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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110202

Dossier : IMM-5074-09

Référence : 2011 CF 121

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 février 2011

En présence de madame la juge Heneghan

 

ENTRE :

 

LEANNE MICHELLE DOBSON

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Mme Leanne Michelle Dobson (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par M. Erwin Nest, commissaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), Section d'appel de l'immigration (la SAI). Dans sa décision rendue le 23 septembre 2009, la SAI a rejeté l’appel de la demanderesse au sujet de la décision d’un agent des visas, laquelle rejetait la demande de visa de résidence permanente du mari de la demanderesse, M. Sherif Rashidy Ali.

 

Le contexte

[2]               La demanderesse est une citoyenne canadienne résidant à Edmonton, en Alberta. Elle est employée au sein de la fonction publique fédérale et est financièrement indépendante. M. Ali est un citoyen égyptien âgé de 40 ans et il réside actuellement dans ce pays.

 

[3]               Avant d’avoir fait la connaissance de la demanderesse, M. Ali a été marié deux fois et a également été le conjoint de fait d’une troisième femme. Lors de son premier mariage, alors que le couple vivait en Égypte, M. Ali est devenu le père d’un enfant. Il s’est marié pour la seconde fois à la suite de son arrivée aux États-Unis, vraisemblablement dans le but d’obtenir un statut aux États-Unis. Aucun enfant n’est né de ce mariage, sa compagne étant beaucoup plus âgée que lui. Elle est maintenant décédée.

 

[4]               Par la suite, M. Ali est devenu le conjoint de fait d’une femme avec laquelle il a eu trois enfants. Alors même qu’il entretenait cette union de fait, M. Ali a eu un autre enfant de sa première femme, bien que ce mariage se fût terminé par un divorce quelques années plus tôt.

 

[5]               La demanderesse et M. Ali ont fait connaissance à l’aéroport La Guardia, à New York, en septembre 2006 et ils ont rapidement établi une relation amoureuse. La demanderesse est allée en visite à New York trois fois entre septembre 2006 et janvier 2007. M. Ali a tenté de visiter la demanderesse au Canada, mais sa demande de visa de résident temporaire présentée en janvier 2007 a été rejetée.

 

[6]               La demanderesse et M. Ali se sont mariés le 15 mars 2007 à New York, lors d’une cérémonie intime. Par la suite, M. Ali a fait une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie du regroupement familial; il était parrainé par la demanderesse. La demande de résidence permanente a été reçue par Citoyenneté et Immigration Canada le 27 juin 2007.

 

[7]               La demande de résidence permanente de M. Ali a été rejetée le 29 janvier 2008 au motif que son mariage avec la demanderesse n’était pas authentique. La demanderesse a présenté un avis d’appel – appel en matière de parrainage à la SAI le 10 mars 2008.

 

[8]               La demanderesse a visité M. Ali à New York sept fois entre leur mariage, en mars 2007, et août 2008. La demanderesse et M. Ali ont également entre-temps gardé un contact régulier à l’aide de lettres, de courriels, de Skype et du téléphone.

 

[9]               M. Ali et la demanderesse ont eu un enfant, une fille née le 1er octobre 2008 à Edmonton, en Alberta. Lors de la naissance de l’enfant, M. Ali était en Égypte.

 

[10]           L’audience devant la SAI a eu lieu en quatre séances, aux mois de mai, juillet et août 2009. La demanderesse a témoigné en personne, alors que M. Ali a présenté son témoignage par téléphone, de l’Égypte.  

 

[11]           La demanderesse est allée en Égypte en août 2009, accompagnée de sa fille. Lors de cette visite, la demanderesse a fait la connaissance des membres de la famille de son mari, y compris ses parents et quelques frères et sœurs. M. Ali a affirmé devant la SAI que sa femme et lui-même avaient eu l’intention d’aller rendre visite aux enfants de M. Ali qui vivaient dans une autre partie de l’Égypte lors du voyage de la demanderesse. 

 

La décision de la SAI

[12]           Le 23 septembre 2009, la SAI a rejeté l’appel de la demanderesse au motif que M. Ali ne faisait pas partie du regroupement familial parce que son mariage avec la demanderesse n’était pas authentique au regard de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR ou la Loi), et du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

 

[13]           Dans sa décision, la SAI a fait référence aux nombreuses visites entre la demanderesse et M. Ali, au fait qu’ils étaient restés en contact, et elle a relaté en détail les unions antérieures de M. Ali de même que ses tentatives d’immigration aux États-Unis. La SAI a également pris en considération la décision du couple d’avoir un enfant, la connaissance que la demanderesse avait du passé de M. Ali ainsi que leurs plans d’avenir. Finalement, la SAI a noté la différence dans les croyances religieuses de la demanderesse et de M. Ali, ainsi que le fait que M. Ali avait tout à gagner en obtenant la résidence permanente au Canada par son mariage avec la demanderesse.

 

Analyse et décision

[14]           La demanderesse soutient que la SAI a recouru au mauvais critère juridique et a fait erreur dans un certain nombre de conclusions de fait. À mon avis, la présente demande de contrôle judiciaire peut être tranchée sur la base de la seconde question présentée par la demanderesse.

 

[15]           Je traiterai d’abord de la question de la norme de contrôle applicable. Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 53, la Cour suprême du Canada a conclu que la raisonnabilité s’applique comme norme de contrôle des conclusions de fait :

En présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée (Mossop, p. 599‑600; Dr Q, par. 29; Suresh, par. 29‑30).  Nous sommes d’avis que la même norme de contrôle doit s’appliquer lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés.

 

 

[16]           À mon avis, la SAI a tiré un certain nombre de conclusions de fait dans la présente affaire qui sont déraisonnables parce qu’elles ne sont ni justifiées ni intelligibles.

 

[17]           La SAI a conclu que la demanderesse et M. Ali n’avaient pas réglé la question de leur incompatibilité religieuse, ce que la SAI a considéré comme étant une indication que leur mariage est un mariage de convenance. Je suis d’avis, en me basant sur le dossier, que cette conclusion est déraisonnable.

 

[18]           La demanderesse va à un office de l’Église Unie deux ou trois fois par an, alors que M. Ali est un musulman non pratiquant. La demanderesse a affirmé devant la SAI qu’elle ne s’opposait pas à se convertir à l’islam, mais que M. Ali ne le lui avait pas demandé. Vu cette preuve, il n’est pas évident que les croyances et les pratiques religieuses de M. Ali et de la demanderesse soient incompatibles, ou qu’ils doivent songer à régler leurs différends.

 

[19]           La demanderesse a également affirmé qu’elle-même et M. Ali avaient l’intention d’exposer leur enfant aux deux systèmes de croyances, le christianisme et l’islam, et de la laisser décider, plus tard, de la religion de son choix. À mon avis, cela contredit directement la conclusion de la SAI selon laquelle la demanderesse et M. Ali n’auraient pas réglé la question de leurs différences religieuses et montre le caractère déraisonnable de la conclusion de la SAI.

 

[20]           Au paragraphe 37 de sa décision, la SAI a conclu que la demanderesse avait admis « qu’elle n’avait jamais demandé [à M. Ali] pourquoi il avait eu un autre enfant avec sa première épouse », et se basant sur cette admission, la SAI a conclu qu’il avait été déraisonnable de la part de la demanderesse de ne pas poser plus de questions à M. Ali sur son passé. 

 

[21]           La demanderesse a affirmé devant la SAI qu’elle avait discuté de ces questions avec M. Ali, y compris des raisons pour lesquelles M. Ali avait eu un second enfant avec sa première femme, et la demanderesse a affirmé se souvenir clairement de la conversation. Cet élément de preuve contredit directement la conclusion de la SAI. En tirant sa conclusion sans se référer à cet élément de preuve, la SAI a agi de manière déraisonnable. 

 

[22]           Finalement, la SAI a conclu que la demanderesse et M. Ali n’avaient pas discuté de leurs plans d’avenir et que la demanderesse avait fait peu de choses pour que M. Ali partage sa vie.

 

[23]           La conclusion selon laquelle le couple n’aurait pas discuté de son avenir contredit le témoignage de la demanderesse devant la SAI selon lequel elle et M. Ali avaient, en fait, discuté ensemble de leur avenir plusieurs fois. La SAI n’a pas analysé cet élément de preuve. La SAI n’a pas dit ce que la demanderesse aurait dû faire pour que M. Ali partage sa vie au Canada.

 

[24]           La demanderesse a fait de M. Ali un bénéficiaire dans son testament. Elle a investi dans son entreprise de limousine aux États-Unis. Le couple a ouvert un compte joint et la demanderesse a ajouté M. Ali à ses assurances habitation et automobile. Vu leur situation, particulièrement le fait que M. Ali n’a aucun statut au Canada, la réponse à la question de savoir comment la demanderesse aurait pu mieux faire partager à M. Ali sa vie quotidienne n’est pas évidente. À mon avis, les conclusions de la SAI sur ce point sont déraisonnables.

 

[25]           La demanderesse a soulevé d’autres points sur lesquels la SAI aurait tiré des conclusions de fait déraisonnables. À mon avis, vu le nombre de conclusions déraisonnables analysées plus tôt, il n’est pas nécessaire de traiter de ces autres conclusions.

 

[26]           La présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un tribunal de la SAI différemment constitué. La demanderesse a proposé la question suivante pour certification :

[traduction]

 

La Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est-elle légalement tenue d’appliquer le principe selon lequel, lors du parrainage d’un époux, en l’absence de circonstances exceptionnelles qui démontrent le contraire, une personne raisonnable qui accepte l’enfant issu du mariage fait la preuve d’une relation conjugale authentique?

 

[27]           Vu le critère de certification d’une question que la Cour d’appel fédérale a énoncé dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai  (2004), 247 F.T.R. 320, je ne suis pas convaincue que la question proposée est une question de portée générale qui va au-delà des faits de la présente affaire : aucune question ne sera certifiée.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR statue comme suit : la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour réexamen à un tribunal de la SAI différemment constitué. L’affaire ne soulève aucune question à certifier.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5074-09

 

INTITULÉ :                                       LEANNE MICHELLE DOBSON c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Winnipeg (Man.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 novembre 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Matas

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Aliyah Rahaman

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Matas

Avocat

Winnipeg (Man.)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Man.)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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