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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110124

Dossier : T-1183-10

Référence : 2011 CF 79

Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2011

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

GUY VÉZINA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE CHEF D'ÉTAT MAJOR DE LA DÉFENSE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

  MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Le demandeur a déposé le 22 juillet 2010 une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par le Chef d’état-major de la Défense en date du 15 juin 2010.Au terme de cette décision, le Chef d’état-major de la Défense accueillait partiellement deux griefs logés par le demandeur relativement aux frais de déplacement et de repas qui lui ont été versés en lien avec deux périodes d’emploi temporaire.Le premier grief, logé en 2006, portait sur les indemnités reçues relativement à un emploi temporaire occupé durant l’été 2006, tandis que le second grief, logé en 2007, porte sur les indemnités reçues relativement à l’emploi temporaire qu’il a occupé durant l’été 2007.

 

  • [2] Le 26 août 2010, le demandeur a signifié deux requêtes.L’une d’entre elles a pour objet d’obtenir que la demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action, conformément au paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales (L.R., 1985, ch. F-7).L’autre vise à faire autoriser l’instance comme recours collectif et à nommer le demandeur comme représentant, conformément aux Règles 334.12 et suivantes des Règles des Cours fédérales, (DORS/98-106) (les «Règles ») .

 

  • [3] Dans le cadre du présent dossier, la Cour n’est pas appelée à trancher au fond la demande de contrôle judiciaire, mais uniquement les deux requêtes présentées par le demandeur.

 

I.  Les faits

  • [4] Le major Vézina est réserviste au sein des Forces Armées canadiennes.Depuis le 14 octobre 2001, il est affecté au 6e Régiment d’artillerie du Canada en service de réserve de classe A, en tant que commandant de la 57e Batterie.Entre le 14 octobre 2001 et le 19 septembre 2008, il a effectué plusieurs périodes de service de classe A et B au sein de la Force de réserve.Son lieu de résidence se situait à L’Ange Gardien, Québec.

 

  • [5] Du 29 mai 2006 au 12 août 2006, le demandeur a accepté une offre de service de réserve de classe B au Centre d’instruction du Secteur du Québec de la Force terrestre, située au Camp Vimy à Valcartier.Du 7 mai au 11 août 2007, le demandeur a accepté une offre de service de classe B à l’Unité des services de soutien de la base de Valcartier.À la fin des périodes estivales 2006 et 2007, le demandeur a soumis des demandes d’indemnités attribuables au service temporaire, notamment le remboursement de ses faux frais, de ses frais de repas et de ses frais de transport.Ces demandes ont été refusées, et c’est à l’égard de ces refus que le plaignant a logé ses deux griefs.

 

  • [6] Dans son grief relatif à l’été 2006, le demandeur a soutenu que son lieu d’affectation était la 57e Batterie du 6e Régiment à Lévis.Il a maintenu ne pas avoir été muté au Centre d’instruction du Secteur du Québec de la Force terrestre pour la période estivale puisque cette offre de service était temporaire.Il a également indiqué que Valcartier était situé à l’extérieur de son unité et à l’extérieur de sa zone d’affectation, ce qui l’obligeait selon lui à parcourir une distance d’environ 100 kilomètres tous les jours.Il a contesté le refus des Forces canadiennes de lui octroyer le remboursement de ses faux frais, de ses frais de repas et de transport, et il a réclamé un montant de 2 650,00$ ainsi que l’intérêt légal prévu au Code civil du Québec et l’indemnité spéciale.

 

  • [7] Dans son deuxième grief relatif à l’été 2007, le demandeur a soutenu que la directive financière du trimestre estival d’instruction individuelle, qui est fondée sur l’Instruction des Forces canadiennes en voyage temporaire, n’est pas conforme à la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5, ainsi qu’à la directive sur les voyages du Conseil du Trésor.Le demandeur a par conséquent réclamé un remboursement pour ses frais de transport et une allocation pour ses repas.

 

  • [8] Le commandant du Secteur du Québec de la Force terrestre et de la Force opérationnelle interarmées (Est), agissant à titre d’autorité initiale, a partiellement accordé la demande de M. Vézina dans une décision rendue le 25 novembre 2008.Il a conclu que le demandeur, bien qu’il ait été en service temporaire durant les deux périodes estivales en 2006 et en 2007, se trouvait dans la même zone géographique, et donc dans la même zone d’affectation, que son unité d’appartenance.S’en remettant à une directive du Chef de l’état-major de la défense, il a déterminé que le major Vézina avait droit au remboursement partiel de ses frais de transport, équivalant à 50 kilomètres par jour.Il a également décidé que le demandeur n’avait pas droit à des dommages et intérêts, en l’absence de toute base légale ou réglementaire justifiant un tel paiement compensatoire.La décision eu égard au second grief est essentiellement au même effet.

 

  • [9] Le demandeur s’est par la suite adressé au Comité des griefs des Forces canadiennes.Après avoir longuement analysé les arguments du demandeur et examiné les conclusions de l’autorité initiale, le Comité a recommandé le 13 novembre 2009 au Chef d’état-major de la défense de maintenir la décision originale.

 

  • [10] Après avoir pris connaissance des commentaires formulés par le demandeur suite à la recommandation du Comité des griefs, le Chef d’état-major de la défense a entériné les principales conclusions du Comité.Il a tout d’abord conclu qu’il n’y avait pas d’incohérence entre la Directive sur les voyages du Secrétariat du Conseil du trésor et la Directive sur la rémunération et les avantages sociaux émanant du Ministère de la Défense nationale.Il s’est également dit d’avis que le demandeur était en « service temporaire » plutôt qu’en « affectation temporaire » lors de ses emplois temporaires de 2006 et 2007 et qu’il n’avait donc pas droit aux indemnités plus généreuses attribuables au « service temporaire ».Enfin, il a également rejeté la demande d’intérêts sur le solde impayé que réclamait le major Vézina.Tout au plus a-t-il modifié la décision initiale en acceptant de considérer que la distance réelle parcourue par le demandeur était de 94 kilomètres par jour plutôt que 82, avec les conséquences que cela entraînait pour son allocation de transport.

 

A.  La Cour doit-elle Exercer sa Discrétion pour Autoriser la Conversion en Action de la Demande de Contrôle Judiciaire Présentée par le Demandeur?

  • [11] Le paragraphe 18(3) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit clairement que le recours approprié pour contester la légalité d’une décision administrative fédérale est une demande de contrôle judiciaire.Tel qu’il appert du paragraphe 18.4(1), il s’agit d’une procédure sommaire et rapide qui permet à l’administré d’être fixé sur ses droits et obligations sans devoir intenter un procès qui peut s’avérer long et coûteux.

 

  • [12] Ceci étant dit, le paragraphe 18(4) permet à la Cour, « si elle l’estime indiqué », d’ordonner qu’une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action.Comme l’a rappelé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt, Macinnis c Canada, [1994] 2 C.F. 464 (au para 60), une telle conversion ne sera ordonnée que dans des circonstances.

 

  • [13] Les facteurs dont la Cour doit tenir compte pour exercer sa discrétion ne sont pourtant pas précisés.Bien que chaque situation constitue un cas d’espèce, la jurisprudence a néanmoins développé un certain nombre de critères dont il est permis de s’inspirer pour déterminer si la conversion doit être autorisée ou non.La Cour d’appel fédérale s’est récemment penchée sur la question dans l’arrêt Association des crabiers acadiens Inc.c Le Procureur général du Canada, 2009 CAF 357 :

37. Afin de mieux encadrer l’exercice de la discrétion prévue au paragraphe 18.4(2), la jurisprudence a développé certains facteurs d’analyse d’une demande de conversion.  Il va sans dire que chaque cas de demande de conversion est un cas d’espèce tributaire de ses faits et de ses circonstances.  Et selon ces faits et ces circonstances, le poids individuel ou collectif de ces facteurs peut varier.  Voyons ce que sont ces facteurs.

 

38. Le mécanisme de conversion permet, lorsque cela est nécessaire, d’atténuer l’effet des restrictions et des contraintes qui découlent du caractère sommaire et expéditif de la procédure de contrôle judiciaire : par exemple, une communication de la preuve beaucoup plus limitée, une preuve paar affidavit plutôt qu’un témoignage oral, des règles de contre-interrogatoire sur affidavit différentes et moins avantageuses que celles sur interrogatoire au préalable (voir Merck Frosst Canada Inc.  c. Canada (Ministre de la Santé) (1998), 146 F .T.R. 249 (C.F.).

 

39. Ainsi une conversion sera possible a) lorsqu’une demande de contrôle judiciaire ne fournit pas de garanties procédurales suffisantes lorsqu’on cherche à obtenir un jugement déclaratoire (Haig  c. Canada, [1992] 3 C .F. 611 (C.A.F.), b) lorsque les faits permettant à la Cour de prendre une décision ne peuvent être établis d’une manière satisfaisante par simple affidavit (Macinnis c. Canada, [1994] 2 C .F. 464 (C.A.F.), c) lorsqu’il y a lieu de faciliter l’accès à la justice et d’éviter des coûts et des délais inutiles (Drapeau v. Canada (Minister of National Defence), [1995] A.C.F. no. 536 (C.A.F.)) et d) lorsqu’il est nécessaire de remédier aux lacunes qu’une demande de contrôle judiciaire présente en matière de réparation, tel l’octroi de dommages-intérêts (Hinton c. Canada, [2009] 1 R.C.F. 476).

 

  • [14] Bien que les arguments invoqués par le demandeur pour demander la conversion de sa demande de contrôle judiciaire en action ne soient pas d’une grande limpidité, trois motifs se dégagent de ses prétentions écrites et orales : 1) Étendre son recours aux années 2003 à 2005 et 2008 à 2010; 2) Réclamer des intérêts en vertu du Code civil du Québec depuis le dépôt de ses griefs; et 3) Administrer la preuve par voie de témoignages plutôt que par affidavits.Je traiterai de ces trois questions dans l’ordre.

 

  • [15] Bien qu’il n’ait contesté par voie de griefs que les indemnités reçues en 2006 et 2007 et que la décision du Chef d’état-major de la Défense ne porte que sur ces deux seules années, le demandeur tente par le biais de sa requête d’étendre sa réclamation aux années 2003-2005 et 2008-2010.Il soutient avoir été dans l’impossibilité de déposer des griefs avant 2006 parce qu’il ignorait la loi et ce à quoi il avait droit.Invoquant la prescription de trois ans prévue au Code civil du Québec, il avance que le dépôt de son grief en 2006 a interrompu la prescription et qu’il pourrait donc réclamer également pour les années 2003 à 2005 advenant la conversion de sa requête en action.Il en irait de même pour les années 2008 à 2010, sans compter qu’il ne serait pas dans l’intérêt de la justice ni d’une saine application de la procédure de grief de déposer successivement une plainte pour chacune des réclamations portant sur des faits similaires et visées par les mêmes règles juridiques.

 

  • [16] Cet argument ne me paraît pas pouvoir être retenu, dans la mesure où un mécanisme procédural – la conversion d’une demande de contrôle judiciaire en action – ne peut avoir pour conséquence de faire renaître des droits qui sont prescrits.Les Ordonnances et règlements royaux applicables aux forces canadiennes, adoptés sous l’autorité de la Loi sur la défense nationale, précisent à leur article 7.02 que tout grief doit être déposé dans un délai de six mois suivant la date à laquelle le militaire a pris ou devrait avoir raisonnablement pris connaissance de la décision, de l’acte ou de l’omission qui fait l’objet du grief.Seule l’autorité initiale peut relever un militaire du défaut de se conformer à ce délai.Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la conversion en action ne saurait relever le demandeur de son défaut d’avoir contesté par voie de grief le montant des indemnités qu’il aurait pu recevoir pour les années 2003-2005.La conversion ne peut avoir pour conséquence de substituer les délais de prescription du Code civil du Québec à ceux prévus par la procédure de règlement des griefs des Forces canadiennes.Cette conclusion vaut également pour les années 2008-2010.Enfin, il est clair que chaque grief ne peut valoir que pour la période qui y est expressément énoncée.Le major Vézina avait donc le devoir de présenter un grief pour chacune des années au cours desquelles il prétend ne pas avoir touché les indemnités auxquelles il avait droit, comme il l’a d’ailleurs fait en déposant des griefs identiques pour les années 2006 et 2007.

 

  • [17] S’agissant du deuxième argument, le demandeur a fait valoir que le Chef d’état-major de la Défense aurait dû lui consentir des intérêts sur les montants octroyés au terme de sa décision ainsi que l’indemnité additionnelle prévue au Code civil du Québec depuis le dépôt de ses griefs en 2006 et en 2007.Il allègue que le refus de verser des intérêts sur les indemnités qui lui ont été attribuées contrevient à la Directive sur les demandes de paiement et le contrôle des chèques du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada ainsi qu’au chapitre 1016-10 du Manuel d’administration financière.Le demandeur invoque également, au soutien de sa réclamation, l’article 36 de la Loi sur les Cours fédérales ainsi que l’article 31 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R., 1985, ch. C-50.De son côté, le défendeur fait valoir que ni la Directive, ni le Manuel, ni les dispositions législatives sur lesquels s’appuie le demandeur ne peuvent servir d’assise à ses prétentions.

 

  • [18] Tel que mentionné précédemment, il ne m’appartient pas de trancher le fonds du litige dans le cadre des présentes requêtes.La seule question à laquelle je dois répondre est celle de savoir si la nature de ce litige est telle qu’il serait préférable d’en traiter dans le cadre d’une action plutôt que dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire.Or, les arguments invoqués de part et d’autre sont clairement de caractère exclusivement juridique et ne font pas appel à la mise en preuve d’éléments factuels.Dans sa Réponse au Dossier de Réponse du Défendeur, le demandeur lui-même affirme « [q]ue le litige porte sur une question de droit somme toute fort simple » (para. 18(e)(iv)).Tout comme dans l’affaire Association des crabiers acadiens Inc., ci-dessus, nous sommes donc ici en présence d’un cas classique de contestation de la légalité d’une décision administrative qui doit normalement faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire, et ce dans l’intérêt même des parties.

 

  • [19] D’autre part, les intérêts que le demandeur réclame ne nécessitent pas la transformation de sa demande de contrôle judiciaire en action.Dans l’arrêt Hinton c Canada, 2008 CAF 215, la Cour d’appel fédérale a reconnu qu’il peut parfois s’avérer trop lourd d’intenter une action distincte en dommages-intérêts, concurremment ou subséquemment à une demande de contrôle judiciaire.Mais telle n’est pas la situation ici.

 

  • [20] Le major Vézina soutient que le Chef d’état-major de la Défense a erré en refusant de lui consentir des intérêts sur les montants octroyés au terme de sa décision ainsi que l’indemnité additionnelle prévue au Code civil du Québec depuis le dépôt de ses griefs en 2006 et en 2007.Ce faisant, il conteste la légalité de la décision rendue par le Chef d’état-major de la défense, ce qui n’a rien à voir avec un recours en dommages fondé sur la responsabilité délictuelle ou contractuelle de l’État.Dans ce dernier cas, une demande de contrôle judiciaire serait inappropriée dans la mesure où elle ne peut donner ouverture à l’octroi de dommages.

 

  • [21] Au contraire, la présente demande de contrôle judiciaire déposée par le major Vézina lui permettra d’obtenir les réparations qu’il recherche s’il a gain de cause sur le fonds.En effet, si le demandeur réussit à convaincre la Cour que la décision du Chef d’état-major de la défense est erronée parce qu’il n’a pas appliqué les bonnes directives en matière de compensation pour frais de déplacement et parce qu’il a refusé de lui octroyer des intérêts sur les sommes qui lui sont dûes, cette décision sera annulée et le dossier sera renvoyé à l’instance décisionnelle pour être réexaminé à la lumière des motifs rendus par la Cour.Des instructions pourront même être données au Chef d’état-major de la défense relativement aux directives qui devraient être appliquées et aux intérêts qui devraient être octroyés.Nous sommes donc bien loin de la situation envisagée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hinton, ci-dessus, dans la mesure où la présente demande de contrôle judiciaire qu’a introduite le major Vézina lui permettra d’obtenir toutes les réparations qu’il souhaite s’il a gain de cause au mérite.

 

  • [22] Enfin, le demandeur allègue que la preuve par affidavits ne conviendrait pas vu le grand nombre de situations où les politiques et les directives auraient été appliquées incorrectement.À son avis, les preuves requises pour démontrer les différentes situations où l’application incorrecte des politiques et des directives sur le devoir temporaire et les affectations temporaires sont trop complexes et variées pour être présentées par les affidavits de plusieurs centaines de personnes touchées par les règles du devoir temporaire.

 

  • [23] Il se peut bien que le fardeau de recueillir les affidavits d’un grand nombre de personnes aux fins d’illustrer les situations diverses où les politiques et directives sur les affectations temporaires sont appliquées soit très lourd pour le demandeur.Mais là n’est pas la question.Ce qui est en cause dans le présent litige, c’est l’interprétation de ces politiques et de ces directives par le Chef d’état-major de la Défense.À cet égard, la preuve factuelle pourra s’avérer utile pour illustrer le contexte dans lequel les politiques et les directives sont appliquées, mais son rôle ne sera toujours que secondaire.En bout de ligne, la question à trancher est essentiellement juridique, et la réponse qu’y apportera la Cour dépendra bien davantage de son argumentation que du nombre d’affidavits qu’il déposera.

 

B.  La Cour Doit-elle Autoriser L’instance Comme Recours Collectif et Faire Nommer le Demandeur Comme Représentant?

  • [24] Depuis le 4 décembre 2002, les Règles des Cours fédérales prévoient de façon détaillée la procédure de recours collectif applicable dans le cadre d’une action portée devant la Cour fédérale.Ces dispositions ont été modifiées le 13 décembre 2007 pour ajouter la possibilité d’intenter un recours collectif dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.Le régime applicable aux recours collectifs se trouve aux Règles 334.12 et suivantes.

 

  • [25] Le paragraphe 334.16(1) prévoit d’abord les conditions requises pour qu’une instance soit autorisée comme recours collectif :

Autorisation

 

Conditions

 

334.16 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une instance comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux-ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

e) il existe un représentant demandeur qui  :

(i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe,

(ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement,

 

(iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs,

(iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

 

Certification

 

Conditions

 

334.16 (1) Subject to subsection (3), a judge shall, by order, certify a proceeding as a class proceeding if

 

(a) the pleadings disclose a reasonable cause of action;

 

(b) there is an identifiable class of two or more persons;

 

(c) the claims of the class members raise common questions of law or fact, whether or not those common questions predominate over questions affecting only individual members;

(d) a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact; and

(e) there is a representative plaintiff or applicant who

(i) would fairly and adequately represent the interests of the class,

(ii) has prepared a plan for the proceeding that sets out a workable method of advancing the proceeding on behalf of the class and of notifying class members as to how the proceeding is progressing,

(iii) does not have, on the common questions of law or fact, an interest that is in conflict with the interests of other class members, and

(iv) provides a summary of any agreements respecting fees and disbursements between the representative plaintiff or applicant and the solicitor of record.

 

 

  • [26] Ces conditions sont conjonctives, et doivent donc toutes être respectées.Dès l’instant où l’une des conditions n’est pas satisfaite, la demande d’autorisation doit être rejetée : Sander Holdings Ltd c Canada (Ministre de l’Agriculture), 2006 CF 327; Daniel King c Canada, 2009 CF 796.

 

[27]   D’autre part, le paragraphe 334.16(2) énonce les facteurs pertinents dont la Cour doit tenir compte pour décider si le recours collectif est le meilleur moyen de trancher les questions communes efficacement :

Facteurs pris en compte

 

(2) Pour décider si le recours collectif est le meilleur moyen de régler les points de droit ou de fait communs de façon juste et efficace, tous les facteurs pertinents sont pris en compte, notamment les suivants :

a) la prédominance des points de droit ou de fait communs sur ceux qui ne concernent que certains membres;

 

b) la proportion de membres du groupe qui ont un intérêt légitime à poursuivre des instances séparées;

 

c) le fait que le recours collectif porte ou non sur des réclamations qui ont fait ou qui font l’objet d’autres instances;

d) l’aspect pratique ou l’efficacité moindres des autres moyens de régler les réclamations;

e) les difficultés accrues engendrées par la gestion du recours collectif par rapport à celles associées à la gestion d’autres mesures de redressement.

Matters to be considered

 

(2) All relevant matters shall be considered in a determination of whether a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact, including whether

(a) the questions of law or fact common to the class members predominate over any questions affecting only individual members;

(b) a significant number of the members of the class have a valid interest in individually controlling the prosecution of separate proceedings;

(c) the class proceeding would involve claims that are or have been the subject of any other proceeding;

(d) other means of resolving the claims are less practical or less efficient; and

 

(e) the administration of the class proceeding would create greater difficulties than those likely to be experienced if relief were sought by other means.

 

 

[28]  Enfin, le paragraphe 334.18 est également pertinent :

Motifs ne pouvant être invoqués

 

334.18 Le juge ne peut invoquer uniquement un ou plusieurs des motifs ci-après pour refuser d’autoriser une instance comme recours collectif :

a) les réparations demandées comprennent une réclamation de dommages-intérêts qui exigerait, une fois les points de droit ou de fait communs tranchés, une évaluation individuelle;

b) les réparations demandées portent sur des contrats distincts concernant différents membres du groupe;

c) les réparations demandées ne sont pas les mêmes pour tous les membres du groupe;

d) le nombre exact de membres du groupe ou l’identité de chacun est inconnu;

e) il existe au sein du groupe un sous-groupe dont les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait communs que ne partagent pas tous les membres du groupe.

Grounds that may not be relied on

 

334.18 A judge shall not refuse to certify a proceeding as a class proceeding solely on one or more of the following grounds:

 

(a) the relief claimed includes a claim for damages that would require an individual assessment after a determination of the common questions of law or fact;

 

(b) the relief claimed relates to separate contracts involving different class members;

 

(c) different remedies are sought for different class members;

(d) the precise number of class members or the identity of each class member is not known; or

(e) the class includes a subclass whose members have claims that raise common questions of law or fact not shared by all of the class members.

 

  • [29] Ces règles reprennent presque intégralement les dispositions de la Class Proceedings Act, R.S.B.C. 1996, c. 50 de la Colombie-Britannique.Elles sont par ailleurs similaires au mécanisme prévu en Ontario par le Class Proceedings Act, S.O. 1993, c. 6.Il est vrai qu’il existe certaines différences entre les Règles et le Code de procédure civile du Québec à ce chapitre.Il n’en demeure pas moins que les principes généraux qui ont été retenus dans l’ensemble des provinces peuvent, avec les adaptations nécessaires, servir de guide utile dans l’interprétation des règles relativement nouvelles de cette Cour en matière de recours collectif.Il en ira de même, bien entendu, des critères qui se dégagent de la trilogie émanant de la Cour suprême relativement aux recours collectifs : voir Hollick c Toronto (Ville), 2001 CSC 68; Rumley c Colombie-Britannique, 2001 CSC 69 et Western Canadian Shopping Centre Inc. c Dutton, 2001 CSC 46.

 

  • [30] Au nombre des décisions rendues à ce jour par la Cour fédérale, il faut par ailleurs souligner l’affaire Nation Crie de Samson c Nation Crie de Samson (Chef et Conseil), 2008 CF 1308, dans laquelle ma collègue la juge Anne L. Mactavish a fait une analyse exhaustive des principes applicables en matière de recours collectifs devant la Cour fédérale.Cette décision a récemment été confirmée par la Cour d’appel fédérale : Buffalo c Chef et Conseil de la Nation Crie de Samson, 2010 CAF 165.Les motifs qui suivent s’inspirent largement des principes qui se dégagent de ces deux dernières décisions, de même que de l’argumentation présentée par les défendeurs.

 

  • [31] Le premier facteur à considérer, au terme de l’alinéa 334.16(1)a) des Règles, porte sur la question de savoir si les actes de procédure révèlent une cause d’action valable.Dans l’évaluation de ce facteur, il convient de recourir aux principes applicables en matière de radiation de procédures.Il n’est donc pas nécessaire que le demandeur démontre que sa cause d’action est valable; la question sera plutôt de savoir s’il est « évident et manifeste » que les actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action valable.Il s’agit là d’un seuil peu élevé : voir Le Corre c Canada (Procureur général), 2004 CF 155, au para 23; Manuge c Canada, 2008 CF 624, au para 38.Contrairement à la situation qui prévaut dans le contexte d’une requête en radiation fondée sur le paragraphe 221(1) des Règles, cependant, c’est à la partie demanderesse qu’il incombe de démontrer que ses actes de procédure révèlent effectivement une cause d’action valable.

 

  • [32] Bien que ni la Requête, ni le mémoire, ni l’argumentation orale du demandeur n’énoncent clairement les conclusions recherchées dans le cadre du recours collectif, il semble que sa cause d’action repose sur les deux prétentions suivantes : a) le Chef d’État-major de la Défense a appliqué les mauvaises règles au moment de déterminer les indemnités auxquelles le demandeur avait droit au terme de ses griefs; et b) le demandeur a droit de recevoir des intérêts sur les indemnités que le Chef d’état-major de la Défense lui a octroyées au terme de ses griefs.

 

  • [33] Tel que précédemment mentionné, le demandeur soutient dans son Avis de demande qu’il existe des incohérences entre les règles spécifiques qui établissent les indemnités de déplacement payables aux militaires et les règles générales qui établissent les indemnités de déplacement payables aux fonctionnaires fédéraux.Il prétend que le Chef d’état-major de la Défense aurait dû conclure à l’existence de ces incohérences et recourir aux règles générales applicables aux fonctionnaires fédéraux plutôt qu’aux règles spécifiques aux militaires dans le cadre de ses griefs.

 

  • [34] En l’absence de représentations plus étoffées du demandeur, il m’est difficile de me prononcer de façon définitive sur ses prétentions.A priori, l’argumentation soumise par les défendeurs paraît convaincante.Ces derniers soutiennent que le Chefd’état-major de la Défense a eu raison de conclure qu’il n’y a pas d’incohérence en matières de frais de déplacement entre le régime général du Conseil du Trésor et les règles particulières régissant les membres des Forces armées.

 

[35]  La Directive sur les voyages du Secrétariat du Conseil du trésor a le champ d’application suivant :

Champ d’application

 

La présente directive s’applique aux fonctionnaires de la fonction publique, au personnel exonéré et à d’autres personnes voyageant en service commandé, y compris à des fins de formation.  Elle ne s’applique pas aux personnes dont les voyages sont régis par d’autres autorisations.

 

 

  • [36] D’autre part, il appert que les voyages effectués par les militaires sont notamment régis par le chapitre 209 de la Directive sur la rémunération et les avantages sociaux (« DRAS »)  et par l’Instruction des Forces canadiennes sur les voyages en service temporaire (« IFCVST »).Ces dispositions se lisent comme suit :

Directive sur la rémunération et avantages sociaux3

209.01 – Définitions

 

« frais de voyage » Désigne les frais de voyage aux taux prescrits conformément à la DRAS 209.30 – Droits et instructions (Voir l’Instruction des Forces canadiennes sur les voyages en service temporaire)

 

(…)

 

« transport » Désigne le transport fourni aux frais de l’État aux termes de la DRAS 209.30  Droits et instructions (Voir l’Instruction des Forces canadiennes sur les voyages en service temporaire)

 

209.30 (1) – Droit aux frais de voyage

 

Un officier ou militaire du rang a droit aux remboursements et indemnités en ce qui concerne les voyages en service temporaire en conformité avec les conditions, lesquelles sont déterminées par le Conseil du Trésor et définies dans l’Instruction des Forces canadiennes sur les voyages en service temporaire.

 

Instruction des Forces canadiennes sur les voyages en service temporaire

 

2.2 – Objet et portée

 

L’IFCVST a pour objet d’assurer un remboursement juste et raisonnable des dépenses qui ont dû être faites par un membre d’une unité des FC voyageant en ST [service temporaire] au Canada ou à l’étranger.

 

2.3 – Champ d’application

 

L’IFCVST s’applique à tous les membres des FC en ST et lorsqu’en déplacement pour se rendre ou revenir d’une affectation temporaire.  Elle ne s’applique pas aux réinstallations, aux voyages de soin de santé locale, aux restrictions imposées, aux frais d’absence du foyer, ni aux opérations du SCEMD (à moins que le militaire ne soit en ST).  En cas d’incompatibilité entre l’IFCVST et d’autres instructions ou règlements faits par le CT, L’IFCVST prévaudra.

 

 

  • [37] Il ne semble donc pas y avoir d’incohérence entre ces deux systèmes puisque le Conseil du Trésor a autorisé la gestion des indemnités, les remboursements des frais de déplacement et d’autres dépenses engagées pour des raisons militaires et par des militaires selon les modalités prévues au régime spécifique du chapitre 209 de la Directive sur la rémunération et les avantages sociaux.

 

  • [38] Je suis également d’avis que les dispositions législatives sur lesquelles s’appuient le demandeur pour demander le versement d’intérêts ne semblent pas trouver application dans le cadre du présent grief.L’article 36 de la Loi sur les Cours fédérales permet de réclamer des intérêts avant jugement lors d’une instance devant la Cour fédérale; cette disposition ne peut servir à réclamer des intérêts avant jugement dans le cadre du processus interne de griefs à la disposition des militaires.Qui plus est, cette Cour a déjà déclaré que l’article 36 ne s’appliquait qu’aux actions contre la Couronne, et non aux instances visant à faire contrôler la légalité de la décision d’un office fédéral : voir Sherman c Canada, 2006 CF 1121, au para 26.Quant à l’article 31 de la Loi sur la responsabilité de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, c. C-50, il joue un rôle similaire à celui de l’article 36 de la Loi sur les Cours fédérales dans les instances devant les tribunaux provinciaux et il est soumis aux mêmes restrictions.

 

  • [39] Compte tenu des observations qui précèdent, je serais donc porté à penser que les actes de procédure du demandeur ne soulèvent aucune cause d’action valable, même en appliquant le seuil peu élevé qui s’impose dans le contexte de ce premier facteur.Mais comme je ne veux pas présumer de l’issue du litige sur le fonds et qu’il ne m’est pas nécessaire de trancher cette question pour déterminer si la présente instance peut être autorisée comme recours collectif, je m’abstiendrai de formuler des conclusions définitives à ce sujet.Je suis par conséquent disposé, uniquement pour les fins de la présente requête et sans me prononcer définitivement sur la question, à prendre pour acquis que la demande de contrôle judiciaire du major Vézina révèle effectivement une cause d’action valable.

 

  • [40] Le deuxième facteur à prendre en considération est celui de savoir s’il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes (alinéa 334.16(1)(b) des Règles).Dans l’arrêt Western Canadian Shopping Centre Inc. c Dutton, ci-dessus, la Cour suprême a précisé que le groupe devait être identifié en fonction de critères objectifs et explicites, de façon à ce qu’il ne soit pas tributaire de l’issue du litige.Voici comment elle s’exprimait à ce propos :

38. Bien qu’il existe des différences entre les critères, il se dégage quatre conditions nécessaires au recours collectif.  Premièrement, le groupe doit pouvoir être clairement défini.  La définition du groupe est essentielle parce qu’elle précise qui a droit aux avis, qui a droit à la réparation (si une réparation est accordée), et qui est lié par le jugement.  Il est donc primordial que le groupe puisse être clairement défini au début du litige.  La définition devrait énoncer des critères objectifs permettant d’identifier les membre su groupe.  Les critères devraient avoir un rapport rationnel avec les revendications communes à tous les membres du groupe mais ne devraient pas dépendre de l’issue du litige.  Il n’est pas nécessaire que tous les membres du groupe soient nommés ou connus.  Il est toutefois nécessaire que l’appartenance d’une personne au groupe puisse être déterminée sur des critères explicites et objectifs …

 

 

  • [41] Le demandeur définit le groupe identifiable de différentes façons.Dans sa requête, il commence par identifier un groupe « de plusieurs milliers de personnes » dont les plaintes portant sur les indemnités de déplacement et les compensations réclamées pour les années 2006 et 2007 n’ont pas été accordées par l’autorité initiale et le Chef d’état-major de la Défense (par. 3).Il précise par la suite que ce groupe est constitué « des militaires employés hors de leur zone d’affectation et dont les indemnités de déplacement n’ont pas été accordées en invoquant que leur zone d’affectation correspondait à la zone géographique de leur lieu temporaire d’emploi ou bien que leur emploi temporaire emportait une affectation temporaire telle que leur sommaire des dossiers personnels les présente » (par. 4).Enfin, il mentionne dans son mémoire que le groupe « est composé de militaires ayant été employés hors de leur zone d’affectation pour la période de 2003 à 2010 et qui n’ont pas reçus les indemnités du devoir temporaire auxquels ils avaient droit et au moment auquel ils y avaient droit » (par. 27).

 

  • [42] Outre le fait que le groupe identifié par le major Vézina semble fluctuer au gré de ses divers actes de procédure, il est également déficient en ce qu’il aurait indirectement pour effet de faire renaître des droits qui sont maintenant prescrits.Tel que mentionné précédemment, les Ordonnances et règlements royaux applicables aux forces canadiennes adoptées en vertu de la Loi sur la défense nationale prévoient à leur paragraphe 7.02(1) que tout grief doit être déposé dans les six mois qui suivent la date à laquelle un militaire a pris ou devrait avoir raisonnablement avoir pris connaissance de la décision qui fait l’objet du grief.Le paragraphe 7.04(3) prévoit par ailleurs qu’il n’est pas possible de loger un grief collectif.Enfin, l’article 29.15 de la Loi sur la Défense nationale stipule que les décisions rendues en matière de griefs par le Chef d’état-major de la Défense sont définitives et exécutoires sous réserve d’une demande de contrôle judiciaire déposée dans les 30 jours de la décision devant la Cour fédérale.

 

  • [43] Le défaut de respecter les délais ci-haut énoncés éteint le droit d’action d’un militaire à l’égard d’une décision, d’un acte ou d’une omission donnés.Le dépôt par un militaire d’un grief ou d’une demande de contrôle judiciaire ne suspend ni la prescription de ses propres réclamations pour les années qui ne sont pas visées par son grief, ni la prescription des réclamations similaires que pourraient avoir d’autres militaires qui n’ont pas logé de grief.Par voie de conséquence, les militaires qui n’ont pas contesté les indemnités leur ayant été versées et les militaires qui ont contesté par voie de grief le montant des indemnités reçues mais qui n’en ont pas demandé le contrôle judiciaire ne peuvent tenter de faire renaître leur droit en participant à un recours collectif.Contrairement à plusieurs régimes provinciaux en matière de recours collectifs, les Règles des Cours fédérales ne prévoient pas la suspension ou l’interruption des délais de prescription à l’égard des membres du groupe suite au dépôt par l’un d’eux d’une requête visant à faire autoriser l’instance comme recours collectif : voir Tihomirovs c Canada (MCI), 2006 CF 197, aux paras 92-97.

 

  • [44] Quant aux militaires dont les réclamations ne seraient pas prescrites, ils doivent obligatoirement utiliser le processus de grief avant de pouvoir devenir membre d’un recours collectif.En effet, la jurisprudence reconnaît que le mécanisme des griefs prévu par la Loi sur la défense nationale doit être épuisé avant qu’une personne puisse s’adresser à la cour pour obtenir réparation : voir Sandiford c Canada, 2007 CF 225, aux paras 28-29; Anderson c Canada (Forces armées canadiennes), [1997] 1 C .F. 273 (CAF).

 

  • [45] Au soutien de sa requête, le major Vézina a déposé les affidavits de cinq militaires qui soutiennent ne pas avoir reçu les indemnités de déplacement auxquelles ils estiment avoir droit. Or, seul l’un d’entre eux (l’adjudant Benoît Thériault) aurait contesté par voie de grief le montant des indemnités de déplacement reçues.Or, ce dernier a déménagé pour des motifs personnels et il conteste le montant des indemnités qui lui sont versées depuis ce déménagement ainsi que la décision exigeant qu’il rembourse certaines indemnités qui lui auraient été erronément versées.Ainsi, ce grief soulève des questions qui ont peu ou pas de lien rationnel avec celles que soulève le demandeur; au surplus, il semble que son grief soit toujours à l’étude par le Chef d’état-major de la Défense.Ce militaire ne peut donc faire partie du recours collectif que voudrait intenter le demandeur.

 

  • [46] Je suis donc d’avis que le demandeur ne satisfait pas à la deuxième condition énoncée par les Règles pour que sa demande de contrôle judiciaire soit autorisée comme recours collectif.Non seulement aucune preuve n’a été soumise à l’effet qu’au moins une autre personne que le demandeur ferait partie du groupe identifiable, mais au surplus, la définition du groupe qu’il propose est inadéquate, et ce pour les raisons suivantes :

    • § Le groupe ne devrait viser que les personnes qui ont un lien rationnel avec les questions communes.Comme le demandeur n’a pas formulé de points communs à résoudre dans le cadre du recours collectif, comme nous le verrons bientôt, il est impossible de déterminer qui serait visé par la demande;

    • § Le territoire visé par le recours collectif n’a pas été circonscrit.Comme le demandeur désire plaider que les dispositions du Code civil du Québec concernant les intérêts, l’indemnité additionnelle et la prescription trouvent application en l’espèce, il ne peut en toute logique inclure dans son recours les militaires en fonction à l’extérieur de la province de Québec;

    • § Le demandeur prétend qu’il était en service temporaire plutôt qu’en affectation temporaire, ce qui demande une évaluation subjective.Seuls les militaires dont les demandes d’indemnités ont été refusées au motif qu’ils étaient en affectation temporaire plutôt qu’en service temporaire pourraient potentiellement bénéficier de la décision que rendra cette Cour quant au mérite.

    • § Enfin, il est impossible de déterminer si une personne est membre du groupe sans se référer au fond de l’action, dans la mesure où le groupe est composé des militaires qui n’ont pas reçus les indemnités du devoir temporaire et le montant auxquels ils avaient droit, comme le prétend le demandeur au paragraphe 27 de son mémoire.

 

  • [47] Cette conclusion, à elle seule, suffirait à rejeter la requête du demandeur.Je me pencherai néanmoins brièvement sur les autres conditions prévues au paragraphe 334.16(1) des Règles.

 

  • [48] Conformément à l’alinéa 334.16(1)(c) des Règles, les réclamations des membres du groupe doivent soulever des points de droit ou de faits communs.Il s’agit là de l’aspect crucial d’un recours collectif : Manuge, ci-dessus, au para 26; Buffalo (CF), ci-dessus, au para 81.Il n’est pas nécessaire que les questions communes prédominent sur les questions non communes, ni même que leur résolution règle les demandes de chaque membre du groupe; il suffira que les demandes des membres du groupe partagent un élément commun important pour que le recours collectif soit justifié : Western Canadian Shopping Centres Inc., ci-dessus, para 39.

 

  • [49] Pour que cette condition soit remplie, le demandeur doit à tout le moins formuler clairement et explicitement la ou les questions communes, d’autant plus que ces questions se retrouveront ultimement dans l’ordonnance d’autorisation.Or, en dépit de ses allégués à l’effet que les réclamations des membres du groupe soulèvent des points communs de fait et de droit, le demandeur n’a formulé aucune question commune que la Cour serait appelée à trancher si l’instance était autorisée comme recours collectif, et n’a fourni aucun détail quant aux points de droit ou de fait qui seraient communs.

 

  • [50] Il est vrai que les tribunaux saisis d’une requête en autorisation de recours collectif doivent faire preuve de souplesse et peuvent aider à préciser les questions communes.Mais la Cour ne saurait suppléer au silence du demandeur en définissant elle-même les questions communes, comme le rappelait la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Buffalo, ci-dessus :

10. Dans sa plaidoirie, l’avocat de l’appelant (qui n’est pas le même que lors de l’audition de la requête) a soutenu que la juge saisie de la requête aurait dû accorder un ajournement à l’appelant afin de lui permettre d’améliorer la qualité de sa requête, de corriger les lacunes qu’elle comportait et de remplir les conditions d’autorisation.  L’appelant a admis cependant qu’il n’avait pas demandé un ajournement à la juge saisie de la requête.  Il a aussi soutenu que celle-ci savait qu’il y avait certains points communs et qu’elle aurait dû les définir, même si l’appelant ne l’avait pas fait.

 

11. L’appelant prétend essentiellement que la juge des requêtes avait l’obligation de l’aider davantage.  Au soutien de cette prétention, il a rappelé l’objet des recours collectifs, lesquels visent notamment à faciliter l’accès à la justice.  Il a aussi fait observer que les tribunaux jouent un rôle plus actif et plus souple dans les recours collectifs que dans de nombreux autres types d’instances.  Les tribunaux exercent régulièrement leur pouvoir discrétionnaire de manière à accorder un redressement différent de celui qui est demandé dans l’avis de requête en autorisation, par exemple en modifiant la définition des points communs.

 

12. Je conviens que les tribunaux peuvent être très actifs et souples lorsqu’ils sont saisis d’une requête en autorisation ou après qu’ils y ont fait droit, en raison de la nature complexe et dynamique des recours collectifs.  Par exemple, ils doivent toujours être ouverts aux modifications touchant des aspects comme la définition du groupe, les points communs et le plan relatif au litige du représentant demandeur, et ils peuvent jouer un rôle clé dans la gestion de l’instance.

 

13. Ce rôle des tribunaux, bien qu’il soit actif et souple, ne comporte pas l’obligation d’accorder des ajournements, même lorsque ceux-ci ne sont pas demandés, afin de permettre aux personnes qui demandent l’autorisation de corriger leur requête ou de les aider à remplir les conditions d’autorisation fondamentales prévues à la règle 334.16.  C’est aux personnes qui demandent l’autorisation qu’il incombe de remplir les conditions d’autorisation, et le juge saisi de la requête en autorisation doit rester un arbitre neutre lorsqu’il détermine si ces conditions ont été remplies.

 

 

  • [51] Le seul fait d’alléguer que les mêmes lois, règlements et directives applicables au devoir temporaire et aux affectations régissent les membres du groupe est nettement insuffisant pour démontrer l’existence de points de droit ou de fait communs.En l’absence de précisions supplémentaires quant à l’existence de questions communes, il est donc impossible de déterminer si leur solution dans le cadre d’un recours collectif est susceptible de faire avancer les réclamations individuelles des membres.La requête du demandeur doit en conséquence être rejetée pour ce second motif.

 

  • [52] À partir du moment où les questions communes n’ont pas été identifiées par le demandeur, il est également impossible de déterminer si le recours collectif serait le meilleur moyen de régler de façon juste et efficace les points de droit ou de fait communs (alinéa 334.16(1)(d) des Règles).D’autant plus que le demandeur n’a fourni aucun plan de litige et qu’il est donc impossible d’y recourir pour répondre à cette question.

 

  • [53] Enfin, je suis également d’avis que le demandeur ne peut agir comme représentant demandeur (alinéa 334.16(1)(e), et ce pour plusieurs raisons.Tout d’abord, et tel que précédemment mentionné, le demandeur n’a fourni aucun détail quant à la nature des points de droit et de fait communs, il n’a fourni aucune question à être tranchée dans le cadre du recours collectif, et le groupe n’a pas été défini convenablement.Ces lacunes ne permettent pas de croire que le demandeur serait susceptible de représenter les intérêts du groupe.

 

  • [54] D’autre part, le demandeur n’a présenté aucun plan de litige étoffé, et se contente d’alléguer au paragraphe 13 de sa requête qu’il a préparé un plan efficace puisqu’il a déposé les procédures requises à ce jour et qu’il aurait déjà fait affaire avec une entreprise de communications dans le cadre d’une demande de recours collectif devant la Cour supérieure du Québec.Cela est nettement insuffisant pour permettre à la Cour de décider qu’il y a lieu de confier au demandeur la responsabilité de poursuivre l’instance pour le compte des membres du groupe.

 

  • [55] Dans l’arrêt Buffalo, ci-dessus, la Cour fédérale a noté (au par. 148) que le plan de litige devait démontrer que le demandeur et son avocat avaient réfléchi au déroulement de l’instance et qu’ils en saisissaient les complexités.Elle précisait ainsi les éléments devant être couverts par un tel plan :

151. Cependant, il appert de la jurisprudence que le plan de litige doit couvrir les éléments suivants, laquelle liste n’est pas exhaustive :

 

i) les mesures qui seront prises pour déterminer l’identité des témoins nécessaires, les trouver et recueillir leur preuve;

 

ii) la collecte des documents pertinents auprès des membres du groupe et d’autres personnes;

 

iii) l’échange et la gestion des documents produits par toutes les parties;

 

iv) la remise d’un rapport régulier aux membres du groupe;

 

v) les mécanismes permettant de répondre aux questions des membres du groupe;

 

vi) la probabilité qu’un interrogatoire préalable soit tenu auprès de certains membres du groupe et, dans l’affirmative, la procédure envisagée à cette fin;

 

vii) la nécessité de recourir à des experts et, dans l’affirmative, les mesures à prendre pour les trouver et retenir leurs services;

 

viii) les mesures envisagées pour résoudre les questions individuelles qui demeureront encore en litige après le règlement des questions communes, le cas échéant;

 

ix) la façon dont les indemnités et autres formes de réparation seront évaluées ou déterminées une fois que les questions communes auront été tranchées.

 

 

  • [56] En l’occurrence, nous sommes bien loin d’un plan de cette nature.

 

  • [57] Finalement, l’alinéa 334.32(5)d) des Règles prévoit que dans les cas où une instance est autorisée comme recours collectif, un avis est envoyé aux membres avec, notamment, le « sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenus entre le représentant demandeur et l’avocat inscrit au dossier ».Cette communication permet à un membre de décider s’il entend s’exclure du groupe ou s’il entend chercher à faire modifier la convention d’honoraires puisque cette convention liera tous les membres du groupe et affectera le montant de la réparation qu’ils pourraient obtenir alors même qu’ils n’ont pas participé à la négociation de cette convention.

 

  • [58] L’intérêt des membres du groupe étant nécessairement affecté par les termes de la convention d’honoraires intervenue entre le demandeur et son procureur, le législateur a prévu au sous-alinéa 334.16(1)e)(iv) des Règles que la Cour devait pouvoir vérifier la qualité du contenu de la convention d’honoraires et ainsi juger de la capacité du requérant à agir comme représentant demandeur.

 

  • [59] En l’espèce, la convention d’honoraires intervenue entre le demandeur et son avocat ne permet pas à des membres éventuels de déterminer quels sont les montants qui seront éventuellement dus au procureur inscrit au dossier.En effet, la convention non signée déposée par le demandeur prévoit que les honoraires sont établis à 25% de la somme recouvrée en plus de stipuler que « les honoraires applicables à d’autres services seront aussi établis de façon distincte selon une base horaire de 210,00$, honoraires (Convention relative aux honoraires et débours qui est intervenue entre le demandeur et son avocat, Pièce « C » de l’affidavit de Guy Vézina au soutien de la requête).

 

  • [60] Aucune précision n’est fournie quant à la liste des services couverts par le versement au procureur d’un pourcentage de la somme recouvrée, ni quant aux « autres services » pour lesquels le procureur soumettra une facture mensuelle réglable sur réception.En l’absence de telles balises, il est impossible pour les membres éventuels du groupe de comprendre l’ampleur des honoraires qui seraient dus au procureur au dossier pendant le déroulement des procédures et que les membres seraient tenus de régler mensuellement.Telle que soumise, la convention n’est donc pas adéquate et ne permet pas de conclure que le demandeur serait un représentant approprié.

 

  • [61] Pour tous les motifs qui précèdent, la requête du demandeur visant à faire autoriser l’instance comme recours collectif et à le faire nommer représentant doit être rejetée.Compte tenu qu’aucune des circonstances décrites au paragraphe 334.39 des Règles n’a été alléguée, aucuns dépens ne seront adjugés.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que les requêtes du demandeur ayant pour objet d’obtenir que la demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action, et visant à faire autoriser l’instance comme recours collectif et à nommer le demandeur comme représentant, sont rejetées, sans frais.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  T-1183-10

 

INTITULÉ :  Guy Vézina c. Chef d’État-Major de la Défense et autres

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  4 octobre 2010

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :  LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :  24 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Vincent Fortier

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Benoit de Champlain

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Barakatt Harvey SENCRL

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

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