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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110120

Dossier : T-1422-09

Référence : 2011 CF 74

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 20 janvier 2011

 En présence de monsieur Kevin R. Aalto, juge chargé de la gestion de l’instance  

 

ENTRE :

 

PFIZER CANADA INC.,

WARNER-LAMBERT COMPANY et

WARNER-LAMBERT COMPANY LLC

 

 

 

requérantes

 

et

 

 

 

RATIOPHARM INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

 

intimés

 

 

 

 

 

  MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Il est bien établi en droit qu’un fabricant de médicaments génériques ne peut pas avoir deux avis d’allégation essentiellement identiques concernant un même médicament.La présente affaire soulève une question nouvelle concernant le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement).Deux fabricants de médicaments génériques différents ont signifié des avis d’allégation concernant le même médicament.Par la suite, les deux fabricants de médicaments génériques ont fusionné avec une troisième société pharmaceutique sous la dénomination de laquelle les trois entités exerceront dorénavant leurs activités commerciales.Est-ce un abus de procédure et contraire au Règlement que de permettre à la nouvelle société fusionnée de conserver les deux avis d’allégation?C’est la question à trancher dans la présente requête.

 

Les faits

  • [2] Le 1er mai 2009, Ratiopharm a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) auprès de Santé Canada demandant la délivrance d’un avis de conformité (AC) relativement à son médicament prégabaline.Le 18 septembre 2009, Novopharm Inc. (Novopharm) a déposé une PADN auprès de Santé Canada pour demander la délivrance d’un AC relativement à son médicament prégabaline.

 

  • [3] Au moment où les avis d’allégation de Ratiopharm et de Novopharm ont été présentés, Ratiopharm et Novopharm formaient deux sociétés indépendantes et distinctes.Les deux sociétés ont retenu les services d’avocats distincts pour aider à la préparation de leur avis d’allégation. Novopharm et Ratiopharm ont agi de façon indépendante.Les sociétés comptent sur différents experts pour appuyer leurs arguments formulés dans leurs avis d’allégation respectifs.

 

  • [4] En réponse à l’avis d’allégation de Ratiopharm, les requérantes (Pfizer) ont intenté la présente instance le 26 août 2009.Par la suite, le 13 novembre 2009, Pfizer a déposé un avis de demande (numéro de dossier T-1868-09) à l’égard de l’avis d’allégation de Novopharm dans le but d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité pour le médicament prégabaline de Novopharm (l’instance Novopharm).La présente instance ainsi que l’instance Novopharm se poursuivent selon la procédure normale, y compris la signification de la preuve par les experts respectifs des deux parties.Ratiopharm a signifié sa preuve en faisant appel à des experts différents des ceux retenus par Novopharm dans l’instance Novopharm.En outre, les formulations pharmaceutiques du médicament prégabaline de Ratiopharm et du médicament prégabaline de Novopharm sont apparemment différentes.En effet, certains des excipients dans les deux formulations sont différents et il semblerait que les quantités diffèrent lorsque les excipients utilisés sont les mêmes.Cela s’applique non seulement aux compositions des mélanges de poudre, mais également aux compositions des capsules gélatineuses dures dans lesquelles sont versés les mélanges de poudre.Les fabricants du médicament prégabaline de Ratiopharm et du médicament prégabaline Novopharm sont différents.Étant donné que Ratiopharm et Novopharm tentaient d’obtenir de façon indépendante l’approbation de formulations différentes, elles étaient tenues par le Règlement de déposer des PADN distinctes et de signifier des avis d’allégation distincts.

 

  • [5] Le 18 mars 2010, les avocats de Novopharm dans l’instance Novopharm ont informé Pfizer que le nom de Novopharm limitée était maintenant Teva Canada limitée.Les avocats de Novopharm ont fourni un affidavit à Pfizer avec le certificat et les statuts de modification pour indiquer que [traduction]« le certificat confirmait que seul le nom de la société avait changé.L’entité juridique demeure la même.Il n’y a eu aucune cession, transmission ou dévolution de droits ou d’obligations. »

 

  • [6] De plus, les avocats de Novopharm ont indiqué que la présentation de drogue nouvelle de Novopharm serait mise à jour avec le temps afin de refléter le changement de dénomination, et que Novopharm [traduction]« cherchera à modifier l’intitulé de l’instance, sur consentement, afin de refléter le changement de nom au moment opportun.Dans l’intitulé modifié de l’instance, « Teva Canada limitée » remplacera « Novopharm limitée ».

 

 

  • [7] Par la suite, Ratiopharm a fusionné avec Teva Canada limitée (Teva).En août 2010, les avocats de Ratiopharm dans cette affaire ont avisé Pfizer de la fusion de Ratiopharm et Teva.Les avocats de Ratiopharm ont fait savoir à Pfizer [traduction] « qu’à la suite de la fusion, Ratiopharm Inc. exercera désormais ses activités commerciales sous la dénomination « Teva Canada limitée ».Les avocats de Ratiopharm ont demandé le consentement de Pfizer pour remplacer l’intitulé de la présente instance par « Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada limitée », et ont également demandé le consentement de Pfizer pour ajouter les avocats de Novopharm à l’ordonnance préventive en l’espèce au motif que ces derniers représentent également Teva Canada.

 

  • [8] Par conséquent, Ratiopharm et Novopharm exercent maintenant leurs activités commerciales sous le nom de Teva, et la stratégie d’instance concernant la présente procédure ainsi que l’instance Novopharm est menée par le directeur de la propriété intellectuelle de Teva.

 

Les questions en cause

  • [9] Ces faits nouveaux soulèvent un certain nombre de questions.D’abord, est-ce un abus de procédure par Teva d’avoir effectivement deux avis d’allégation qui sont pendants pour le même médicament?Ensuite, s’il s’agit d’un abus de procédure, est-il approprié de suspendre la présente instance et de rendre une ordonnance prorogeant la période de 24 mois prescrite par le Règlement pour une période indéfinie?

 

Discussion

  • [10] Selon Pfizer, étant donné qu’un fabricant de médicaments génériques ne peut détenir deux avis d’allégation pour ce qui est sensiblement le même médicament, la présente instance doit être suspendue en faveur de la « première » demande concernant le médicament.La « première » demande, selon l’argument ingénieux de Pfizer, est celle qui a été introduite par Novopharm.

  • [11] Pfizer fait valoir que comme la fusion de Ratiopharm et Teva a eu lieu après la fusion de Novopharm et Teva, la présente instance constitue donc la deuxième instance de Teva concernant le médicament prégabaline.D’un point de vue stratégique, Pfizer est d’avisque le fait de permettre à la présente instance de se poursuivre sur les mêmes questions et brevets porterait atteinte aux principes de l’économie judiciaire, de la cohérence, de la finalité et de l’intégrité de l’administration de la justice.Pris ensemble, tous ces facteurs équivalent à un abus de procédure qui appelle la suspension de la présente instance en faveur de l’instance Novopharm, quelque six mois après la tenue de l’audience de Ratiopharm.Par conséquent, la présentation de Pfizer n’entraîne aucun préjudice aux sociétés fusionnées Teva, à l’exception d’un délai supplémentaire de six mois.

 

  • [12] Pfizer fait également valoir que l’instance Novopharm étaye non seulement les mêmes allégations que celles formulées par Ratiopharm (l’absence de contrefaçon, l’invalidité, l’évidence, etc.), mais qu’elle ajoute l’allégation de divulgation insuffisante.Lors du contre-interrogatoire, l’avocat général de Teva a soutenu que l’avis d’allégation présenté par Novopharm était meilleur que celui présenté par Ratiopharm.Quoi qu’il en soit, cela ne constitue pas un facteur déterminant en l’espèce.Même si l’avis d’allégation présenté par Novopharm est peut-être mieux rédigé ou plus complet, si les deux portent sur des formulations différentes et des excipients différents, cela ne donne pas automatiquement lieu à la suspension de l’une des instances, et il n’y a aucune raison pour laquelle les deux ne peuvent pas se poursuivre.

 

  • [13] La présente instance est le résultat de l’exercice du droit de Ratiopharm d’accéder au marché avec sa version générique du médicament prégabaline.Novopharm a fait la même chose pour sa propre formulation.Leur fusion avec Teva a eu pour conséquence involontaire la participation de Teva à deux instances concernant ce médicament.Comme l’ont si bien dit les avocats de Pfizer, [traduction] « leur propriété commune est la conséquence heureuse, mais non intentionnelle d’un mariage commercial ».

  • [14] Toutefois, cela ne signifie pas nécessairement que la présente instance constitue un abus de procédure.Pfizer soutient que la doctrine de l’abus de procédure engage le pouvoir inhérent de la Cour d’empêcher que ses procédures soient utilisées d’une manière abusive qui aurait autrement pour effet de discréditer l’administration de la justice.Il ne fait aucun doute que la Cour a un tel pouvoir.La question consiste à savoir si les faits en l’espèce ainsi que le régime établi par le Règlement obligent la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire de suspendre la présente instance de façon définitive en faveur de l’instance Novopharm en se fondant sur la doctrine de l’abus de procédure.

 

  • [15] Pfizer invoque plusieurs affaires à l’appui de sa position selon laquelle la présente demande devrait être suspendue parce qu’elle constitue un abus de procédure.Premièrement, dans AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-Être social) (1997), 71 C.P.R. (3d) 129, on a demandé à la Cour de déclarer nul et sans effet un deuxième ou nouvel avis d’allégation remis par un fabricant de médicaments génériques ou à titre subsidiaire, ou de suspendre l’instance jusqu’au règlement définitif des procédures antérieures concernant un avis d’allégation remis par le même fabricant de médicaments génériques.La requête a été rejetée.On a soutenu qu'il n’y avait lieu de suspendre l’instance que si les critères habituels justifiant d’accorder une telle ordonnance se trouvaient réunis, et parce que l’avis d’allégation était un document qui avait déposé auprès du ministre, la Cour a estimé qu’il échappait à sa compétence de le déclarer nul et sans effet.Pour arriver à cette conclusion, la Cour a fait remarquer à la p. 137 :

Le Règlement n’indique pas si le fabricant de médicaments génériques qui veut comparer un médicament à un autre dont la vente au Canada est déjà autorisée par un avis de conformité peut donner plus d’un avis d’allégation. . . Le paragraphe 6(2) prévoit plus d’une allégation; sur demande présentée par la première personne, détentrice d’un avis de conformité, afin d’obtenir une ordonnance interdisant la délivrance d’un deuxième avis de conformité, il oblige la Cour à rendre « une ordonnance [...] à l’égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle conclut qu’aucune des allégations n’est fondée ».  Ce paragraphe ne précise pas, cependant, s’il est possible de signifier plus d’un avis d’allégation ou si, comme le prétendent les requérantes en l’espèce, toutes les allégations de la deuxième personne qui demande un avis de conformité, qu’il y ait une ou plusieurs allégations, doivent être faites en même temps, dans le même avis.

  • [16] Essentiellement, comme un avis d’allégation n’est pas un document soumis à la Cour, il ne peut donc être radié par celle-ci (voir aussi Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 58 C.P.R. (3d) 307 à la p. 209 (C.A.F.), le juge Stone).En l’espèce toutefois, la question ne se rapporte pas à un avis d’allégation en soi, mais à la suspension comme abus de procédure à l'égard d’un avis de demande d’interdiction dûment présenté sur la base d’un avis d’allégation qui avait été dûment signifié conformément au Règlement.

 

  • [17] Il existe des précédents qui établissent clairement qu’un deuxième avis d’allégation qui est pratiquement identique à un avis d’allégation précédent remis par le même fabricant de médicaments génériques dans une procédure antérieure pourrait être jugé comme un abus de procédure parce qu'elle constitue une utilisation inefficiente des ressources judiciaires, va à l’encontre de l’intégrité du système judiciaire et enfreint le principe de l’irrévocabilité des décisions (voir Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd (2007), 59 C.P.R. (4th) 416 (F.C.A.)).Dans cette affaire, l’instance a été rejetée au motif que l’innovateur n’avait pas eu gain de cause dans une procédure d’interdiction antérieure à l’encontre d’un fabricant de médicaments génériques différent sur la base d’une prédiction valable, qui est la même allégation formulée dans la présente instance, laquelle a été rejetée.La Cour d’appel fédérale a conclu que la deuxième demande de l’innovateur constituait un abus de procédure parce qu’elle entraînerait une utilisation inefficiente des ressources judiciaires, irait à l’encontre de l’intégrité du système judiciaire et enfreindrait le principe de l’irrévocabilité des décisions.La Cour d’appel fédérale a statué, à la p. 444, que :

Toutes les parties sont tenues de respecter la même norme : chacune est tenue de présenter tous ses arguments, ainsi que tous les éléments de preuve pertinents, en première instance.  Cela empêche l’innovateur de débattre à nouveau une question déjà tranchée dans une instance à laquelle il était partie, en s’appuyant sur des éléments de preuve additionnels qu’il avait décidé de ne pas produire à l’instance antérieure.  De la même façon, les fabricants de médicaments génériques doivent faire valoir à la première occasion la totalité de leurs arguments.  Les avis d’allégation multiples délivrés par le même fabricant au sujet d’un médicament particulier et alléguant l’invalidité d’un brevet particulier sont généralement interdits, même si l’on invoque des motifs d’invalidité différents dans chaque cas.  Cependant, dans le cas où un fabricant particulier a formulé une allégation, mais a omis de présenter les arguments requis pour montrer que l’allégation en question était justifiée, il serait injuste d’empêcher un fabricant ultérieur, disposant de meilleurs éléments de preuve ou d’un argument juridique plus valable, de l’introduire.  Cette situation peut donner lieu à un résultat contradictoire, mais cette préoccupation cède le pas au risque de faire preuve d’inéquité à l’endroit du fabricant à qui l’on interdit de faire valoir ses arguments juste parce que la démarche d’un autre fabricant était inadéquate.  Il est nécessaire dans chaque cas de mettre en équilibre l’effet d’une instance sur l’administration de la justice et l’inéquité que l’on cause à une partie en l’empêchant de faire valoir ses arguments. 

 

  • [18] Bien que l’affaire indique que la doctrine de l’abus de procédure peut être utilisée pour rejeter une demande, ce n’est qu’au motif qu’une demande antérieure a été rejetée pour des motifs essentiellement analogues à ceux en litige dans la deuxième instance.Ce n’est pas le cas en l’espèce.L’avis d’allégation signifié par Ratiopharm n’est pas, selon l’ordre chronologique, un « deuxième » avis d’allégation présenté par le même fabricant de médicaments génériques. De plus, il n’y a pas de décision qui a été rendue sur les mêmes allégations soulevées dans l’avis d’allégation de Ratiopharm.Les arguments soulevés par Pfizer au sujet de l’abus de procédure pourraient très bien avoir plus de chance de réussite dans l’instance Novopharm une fois qu’une décision aura été rendue dans la procédure de Ratiopharm.À mon avis toutefois, l’avis d’allégation présenté par Ratiopharm qui a donné lieu à la présente instance n'entre pas dans la catégorie de l’abus de procédure.

 

  • [19] L’argument de Pfizer, selon lequel le régime établi par le Règlement exige et encourage l’utilisation efficiente des ressources judiciaires et décourage les litiges répétitifs lorsque la Cour s’est déjà prononcée sur des allégations presque identiques dans des procédures antérieures, n’est pas contesté.En l’espèce toutefois, la Cour n’a pas encore tranché l’une ou l’autre des allégations soulevées dans l’avis d’allégation de Ratiopharm.

 

  • [20] La Cour d’appel fédérale a examiné plus à fond les doctrines de la préclusion et de l’abus de procédure dans le contexte du Règlement dans l’arrêt Pharmascience Inc. c. Le ministre de la Santé et Abbott Laboratories et al., 2007 CAF 140.Il s’agissait d’un appel interjeté contre une ordonnance rejetant une demande en vertu du Règlement en raison de la doctrine de préclusion.Le juge a conclu que Pharmascience ne pouvait tenter de plaider des questions additionnelles qu’elle avait omis de faire valoir dans le cadre du litige intervenu entre les mêmes parties et portant sur le même brevet.L’appel a été rejeté.Dans ses motifs, la Cour d’appel fédérale soulève ce qui suit :

Ce que le Règlement oblige notamment la seconde personne à établir, c’est que le brevet est invalide ou qu’il ne serait pas contrefait.  En d’autres mots, la « question » à trancher est celle de l’invalidité ou de l’absence de contrefaçon.  Les motifs particuliers au moyen desquels la seconde personne souhaite démontrer l’invalidité, que ce soit l’évidence, l’antériorité, la portée excessive ou encore l’absence de prédiction valable ne constituent pas des questions distinctes aux fins de la préclusion fondée sur une question déjà tranchée, ne constituant plutôt simplement que des façons différentes pour la seconde personne d’aborder la question de l’invalidité. On n’autorisera donc habituellement pas qu’un même fabricant de génétique présente de multiples avis d’allégation relativement à un médicament particulier en alléguant l’invalidité d’un brevet particulier, même si chaque avis porte sur des motifs différents d’invalidité.  Il peut toutefois y avoir exception à cette règle, comme les juges majoritaires l’ont mentionné dans P&G (paragraphe 22), dans les cas où la partie intéressée n’a pu découvrir des faits pertinents liés à la question, même en faisant preuve de diligence raisonnable, lors du premier litige.  Il ne s’agit pas d’une pareille exception en l’espèce. Pharmascience ne conteste pas qu’elle aurait pu soulever des motifs d’invalidité additionnels dans le premier avis d’allégation, mais soutient uniquement qu’il lui est permis de scinder ses prétentions en vertu du régime établi par règlement. [Je souligne] 

 

  • [21] La Cour d’appel fédérale n’était pas d’accord avec la position de Pharmascience et a conclu : [traduction] « on n’autorisera habituellement pas la présentation de multiples avis d’allégation où alléguée l’invalidité. ».La Cour a conclu que cette approche est conforme à la jurisprudence et a cité, entre autres, la juge Carolyn Layden-Stevenson (tel était son titre à l’époque) dans AB Hassle c. Apotex Inc. et al. (2005), 38 C.P.R. (4th) 216 (C.F.), confirmé par 2006 CAF aux paragraphes 73 et 76, où la juge Layden-Stevenson fait remarquer :

La règle générale, telle qu’énoncée dans le jugement P & G, précité, est qu’une partie à une instance ne peut soulever une question qu’elle pouvait ou aurait pu soulever dans une instance précédente entre les parties.  Quoique la forme de préclusion invoquée en l’espèce soit de moindre force, lorsque les conditions sont réunies, le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de refuser d’appliquer la préclusion. . .

 

. . .

 

Si je comprends bien, la jurisprudence permettrait de présenter un avis d’allégation subséquent lorsqu’un précédent avis d’allégation a dû être retiré parce qu’il n’était pas conforme aux exigences du Règlement ou lorsque le deuxième avis d’allégation est distinct du premier (parce qu’il concerne une formulation différente, par exemple) ou bien lorsqu’un vice de forme constaté à l’égard du premier avis a ouvert la porte à la présentation d’un nouvel avis. [Je souligne]

 

  • [22] Il semble donc évident que deux avis d’allégation pour le même médicament par le même fabricant de médicaments génériques ne donnent pas forcément lieu un abus de procédure.Par conséquent, je peux conclure des faits de la cause qu’il est évident que l’avis d’allégation de Ratiopharm et l’avis d’allégation de Novopharm sont indépendants et distincts et, comme il est allégué, que chacun repose sur des formulations et des excipients différents.De plus, ils se fondent sur des éléments de preuve différents.De toute évidence, lorsqu’ils ont été rédigés, ils étaient entièrement indépendants et distincts, et le fait que les sociétés aient fusionné ne change rien à cela.

 

  • [23] Par conséquent, en me fondant sur l’examen de tous ces précédents, des observations très utiles des avocats et de l’effet juridique d’une fusion, je suis d’avis que la présente demande ne constitue pas un abus de procédure et ne devrait pas être suspendue (même si elle pourrait l'être, comme nous le verrons ci-dessous).

 

 

 

 

La question de la fusion

  • [24] Les faits uniques en l’espèce soulèvent également une autre question concernant l’application de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) qui, à l’article 186, définit ainsi l’effet d’une fusion :

  À la date figurant sur le certificat de fusion :

  • (a) la fusion des sociétés en une seule et même société prend effet;

 

  • (b) les biens de chaque société appartiennent à la société issue de la fusion;

 

  • (c) la société issue de la fusion est responsable des obligations de chaque société;

 

  • (d) aucune atteinte n’est portée aux causes d’actions déjà nées;

 

  • (e) la société issue de la fusion remplace toute société fusionnante dans les poursuites civiles, pénales ou administratives engagées par ou contre celle-ci;

 

  • (f) toute décision, judiciaire ou quasi-judiciaire, rendue en faveur d’une société fusionnante ou contre elle est exécutoire à l’égard de la société issue de la fusion;

 

  • (g) les statuts de fusion et le certificat de fusion sont réputés être les statuts constitutifs et le certificat de constitution de la société issue de la fusion.

 

  • [25] Notamment, l’alinéa c) prévoit que « la société issue de la fusion remplace toute société fusionnante dans les poursuites civiles, pénales ou administratives engagées par ou contre celle-ci ».De plus, à l’alinéa d), « aucune atteinte n’est portée aux causes d’actions déjà nées ».

 

 

  • [26] Ratiopharm soutient qu’à la lumière des dispositions de l’article 186, la présente instance est autorisée par la loi à se poursuivre.La délivrance d’un avis d’allégation est une étape d’une procédure administrative qui met en cause la réglementation des médicaments et le processus par lequel les fabricants de médicaments génériques obtiennent l’avis de conformité obligatoire.

 

  • [27] Cette procédure avait débuté avant la fusion et, par conséquent, l’article 186 devrait s’appliquer pour permettre la poursuite de l’instance.Pfizer fait valoir que l’article 186 n’a pas pour objet d’éliminer le pouvoir discrétionnaire de la Cour de rejeter une instance pour abus de procédure lorsque les circonstances l’exigent.Bien que la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire de contrôler son processus et de suspendre ou de rejeter les actions qui le justifient, les circonstances doivent obliger à conclure que l’instance constitue un abus de procédure.Par conséquent, bien que l’article 186 n’écarte pas la compétence de la Cour de contrôler son propre processus en appliquant la doctrine de l’abus de procédure, il appuie la proposition selon laquelle l’avis d’allégation de Ratiopharm ne constitue pas un abus de procédure en vertu du régime établi par le Règlement.C’est donc un autre facteur qui a été pris en compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour de ne pas déclarer comme abus de procédure l’avis d’allégation de Ratiopharm, maintenant l’avis d’allégation de Teva, qui donne lieu à cette instance.

 

Suspension de la présente procédure

  • [28] Pfizer soutient que, s’il est établi que la présente instance constitue un abus de procédure, la Cour devrait la suspendre indéfiniment.Même s’il s’agissait d’un abus de procédure, il est douteux que l’instance puisse être suspendue en l’absence d’obligation réglementaire en ce sens.Le Règlement prévoit à l’alinéa 7(5)b) que la Cour peut proroger le délai de 24 mois prévu au paragraphe 7(1).Toutefois, le délai ne peut être prorogé que dans deux circonstances : 1) si les parties y consentent; ou 2) si la Cour conclut que l’une des parties n’a pas collaboré de façon raisonnable au règlement expéditif de l’instance.Aucune de ces circonstances ne s’applique ici.Les parties ne consentent pas à la prorogation, et elles ont collaboré afin de faire avancer le dossier.En effet, une date a été fixée, en mars 2011, et l’audience est imminente.Pfizer n’a pas pu, et n'aurait pu dans cette affaire qui fait l’objet d’une gestion de l’instance, présenter de preuve pour satisfaire à la deuxième partie de l’exigence législative.

 

  • [29] Il ne s’agit donc pas d’une instance où la Cour pourrait proroger le délai.Bien que la Cour ait la compétence inhérente de contrôler son propre processus, qui s’étend jusqu’à suspendre les procédures dans les cas appropriés, compte tenu de la mise en garde claire selon laquelle le délai ne peut être prorogé que pour deux motifs précis, il n’est pas certain qu’un tel recours puisse être accordé.Comme l’a souligné le juge Mackay dans l’arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé), précité, à la p. 134 :

À titre subsidiaire, les requérantes sollicitent une ordonnance suspendant l’instance jusqu’au règlement définitif des appels (A-394-96 et A-398-96) interjetés après la première série d’instances, et prorogeant le délai accordé au ministre par l’alinéa 7(1)e) du Règlement pour refuser de délivrer un avis de conformité d’une période égale à la durée de la suspension.  Même si la Cour était disposée à faire droit à une telle demande, il n’est pas certain que le paragraphe 7(5) s’appliquerait en l’espèce parce qu’il n’a été avancé aucune preuve établissant qu’une partie à la présente demande n’a pas collaboré de façon raisonnable au traitement expéditif de celle-ci, soit le motif prévu par le Règlement pour justifier la Cour d’accorder une prorogation. [Je souligne] 

 

  • [30] Ainsi, compte tenu des dispositions du Règlement, l’octroi d’un sursis est étroitement circonscrit.Pour utiliser l’approche du juge Mackay, même si la Cour devait conclure que la présente instance était fondée sur un avis d’allégation qui constitue un « deuxième » avis d’allégation par le même fabricant de médicaments génériques et concluait qu’elle soulevait des allégations essentiellement analogues fondées sur des formulations et des excipients essentiellement similaires, il est douteux que la Cour puisse proroger le sursis en l’absence d’éléments de preuve répondant aux exigences législatives du Règlement.

Conclusion

  • [31] Par conséquent, lorsqu’on examine toutes ces affaires et la séquence inhabituelle des événements qui ont donné lieu aux arguments en l’espèce, il faut rejeter la requête.La question des dépens n’a pas été examinée à l’audience.Par conséquent, si les parties ne parviennent pas à s’entendre au sujet des dépens, les requérantes doivent déposer leurs observations écrites (faisant au plus trois pages) dans les 15 jours, et les intimés doivent déposer leurs observations écrites (faisant au plus trois pages) dans les 10 jours suivants.

 

 


 

ORDONNANCE

 

  LA COUR ORDONNE :

 

  1. que la requête soit rejetée;

 

  1. que si les parties ne parviennent pas à s’entendre au sujet des dépens, les requérantes soient tenues de déposer leurs observations écrites (faisant au plus trois pages) dans les 15 jours suivant la date de la présente ordonnance, et les intimés soient tenues de signifier et déposer leurs observations écrites (faisant au plus trois pages) dans les 10 jours suivants.

 

 

« Kevin Aalto »

Juge responsable de la gestion de l’instance

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  T-1422-09

 

INTITULÉ :  PFIZER CANADA INC.,

WARNER-LAMBERT COMPANY et

WARNER-LAMBERT COMPANY LLC

c.

RATIOPHARM INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 8 NOVEMBRE 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  LE PROTONOTAIRE AALTO

 

DATE DES MOTIFS :  Le 20 JANVIER 2011

 

COMPARUTIONS :

 

M. Wilcox

Mme Peterson

 

POUR LES REQUÉRANTES

M. Aitken

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

TORYS LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES REQUÉRANTES

OSLER, HOSKIN & HARCOURT LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

 

Sous-procureur général du Canada

Myles J. Kirvan, c.r.

POUR LES INTIMÉS

 

 

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