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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20101220

Dossier : IMM-2252-10

Référence : 2010 CF 1313

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

ANTHEA JANELL CATO et KOREY KYLE JAYVORN CATO

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) (la Commission) en date du 10 mars 2010 par laquelle il a été décidé qu’Anthea Cato (la demanderesse principale) et Korey Cato (le demandeur enfant) ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

 

[2]               Les dispositions légales pertinentes sont jointes aux présents motifs à l’annexe A.

 

Les faits

[3]               Les demandeurs sont une mère âgée de trente (30) ans et son fils âgé de trois (3) ans, tous deux citoyens de Saint-Vincent-et-les Grenadines.

 

[4]               Leur demande d’asile s’appuie sur la déclaration voulant qu’ils soient victimes de violence physique et psychologique de la part d’Edwin Johnson, l’ex-mari de la demanderesse principale et le père du demandeur enfant.

 

[5]               La demanderesse principale a affirmé avoir été victime de mauvais traitements de la part de son ex-mari depuis le début de leur relation en 1999. Malgré les agressions, celle-ci a tout de même pris la décision, lorsqu’elle est tombée enceinte, de rester avec M. Johnson afin d’avoir un soutien financier.

 

[6]               La demanderesse principale affirme aussi avoir signalé les agressions aux autorités policières de Saint-Vincent-et-les Grenadines à plusieurs reprises, celles-ci ne donnant pas suite aux signalements.

 

[7]               Les demandeurs ont déménagé lorsque M. Johnson a arrêté de fournir son soutien, et les menaces se sont alors intensifiées. La demanderesse principale affirme qu’elle vivait dans une peur constante à cette époque.

 

[8]               Les demandeurs sont d’abord venus au Canada en décembre 2006 pour une visite de trois semaines durant la période de Noël et sont ensuite rentrés à Saint-Vincent-et-les Grenadines.

 

[9]               Le 15 décembre 2007, les demandeurs sont revenus au Canada avec un permis de résidence temporaire et ont revendiqué le statut de réfugié le 26 février 2008.

 

La décision sous contrôle

[10]           La Commission affirme que la crédibilité et le manque de preuve démontrant que les demandeurs font face à une possibilité réelle de persécution sont les points sur lesquels sa décision repose dans la présente affaire.

 

Les questions en litige

[11]           Relativement aux conclusions se rapportant à la crédibilité, les demandeurs prétendent essentiellement que la Commission a commis une erreur d’évaluation de la crédibilité de la demanderesse principale en ne tenant pas compte de son état pathologique particulier dû à son trouble du stress post-traumatique (le TSPT) et aux conséquences de ce trouble sur son habileté à témoigner.

 

[12]           La demanderesse principale soutient également qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité.

 

La norme de contrôle

[13]           Il s’agit de questions de fait et de questions mixtes de fait et de droit qui font l’objet de la norme de raisonnabilité. La Cour a jugé que les décisions de la Commission concernant la crédibilité et le manque de preuve quant à la crainte de persécution devaient être contrôlées selon la norme de raisonnabilité (Aguirre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, [2008] A.C.F. n° 732 (QL), au paragraphe 14). Par conséquent, la Cour n’interviendra que si la décision ne correspond pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 2008 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

[14]           Les demandeurs prétendent que la conduite du commissaire dénotait la partialité contre la demanderesse principale et son avocat durant l’audience, et qu’une telle conduite a compromis l’intégrité de l’audience. La Cour suprême a déclaré que les questions relatives à l’équité de la procédure font l’objet de la décision correcte (Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43), et, le cas échéant, la Cour interviendra si elle conclut qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité.

 

Analyse

[15]           La Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant la demande de la demanderesse principale au motif du manque de crédibilité?

 

[16]           La demanderesse principale soutient que la Commission a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de ses caractéristiques particulières et qu’elle s’est appuyée sur des erreurs pour mettre en doute sa crédibilité.

 

[17]           La demanderesse principale a présenté des preuves devant la Commission, soit une lettre de sa travailleuse sociale, une lettre de sa psychiatre attestant qu’elle souffre du TSPT ainsi qu’une copie d’une ordonnance médicale, et soutient que celles-ci corroborent son témoignage concernant sa crainte d’être persécutée par son ex-mari.

 

[18]           La Commission affirme qu’elle a tenu compte des Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe de la présidente pour arrêter sa décision dans la présente affaire et affirme également avoir tenu compte de la lettre de la Dr Janique Harvey, la psychiatre de la demanderesse principale.

 

[19]           Cependant, la Commission a conclu que la demanderesse principale s’était contredite lors de son témoignage, qu’elle avait omis plusieurs renseignements dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP) et qu’elle apportait des changements à son témoignage, ce qui renforçait ainsi la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n’était pas crédible quant à sa crainte d’être persécutée par son ex-mari si elle retournait à Saint-Vincent-et-les Grenadines.

 

[20]           Dans ses motifs, la Commission a fait savoir que les témoignages de la demanderesse principale et de sa mère « laissent planer des zones d’ombre sur les véritables intentions de la demandeure lors de son voyage de 1999, ainsi que sur son refus de se souvenir des raisons pour lesquelles on ne lui a pas permis l’entrée au Canada à ce moment ».

 

[21]           La conclusion défavorable de la Commission quant à la crédibilité s’appuie en partie sur des conclusions de fait erronées.

 

[22]           La Commission a exposé les grandes lignes du témoignage de la demanderesse concernant un incident à la suite duquel elle avait demandé la protection de la police, pour démontrer la façon dont elle modifiait son témoignage. La Commission a conclu que la demanderesse principale avait modifié son témoignage en racontant l’incident, parce qu’elle avait oublié avoir affirmé qu’elle habitait avec son ex-mari au moment de cet incident. La Commission a également conclu que la demanderesse principale n’avait jamais habité avec son ex-mari, parce qu’aucun changement d’adresse n’était mentionné dans le FRP, alors que la raison de cette incohérence est qu’il n’y a pas d’adresses dans le village de Biabou, endroit où la demanderesse principale habitait avant, pendant et immédiatement après sa relation avec le père de son fils.

 

[23]           La Commission a conclu que le TSPT de la demanderesse principale n’avait pas influencé son incapacité à se rappeler des détails entourant sa visite au Canada en 1999, parce que le voyage avait précédé les mauvais traitements infligés par son ex-mari. En fait, la demanderesse principale était déjà enceinte au moment du voyage et était déjà dans une relation de violence depuis plusieurs mois.

 

[24]           Le commissaire a également conclu que les bonnes dispositions dans lesquelles la demanderesse principale était lorsqu’elle a téléphoné du Canada à son ex-mari, en décembre 2007, afin que son fils puisse lui parler, étaient incompatibles avec ses allégations de menaces persistantes. La demanderesse principale soutient qu’il n’y a rien d’incompatible dans sa volonté de maintenir la relation de son fils avec son père et qu’elle souffre toujours du TSPT.

 

[25]           L’avocate du défendeur n’a pas traité précisément de ces erreurs de fait dans ses observations, mais s’est plutôt concentrée sur les divergences entre le FRP et le témoignage de la demanderesse principale, et plus particulièrement sur un incident lors duquel son ex-mari se serait présenté sur son lieu de travail et aurait tenté de la tuer, ainsi que sur le voyage au Canada effectué en 1999, informations qui ne figuraient ni l’une ni l’autre dans le FRP.

 

[26]           La demanderesse principale avait fourni une explication dans les deux cas. Relativement à la tentative de meurtre, la demanderesse principale a soutenu qu’elle en avait fait part à son avocat et qu’elle ignorait pourquoi ce n’était pas mentionné dans le FRP. Son avocat a expliqué que l’incapacité de la demanderesse à se rappeler précisément les détails du voyage de 1999 était due au TSPT.

 

[27]           La Cour d’appel fédérale a affirmé dans Siad c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 C.F. 608, 123 F.T.R. 79, que « le tribunal se trouve dans une situation unique pour apprécier la crédibilité d'un demandeur du statut de réfugié. Les décisions quant à la crédibilité, qui constituent "l'essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits" doivent recevoir une déférence considérable à l'occasion d'un contrôle judiciaire, et elles ne sauraient être infirmées à moins qu'elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve. »

 

[28]           Lors de l’audience devant la Cour, l’avocat de la demanderesse principale s’est essentiellement concentré sur l’erreur commise par la Commission du fait de son omission de tenir compte correctement des éléments de preuve présentés relativement aux problèmes de mémoire éprouvés par les personnes souffrant du TSPT.

 

[29]           L’avocat de la demanderesse principale a fait valoir que la preuve médicale fournissait une explication plausible qui pouvait réfuter la conclusion défavorable à propos de la crédibilité de la demanderesse principale, ce qui rendait l’étude de la preuve médicale primordiale relativement à la conclusion sur la crédibilité et à la demande de la demanderesse.

 

[30]           La décision contestée ne fait pas mention de la preuve présentée par l’avocat de la demanderesse principale lors de la reprise de l’audience le 23 décembre. Ces éléments de preuve incluaient des articles traitant des problèmes de mémoire éprouvés par les personnes souffrant du TSPT.

 

[31]           Bien que la Cour ait jugé qu’il n’y a aucune obligation de se prononcer sur chaque document présenté comme preuve, il est évident qu’il existe une obligation de se prononcer sur les éléments de preuve documentaires présentés, lorsqu’ils sont directement en lien avec la question, comme dans la présente affaire (Gill c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 656, au paragraphe 16). Le document était destiné à expliquer les problèmes de mémoire éprouvés par la demanderesse principale.

 

[32]           Il est évident que la Commission a mal interprété certains faits clés et surtout, qu’elle a omis de prendre en compte des éléments de preuve clés en concluant que la demanderesse principale n’était pas crédible.

 

[33]           La Cour conclut donc que ces erreurs sont fatales à la décision de la Commission.

 

[34]           À la suite de cette conclusion, la Cour considère qu’il lui est inutile de se prononcer sur le fond même de l’autre argument présenté par la demanderesse principale, soit la crainte raisonnable de partialité.

 

[35]           La demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

[36]           Aucune des parties n’a proposé la certification d’une question en vertu de l'alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Je conviens qu’il n’y a pas de question à certifier.


 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE comme suit : La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission en date du 10 mars 2010 est annulée. La demande d'asile est renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué;

 

LA COUR STATUE EN OUTRE comme suit : Aucune question de portée générale n'est certifiée.

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 


ANNEXE A

 

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

96. À qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) À qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 (2) À également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 (2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2252-10

 

INTITULÉ :                                       ANTHEA JANELL CATO et KOREY KYLE JAYVORN CATO

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 30 NOVEMBRE 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SCOTT

 

DATE DU JUGEMENT :                 LE 20 DÉCEMBRE 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mark J. Gruszczynski

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Thi My Dung Tran

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gruszczynski, Romoff

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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