [2010] ACF no 547) ne soulève pas la question d’une PRI et ne trouve donc pas application dans le cas sous étude.

 

[19]           La Cour rappelle que le Tribunal est présumé avoir considéré l’ensemble de la preuve, à moins que le contraire ne soit démontré, et il n’est pas tenu d’évoquer toutes les preuves (Florea c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1993] ACF no 598).

 

[20]           Se référant à l’arrêt Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2008 CF 1214, [2008] ACF no 1533, au para 32, le Tribunal a souligné ce qui suit dans sa décision :

[32] Il est bien établi qu'en matière de possibilité de refuge interne, le fardeau de preuve appartient au revendicateur d'asile (Del Real c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2008] A.C.F. no 170, 2008 CF 140 au paragr. 18). Ainsi, la demanderesse devait démontrer, soit qu'il serait déraisonnable pour elle de chercher refuge dans une autre partie du pays, ou soit prouver l'existence réelle de conditions l'empêchant de se relocaliser ailleurs au Mexique, ce qu'elle n'a pas fait.

 

[21]           Dans Julien c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 313, [2005] ACF no 428, au para 9, la Cour a rappelé le concept de PRI en s’appuyant sur la décision Rasaratnam c Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.A.F.) [1992] 1 CF 706, [1991] ACF No 1256, de la Cour d'appel fédérale :

[9] Afin qu'une demande d'asile soit acceptée sous l'article 96 ou 97 de la Loi, il ne doit pas y avoir de possibilité de refuge à l'intérieur du pays de nationalité de la demanderesse :

 

En ce qui concerne la troisième, puisque, par définition, le réfugié au sens de la Convention doit être un réfugié d'un pays, et non d'une certaine partie ou région du pays, le demandeur ne peut être un réfugié au sens de la Convention s'il existe une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. Il s'ensuit que la décision portant sur l'existence ou non d'une telle possibilité fait partie intégrante de la décision portant sur le statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur [...] (Rasaratnam c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1992] 1 C.F. 706 (C.A.) au paragraphe 8).

 

 

[22]           Les demandeurs allèguent qu’il est déraisonnable de croire que leurs persécuteurs seraient incapables de les retrouver dans les villes proposées par le Tribunal puisqu’ils ont réussi à les retrouver dans Mexico District fédéral, la ville la plus grande et la plus peuplé du Mexique.

 

[23]           La Cour ne peut souscrire à cet argument pour les raisons suivantes. En premier lieu, les deux villes où les demandeurs ont trouvé refuge, soit San Mateo et Mexico District fédéral, sont situées à proximité de leur ville de résidence, Toluca. Ensuite, les demandeurs ont trouvé refuge chez les oncles de madame Pichardo Romero. Il n’est donc pas déraisonnable de croire, comme l’a souligné le procureur du défendeur que, dans ces circonstances, il est plus facile de les retrouver en effectuant une simple recherche. Finalement, les villes proposées par le Tribunal, soit Hermosilla (Sonora) et La Paz (Baja California), se trouvent à l’autre extrémité du Mexique. Il est raisonnable de douter que les persécuteurs réussissent à retracer les demandeurs.

 

[24]           Les demandeurs allèguent également que leurs persécuteurs sont policiers et qu’ils auraient ainsi une plus grande facilité à les retracer. Or, la preuve au dossier est loin d’être éloquente à ce sujet. En effet, les notes sténographiques font référence à « des personnes qui se font passer pour des policiers » (Dossier de la Cour, p 178) et l’affidavit des demandeurs faire référence à des « soi-disant policiers » (Dossier de la Cour, p 33).

 

[25]           Il convient de rappeler que le fardeau de démontrer qu’une PRI est déraisonnable est lourd (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 CF 164) et ce fardeau appartient aux demandeurs.

 

[26]           En l’espèce, les demandeurs n’ont aucunement fait la preuve qu’il leur était impossible de trouver refuge dans les deux villes proposées par le Tribunal. En outre, rien ne permet à la Cour de conclure que le Tribunal a commis une erreur et que sa décision est déraisonnable. Pour ces motifs, la Cour conclut que la décision contestée entre dans l’éventail des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir).

 

[27]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question n’est soulevée aux fins de certification et ce dossier n’en contient aucune. 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

Aucune question n'est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3117-10

 

INTITULÉ :                                       JOSE ALFREDO VEGA ZARZA et al

                                                            c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Claudette Menghile

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Alain Langlois

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Étude légale

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-ministre et Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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