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Date : 20110126

Dossier : T‑1582‑10

Référence : 2011 CF 89

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2011

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

 

DOUG KIMOTO, VIC AMOS ET

WEST COAST TROLLERS (AREA G) ASSOCIATION, AU NOM DE TOUS LES TITULAIRES DE PERMIS DE PÊCHE À LA TRAÎNE DANS LA ZONE G

 

demandeurs

 

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, GULF TROLLERS ASSOCIATION (AREA H) ET AREA F TROLL ASSOCIATION

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONANCE ET ORDONNANCE

[1]               Que devrait‑il advenir des 30 millions de dollars américains que la ministre des Pêches et des Océans, l’honorable Gail Shea, a reçus en vertu de modifications apportées au Traité sur le saumon du Pacifique conclu avec les États‑Unis? En bref, au cours de chacune des années de la décennie commençant en 2009, le Canada a convenu de réduire de 30 pour cent ses captures de saumon quinnat au large de la côte ouest de l’île de Vancouver. De cette façon, un plus grand nombre de saumons pourront retourner frayer dans leurs cours d’eau américains d’origine, ce qui, espère‑t‑on, permettra au stock de se reconstituer à long terme. Les États‑Unis se sont engagés à verser 30 millions de dollars américains pour appuyer un programme canadien d’atténuation. Quinze millions de dollars américains ont déjà été versés, et le solde est dû cette année.

 

[2]               Jusqu’à présent, la ministre a réalisé la réduction de 30 pour cent en restreignant le nombre de jours où les demandeurs pouvaient pêcher. Cependant, à l’avenir, elle entend réduire le nombre de pêcheurs en utilisant la majeure partie des fonds américains pour racheter des permis de pêche au saumon quinnat, non seulement des demandeurs, mais aussi de titulaires de permis de pêche dans deux autres zones de pêche délimitées où les contingents n’ont pas été réduits.

 

[3]               Les demandeurs demandent à ce que la décision soit annulée. Ils demandent à la Cour de déclarer que le fonds est sujet à une fiducie ou est grevé d’un privilège reconnu en equity ou d’une charge en leur faveur, et que le programme de dépenses annoncé par la ministre viole le Traité et la Loi sur les pêches. Les dépenses annoncées constitueraient un enrichissement sans cause aux dépens des demandeurs. Dans tous les cas, la décision est déraisonnable. Les demandeurs affirment que l’argent devrait leur revenir.

 

[4]               Le procureur général, agissant pour le compte de la ministre, soutient que la décision de cette dernière n’est pas justiciable, que le programme de dépenses envisagé relève clairement du pouvoir discrétionnaire que confèrent à la ministre le Traité et le droit, plus particulièrement la Loi sur les pêches et la Loi sur la gestion des finances publiques, et que, dans tous les cas, les dispositions d’un traité qui n’a pas été mis en œuvre législativement ne peut ni profiter à de simples citoyens ni les lier. Des objections d’ordre procédural ont également été soulevées.

 

[5]               Bien que les demandeurs présentent des arguments solides au soutien de leur prétention selon laquelle ils sont les plus directement et les plus défavorablement touchés par la réduction des captures de saumon quinnat, je conclus qu’ils n’ont aucun intérêt particulier dans le fonds d’atténuation et que la décision de la ministre relevait clairement des pouvoirs discrétionnaires que lui confèrent aussi bien le droit que les dispositions du Traité. Il n’y a eu aucun enrichissement sans cause. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

LE TRAITÉ SUR LE SAUMON DU PACIFIQUE

[6]               Le saumon du Pacifique est une ressource précieuse. La récolte est une industrie des plus importantes non seulement en Colombie‑Britannique, mais aussi en Alaska, dans l’État de Washington, en Oregon et en Idaho. Les cinq espèces de saumon du Pacifique, soit les saumons quinnat, sockeye, rose, coho et kéta, sont très migratrices. De manière générale, ces saumons se dirigent vers le nord à partir de leurs cours d’eau d’origine, ils atteignent le point le plus éloigné de leur parcours migratoire au large de l’Alaska, puis ils retournent dans leurs cours d’eau d’origine pour frayer. Certains saumons du fleuve Fraser sont attrapés ou [TRADUCTION] « interceptés » par des pêcheurs de l’État de Washington. D’autres saumons canadiens sont interceptés par des pêcheurs alaskiens, tandis que la majorité des saumons quinnats attrapés par des Canadiens sont d’origine américaine. La présente affaire concerne uniquement le saumon quinnat.

 

[7]               La gestion du saumon du Pacifique est l’objet de discussions entre le Canada et les États‑Unis depuis plus d’un siècle. En 1985, les deux pays ont conclu le Traité sur le saumon du Pacifique. Les deux gouvernements ont reconnu : la nécessité de conserver la ressource et de la gérer de manière rationnelle; que le pays des eaux duquel provient le stock de saumon est le principal intéressé et responsable quant à ce stock, que les saumons provenant des eaux de chaque partie sont interceptés en nombres appréciables par des ressortissants de l’autre partie; et qu’il est dans l’intérêt de tous de collaborer à la gestion, à l’étude et à la mise en valeur des stocks de saumon du Pacifique.

 

[8]               Le Traité est passablement détaillé; il fait plus de 150 pages. Il établit une commission mixte, la Commission du saumon du Pacifique, énonce différentes questions et différents principes et comporte notamment des articles qui traitent précisément du fleuve Fraser, du fleuve Yukon et des cours d’eau transfrontière.

 

[9]               Plus précisément, l’annexe IV modifiée en 1999, 2002 et 2005, et qui nous intéresse en l’espèce, traite du saumon quinnat au chapitre 3 depuis le 1er janvier 2009.

 

[10]           Le régime de gestion établi au chapitre sur le saumon quinnat est complexe. Les pêches sont de deux types :

a.       Les pêches assujetties à un régime de gestion fondée sur l’abondance globale (« GFAG »), selon lequel la Commission détermine chaque année le total autorisé des captures en fonction de l’abondance du stock cette année‑là.

b.      Les pêches assujetties à un régime de gestion fondé sur les stocks individuels (« GFSI »), qui se pratiquent généralement dans les cours d’eau d’origine ou à proximité de ceux‑ci. La gestion de ces pêches est fondée sur l’état d’un stock ou d’un groupe de stocks pris individuellement.

 

[11]           Les modifications de 2009 visent la période allant de 2009 à 2018. Les parties ont convenu d’une réduction de 15 pour cent des totaux autorisés de captures pour la pêche alaskienne assujettie au régime de GFAG et d’une réduction de 30 pour cent de la pêche assujettie au régime de GFAG au large de la côte ouest de l’île de Vancouver. Ces deux réductions correspondent chacune à un nombre à peu près égal de poissons. Des réductions additionnelles des pêches alaskiennes et canadiennes, ou de l’une d’entre elles, et ce, qu’elles soient assujetties au régime de GFAG ou de GFSI, pourraient avoir lieu tout dépendant de la survenance de certains événements.

 

[12]           Plusieurs mesures financières sont prévues. Les deux pays ont convenu de financer un programme de recherche ainsi qu’un programme de marquage avec micromarques codées à des fins d’évaluation. Pour en venir maintenant aux 30 millions de dollars américains, les États‑Unis se sont engagés à fournir 41,5 millions de dollars américains, dont 30 millions de dollars américains :

[...] seront mis à la disposition du Canada pour faciliter la mise en œuvre des dispositions du Chapitre. En particulier, 15 millions de dollars américains seront versés au cours de chacun des exercices financiers des États‑Unis compris entre 2009 et 2011, inclusivement, ou à une date antérieure (pour un total de 30 millions de dollars américains), étant entendu que :

a)             la majeure partie de ces fonds sera utilisée par le Canada dans le cadre d’un programme d’atténuation des impacts des activités de pêche conçu, entre autres choses, pour réduire son effort de pêche commerciale à la traîne du saumon;

 

b)            utilisés au profit du programme d’atténuation des impacts dans les deux années qui suivront le versement des fonds.

 

 

[13]           À l’audience, j’ai demandé si « réduire son effort » était un terme technique et s’il existait une version française du Traité. Le Traité a été signé en anglais seulement et, étant donné les vastes pouvoirs dont jouissait déjà la ministre en vertu de la Loi sur les pêches, il n’était pas nécessaire de ratifier le traité ni de le mettre en œuvre au moyen d’un texte législatif interne bilingue. Il existe toutefois une version française à usage interne canadien.

 

[14]           La disposition clé est ainsi rédigée :

[...] étant entendu que :

 

1.      la majeure partie de ces fonds sera utilisée par le Canada dans le cadre d’un programme d’atténuation des impacts des activités de pêche conçu, entre autres choses, pour réduire son effort de pêche commerciale à la traîne du saumon;

 

 

[15]           Les parties s’entendent de manière générale sur le sens de l’expression « réduire son effort ». Une capture peut être calculée en « jours‑bateau ». Pour réaliser une réduction de ce qu’auraient été autrement les captures, la ministre peut réduire le nombre de jours où une zone donnée est ouverte à la pêche ou réduire le nombre de bateaux en réduisant le nombre de permis. Une réduction pourrait également être réalisée en restreignant les engins de pêche autorisés, mais tous semblent s’entendre pour dire que cela ne constituerait pas une solution viable dans le domaine de la pêche à la traîne. La pêche à la traîne est la seule méthode qui permette de capturer le saumon quinnat.

 

[16]           Comme je l’ai mentionné précédemment, en 2009 et 2010, la ministre a obtenu le résultat convenu en réduisant le nombre de jours de pêche. Elle entend maintenant réduire le nombre de navires de pêche en rachetant des permis. Un « rachat » est une réalité politique. Les permis sont seulement valides pour une année et, en théorie, la ministre pourrait peut‑être tout simplement ne pas renouveler certains permis. Cependant, il s’agit là d’une voie dans laquelle personne ne souhaite s’engager.

 

LES DEUX DÉCISIONS DE LA MINISTRE

[17]           En fait, le ministre a rendu deux décisions, dont une seulement fait l’objet du présent contrôle judiciaire. Le Traité prévoit une réduction de 30 pour cent au large de la côte ouest de l’île de Vancouver, dans ce qui est connu au pays comme la zone G. Dans cette zone, en plus de la pêche commerciale, les Premières nations font une récolte à des fins alimentaires, sociales et cérémoniales, en plus de pratiquer une pêche sportive. La totalité de la réduction a été appliquée au contingent de pêche commerciale. Cette décision est essentiellement une décision politique et elle n’est pas susceptible de contrôle par la Cour (Gulf Trollers Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1987] 2 C.F. 93 (C.A.F.), et R c. Huovinen, 2000 BCCA 427, 188 DLR (4th) 28 (C.A. C.‑B.)). Le présent contrôle judiciaire a pour objet la décision de racheter des permis. Les pêcheurs de la zone G sont d’avis qu’aucun permis ne devrait être racheté, et que les 30 millions de dollars américains devraient plutôt leur être versés pour qu’ils réoutillent leurs navires afin de pêcher d’autres espèces et préservent ainsi la viabilité de leurs collectivités tout en assurant le maintien des emplois pour leurs fils et leurs filles. Un rachat de permis ne « réduira pas l’effort » et, dans tous les cas, aucun plan de rachat ne devrait s’étendre aux défendeurs dans les deux autres zones où la pêche du saumon quinnat est autorisée, soit la zone H (une autre zone assujettie au régime de GFSI), située entre l’île de Vancouver et la terre ferme, et la zone F (une zone assujettie au régime de GFAG), située au nord. Non seulement leurs quotas n’ont pas été réduits, mais récemment, il n’y a eu aucune pêche au saumon quinnat dans la zone H.

 

[18]           La décision de la ministre qui fait l’objet du présent contrôle comporte trois éléments :

a.       Un programme de retrait volontaire permanent de permis pour les titulaires de permis de pêche à la traîne dans les zones F, G et H;

b.      Un programme de 500 000 $ destiné à appuyer le développement économique dans les collectivités de la côte ouest de l’île de Vancouver;

c.       Un million de dollars pour étudier l’élaboration d’un nouveau cadre d’allocation du saumon.

 

[19]           La cause des demandeurs comporte plusieurs volets et elle est extrêmement subtile. Je pense qu’il est préférable d’analyser les questions en litige sous l’angle des moyens de défense soulevés pour le compte de la ministre. Voici ces moyens de défenses :

a.       Le Traité ne confère aucun avantage aux pêcheurs de la zone G qui créerait une charge de quelque nature grevant les 30 millions de dollars;

b.      Le Canada avait le droit de recevoir les fonds américains;

c.       Les dépenses prévues respectent le Traité et le droit canadien;

d.      Même si le Traité conférait des avantages aux demandeurs, ceux‑ci ne peuvent pas réclamer, devant un tribunal interne, des avantages au titre d’un Traité qui n’a pas été mis en œuvre législativement en droit interne;

e.       Les demandeurs réclament de l’argent. Ils doivent procéder par voie d’action en vertu de l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales (ou devant les tribunaux provinciaux de compétence concurrente), et non par voie de contrôle judiciaire en vertu des articles 18 et suivants de la Loi;

f.        Les demandeurs affirment qu’il s’agit en l’espèce d’une instance par représentation. Cependant, il n’a pas été satisfait aux exigences de l’article 114 des Règles de la Cour fédérale (les « Règles »);

g.       Dans tous les cas, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir le bien‑fondé de la cause des demandeurs. Bien qu’une requête en radiation de tout ou partie d’affidavits ait été retirée au cours de l’audience, on a demandé à la Cour de ne pas tenir compte d’éléments de preuve par ouï‑dire ni de documents introduits par des témoins inappropriés, qui étaient inhabiles à témoigner au sujet de ces documents.

 

LA MINISTRE AVAIT‑ELLE LE DROIT DE RÉDUIRE LES CAPTURES DE SAUMON QUINNAT?

[20]           Faisant abstraction du paiement de 30 millions de dollars américains, les demandeurs reconnaissent que la ministre a le pouvoir de réduire les captures au nom de la conservation, et qu’en vertu des pouvoirs discrétionnaires dont elle dispose, elle pourrait appliquer la totalité de la réduction à ce que seraient autrement les captures dans la zone G (Gulf Trollers, précité, et Comeau’s Sea Foods Ltd c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 R.C.S. 12).

 

[21]           Les demandeurs sont quelque peu ambivalents pour ce qui est des 30 millions de dollars américains. Si l’argent leur est versé, tout va bien. Dans le cas contraire, la ministre se trouve à vendre indirectement la prise aux Américains, chose qu’elle ne peut pas faire (Larocque c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2006 CAF 237, 270 DLR (4th) 552).

 

[22]           Je ne suis pas d’accord; l’article 2 de la Loi sur la gestion des finances publiques définit le terme « fonds publics / public money » comme comprenant :

[...] d) les fonds perçus ou reçus par un fonctionnaire public sous le régime d’un traité, d’une loi, d’une fiducie, d’un contrat ou d’un engagement et affectés à une fin particulière précisée dans l’acte en question ou conformément à celui‑ci.

 

[...] (d) all money that is paid to or received or collected by a public officer under or pursuant to any Act, trust, treaty, undertaking or contract, and is to be disbursed for a purpose specified in or pursuant to that Act, trust, treaty, undertaking or contract.

 

 

 

[23]           Un traité est un contrat entre États souverains, et nous devons donc examiner en premier lieu comment les 30 millions de dollars américains peuvent être dépensés. Or, le Traité prévoit que :

a.       les fonds seront dépensés pour faciliter la mise en œuvre des dispositions du chapitre 3;

b.      la majeure partie de ces fonds (plus de 50 pour cent, je présume) sera utilisée par le Canada dans le cadre d’un « programme d’atténuation des impacts des activités de pêche » :

i.                  pour « réduire son effort » de pêche commerciale à la traîne du saumon;

ii.                éventuellement à d’autres fins compatibles avec le chapitre.

 

[24]           Étant donné les termes « la majeure partie de ces fonds » et « entre autres choses », l’on ne peut pas dire avec certitude que le Canada doit utiliser même 15 millions de dollars pour « réduire son effort » de pêche commerciale à la traîne du saumon, encore moins l’intégralité du montant.

 

[25]           En outre, bien que le chapitre cible expressément la zone G pour la totalité de la réduction, les fonds doivent être utilisés pour réduire l’effort de pêche commerciale à la traîne dans son ensemble, lequel effort est déployé dans trois zones : la zone F, la zone G et la zone H.

 

[26]           Puisque les pêches sont une ressource publique, l’on pourrait soutenir que nous sommes tous touchés. Assurément, les collectivités de la côte ouest de l’île de Vancouver, notamment les chantiers navals, les approvisionneurs de fournitures de navire et le secteur du traitement du poisson, subissent des répercussions négatives.

 

[27]           Les demandeurs répondent en disant que les comités consultatifs ont conclu que la meilleure façon d’atténuer les impacts des activités de pêche consisterait à acheminer l’argent aux titulaires de permis eux‑mêmes. Soit dit avec déférence, bien qu’elle ait procédé à des consultations, et bien qu’elle ait tenu compte des conditions socioéconomiques, la ministre n’était nullement tenue de suivre les conseils des comités consultatifs, ni même les conseils de son propre ministère.

 

[28]           Les demandeurs soutiennent que le plan de rachat, tel qu’il est actuellement annoncé, est déraisonnable et n’aura pas pour effet de réduire l’effort. Ils disent qu’un programme de rachat visant les zones F et H ne réduira ni l’effort ni la récolte. En outre, dans la zone G elle‑même, il en ira de même si seuls les titulaires de permis qui sont actuellement inactifs décident de vendre leurs permis. En outre, compte tenu du libellé actuel du règlement, la majeure partie des rachats de permis n’aidera pas les pêcheurs à la traîne, mais aidera plutôt les pêcheurs au filet, en vertu d’un régime d’allocation plutôt compliqué.

 

[29]           Ces observations présupposent que la situation demeurera stable au cours des huit années à venir. Si une chose est certaine, ce que rien n’est certain. On n’a qu’à citer en exemple le saumon quinnat du fleuve Fraser, qui avait pratiquement disparu en 2009 et qui est réapparu en grande abondance en 2010. Un pêcheur peut être inactif une année, en ce sens qu’il ne pêchera pas le saumon quinnat, mais actif une autre année. Le régime d’allocation actuel pourrait être modifié. D’ailleurs, une partie des 30 millions de dollars américains doit servir à financer une étude à ce sujet. En outre, il existe des procédures qui permettent aux pêcheurs de passer d’une zone à une autre.

 

[30]           Certaines parties du présent contrôle judiciaire peuvent paraître prématurées dans la mesure où la ministre n’entend pas dépenser les 30 millions de dollars en une seule fois, et les circonstances pourraient bien changer au fil du temps, et peut‑être amener la ministre à changer d’idée. Cependant, puisque les demandeurs soutiennent qu’aucuns des fonds ne devraient être dépensés autrement que sous forme de subvention à leur profit, je ne considère pas que la demande soit prématurée.

 

[31]           Les demandeurs s’inquiètent aussi de la possibilité que le rachat se fasse par voie d’enchère inversée, c’est‑à‑dire que le gouvernement achètera les permis de ceux qui sont disposés à les vendre aux plus bas prix. De fait, la ministre pourrait procéder ainsi. Cependant, le dossier tend à indiquer qu’une préférence sera accordée en premier lieu à la zone G, et que les prix seront fondés sur la juste valeur marchande. D’où la plainte additionnelle selon laquelle la juste valeur marchande est à la baisse, et qu’elle a baissé davantage par suite du Traité.

 

[32]           Comme je l’ai dit au cours de l’audience, un gouvernement dirigé par des politiciens n’est pas nécessairement une bonne chose, jusqu’à ce que l’on songe aux autres formes de gouvernement possibles, comme une dictature ou un gouvernement dirigé par les forces armées ou par des chefs religieux. Un gouvernement dirigé par des juges tomberait dans la même catégorie. Je ne suis pas appelé à décider si la ministre aurait pu prendre une meilleure décision, autrement dit à prendre la décision à sa place. Je suis appelé à examiner la décision de la ministre afin de déterminer tout d’abord s’il s’agit d’une décision justiciable et, dans l’affirmative, si elle satisfait à la norme applicable, que ce soit celle de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190).

 

[33]           J’arrive aux conclusions suivantes :

a.       la décision est justiciable, sauf pour ce qui concerne l’attribution d’avantages en vertu du Traité;

b.      il n’y a aucune question de droit distincte à contrôler selon la norme de la décision correcte;

c.       l’application du droit aux faits est une question mixte assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable;

d.      la décision était raisonnable au sens du paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, précité, en ce qu’elle appartenait aux solutions acceptables et rationnelles. La décision était transparente, intelligible et justifiée au sens où elle était défendable au regard des faits et du droit.

 

[34]           Des fonctionnaires de Pêches et Océans Canada ont présenté un document d’information détaillé à la ministre. Ils lui ont présenté deux solutions envisageables quant à la façon de dépenser les 30 millions de dollars américains. Puisque la ministre n’a pas communiqué de motifs distincts, nous pouvons présumer qu’elle a choisi la solution qu’elle a choisie pour les motifs exposés dans le document d’information.

 

[35]           L’option choisie consistait à approuver un programme d’atténuation des impacts de la pêche visant l’ensemble du secteur de la pêche à la traîne. Au titre des arguments militant en faveur de cette solution, le document d’information faisait notamment valoir qu’un retrait permanent de permis favoriserait la viabilité économique en créant une plus petite flotte qui générerait un revenu moyen par navire plus élevé, qu’étant donné que la zone G serait la zone la plus directement touchée, la première ronde de réduction du nombre de permis pourrait se concentrer sur cette zone, et que l’élaboration d’un nouveau cadre d’allocation permettrait de tenir compte de changements clés aux plans des orientations stratégiques et de la gestion comme une transition vers des pêches fondées sur des quotas qui favoriserait une amélioration de la viabilité économique. Au titre des arguments militant contre cette solution, le document d’information faisait valoir que les mesures précitées ne recueilleraient pas l’appui des intéressés de la côte ouest de l’île de Vancouver, notamment des pêcheurs de la zone G, et que certains s’attendraient à une prime ou à un prix supérieur à la valeur marchande dans l’hypothèse où ils consentiraient à un rachat.

 

[36]           L’autre solution, qui serait limitée à la zone G, atténuerait certainement les impacts directs des réductions de récoltes sur la flotte de la zone G et contribuerait certainement à atténuer les impacts plus généraux ou secondaires touchant les collectivités. Cependant, cette stratégie serait contraire à plusieurs principes que le ministère a relevés, et elle ne recueillerait pas les appuis de la province de la Colombie‑Britannique ni, évidemment, des pêcheurs commerciaux et d’autres intéressés dans d’autres zones. L’emploi des fonds destinés à atténuer les impacts de la pêche au versement d’indemnités directes ou à l’amarrage temporaire de navires n’optimiserait pas les ressources ni ne favoriserait la viabilité économique à long terme, et il obligerait Pêches et Océans Canada à imposer un moratoire ou à tout le moins des restrictions quant aux transferts de titulaires de permis d’autres zones à la zone G, ce qui minerait l’objectif de réduction de l’effort. En outre, une indemnisation directe au titre de l’amarrage de navires accroîtrait le risque que d’autres flottes ou que ceux qui pratiquent d’autres pêches s’attendent à bénéficier de programmes analogues en périodes de faible abondance ou d’occasions de récolte limitées.

 

[37]           Pêches et Océans Canada soutient qu’il a aussi tenu compte des conseils du Comité consultatif intégré (CCI). Cependant, le CCI a conclu que deux points de vue généraux étaient mis de l’avant, mais il n’en a recommandé aucun de préférence à l’autre. Ainsi, les demandeurs soutiennent qu’il était inexact d’affirmer que les faits tendaient à démontrer que le CCI avait appuyé l’option que la ministre a choisie.

 

[38]           À la lecture de ces documents, je ne suis pas convaincu qu’il y ait eu quelque présentation inexacte des faits que ce soit. Même à supposer qu’il y en ait eu, il est sans doute inévitable que, de temps à autre, les rapports présentés aux ministres présentent certains faits de manière inexacte. Cependant, il serait intolérable, et déraisonnable, de considérer que la ministre doit procéder elle‑même à la vérification de tous les rapports et de tous les documents sur lesquels ces rapports se fondent. Il était raisonnable que la ministre agisse sur la foi des rapports qu’elle a reçus.

 

[39]           Puisque j’ai conclu que la décision de la ministre respectait les dispositions du Traité, de la Loi sur la gestion des finances publiques et de la Loi sur les pêches, point n’est besoin de traiter longuement de la prétention des demandeurs selon laquelle la ministre fait indirectement ce qu’elle ne peut pas faire directement, c’est‑à‑dire qu’elle vend une ressource publique afin de financer des programmes en matière de pêches. La présente affaire est passablement différente de l’affaire Larocque, précitée, et de l’affaire qui a donné lieu à la décision Chiasson c. Canada (Procureur général), 2008 CF 616, 295 DLR (4th) 744, infirmée en partie par l’arrêt Canada (Procureur général) c. Chiasson, 2009 CAF 299, 314 DLR (4th) 512.

 

[40]           Dans l’arrêt Larocque, la Cour d’appel fédérale a déclaré que le ministre ne pouvait pas vendre un permis de pêche pour amasser des fonds destinés à des projets touchant les pêches. Pendant que cette affaire était en instance devant les tribunaux, le ministre a fait essentiellement la même chose l’année suivante dans l’affaire Chiasson. Le permis a été fourni en échange de fonds destinés à la réalisation d’une étude. Pour ce faire, le ministre a réduit la proportion du total autorisé des captures qui, autrement, auraient été allouées aux demandeurs. Ceux‑ci ont demandé à la Cour de déclarer qu’ils avaient le droit de réclamer les fonds.

 

[41]           À la suite de l’arrêt Larocque, j’ai déclaré dans la décision Chiasson que le ministre ne pouvait pas vendre un permis dans les circonstances dans lesquelles il l’avait fait. J’ai refusé de déclarer que les demandeurs avaient le droit de réclamer les fonds, au motif qu’à cette fin, ils auraient dû procéder par voie d’action plutôt que par voie de demande de contrôle judiciaire, mais j’ai par contre déclaré que le ministre ne pouvait pas conserver ce que j’estimais être des gains mal acquis. La Cour d’appel, qui s’est seulement prononcée sur le second point, a noté qu’en fait, par suite de la mesure prise par le ministre, le total autorisé des captures avait augmenté cette année‑là, de sorte qu’il ne pouvait même pas être présumé que les demandeurs avaient subi le moindre désavantage. Ils obtenaient une plus petite pointe, mais d’une plus grosse tarte. En outre, les demandeurs réclamaient le paiement d’une somme d’argent, une réparation qui ne peut pas être demandée dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Ils auraient dû intenter une action, comme ils l’avaient d’ailleurs fait. Dans la présente affaire, les demandeurs ont également déposé une action, laquelle a été suspendue. Ils soutiennent qu’ils doivent d’abord obtenir un jugement déclaratoire par voie de contrôle judiciaire, puis demander une ordonnance de paiement par voie d’action.

 

[42]           La présente affaire est complètement différente des affaires Larocque et Chiasson. En l’espèce, la ministre n’a rien vendu. À titre de mesure conservatoire, elle a convenu de réduire le total autorisé des captures, et elle aurait pu le faire sans effectuer aucun paiement quel qu’il soit. Les fonds étaient un avantage supplémentaire, si l’on peut dire, et la ministre a l’intention de les dépenser en conformité avec les dispositions du Traité.

 

[43]           Voilà qui devrait permettre de statuer sur la demande fondée sur un enrichissement sans cause. Selon l’arrêt Garland c. Consumers’ Gas Co., 2004 CSC 25, 1 R.C.S. 629, le critère applicable en matière d’enrichissement sans cause comporte trois volets :

a.       l’enrichissement du défendeur;

b.      l’appauvrissement correspondant du demandeur;

c.       l’absence de motif juridique justifiant l’enrichissement.

 

[44]           Bien que les demandeurs aient pu être appauvris en ce sens que leurs captures ont été réduites, il y avait un motif juridique justifiant cet appauvrissement : le Traité et les exigences de la Loi sur la gestion des finances publiques. En outre, la ministre ne s’est pas enrichie. Cet argument présuppose que, n’eût été des 30 millions de dollars américains reçus des États‑Unis, 30 millions de dollars américains auraient dû être retirés du Trésor pour atténuer la perte. Cependant, le gouvernement n’a aucune obligation légale de contribuer à indemniser les demandeurs de leur perte, même s’il s’agit peut‑être bien de la bonne voie à suivre aux plans politique et moral. De fait, le dossier indique que Pêches et Océans Canada, qui semble toujours éprouver des problèmes de financement, est en pourparlers avec d’autres ministères et avec la province de la Colombie‑Britannique en vue de venir en aide à ceux sur qui le Traité a des répercussions négatives.

 

[45]           Les demandeurs invoquent à tort le rapport de la Commission sur la chasse pélagique du phoque. En vertu du Traité de Washington de 1911, conclu par les États‑Unis, la Grande‑Bretagne, la Russie et le Japon en vue de la préservation des otaries à fourrure, la Grande‑Bretagne avait reçu 200 000 dollars américains des États‑Unis pour le compte du Canada. Conformément à la loi concernant les enquêtes sur les affaires publiques, l’honorable Louis Arthur Audette, juge adjoint de la Cour de l’Échiquier, avait été nommé commissaire pour enquêter au sujet des fonds et recommander ce qui devrait en advenir. Il avait recommandé que les fonds soient versés aux chasseurs de phoques canadiens directement touchés ou à leurs successions. Or, selon ses propres termes :

[traduction]

La question qui a donné lieu à ce grand débat doit être abordée et tranchée en conformité avec les principes qui doivent être suivis selon l’équité [equity] et la bonne conscience, ex aequo et bono compte tenu de ce qui est équitable et juste dans la relation entre l’État et ses sujets et les devoirs et obligations qui en découlent, respectivement, et non suivant la stricte légalité, parce qu’aucun des chasseurs et piégeurs de phoque n’a de réclamation fondée en droit.

 

 

[46]           Les demandeurs soulignent qu’en vertu de l’article 3 de la Loi, la Cour fédérale est un tribunal « de droit, d’equity et d’amirauté ». Cependant « equity » s’entend du système de droit, discrétionnaire dans une large mesure, administré par les cours de chancellerie d’Angleterre avant que celles‑ci soient fusionnées aux tribunaux judiciaires. La Cour n’est pas un tribunal d’ « equity » au sens ou le commissaire Audette a employé ce terme. Il ne m’appartient pas de faire des recommandations, mais plutôt de décider s’il était loisible à la ministre de prendre la décision qu’elle a prise. La réponse est oui.

 

LES DEMANDEURS PEUVENT‑ILS TIRER UN AVANTAGE DU TRAITÉ?

[47]           La ministre soutient que même si elle agissait en‑dehors du cadre du Traité et du droit canadien, et même si le Traité conférait des droits aux demandeurs, ceux‑ci n’ont pas de réclamation fondée en droit parce que, pour cela, il aurait d’abord fallu que le Traité ait été mis en œuvre en droit interne. Elle a raison. Dans l’arrêt R c. Vincent (1993), 12 OR (3d) 427, la Cour d’appel de l’Ontario (autorisation de pourvoi à la Cour suprême refusé) cite fort à propos certains textes de référence. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Lacourcière renvoie à la jurisprudence bien établie selon laquelle les droits créés ou conférés par un traité international appartiennent exclusivement aux parties souveraines contractantes. Le traité échappe à la compétence des tribunaux internes à moins qu’il ne soit mis en œuvre par voie législative.

 

[48]           Dans l’arrêt précité, le juge Lacourcière a cité l’arrêt Rayner (JH) (Mincing Lane) Ltd v United Kingdom (Department of Trade & Industry), [1990] 2 AC 418, [1989] 3 All ER 523, prononcé par la Chambre des Lords, où le lord Templeman avait dit aux pages 476‑477 :

[traduction]

Un traité est un contrat entre les gouvernements de deux ou plusieurs États souverains. Le droit international réglemente les relations entre États souverains et détermine la validité, l’interprétation et l’exécution des traités. Un traité auquel le gouvernement de Sa Majesté est partie ne modifie pas les lois du Royaume‑Uni. Un traité peut être incorporé aux lois du Royaume‑Uni ou peut les modifier par voie législative. Sauf dans la mesure où un traité est incorporé aux lois du Royaume‑Uni par une loi, les tribunaux du Royaume‑Uni n’ont pas le pouvoir de faire respecter les droits et les obligations issus de traités à la demande d’un gouvernement souverain ni à la demande d’un particulier.

 

 

[49]           Le lord Olivier of Aylmertown a ajouté, à la page 500 :

[traduction]

C’est là le premier des principes sous‑jacents. Le deuxième est qu’en vertu du droit constitutionnel du Royaume‑Uni, la prérogative royale, qui comprend le pouvoir de conclure des traités, ne comprend pas le pouvoir de modifier le droit de manière à conférer des droits à des individus ou à priver des individus de droits dont ils pourraient jouir en droit interne sans l’intervention du Parlement. Les traités, comme on le dit parfois, ne sont pas directement applicables. En un mot, un traité ne fait pas partie du droit anglais tant qu’il n’est pas incorporé au droit par une loi. Dans la mesure où sont concernés les particuliers, un traité est res inter alios acta, ce qui ne leur confère aucun droit et ne peut les priver de droits ni leur imposer d’obligations; et un traité échappe à la compétence du tribunal non seulement parce qu’il est conclu dans la conduite des relations étrangères, qui relèvent de la prérogative de la Couronne, mais aussi parce qu’à titre de source de droits et d’obligations, il est non pertinent.

 

 

[50]           Tout cela a amené le juge Lacourcière à conclure, à la page 440 :

[TRADUCTION]

Cet extrait démontre clairement qu’un traité international ne peut conférer un droit à un individu, ou à un groupe d’individus. Un droit mentionné dans un traité international n’est pas justiciable devant un tribunal canadien. Nous sommes d’avis qu’un traité international ne peut créer de droits ni en faveur d’individus ni de groupes d’individus qui habitent les pays qui en sont les parties contractantes. Dans un traité international avec un État souverain, la Couronne n’est pas et ne peut pas être fiduciaire ou agent d’un sujet, et le sujet ne peut pas être bénéficiaire d’une fiducie.

 

 

[51]           Bien que la common law reconnaisse maintenant que des tiers peuvent intenter des actions en justice fondées sur des stipulations pour autrui en leur faveur (Fraser River Pile & Dredge Ltd c. Can‑Dive Services Ltd, [1999] 3 R.C.S. 108), ce serait aller beaucoup trop loin que d’en conclure que la Cour suprême entendait modifier par là la conception canadienne du droit international relatif aux traités.

 

[52]           Si j’avais craint que l’argent puisse être dépensé autrement qu’en conformité avec les dispositions de la Loi sur la gestion des finances publiques, il m’aurait fallu considérer s’il n’y avait pas lieu de reconnaître aux demandeurs, même s’ils ne peuvent pas réclamer un avantage au titre du Traité, la qualité pour agir dans l’intérêt public et faire annuler la décision, puisque personne, même pas un ministre, n’est au‑dessus de la loi.

 

ACTION OU CONTRÔLE JUDICIAIRE?

[53]           Il s’agit de savoir si les demandeurs ont choisi le bon véhicule pour demander l’annulation de la décision de la ministre ainsi qu’un jugement déclaratoire. L’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales énonce :

18. (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

 

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

 

[notre soulignement]

18. (1) Subject to section 28, the Federal Court has exclusive original jurisdiction

 

 

(a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal;

 

[emphasis added]

 

La seule exception est l’article 28, qui confère à la Cour d’appel fédéral compétence, en première instance, pour connaître des demandes de contrôle judiciaire visant certains offices fédéraux énumérés.

 

[54]           Cependant, par suite de modifications apportées à la Loi qui sont entrées en vigueur en 1992, le paragraphe 17(1) et l’alinéa 17(2)a) énoncent maintenant :

17. (1) Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, la Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, dans les cas de demande de réparation contre la Couronne.

 

(2) Elle a notamment compétence concurrente en première instance, sauf disposition contraire, dans les cas de demande motivés par :

 

 

 

a) la possession par la Couronne de terres, biens ou sommes d’argent appartenant à autrui;

 

[notre soulignement]

 

17. (1) Except as otherwise provided in this Act or any other Act of Parliament, the Federal Court has concurrent original jurisdiction in all cases in which relief is claimed against the Crown.

 

 

(2) Without restricting the generality of subsection (1), the Federal Court has concurrent original jurisdiction, except as otherwise provided, in all cases in which

 

(a) the land, goods or money of any person is in the possession of the Crown;

 

 

[emphasis added]

 

 

[55]           D’une part, les demandeurs cherchent à faire annuler la décision de la ministre et ils demandent un jugement déclaratoire. D’autre part, biens qu’ils présentent leur cause d’action comme étant fondée sur un enrichissement sans cause, en dernière analyse, ils réclament de l’argent. Or, une ordonnance de paiement d’une somme d’argent n’est pas une des réparations prévues à l’article 18 de la Loi. Les demandeurs doivent procéder par voie d’action, soit devant la Cour ou devant une cour provinciale.

 

[56]           Les demandeurs étaient parfaitement au courant de ce que la Cour suprême appelle maintenant le « cloisonnement ». S’ils obtiennent la réparation administrative qu’ils demandent, ils chercheront ensuite à faire quantifier leurs pertes dans le cadre d’une action devant la Cour. En fait, ils ont déjà intenté une action, qui est actuellement en suspens du consentement des parties.

 

[57]           Cette démarche s’accordait parfaitement avec l’arrêt Grenier c. Canada, 2005 CAF 348, [2006] 2 R.C.F. 287, prononcé par la Cour d’appel fédérale. Cependant, le mois dernier seulement, la Cour suprême a contredit l’arrêt Grenier six fois dans Canada (Procureur général) c. TeleZone, 2010 CSC 62, Canada (Procureur général) c. McArthur, 2010 CSC 63, Parrish & Heimbecker Ltd. c. Canada (Agriculture et Agroalimentaire), 2010 CSC 64, Nu‑Pharm Inc c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 65, Agence canadienne d’inspection des aliments c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2010 CSC 66, et Manuge c. Canada, 2010 CSC 67. La pièce maîtresse parmi cette série de décisions est l’arrêt Telezone, prononcé en appel d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario. Telezone avait intenté une action devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario pour rupture de contrat, négligence et enrichissement sans cause découlant du défaut allégué d’Industrie Canada de lui délivrer une licence de services de communications personnelles. La question en litige était celle de savoir si la décision devait d’abord être annulée par la Cour fédérale en conformité avec l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales. La Cour a affirmé qu’il s’agissait d’une question d’accès à la justice. Les cours supérieures provinciales ont compétence concurrente en conformité avec l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales, de sorte qu’il faut voir l’article 18 comme une réserve ou une exception à cette attribution de compétence. Et cette réserve ou exception doit s’interpréter restrictivement. Il est important de constater que TeleZone ne cherchait pas à faire annuler la décision de ne pas lui délivrer une licence. Monsieur le juge Binnie a dit aux paragraphes 19, 23 et 52 :

 

[19]     Le demandeur qui veut obtenir l’annulation d’une décision de l’administration fédérale doit procéder par voie de contrôle judiciaire, comme le précise l’arrêt Grenier.  Par contre, s’il ne s’oppose pas à ce que la décision continue de s’appliquer, mais cherche plutôt à se faire indemniser des pertes qu’il dit avoir subies (comme en l’espèce), il n’existe aucune raison logique de lui imposer l’étape supplémentaire d’un détour devant la Cour fédérale pour le contrôle judiciaire de la décision (entreprise pouvant parfois se révéler coûteuse en soi), alors que ce n’est pas le recours qui lui convient.  L’accès à la justice exige que le demandeur puisse exercer directement le recours qu’il a choisi et, autant que possible, sans détours procéduraux.

[23]       Je ne crois pas que le respect de l’intention du législateur, telle qu’elle se dégage du texte, du contexte et des objets de la LCF, exige une procédure astreignante faisant appel à deux juridictions différentes pour tous les recours en dommages‑intérêts qui mettent directement ou indirectement en cause la « validité  ou la  légalité » d’une décision fédérale.  Seul un texte législatif clair et explicite pourrait l’exiger.  Or, à mon avis, ni la LCF ni la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif n’ont cet effet.  Non seulement elles ne comportent aucune disposition en ce sens, mais les inférences raisonnables que l’on peut tirer de ces deux lois et, plus particulièrement, de l’octroi aux cours supérieures provinciales d’une compétence concurrente dans les cas de demande de réparation contre la Couronne mènent à la conclusion opposée.

[52]     Tous les recours énumérés à l’al. 18(1)a) sont des recours classiques du droit administratif, y compris les quatre brefs de prérogative — certiorari, prohibition, mandamus et quo warranto — et les demandes d’injonction et de jugement déclaratoire en droit administratif.  L’article 18 ne prévoit pas l’octroi de dommages‑intérêts.  L’indemnisation n’est pas possible dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire.  De même, on ne peut, dans le cadre d’une action en dommages‑intérêts, demander par surcroît un jugement déclaratoire ou une injonction visant à empêcher la mise en œuvre d’une décision administrative prétendument illégale.  Pareille demande est du ressort de la Cour fédérale.

 

Il a conclu au paragraphe 78 :

J’apporterais cependant la réserve mineure suivante.  Les cours supérieures provinciales conservent toujours, en raison de leur compétence inhérente, (tout comme la Cour fédérale en vertu du par. 50(1) de la LCF) le pouvoir discrétionnaire résiduel de suspendre une action en dommages‑intérêts au motif qu’il s’agit essentiellement d’une demande de contrôle judiciaire qui n’a que superficiellement l’apparence d’un recours délictuel de droit privé. Règle générale, la question fondamentale consiste toujours à savoir si le demandeur a plaidé une cause d’action valable donnant ouverture à des dommages‑intérêts de droit privé.  Dans l’affirmative, il devrait généralement être admis à exercer son recours.

[58]           Tandis que les arrêts TeleZone, McArthur et Agence canadienne d’inspection des aliments traitent d’actions intentées devant des cours provinciales, les arrêts Parrish & Heimbecker, NewFarm et Manuge traitent d’actions intentées devant la Cour fédérale.

 

[59]           Dans l’arrêt Manuge, publié dans 2009 CAF 29, 4 R.C.F. 478, la Cour d’appel a statué que le véhicule pour faire annuler la décision d’un office fédérale devait être le contrôle judiciaire. Comme la Cour suprême l’a mentionné dans l’arrêt TeleZone, les rigueurs de l’arrêt Grenier peuvent être tempérées par la Cour fédérale elle‑même en convertissant une demande de contrôle judiciaire en action dans laquelle les réparations que sont l’annulation de la décision et une indemnisation financière peuvent toutes deux être demandées (Hinton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 215, [2009] 1 R.C.F. 476).

 

[60]           La ministre soutient que, suivant l’arrêt TeleZone, le véhicule qui convient en l’espèce n’est pas la demande de contrôle judiciaire dont je suis saisi, mais plutôt l’action qui a été suspendue. Ce point n’est pas soulevé à titre d’argument péremptoire, puisque même une nouvelle action ne serait pas prescrite, mais plutôt afin d’obtenir un avis quant aux circonstances dans lesquelles cette lourde dualité de procédures peut être évitée. À strictement parler, puisque je suis déjà arrivé à la conclusion que les demandeurs n’avaient aucune cause d’action, il n’est pas nécessaire pour moi de commenter ce point. Cependant, dans le même esprit que celui dans lequel le point a été soulevé, je signale que, dans l’affaire Grenier, la décision attaquée avait déjà été exécutée et que, dans l’affaire TeleZone, la demanderesse ne cherchait pas à faire annuler la décision dont il était question en l’espèce. Le ministre avait plutôt soutenu que l’action était une contestation incidente de la décision d’un office fédéral, laquelle contestation ne pouvait être engagée que par voie de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

 

[61]           Dans la présente affaire, sauf pour ce qui est de la dépense de 200 000 $ autorisée par le protonotaire Lafrenière, le juge responsable de la gestion de l’instance, la ministre s’est engagée à ne pas dépenser les 30 millions de dollars américains à moins que la Cour ne l’y autorise.

 

[62]           Dans les affaires TeleZone et Grenier, il n’aurait été d’aucune utilité d’invalider les décisions. De même, dans l’affaire Parrish & Heimbecker, une affaire de délivrance de permis dans laquelle la demanderesse avait respecté les conditions, celle‑ci ne demandait pas l’annulation de la décision. Dans la foulée des arrêts TeleZone et Grenier, précités, monsieur le juge Rothstein, s’exprimant au nom de la Cour, a affirmé au paragraphe 19 :

Parrish a respecté les conditions du nouveau permis d’importation.  Elle a importé le blé et exécuté ses contrats. Il ne lui servirait à rien de déposer une demande de contrôle judiciaire pour faire invalider les décisions concernant les permis. Parrish intente maintenant une action en responsabilité délictuelle afin de recouvrer les frais additionnels qu’elle a dû payer pour se conformer aux décisions de l’[Agence canadienne d’inspection des aliments] concernant les permis.

Dans la présente affaire, les demanderesses cherchent à faire annuler la décision, une décision qui n’a pas encore été mise en œuvre, et ils cherchent également à être indemnisés.

 

[63]           Je m’inspire de l’arrêt Manuge de la Cour suprême. La question en litige dans cette affaire était celle de savoir si M. Manuge devait demander le contrôle judiciaire des dispositions d’un régime de prestations d’invalidité avant d’intenter son action en dommages‑intérêts. Madame la juge Abella a cité le paragraphe 78 de l’arrêt TeleZone, précité, et elle a statué qu’il existait un pouvoir discrétionnaire résiduaire de suspendre une action si celle‑ci était fondée sur des considérations de droit public et qu’elle n’avait que superficiellement l’apparence d’un recours délictuel de droit privé. La question en litige était celle de savoir si l’action devrait être suspendue, et non si elle devait être rejetée. La juge Abella a affirmé au paragraphe 19 :

 

La décision du tribunal d’exercer ou non son pouvoir discrétionnaire de suspendre une action dans ce contexte dépend de l’essence du recours selon qu’il s’agit de la revendication de droits relevant du droit privé ou du droit public.  Je suis d’accord avec la Couronne que certaines des prétentions de M. Manuge soulèvent des questions qui se prêtent au contrôle judiciaire.  Cependant, il ne s’agit pas seulement d’établir si certains éléments plaidés par M. Manuge peuvent être examinés sous le régime des art. 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, mais de déterminer qu’elle (sic) est l’essence de ses demandes.

 

La juge Abella a conclu au paragraphe 21 qu’« [a]u fond, les prétentions de M. Manuge ne concern[aient] pas tant l’appréciation de l’exercice d’un pouvoir délégué d’origine législative ou du processus décisionnel ayant mené à l’adoption ou à « l’application mensuelle » de l’al. 24a)(iv) [du Régime d’assurance‑revenu militaire pour invalidité de longue durée des Forces canadiennes] qu’une prétendue violation du par. 15(1) de la Charte ».

 

[64]           Si je devais choisir, j’aurais choisi, à l’instar des demandeurs, la voie du contrôle judiciaire. Malgré qu’un motif législatif puisse être soulevé à l’encontre d’une action, étant donné que les demandeurs sont au courant de la décision, et que celle‑ci n’a pas été exécutée, il serait inapproprié pour eux de rester cois jusqu’à ce que les 30 millions de dollars aient été dépensés, puis de réclamer une indemnisation financière.

 

[65]           Bien qu’il soit très courant que la Cour, lorsqu’elle accueille une demande de contrôle judiciaire, renvoie l’affaire à l’office fédéral concerné pour que celui‑ci statue à nouveau sur l’affaire, et bien que ce soit ce que les demandeurs recherchaient à l’origine dans leurs actes de procédure, à l’audience, ils ont simplement demandé à ce que la décision soit annulée. Cela s’accorderait avec leur prétention, à savoir qu’après que l’annulation de la décision et le prononcé d’un jugement déclaratoire en leur faveur, la prochaine étape consisterait à reprendre l’action. Or, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de prononcer un jugement déclaratoire sans renvoyer l’affaire (Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S. 6).

 

[66]           Bien que les demandeurs qui intentent une action en paiement d’une somme d’argent devant les cours provinciales risquent de voir leur action suspendue en attendant l’issue d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour peut, selon les circonstances bien sûr, faire preuve de plus de souplesse. L’article 57 des Règles dispose que la Cour n’annulera pas un acte introductif d’instance au seul motif que l’instance aurait dû être introduite par un autre acte introductif d’instance.

 

[67]           L’arrêt Grenier est d’origine récente. Peut‑être reviendrons‑nous à la pratique qui prévalait avant cet arrêt. Dans la décision Sweet c. Canada (1999), 249 NR 17, [1999] A.C.F. n539 (QL), monsieur le juge Décary soulignait qu’avant les modifications de 1992 à la Loi sur les Cours fédérales, un jugement déclaratoire pouvait seulement être demandé par voie d’action. La modification a créé une incertitude procédurale, qui pouvait être résolue en convertissant une demande de contrôle judiciaire en action. Je m’empresse d’ajouter que la Cour peut aussi scinder les questions et se pencher en premier lieu sur la légalité de la décision de l’office fédéral.

 

[68]           Comme le juge Décary l’a signalé au paragraphe 14 de la décision Sweet :

Cette fâcheuse valse‑hésitation est un gaspillage de ressources pour les parties au litige aussi bien que pour la Cour. Je ne suis pas du tout convaincu qu’une requête en radiation, au motif que les actes de procédure ne révèlent aucune cause raisonnable d’action, soit la procédure indiquée dans les cas où la question en litige est de savoir si une partie aurait dû entreprendre un contrôle judiciaire ou une action. Il me semble que le fait de savoir si la procédure utilisée est ou n’est pas la procédure indiquée est une question distincte de celle de savoir si la procédure, si indiquée, révèle une cause raisonnable d’action. L’intention des Règles est précisément d’éviter de radier des procédures qui auraient dû être introduites sous une autre forme. Une fois que l’on a constaté qu’une procédure donnée appartient à l’une ou l’autre des deux catégories (contrôle judiciaire ou action), le devoir de la Cour est de déterminer quelle est la catégorie applicable et de permettre que l’instance soit continuée de cette façon. Les avocats et la Cour doivent trouver les moyens d’aborder la question intelligemment et de façon pratique.

 

 

S’AGIT‑IL D’UNE ACTION COLLECTIVE?

[69]           Les demandeurs demandent un contrôle judiciaire non seulement en leurs noms personnels, mais également au nom de tous les titulaires de permis de la zone G. Bien que les Règles prévoient les recours collectifs, que ce soit par voie d’action ou de contrôle judiciaire, les demandeurs ont plutôt invoqué les paragraphes 114(1) et (2) des Règles, qui énoncent :

114. (1) Malgré la règle 302, une instance — autre qu’une instance visée aux articles 27 ou 28 de la Loi — peut être introduite par ou contre une personne agissant à titre de représentant d’une ou plusieurs autres personnes, si les conditions suivantes sont réunies :

 

a) les points de droit et de fait soulevés, selon le cas :

 

 

(i) sont communs au représentant et aux personnes représentées, sans viser de façon particulière seulement certaines de celles‑ci,

 

(ii) visent l’intérêt collectif de ces personnes;

 

 

b) le représentant est autorisé à agir au nom des personnes représentées;

 

c) il peut représenter leurs intérêts de façon équitable et adéquate;

 

 

d) l’instance par représentation constitue la façon juste de procéder, la plus efficace et la moins onéreuse.

 

(2) La Cour peut, à tout moment :

 

a) vérifier si les conditions énoncées au paragraphe (1) sont réunies;

 

 

b) exiger qu’un avis soit communiqué aux personnes représentées selon les modalités qu’elle prescrit;

 

c) imposer, pour le processus de règlement de l’instance par représentation, toute modalité qu’elle estime indiquée;

 

 

d) pourvoir au remplacement du représentant si celui‑ci ne peut représenter les intérêts des personnes visées de façon équitable et adéquate.

114. (1) Despite rule 302, a proceeding, other than a proceeding referred to in section 27 or 28 of the Act, may be brought by or against a person acting as a representative on behalf of one or more other persons on the condition that

 

 

(a) the issues asserted by or against the representative and the represented persons

 

(i) are common issues of law and fact and there are no issues affecting only some of those persons, or

 

 

(ii) relate to a collective interest shared by those persons;

 

(b) the representative is authorized to act on behalf of the represented persons;

 

(c) the representative can fairly and adequately represent the interests of the represented persons; and

 

(d) the use of a representative proceeding is the just, most efficient and least costly manner of proceeding.

 

(2) At any time, the Court may

 

 

(a) determine whether the conditions set out in subsection (1) are being satisfied;

 

(b) require that notice be given, in a form and manner directed by it, to the represented persons;

 

(c) impose any conditions on the settlement process of a representative proceeding that the Court considers appropriate; and

 

(d) provide for the replacement of the representative if that person is unable to represent the interests of the represented persons fairly and adequately.

 

 

[70]           Les dispositions qui précèdent doivent être lues en tenant compte de l’alinéa 184(2)a) des Règles :

(2) À moins qu’une partie adverse ne les nie, une partie n’est pas tenue de prouver les allégations suivantes :

 

a) son droit d’agir à titre de représentant;

 

(2) Unless denied by an adverse party, it is not necessary that a party prove

 

 

(a) its right to claim in a representative capacity;

 

 

 

[71]           La ministre remet en question le mandat des demandeurs et soutient qu’il ressort à l’évidence du dossier qu’il n’y a pas de communauté d’intérêts entre tous les titulaires de permis de la zone G. MM. Kimoto et Amos sont de « gros pêcheurs », comptant parmi les 20 pour cent qui ont récolté 80 pour cent des captures. Bien qu’un programme de rachat ne les intéresse peut‑être pas, un tel programme pourrait bien intéresser ceux qui ont connu moins de succès, ou qui n’ont pas pêché de saumon quinnat récemment. Il n’existe aucune disposition, comme dans le cas d’un recours collectif, qui permette à quelqu’un de s’exclure.

 

[72]           L’historique et l’importance de l’article 114 des Règles sont exposés dans un article récent du juge en chef Lutfy et d’Emily McCarthy, « Rule‑Making in a Mixed Jurisdiction : The Federal Court (Canada) », (2010) 49 Sup Ct LR 313.

 

[73]           À l’audience, j’ai affirmé que si je devais tenir compte un tant soit peu de cette disposition, j’invoquerais l’article 2 et je ferais en sorte que les titulaires de permis soient invités à présenter leurs observations, comme l’a fait le protonotaire Lafrenière ainsi qu’il est relaté au paragraphe 23 de la décision Eikland c. Johnny, 2010 CF 854, [2010] A.C.F. n1051 (QL). J’ai ajouté que je ne pensais pas que la demande pouvait être rejetée s’il n’était pas satisfait aux exigences de l’article 114 des Règles. Même s’ils ne représentent personne d’autre, MM. Kimoto et Amos représentent certainement leur propre personne. Une action qui n’est pas autorisée à titre de recours collectif se poursuit. Je pense qu’il en va de même d’une instance par représentation.

 

PREUVE INSUFFISANTE

[74]           Au cours de la semaine précédant l’audience, le ministre a déposé une requête en radiation de certains des éléments de preuve par affidavit produits par les demandeurs. Comme il convenait, étant donné que les contrôles judiciaires sont des procédures sommaires, le protonotaire Lafrenière m’a renvoyé la question en ma qualité de juge désigné pour entendre l’affaire. Au début de l’audience, j’ai dit que je n’examinerais pas la requête à titre de requête préalable distincte, mais qu’au lieu de cela, l’avocat pourrait combiner ses observations relatives à la requête à ses observations relatives à la demande de contrôle judiciaire. Ensuite, les demandeurs répliqueraient, puis la ministre aurait le dernier mot au sujet de la requête.

 

[75]           En fin de compte, l’avocat a retiré la requête au cours de l’audience. J’ai fait part du peu d’enthousiasme que j’éprouvais à l’idée de devoir me plonger dans l’examen d’exceptions de principe à la règle du ouï‑dire. Les questions demeurent toutefois de savoir si certains auteurs d’affidavit étaient compétents pour introduire des documents en preuve, quel poids devrait être accordé au ouï‑dire, et si les affidavits étaient insuffisamment détaillés.

 

[76]           MM. Kimoto et Amos soulignent que puisque le total autorisé des captures des Premières nations à des fins cérémoniales et celui des pêcheurs sportifs n’ont pas été réduits, la réduction de 30 pour cent signifie que leurs captures ont été réduites d’environ 50 pour cent. Il est reproché à ces demandeurs de ne pas avoir fourni de précisions quant à la perte financière alléguée. Ils n’ont pas été contre‑interrogés.

 

[77]           Étant donné que les demandeurs doivent faire valoir les aspects pécuniaires de leur réclamation par voie d’action, je suis disposé à présumer qu’ils ont subi une perte. Cependant, il n’y a aucune réclamation fondée sur un enrichissement sans cause. Même s’il y en avait une, il serait plus approprié de prononcer un jugement déclaratoire à cet égard dans le cadre d’une action plutôt que dans le cadre du présent contrôle judiciaire (Chiasson, précité).

 

[78]           La ministre s’est opposée à bon droit à certains des éléments de preuve présentés par Mme Kathy Scarfo, une pêcheuse affiliée aux demandeurs, comme les contingents alloués par le Congrès des États‑Unis et les déclarations de représentants gouvernementaux en Alaska et dans l’État de Washington. Je n’accorde absolument aucun poids à ces documents. Ils ont été publiés après le Traité, et ils ne peuvent pas servir à l’interprétation de la finalité du paiement de 30 millions de dollars américains. Mme Scarfo n’est pas habile à décrire les fonctionnements du gouvernement fédéral américain et des gouvernements d’États américains.

 

DÉPENS

[79]           Il n’y aucune raison de ne pas adjuger des dépens à la ministre, lesquels suivent habituellement le sort de la cause. Un montant forfaitaire de 10 000 $ a été proposé, et ce montant a par la suite été porté à 20 000 $. Si ce montant a été augmenté, c’est sans aucun doute à cause de la frustration que l’avocat a éprouvée lorsque la présentation de la réplique à ses observations a pris autant de temps que la présentation des observations elles‑mêmes. Cependant, quatre jours avaient été prévus pour l’audience, qui a pris fin au milieu de la matinée de la quatrième journée. Je suis convaincu que la ministre pourrait taxer au moins 10 000 $ de dépens, mais je ne suis pas disposé à conclure à brûle‑pourpoint qu’elle pourrait taxer 20 000 $. Dans les circonstances, je considère qu’il est juste et raisonnable d’adjuger des dépens de 10 000 $ en faveur de la ministre.

 

[80]           Les codéfenderesses ont seulement demandé d’être constituées parties une semaine avant l’audience. Elles n’ont pas demandé de dépens, et aucuns ne seront adjugés.


ORDONNANCE

            POUR LES MOTIFS EXPOSÉS;

 

            LA COUR ORDONNE que :

 

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens en faveur du procureur général du Canada au montant de 10 000 $.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1582‑10

 

INTITULÉ :                                                   DOUG KIMOTO, VIC AMOS ET WEST COAST TROLLERS (AREA G) ASSOCIATION, AU NOM DE TOUS LES TITULAIRES DE PERMIS DE PÊCHE À LA TRAÎNE DANS LA ZONE G c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, GULF TROLLERS ASSOCIATION (AREA H) et AREA F TROLL ASSOCIATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Du 10 au 13 janvier 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 26 janvier 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher Harvey, c.r.

 

POUR LES DEMANDEURS

Harry J. Wruck, c.r.

Alex Semple

Steven C. Postman

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

David K. Jones

POUR LES DÉFENDERESSES

GULF TROLLERS ASSOCIATION (AREA H) ET AREA F TROLL ASSOCIATION

 

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mackenzie Fujisawa LLP

Avocats

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Bernard & Partners

Avocats

Vancouver (C.‑B.)

POUR LES DÉFENDERESSES

GULF TROLLERS ASSOCIATION (AREA H) ET AREA F TROLL ASSOCIATION

 

 

 

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