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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110125

Dossier : T-1048-10

Référence : 2011 CF 85

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2011

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

 

GHOLAM GHAEDI

 

 

 

demandeur

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'un appel interjeté par Gholam Ghaedi en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi), à l’encontre de la décision du Bureau de la citoyenneté, dans laquelle on a rejeté sa demande de citoyenneté.

 

Le contexte

[2]               M. Ghaedi est entré au Canada en 2001 avec son épouse et leurs cinq enfants. La famille avait alors obtenu le statut de résident permanent. Les enfants de la famille Ghaedi ont depuis tous obtenu leur citoyenneté canadienne. 

 

[3]               Le 10 novembre 2005, M. Ghaedi a présenté une demande de citoyenneté. Il avait indiqué dans celle-ci avoir été absent du Canada 217 jours en tout durant les quatre années précédentes. Toutes les absences déclarées de M. Ghaedi étaient liées à des voyages faits à Dubaï et en Iran. Parce que cette déclaration n’était pas cohérente avec des renseignements enregistrés dans son passeport, M. Ghaedi fut contraint de remplir un Questionnaire sur la résidence et de se présenter à une entrevue de citoyenneté. C’est à ce moment-là que M. Ghaedi a déclaré des absences du Canada entre septembre 2001 et novembre 2005 qui totalisaient 701 jours, ce qui donnait lieu à un manque important pour l’atteinte du nombre de jours de résidence requis par la loi, soit un minimum de 1 095 jours. 

            La décision faisant l’objet du contrôle

[4]               Le Bureau de la citoyenneté a rejeté la demande de M. Ghaedi en se fondant sur le critère de présence strictement physique reconnu par la Cour dans Re Pourghasemi (1993), 62 F.T.R. 122, 19 Imm. L.R. (2d) 259 (C.F. 1re inst.). On n’a pas considéré l’application du critère plus souple communément appelé de la « résidence fonctionnelle », reconnu dans des affaires telles que Re Koo, [1993] 1 C.F. 286, 59 F.T.R. 27. Le demandeur allègue que, conformément à plusieurs décisions récentes de la Cour, cette approche à l’égard de la résidence constitue une erreur de droit susceptible de contrôle. 

 

La question en litige

[5]               Le Bureau de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en ne déterminant la résidence de M. Ghaedi qu’en fonction de la présence physique du demandeur au Canada durant les quatre années précédant sa demande?

 

Analyse

[6]               La question dont la Cour est saisie en est une de droit et doit donc être examinée selon la norme de la décision correcte : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Takla, 2009 CF 1120, 359 F.T.R. 248. 

 

[7]               La présente situation oblige la Cour à soulever de nouveau la question de la résidence au titre de l’alinéa 5(1)c) de la Loi et, plus spécifiquement, la question de savoir si la période de résidence exigée peut n’être déterminée qu’en fonction de la présence physique d’une personne au Canada pendant un minimum de 1 095 jours.

 

[8]               Il s’agit de trancher si la Cour devrait continuer à se conformer à la décision rendue dans Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),164 F.T.R. 177, [1999] A.C.F. n410, ou si elle devrait adopter les points de vue plus récents exposés par le juge Robert Mainville dans Takla, précitée. 

 

[9]               Dans Lam, précitée, le juge en chef Allan Lutfy a examiné les décisions contradictoires rendues par la Cour fédérale dans les vingt années précédentes, lesquelles décisions avaient reconnu trois critères de résidence différents au titre de la Loi, à savoir ceux établis par Re Koo, précitée; Re Pourghasemi, précitée; Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, 88 D.L.R. (3d) 243 (C.F. 1re inst.). Il avait souligné qu’en l’absence d’un droit d’appel à la Cour d’appel fédérale, il n’existait aucun mécanisme judiciaire par lequel on pouvait facilement démêler la jurisprudence contradictoire sur la question de savoir quel est le critère approprié. Il a dit espérer, cependant, que cette impasse serait résolue par des modifications législatives alors à l’étude. Il a conclu que, bien que la question de la résidence en est une « qui est proche de la décision correcte », il fallait faire preuve de retenue judiciaire lorsque la décision faisant l’objet d’un contrôle démontrait clairement que l’un des trois critères de résidence précédemment reconnus avait été correctement appliqué aux faits. Il ressort aussi de ses motifs que sa décision avait été influencée en partie par l’expectative que des changements législatifs viendraient promptement[1].

 

[10]           Malheureusement, les modifications législatives anticipées dans Lam, précitée, ne se sont jamais concrétisées. La décision s’est ainsi enracinée dans la jurisprudence de la Cour et le Bureau de la citoyenneté l’a suivie assez adéquatement. Cependant, la conséquence inévitable de l’absence d’un critère de résidence unique est que des cas de citoyenneté semblables peuvent aboutir à des décisions différentes en fonction duquel des critères de résidence reconnus a été appliqué. Bien que l’approche de Lam, précitée, puisse avoir, en grande partie, empêché le prolongement d’un débat sur la résidence au sein de la Cour, elle n’a pas mené à une plus grande certitude sur la manière dont la résidence devrait être déterminée au Bureau de la citoyenneté.

 

[11]           Le juge James O’Reilly a examiné la question dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nandre, 2003 CFPI 650, [2003] A.C.F. no 841. Il a jugé que, en accord avec l’orientation de la jurisprudence, lorsqu’un demandeur ne répond pas au nombre requis par la loi de 1 095 jours de présence physique au Canada, un seul critère unificateur de nature qualitative était nécessaire. Il a conclu son analyse avec la mise en garde suivante :

21        Par conséquent, je crois que le critère qualitatif exposé dans l'affaire Papadogiorgakis et précisé davantage dans l'affaire Koo devrait être appliqué lorsqu'un demandeur de citoyenneté ne répond pas au critère physique. J'ajouterais que je ne considère pas le critère qualitatif comme un critère facile à remplir. Il faudrait que les attaches d'une personne avec le Canada soient très étroites pour que ses absences soient considérées comme des périodes de résidence continue au Canada.

 

 

[12]           Dans Takla, précitée, le juge Mainville a tenté une fois de plus de dénouer l’impasse jurisprudentielle en plaidant pour une approche uniforme et judiciairement cohérente. Il a souligné que, des trois critères de résidence, l’approche qualitative de Re Koo, précitée, était, « et de loin, le critère dominant », et qu’elle devrait donc être le seul critère reconnu dans de tels cas. 

 

[13]           On a depuis fait référence à la décision Takla avec approbation dans Canada (Citoyenenté et Immigration) c. Elzubair, 2010 CF 298, ainsi que dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Salim, 2010 CF 975, et elle a été qualifiée d’ « approche prédominante » par le juge O’Reilly lorsqu’il réexamina la question dans Dedaj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 777 : voir aussi Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Alonso Cobos, 2010 CF 903; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Abou‑Zahra, 2010 CF 1073; Khan c. Canada (Citizenship and Immigration), 2009 FC 1178.

 

[14]           Bien que le défendeur ait cité quelques décisions récentes de la Cour fédérale dans lesquelles le raisonnement de Lam, précitée, avait été appliqué, il semble que ces décisions aient été rendues sans tenir compte de Nandre, précitée, ou de Takla, précitée, soit parce que ces précédents n’avaient pas été invoqués devant la Cour, soit qu’ils n’étaient pas essentiels aux dispositifs. 

 

[15]           L’avocate du défendeur allègue qu’à l’exception de Dedaj, précitée, le résultat de Takla, précitée, et des affaires subséquentes dépendait de l’application adéquate par le juge de la citoyenneté du critère de résidence établi par Re Koo, précitée. Toutes les discussions traitant du besoin d’un critère de résidence unifié constituaient donc des remarques incidentes. Malgré cette observation intéressante, je suis d’accord avec l’avocat de M. Ghaedi que les points de vue exprimés par les juges O’Reilly et Mainville sont convaincants et justifient un recul par rapport à celui qui est exposé dans Lam, précitée, ainsi que dans les affaires qui l’ont appliqué, ce qui comprend plusieurs de mes propres décisions. Je suis d’avis que les avantages d’une harmonisation l’approche quant à la résidence supplantent les préoccupations exprimées dans Lam, précitée, relativement au fait de s’en remettre au jugement du Bureau de la citoyenneté. La déférence n’est pas une valeur juridique qui supplante le besoin d’un processus décisionnel cohérent dont le résultat est prévisible. 

 

[16]           L’avocat de M. Ghaedi a avancé que j’étais lié par la décision Takla, précitée, ainsi que par les décisions plus récentes de mes collègues. Je ne suis pas d’accord pour dire que la présente question en est une à laquelle s’applique le principe de courtoisie entre juges. Nonobstant le point de vue de n’importe quel juge, il y aura toujours deux courants jurisprudentiels divergents sur cette question et d’autres seront à juste titre disposés à suivre Lam, précitée. Inutile de préciser que, si la Cour n’adopte pas un jour ou l’autre un point de vue uniforme sur cette question, il est peu probable que le Bureau de la citoyenneté le fasse, et que la seule manière de régler ce problème sera alors de nature législative. 

 

Conclusion

[17]           Pour ces motifs, la demande sera accueillie, et l’affaire sera renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour que celui-ci statue à nouveau sur le fond de l’affaire, conformément aux présents motifs. Compte tenu des présentes circonstances, je ne suis pas disposé à adjuger des dépens à M. Ghaedi.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour que celui-ci statue à nouveau sur le fond de l’affaire, conformément aux présents motifs.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1048-10

 

INTITULÉ :                                       GHAEDI c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 25 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Poulton

 

POUR LE DEMANDEUR

Leila Jawando

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ronald Poulton

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 



[1]     Aux paragraphes 32 et 33, le juge en chef Lutfy qualifie la situation de période de transition demandant une certaine stabilité judiciaire concernant la norme de contrôle. 

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