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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110128

Dossier : T-368-08

Référence : 2011 CF 109

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2011

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

 

NOVOPHARM LIMITÉE

 

 

 

demanderesse

 

ET

 

 

 

NYCOMED CANADA INC., NYCOMED GMBH et NYCOMED INTERNATIONAL MANAGEMENT GMBH

 

 

 

 

défenderesses

 

 

 

 

  MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

  • [1] La demanderesse, Novopharm Limitée (Novopharm), en appelle d’une ordonnance de non-divulgation rendue le 24 mars 2010 par madame la protonotaire Milczynski.

 

  • [2] La protonotaire Milczynski a pris en charge la gestion d’instance d’une action intentée le 7 mars 2008 par Novopharm contre les défenderesses, Nycomed Canada Inc., Nycomed GMBH et Nycomed International Management GMBH (Nycomed), au titre de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (DORS/93-133).

  • [3] La cause d’action de Novopharm en vertu de l’article 8 découle de deux poursuites au titre du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) ayant trait au pantoprazole sodique. La Cour a rendu une décision défavorable à Nycomed dans les deux instances, rejetant la première, T-1799-06, pour les motifs que le brevet en litige n’était pas admissible à une inscription au registre, ainsi que la seconde, T-1836-06, après que le même brevet en litige dans le cadre de T-836-06 ait été déclaré non contrefait et invalide dans une autre instance, T-1786-06, qui mettait en cause Apotex Inc. Pour les besoins de la présente action, Novopharm est maintenant tenue de démontrer sa cause d’action en dommages-intérêts pour le retard subi en raison des procédures liées à l’avis de conformité.

 

  • [4] Novopharm a présenté une requête en ordonnance de non-divulgation pour la protection de la confidentialité de certains documents et renseignements de nature financière devant être communiqués entre les parties. Dans le cadre de l’ordonnance de non-divulgation proposée, Novopharm a tenté d’inclure une catégorie de documents « à diffusion restreinte », de telle sorte que les cadres supérieurs et les employés de Nycomed Canada Inc. ne puissent avoir accès à ces documents de nature financière. Ces derniers ont trait au quantum des dommages-intérêts, qui représente le cœur du litige.

 

  • [5] Nycomed s’est opposée à l’inclusion d’une disposition de diffusion restreinte dans l’ordonnance de non-divulgation, faisant valoir que cela empêcherait les cadres et employés de Nycomed Canada Inc. d’avoir accès aux documents faisant l’objet de la limitation proposée et nuirait à leur capacité de donner des instructions à un avocat en l’instance.

  • [6] La protonotaire n’était pas convaincue que les limitations demandées par Novopharm étaient nécessaires ou fondées. Elle en est venue à la conclusion que de telles limitations feraient obstacle à la capacité de Nycomed de donner des instructions à un avocat pour mener une défense dans le cadre de l’action.

Décision faisant l’objet de l’appel

  • [7] La protonotaire a refusé d’inclure la disposition relative à la diffusion restreinte demandée par Novopharm. Dans les motifs de l’ordonnance de non-divulgation, la protonotaire déclare ce qui suit :

 

[traduction]

Sur requête de la demanderesse en ordonnance de protection et de confidentialité de certains documents et renseignements de nature financière devant être communiqués entre les parties dans la présente instance;

 

Sur examen des dossiers de requête déposés pour le compte des parties et des observations des avocats;

 

Et sur absence de preuve que l’ampleur des limitations demandées par Novopharm Limitée est nécessaire et fondée, mais qu’elle ferait plutôt obstacle à la capacité des défenderesses de donner des instructions à un avocat pour mener une défense dans le cadre de la présente action;

 

  • [8] Après avoir indiqué la procédure selon laquelle les parties désigneraient des renseignements comme confidentiels et prendraient des dispositions relativement à la confidentialité desdits renseignements, la protonotaire a énoncé les modalités afférentes à la divulgation autorisée des renseignements confidentiels, à savoir :

[traduction]

Divulgation autorisée des renseignements confidentiels

 

13.  Sous réserve des paragraphes 14 et 15 ci-après, en l’absence d’autorisation écrite de la partie désignant les renseignements comme confidentiels, les renseignements confidentiels désignés ne seront divulgués qu’aux personnes énumérées ci-dessous; toutefois, cette liste ne saurait limiter la capacité d’une partie ou des employés d’une partie de consulter les propres renseignements confidentiels de cette partie ou d’en disposer à leur guise :

 

  • (a) La Cour, les employés de la Cour ainsi que les sténographes et les rapporteurs vidéos dont les services sont retenus pendant l’instance;

 

  • (b) Les 7 personnes suivantes de la société Nycomed :

  • (i) John Suk, président-directeur général de Nycomed Canada Inc.

  • (ii) Frank Murphy, vice-président aux finances de Nycomed Canada Inc.

  • (iii) Le Dr Ulrich Wolf, directeur du Contentieux des brevets

  • (iv) Le Dr Bradley Pamenter, vice-président aux Affaires médicales et scientifiques de Nycomed Canada Inc.

  • (v) Sheila Critchlow, directrice aux Affaires réglementaires de Nycomed Canada Inc.

  • (vi) John Maletic, responsable d’études de marché principal de Nycomed Canada Inc.

  • (vii) Un analyste financier de Nycomed Canada Inc., dont l’identité sera communiquée à Novopharm par Nycomed à une date ultérieure.

  • (c) Tout au plus, 7 employés, dirigeants et administrateurs de Novopharm qui doivent avoir accès aux renseignements désignés dans le but d’assister ou de donner des instructions aux avocats en l’instance;

  • (d) Les avocats de Novopharm et les avocats de Nycomed, de même que leur personnel respectif, qui doivent avoir accès aux renseignements confidentiels de par le rôle qu’ils doivent exercer dans le cadre de la présente action;

  • (e) Les services de gestion des litiges (notamment les services de copie) retenus par les avocats de Novopharm ou les avocats de Nycomed, qui doivent avoir accès aux renseignements confidentiels de par le rôle qu’ils doivent exercer dans le cadre de la présente action;

  • (f) Les experts indépendants dont les services sont retenus par les parties à des fins d’assistance en l’instance. Il demeure entendu que lesdits experts ne doivent pas être des employés, dirigeants ou administrateurs des parties ou de toute société affiliée aux parties;

  • (g) Toute autre personne, sur entente écrite des parties ou ordre de la Cour.

 

  1. Avant de procéder à la divulgation des renseignements confidentiels désignés aux personnes énumérées aux sous-paragraphes 13(b), (c), (e), (f) et (g), l’avocat au dossier chargé de procéder à ladite divulgation remettra aux destinataires prévus un exemplaire de la présente ordonnance et devra obtenir de ces derniers un accusé de réception écrit conforme à l’engagement énoncé au paragraphe 15 ci-après, à savoir que le destinataire prévu a lu la présente ordonnance, en comprend la teneur, convient d’y être lié et reconnaît expressément la compétence de la Cour relativement à toute procédure ou audience ayant trait aux renseignements confidentiels désignés et aux dispositions de la présente ordonnance. L’avocat devra conserver une copie de l’engagement signé par les personnes énumérées aux sous-paragraphes susdits et en remettre une copie à l’avocat de l’autre partie sur demande des parties.

 

  1. L’engagement auquel il est fait référence au paragraphe 14 ci-dessus doit revêtir la forme suivante :

 

ENGAGEMENT

 

Je, ­  , reconnais par les présentes que je suis sur le point de recevoir de    les renseignements confidentiels définis dans l’ordonnance de non-divulgation du 24 mars 2010 déposée au dossier de la Cour nº T-368-08.

 

J’atteste mon entendement par rapport au fait que lesdits renseignements confidentiels me sont transmis au titre des dispositions et limitations de l’ordonnance de non-divulgation à laquelle il est fait référence en l’instance, et que l’on m’a remis un exemplaire de mes obligations en vertu de ladite ordonnance, dont j’ai pris connaissance et que je comprends.

 

Je conviens par les présentes d’être lié par les dispositions de l’ordonnance de non-divulgation. Je m’engage à n’utiliser les renseignements confidentiels que pour les besoins du présent litige. Je comprends clairement que les renseignements confidentiels ainsi que les exemplaires ou notes y afférents ne devront être divulgués à quiconque n’étant pas également lié par l’ordonnance de non-divulgation.

 

À la demande de l’avocat de la partie qui m’a transmis les renseignements confidentiels, je m’engage à remettre à celui-ci tout le matériel contenant les renseignements confidentiels ainsi que les exemplaires ou notes y afférents, ou encore, s’il m’en fait la demande, à détruire ceux-ci.

 

Je m’en remets par les présentes à la compétence de la Cour fédérale en ce qui a trait à l’exécution de la présente ordonnance de non-divulgation.

 

 

 

  1. Conformément aux dispositions de la présente ordonnance ou de toute autre ordonnance subséquente de la Cour, les renseignements confidentiels désignés doivent servir exclusivement aux fins de la présente instance, sauf obligation légale. Il est entendu que rien dans la présente ordonnance ne saurait modifier l’engagement des parties en la matière ni les en libérer.

 

  1. La fin de la présente instance ne saurait dégager toute personne à laquelle les renseignements confidentiels ont été divulgués au titre de la présente ordonnance, de son obligation de préserver la confidentialité desdits renseignements conformément aux dispositions de ladite ordonnance.

Questions en litige

  • [9] Voici en quoi consistent les questions soulevées par Novopharm :

    • (a) La protonotaire Milczynski a-t-elle erré en droit lors de l’exercice son pouvoir discrétionnaire en rendant une ordonnance

 

(i)  sans motifs;

(ii) sans aborder les faits allant à l’encontre de ses conclusions, à savoir

  1. sans donner les raisons de son refus d’appliquer le précédent faisant autorité régissant la situation en l’occurrence, et/ou

  2. en suppléant la position des défenderesses, dans la requête qui lui a été présentée, par des motifs non formulés dans les observations qui lui ont été présentées par écrit ou verbalement (c’est-à-dire en appliquant la règle de l’engagement implicite aux concurrents)?

 

  • (b) Si elle a effectivement erré, de telle sorte qu’un examen de novo se révèle nécessaire,

 

(i)  Devrait-on inclure des documents de catégorie « à diffusion restreinte » dans l’ordonnance de non-divulgation régissant les parties?

(ii)  Le cas échéant, la formule proposée dans l’ordonnance de non-divulgation modifiée ci-jointe convient-elle?

 

  • [10] De mon point de vue, les questions en litige par rapport à l’ordonnance de non-divulgation sont les suivantes :

    1. Les motifs énoncés sont-ils appropriés?

    2. A-t-on erré en droit?

    3. Y a-t-il eu appréciation erronée de faits?

 

Norme de contrôle judiciaire

  • [11] Une ordonnance rendue par un protonotaire dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ne doit être infirmée en appel que si elle est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits, ou que l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal (Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 CF 425, 149 NR 273 (C.A.F.)).

 

  • [12] Dans l’affaire Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 C.A.F. 488 (Merck), la Cour a statué en outre qu’un juge doit déterminer en premier lieu si la question a une influence déterminante sur l’issue du principal et en second lieu, si [traduction] « l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits » (Merck, au paragraphe 19).

 

  • [13] Dans la présente instance, l’ordonnance de non-divulgation n’a pas une influence déterminante sur l’issue du principal. Dès lors, la norme de contrôle vise donc à déterminer si l’ordonnance de non-divulgation est manifestement erronée, dans le sens où l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la protonotaire est fondé sur une erreur en droit ou une appréciation erronée de faits.

Contexte

[14]  Novopharm a intenté une action contre Nycomed le 7 mars 2008. Les parties étaient tenues, en vertu d’une ordonnance de la Cour du 25 mars 2009, de se transmettre mutuellement les affidavits de documents au plus tard le 31 juillet 2009. Novopharm a déposé un affidavit de documents non assermenté et incomplet le 30 juillet 2009, qui comportait des documents utilisés par celle-ci lors de demandes d’avis de conformité antérieures, documents qui avaient été déclarés confidentiels au titre d’ordonnances de non-divulgations antérieures.

 

  • [15] Le libellé d’une ordonnance de non-divulgation a fait l’objet de négociations entre les parties, qui ont duré plusieurs mois. Suite à l’échec de ces négociations, une directive judiciaire de la protonotaire s’est révélée nécessaire. Les documents suivants ont été déposés devant la protonotaire :

 

  • a) Les pièces de correspondance de chacune des parties;

  • b) Les dossiers de requêtes ainsi que les dossiers complémentaires, notamment les affidavits de la conseillère juridique d’entreprise de Novopharm (Mme Mehes), du vice-président aux finances et à la gestion de l’information de Nycomed Canada (M. Murphy) et d’une parajuriste du cabinet d’avocats représentant Nycomed (Mme Rinne);

  • c) Trois conférences de gestion d’instance auxquelles a pris part la protonotaire;

  • d) Les comptes rendus d’une audition verbale du 22 décembre 2009.

 

  • [16] Mme Mehes, conseillère juridique d’entreprise, a énoncé de façon générale la liste des documents à diffusion restreinte proposée par Novopharm aux paragraphes 14 et 28 de son affidavit :

[traduction]

14.  Novopharm a identifié (et continue de le faire) des renseignements et documents financiers spécifiques de nature très délicate qu’elle pourrait être tenue de produire dans la présente instance. Lesdits renseignements et documents sont à ce point sensibles que leur divulgation devrait se limiter aux avocats, aux experts indépendants ainsi qu’à un nombre restreint de personnes à l’interne qui ne prennent pas, dans le cadre de leur emploi, de décisions de stratégie d’entreprise ou de marketing relativement au pantoprazole au Canada. La divulgation de ce petit, mais tout de même sensible, segment de renseignements à des concurrents tels que Nycomed (ou à Ranbaxy par l’entremise de cette dernière) représenterait un risque réel et important pour Novopharm en plus d’être extrêmement préjudiciable aux importants intérêts commerciaux et financiers de celle-ci et à sa position concurrentielle. Dès que des personnes à l’emploi de concurrents tels que Nycomed auront examiné ces renseignements, il ne leur sera pas possible de prendre des décisions, dans le cadre des responsabilités inhérentes à leur emploi, sans être influencés par la connaissance desdits renseignements.

 

28.  Il semble bien que la principale divergence entre les parties ait trait à la possibilité ou non de traiter en mode « diffusion restreinte » tout ou partie des renseignements devant être divulgués. Novopharm demande que cette limitation ne vise que certaines personnes (pas au point que les renseignements soient communicables aux seuls avocats) et ne touche que le petit, mais tout de même sensible, segment de documents financiers énoncé dans la version préliminaire de l’ordonnance de non-divulgation annexée à la présente requête, à savoir :

 

  • i. Le matériel de planification stratégique commerciale non public traitant des produits pantoprazole de Novopharm ou de Nycomed;

  • ii. Les renseignements non publics ayant trait aux frais d’élaboration, de fabrication et de vente des produits pantoprazole de Novopharm ou de Nycomed;

  • iii. Les renseignements non publics relatifs aux ventes des produits pantoprazole de Novopharm ou de Nycomed;

  • iv. Les états financiers des parties qui comportent des renseignements non accessibles au public par ailleurs;

  • v. Les ententes non publiques entre Novopharm ou Nycomed et leurs clients (directs et indirects) en ce qui a trait à la vente des produits pantoprazole de Novopharm ou de Nycomed.

 

  • [17] Novopharm suggère, dans la version préliminaire de l’ordonnance qu’elle propose, que les renseignements à diffusion restreinte ne soient transmis qu’aux personnes suivantes :

[traduction]

8 (b) Tout renseignement confidentiel à diffusion restreinte transmis par une partie ou obtenu d’une autre façon ne saurait être divulgué, sans l’autorisation écrite de ladite partie, à qui que ce soit, à l’exception de la Cour, des employés de la Cour, des sténographes et des rapporteurs vidéos dont les services sont retenus pendant l’instance ainsi que des personnes suivantes :

 

  • (i) Jusqu’à concurrence, pour chacune des parties, de deux juristes d’entreprise dont le besoin de connaître les renseignements confidentiels à diffusion restreinte est nécessaire pour assister les avocats ou leur donner des instructions;

  • (ii) Les avocats de Novopharm et les avocats de Nycomed, de même que leur personnel respectif, qui doivent avoir accès aux renseignements confidentiels à diffusion restreinte de par le rôle qu’ils doivent exercer dans le cadre de la présente action;

  • (iii) Les services de gestion des litiges (notamment les services de copie) retenus par les avocats de Novopharm ou les avocats de Nycomed, qui doivent avoir accès aux renseignements confidentiels à diffusion restreinte de par le rôle qu’ils doivent exercer dans le cadre de la présente action;

  • (iv) Jusqu’à concurrence de dix (10) experts indépendants dont les services sont retenus par les parties à des fins d’assistance en l’instance en ce qui concerne les questions nécessitant l’accès aux renseignements confidentiels à diffusion restreinte. Il demeure entendu que lesdits experts ne doivent pas être des employés, dirigeants ou administrateurs des parties ou de toute société affiliée aux parties;

  • (v) Trois délégués des groupes ou services d’entreprise, financier et/ou des brevets – non impliqués au niveau des ventes, du marketing, de la planification stratégique commerciale ou de l’entente sur les produits génériques autorisée avec Ranbaxy Pharmaceuticals Canada Inc. au sujet des comprimés de Ran-Pantoprazole – qui ne sauraient divulguer à qui que ce soit les renseignements portant la mention « confidentiel – à diffusion restreinte » qui leur sont transmis.

 

  • [17] Les inquiétudes de Novopharm ont trait à la relation contractuelle de Nycomed Canada Inc. avec un fabricant de produits génériques, Ranbaxy Pharmaceuticals Canada Inc. (Ranbaxy), qui effectue la vente de pantoprazole sodique fabriqué par Nycomed. Le motif des représentations de Novopharm à la protonotaire réside dans le fait que l’âme dirigeante de Nycomed Canada Inc., ainsi que les cadres supérieurs et employés de cette dernière, pourraient utiliser les renseignements financiers hautement confidentiels de Novopharm au détriment des intérêts commerciaux et de la viabilité de Novopharm. D’où la nécessité d’une disposition de diffusion restreinte dans l’ordonnance de non-divulgation.

 

  • [18] Nycomed a fait valoir à la protonotaire, d’une part, que ladite disposition de diffusion restreinte nuirait à la capacité de la société de donner des instructions à ses avocats en l’instance et d’autre part, qu’une ordonnance de non-divulgation telle que celles rendues dans diverses instances en Cour fédérale suffirait.

Analyse

[19]  Règle générale, une ordonnance de confidentialité est de nature discrétionnaire. Comme elle ne porte pas sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, elle ne devrait pas être contestée à moins qu’elle ne soit fondée sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits. (Bristol-Myers Squibb Co. c. Apotex Inc., 2003 C.A.F. 59).

 

Justesse des motifs

  • [20] Novopharm prétend qu’en l’absence de motifs écrits de la protonotaire, le tribunal d’appel doit examiner les circonstances de l’espèce, notamment la nature de l’ordonnance rendue, la preuve présentée à la protonotaire et si l’exercice du pouvoir de discrétion fait intervenir la prise en compte de principes de droit. Si la manière dont la protonotaire a exercé ces principes n’est pas claire, la Cour doit procéder de novo à l’instruction de l’appel (Anchor Brewing Co. c. Sleeman Brewing & Malting Co., 2001 CFPI 1066, au paragraphe 32.

 

  • [21] Novopharm allègue que l’énumération d’une seule phrase apparaissant dans l’ordonnance de la protonotaire n’indique pas de quelle manière les faits contredisent la preuve ou la jurisprudence faisant précédent a été écartée.

 

  • [22] En examinant les motifs énoncés dans l’ordonnance de non-divulgation, la déclaration du juge Harrington dans la cause Savanna Energy Services Corp. c. Technicoil Corp., 2005 CF 842 au paragraphe 19 :

[traduction]

Les protonotaires doivent se prononcer sur un nombre extraordinaire de questions de nature procédurale. S'il fallait que chaque ordonnance discrétionnaire soit assortie d'une série complète de motifs en vue de dissuader la partie déboutée d'interjeter appel et d'inviter la Cour à exercer de nouveau son pouvoir discrétionnaire, la situation serait intolérable et, de ce fait, la justice suivrait péniblement son cours.

 

 

  • [23] La protonotaire disposait de suffisamment de pièces pour rendre une décision. Après tout, non seulement avait-elle en main une transcription et une audition verbale, mais également le résultat de trois conférences de gestion d’instance. Son énonciation atteste qu’elle a tenu compte de la preuve et des représentations des parties.

  • [24] Il m’apparaît clairement, à l’examen de l’énonciation étoffée de la protonotaire, qu’elle a tenu compte des observations des deux parties et les a pondérées, notamment en ce qui a trait à la demande de Novopharm visant à protéger ses documents de Nycomed Canada Inc. et les inconvénients que cela occasionnerait à Nycomed Canada Inc. dans le sens où elle ne serait pas en mesure de donner des directives complètes à ses avocats.

 

  • [25] Je ne constate aucune carence de motifs dans l’ordonnance de la protonotaire qui pourrait justifier une instruction de novo.

 

Principe erroné

  • [26] Novopharm allègue avec insistance que la protonotaire a erré en droit en considérant que la règle de l’engagement implicite constituerait une assurance suffisante en ce qui a trait à la protection des renseignements confidentiels de nature sensible de Novopharm.

 

  • [27] Les dispositions expresses de l’ordonnance de non-divulgation éliminent cette allégation. L’ordonnance prévoit que les personnes auxquelles les renseignements seront divulgués doivent signer un engagement selon lequel ils n’utiliseront les renseignements qu’aux fins de l’instance. L’ordonnance exige également expressément que les renseignements confidentiels [traduction] « doivent servir exclusivement aux fins de la présente instance » (Non souligné dans l’original). Il ressort donc que la protonotaire a inscrit dans son ordonnance une disposition explicite quant à la protection des renseignements confidentiels.

  • [28] En outre, en désignant spécifiquement des cadres et employés de Nycomed Canada Inc., la protonotaire indique clairement que l’ordonnance de non-divulgation les vise personnellement et impose à chacun l’obligation de se conformer à l’exigence selon laquelle les renseignements obtenus ne doivent être utilisés que dans le cadre de l’instance.

 

  • [29] Je constate que la protonotaire n’a pas erré en se fiant à un principe de droit fondé sur la règle de l’engagement implicite.

 

  • [30] Novopharm a soumis l’argument que l’exigence [traduction] « Communicable aux seuls avocats » est appropriée dans le cadre d’une ordonnance de non-divulgation lorsque la preuve indique que les intérêts commerciaux d’une partie pourraient être compromis en l’absence de ladite exigence, alors que la disposition relative à la non-divulgation qu’elle propose est encore moins limitative que cette exigence.

 

  • [31] Il n’en demeure pas moins que la proposition de Novopharm en matière de diffusion restreinte empêcherait les cadres de Nycomed Canada Inc. chargés de donner des directives à leurs avocats d’avoir accès à des documents financiers essentiels en ce qui concerne les dommages-intérêts en l’instance. Par conséquent, il incombe à Novopharm de fournir la preuve à l’appui de la nécessité d’une telle limitation. (Deprenyl Research Ltd. c. Canguard Health Technologies Inc., (1992) 41 C.P.R. (3d) 228 à 229-220.

 

  • [32] En l’occurrence, Novopharm n’avait pas produit d’affidavit de documents assermenté et a donné, dans sa requête, une description détournée des documents en question. La déposante de Novopharm, Mme Mehes, a déclaré que seul un faible segment de documents à consultation restreinte était visé pour ensuite apporter les précisions suivantes dans son affidavit :

[traduction]

28.  Novopharm demande que cette restriction ne vise que certaines personnes (pas au point que les renseignements soient communicables aux seuls avocats) et ne touche que le petit, mais tout de même sensible, segment de documents financiers énoncé dans la version préliminaire de l’ordonnance de non-divulgation annexée à la présente requête, à savoir :

 

  1. Le matériel de planification stratégique commerciale non public traitant des produits pantoprazole de Novopharm ou de Nycomed;Les renseignements non publics ayant trait aux frais d’élaboration, de fabrication et de vente des produits pantoprazole de Novopharm ou de Nycomed;

  2. Les renseignements non publics relatifs aux ventes des produits pantoprazole de Novopharm ou de Nycomed;

  3. Les états financiers des parties qui comportent des renseignements non accessibles au public par ailleurs;

  4. Les ententes non publiques entre Novopharm ou Nycomed et leurs clients (directs et indirects) en ce qui a trait à la vente des produits pantoprazole de Novopharm ou de Nycomed.

 

(Non souligné dans l’original)

 

  • [33] De mon point de vue, une telle liste ne constitue pas un faible segment de documents ni ne fournit-elle une description significative du type ou de la catégorie de documents à l’égard desquels Novopharm demande une diffusion restreinte. Mises ensemble, ces catégories peuvent très bien englober un large éventail de documents, ne permettant par le fait même pas d’en cerner la description.

 

  • [34] Dans l’affaire Novopharm Ltd. c. Glaxo Group Ltd., (1998) 227 N.R. 80, 81 C.P.R. (3d) 185 au paragraphe 6, la Cour d’appel fédérale a rejeté une demande d’ordonnance de [traduction] « renseignements communicables aux seuls avocats » lorsque, en parlant de la preuve présentée par les intimées, [traduction] « elles n'ont pas décrit le type ou la catégorie de documents dont la communication à l'appelante ou au public (et notamment à leurs concurrents) serait source de préjudice. »

 

  • [35] La description plutôt élaborée et variée qu’a faite Novopharm de ses documents n’a pas répondu au degré de précision nécessaire du point de vue de la Cour d’appel fédérale pour justifier une ordonnance de non-divulgation. Je ne vois donc aucun fondement pour statuer que la protonotaire a erré en rejetant l’interprétation que Novopharm voulait obtenir par rapport à la preuve qu’elle a présentée.

 

  • [36] Un tribunal ne décerne pas à la légère de telles ordonnances, qui entravent la relation avocat-client (Glaxo Group Ltd. c. Novopharm Ltd., (1998) 81 C.P.R. (3d) 259 (C.A.F.) au paragraphe 2.

  • [37] La disposition relative à la diffusion restreinte porterait atteinte au droit des cadres et employés de Nycomed Canada Inc. en matière de consultation de toutes les pièces comportant des éléments de preuve pertinents à la question en litige. Dans la cause Murphy Oil Co. Ltd. c. Predator Corp. Ltd., 2002 ABQB 992, le juge McMahon a présenté les difficultés qu’occasionnent les ordonnances de non-divulgation en s’inspirant de la cause Warner-Lambert Co. c. Glaxo Laboratories Limited, [1975] RPC 354, où il est très justement stipulé que ce sont les décideurs d’entreprise qui ont le pouvoir de prendre des décisions pour le compte de la société, notamment pour ce qui est de poursuivre ou d’abandonner une action, et non pas les conseillers juridiques ou scientifiques.

 

  • [38] En guise de solution de rechange, Novopharm a proposé que la liste figurant dans l’ordonnance de non-divulgation soit réduite pour n’englober que le Dr Wolf et le conseiller juridique d’entreprise de Nycomed, tous deux habitant en Allemagne.

 

  • [39] Étant donné que Novopharm a déposé une poursuite contre Nycomed Canada Inc. au Canada, je considère qu’il s’agit d’une solution de rechange sans fondement. Il est insensé de proposer qu’une société canadienne en cause dans un litige doive, pour assumer sa défense, compter sur des employés ou des avocats de l’étranger pour conseiller ses avocats en l’instance au Canada.

 

  • [40] Qui plus est, selon la preuve qu’elle a présentée, Nycomed Canada Inc. n’a pas de conseiller juridique d’entreprise. Il s’agit d’une petite société dont l’existence n’est attribuable qu’à un seul médicament, le pantoprazole, au point où chaque membre de la direction a été impliqué d’une certaine façon dans la décision d’autoriser la commercialisation du médicament générique en comprimés Ran-Pantoprazole (par Ranbaxy); de même, les cadres supérieurs et les employés comptant le plus d’ancienneté de Nycomed prennent tous part à la planification stratégique de la société. M. Murphy, le déposant de Nycomed, a en outre déclaré que M. John Suk, le PDG de Nycomed Canada Inc. et lui-même sont les seules personnes donnant des directives à leurs avocats dans le cadre du présent litige. Une autre personne domiciliée en Allemagne, Ulrich Wolf, a été impliquée étant donné qu’il coordonne les litiges liés au pantoprazole à l’échelle mondiale, mais il ne s’agit pas d’un juriste d’entreprise.

 

  • [41] La protonotaire a conclu que la disposition relative à la diffusion restreinte porterait préjudice à la capacité de Nycomed de donner des directives à ses avocats. En rendant sa décision, la protonotaire n’a pas fait fi des inquiétudes de Novopharm et a inscrit dans l’ordonnance de non-divulgation la disposition adéquate à laquelle j’ai fait référence précédemment, à savoir la désignation spécifique des membres de la haute direction de Nycomed.

 

  • [42] Je ne suis pas convaincu de l’existence de circonstances inhabituelles qui justifieraient l’imposition d’une disposition relative à la diffusion restreinte allant au-delà de ce qui est prévu dans l’ordonnance de non-divulgation. Je ne vois aucun motif de modification de la solution de la protonotaire quant aux questions soulevées par les parties.

 

Appréciation erronée des faits

  • [43] Enfin, la protonotaire est fondée à évaluer et pondérer la preuve qui lui est soumise. Novopharm insiste énergiquement quant à la primauté de son interprétation de la preuve; toutefois, ses représentations devant la Cour ne constituent rien de moins qu’un appel à la repondération de la preuve.

  • [44] La preuve d’éventuel tort pouvant lui être occasionné présentée par Novopharm ne constitue que des affirmations de nature spéculative non appuyées au moindre degré par des faits non contestés ou avérés. Par exemple, la déposante de Novopharm, Mme Mehes, reconnaît ne posséder aucun fondement, sinon une vague affirmation au sujet de sa connaissance générale de l’industrie, pour alléguer que Nycomed pourrait avoir violé des ordonnances de tribunaux ou que Nycomed influence les prix auxquels Ranbaxy effectue la vente de ses produits Ran-Pantoprazole.

 

  • [45] Je ne souscris pas aux observations de Novopharm voulant que les deux vaines poursuites de Nycomed au titre de l’avis de conformité constituent une preuve de l’intention de la direction de Nycomed d’utiliser de façon inappropriée les renseignements confidentiels obtenus en vertu d’une ordonnance de non-divulgation. Le fait d’être la partie perdante d’une instance a sans doute des conséquences, mais cela ne nous permet pas de présumer de l’intention de ladite partie perdante en ce qui a trait à de futures instances.

 

  • [46] J’en viens à la conclusion que la protonotaire n’a pas fait une appréciation erronée de faits. Elle a évoqué des motifs pertinents pour statuer que la preuve de Novopharm n’était pas suffisante pour justifier la nécessité d’une disposition de diffusion restreinte et disposait de la preuve nécessaire pour conclure qu’une telle disposition restreindrait indûment la capacité de Nycomed Canada Inc. à donner des directives à ses avocats.

 

Conclusion

  • [47] L’appel est rejeté.

 

  • [48] Les dépens sont adjugés à Nycomed.

 

 


JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE que :

 

 

1. L’appel est rejeté.

 

2. Les dépens sont adjugés aux défenderesses.

 

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  T-368-08

 

INTITULÉ :  NOVOPHARM LIMITÉE c. NYCOMED CANADA INC., NYCOMED GMBH et NYCOMED INTERNATIONAL MANAGEMENT GMBH

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 7 JUIN 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :  LE JUGE MANDAMIN.

 

 

DATE DES MOTIFS :  LE 28 JANVIER 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Neil Fineberg

Andy Radhakant

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Lindsay Neidrauer

Narian Wolanski

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Heenan Blaikie LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Belmore McIntosh Neidrauer LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

 

 

 

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