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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110121

Dossier : DES-5-08

Référence : 2011 CF 75

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2011

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR)

 

ET le dépôt d’un certificat à la Cour fédérale en vertu du paragraphe 77(1) de la LIPR

 

ET MOHAMED HARKAT

 

 

 

 

 

 

 

 MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               En rendant sa décision dans la présente affaire le 9 décembre 2010, la Cour a accordé aux parties un délai au cours duquel elles devaient proposer des questions de portée générale en vue de la certification (voir Harkat (Re), 2010 CF 1241, au paragraphe 551). La Cour a également sursis à sa décision, le temps d’examiner les questions à certifier. La Cour a aussi rendu l’ordonnance et les motifs de l’ordonnance au sujet de la question constitutionnelle (Harkat (Re), 2010 CF 1242), ainsi que l’ordonnance et les motifs de l’ordonnance au sujet de la requête relative à l’abus de procédure (Harkat (Re), 2010 CF 1243). Dans les deux cas, la Cour a aussi invité les parties à proposer des questions de portée générale en vue de la certification. Dans le présent jugement, la Cour traitera des questions de portée générale en vue de la certification pour que le dossier puisse être présenté à la Cour d’appel. De plus, dans ce jugement, la Cour statuera sur la raisonnabilité du certificat.

 

[2]               Un certain nombre de questions ont été proposées par les avocats publics de M. Harkat pour la certification. De plus, les avocats spéciaux ont aussi présenté de façon confidentielle des questions à certifier. Les avocats des ministres ont répondu aux deux ensembles de questions à certifier. Comme on le verra plus loin, il est essentiel que la Cour analyse en détail les questions proposées en vue de la certification, pour que toutes les parties, ainsi que le public, aient un aperçu de la nature des questions certifiées et sachent pourquoi un certain nombre des questions proposées ne sont pas adéquates pour la certification, alors que d’autres peuvent être certifiées.

 

Les questions proposées par les avocats publics de M. Harkat

[3]               Au départ, les avocats publics de M. Harkat ont proposé seize questions en vue de la certification. Il est essentiel de les reproduire intégralement et de préciser qu’elles étaient accompagnées d’arguments :

[traduction]

            1.         La Cour a-t-elle commis une erreur en concluant que les dispositions 77(2), 78, 83(1)c) à e), 83(1)h), 83(1)i), 85.4(2) et 85.5b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) ne violent pas l’article 7 de la Charte des droits et libertés (la Charte) pour autant que la Cour a conclu qu’elles établissent des normes permettant la tenue d’instructions équitables, qu’elles accordent à la personne visée le droit de connaître la preuve produite contre elle et d’y répondre et qu’elles font en sorte qu’il est possible pour la Cour de rendre une décision suffisamment éclairée fondée sur les faits et le droit?

 

            2.         La Cour a-t-elle commis une erreur en concluant, de façon subsidiaire aux conclusions reproduites à la question numéro un, que toute contravention à la Charte causée de façon inhérente par les articles contestés de la LIPR peut se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique et qu’elle peut donc se justifier au regard de l’article premier de la Charte, malgré le fait que les contraventions en question constituent une violation de l’article 7?

 

            3.         Le processus judiciaire en cause constitue-t-il une instruction équitable alors que la Cour a tiré des conclusions fondées sur des preuves ou des renseignements dont la personne visée n’avait pas eu connaissance?

 

            4.         La Cour a-t-elle commis une erreur dans la façon dont elle a défini le privilège générique au sujet des sources humaines; et l’analyse de la Cour quant à l’unique exception à ce privilège, soit que les avocats spéciaux doivent alors satisfaire à l’exigence du « besoin de connaître », qui ne constitue pas moins qu’un manquement flagrant à la justice fondamentale, constitue-t-elle une erreur de droit?

 

            5.         Le refus de la Cour de permettre aux avocats spéciaux d’interroger et, finalement, de contre-interroger les sources humaines à huis clos constitue-t-il une erreur de droit?

 

            6.         La Cour a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a tiré des conclusions de fait essentielles sur des questions qui remontaient loin dans le temps, alors que l’ensemble des renseignements dont disposait la Cour était dérivé de documents contradictoires tirés de sources accessibles au public? En particulier, par exemple, nous soutenons que la conclusion de fait de la Cour au sujet d’Ibn Khattab était déraisonnable et dangereuse et, par conséquent, n’était pas une conclusion que la Cour pouvait tirer en droit vu le dossier dont elle était saisie.

 

            7.         La Cour a-t-elle commis une erreur en scrutant la preuve de M. Harkat, en particulier compte tenu du fait que les renseignements et les preuves présentés par les ministres provenaient en grande partie de résumés ou d’ouï-dire, qui ne pouvaient pas être examinés de la même façon et avec la même minutie?

 

            8.         La Cour a-t-elle commis une erreur en examinant la vraisemblance, la cohérence et la logique de la preuve de M. Harkat en ne tenant pas suffisamment compte des différences et valeurs culturelles, des compétences linguistiques et du temps écoulé?

 

            9.         La Cour a-t-elle commis une erreur en n’appliquant pas l’« examen approfondi » comme norme de vérification à la preuve présentée par les ministres?

 

            10.       La Cour a-t-elle commis une erreur dans sa définition de terrorisme? En particulier, pour qu’il soit compris dans la définition de terrorisme, le soutien important doit-il comprendre tout soutien ou aide, ou doit-il être important dans le sens où il a été apporté sciemment pour aider ou encourager une activité terroriste, ou bien qu’il a été apporté pour la réalisation d’un objectif commun?

 

            11.       La Cour a-t-elle commis une erreur en concluant que l’alinéa 34(1)f) de la LIPR n’a pas d’exigence temporelle? En particulier, peut-on conclure qu’une personne est membre d’une organisation terroriste parce qu’elle a eu des liens avec une personne, ou qu’elle a aidé une personne, qui n’était pas un terroriste à l’époque ni auparavant, si cette personne ou cette organisation s’est engagé par la suite dans des activités terroristes?

 

            12.       L’alinéa 34(1)d) exige-t-il qu’il soit conclu qu’il existe un danger actuel pour la sécurité du Canada, y compris une menace identifiable grave et importante?

 

            13.       La Cour a-t-elle commis une erreur en concluant que la politique de destruction des documents originaux ne constitue pas une violation de  l’obligation de divulgation du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS)?

 

            14.       La Cour a-t-elle commis une erreur en se fondant sur les renseignements compris dans ce qui lui a été présenté comme étant des résumés de conversations, sans d’abord exiger la présence et le contre‑interrogatoire des parties qui ont procédé à l’enregistrement original et à la préparation du résumé de ces renseignements?

 

            15.       La Cour a-t-elle commis une erreur dans sa formulation du critère d’exclusion de la preuve, au sens du paragraphe 24(1) de la Charte, et, le cas échéant, la Cour a-t-elle commis une erreur en n’excluant pas les résumés des conversations?

 

16.              La Cour a-t-elle commis une erreur en concluant que les effets cumulatifs des violations de la Charte, du manquement à l’obligation de franchise et du passage du temps ne justifiaient pas une suspension de l’instance pouvant être accordée en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte?

 

[4]               Dans leurs observations supplémentaires, les avocats publics de M. Harkat ont présenté la question supplémentaire suivante en vue de la certification, qu’ils ont formulée après la divulgation des parties expurgées des notes de bas de page très secrètes de la décision Harkat (Re), 2010 CF 1241, ainsi que de l’annexe expurgée très secrète de la décision Harkat (Re), 2010 CF 1243 :

[traduction]

Les obligations de bonne foi la plus absolue et de franchise définies dans l’arrêt Ruby devraient-elles êtres élargies ou interprétées de façon à comprendre l’obligation de la part des ministres et du service [le SCRS] de mettre à jour les preuves ou les renseignements à mesure que l’instance évolue?

 

Les questions proposées par les avocats spéciaux en vue de la certification

[5]               Les avocats spéciaux ont présenté deux ensembles de questions très secrètes. Le premier ensemble de question porte sur la portée et la nature du privilège des sources humaines. Le deuxième ensemble porte sur l’obligation d’enquête du SCRS et la façon dont le SCRS s’en est acquitté dans la présente affaire. Pour des raisons de sécurité nationale, il n’est pas approprié pour la Cour de commenter plus en détail ces questions. Cependant, la Cour a tenu compte des questions des avocats spéciaux dans son analyse des questions à certifier, comme nous le verrons plus loin.

 

La réponse des ministres

[6]               Les ministres ont soutenu que les questions portant sur la constitutionalité du régime des certificats de sécurité de la LIPR devraient être certifiées, mais devraient être reformulées comme suit :

[traduction]

Les dispositions 77(2), 83(1)c) à e), 83(1)h), 83(1)i), 85.4(2) et 85.5b) de la LIPR violent-elles l’article 7 de la Charte des droits et libertés en privant la personne visée du droit à une instruction équitable? Le cas échéant, les dispositions sont-elles justifiées au regard de l’article premier?

 

 

[7]               Les ministres ont répondu à toutes les questions présentées. En général, ils ont soutenu que les questions proposées, sauf la question constitutionnelle, ne satisfaisaient pas aux critères de la certification, n’étaient pas liées à l’espèce, ne seraient pas déterminantes quant à l’issue de l’appel ou ne transcendaient pas l’intérêt des parties en l’espèce.

 

Le droit sur la certification des questions

[8]               Avant de préciser quelles questions devraient être certifiées en vue de l’instruction de la Cour d’appel fédérale, il est approprié d’analyser la façon dont la jurisprudence a défini ce qu’est une question appropriée en vue de la certification.

 

[9]               Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89, au paragraphe 11, la Cour d’appel fédérale a exprimé la question comme suit : existe‑t‑il une question grave de portée générale qui permettrait de régler l’appel? Par conséquent, il y a deux facteurs à examiner : 1) si la question est grave et de portée générale et 2) si la question permettrait de régler l’appel. Il a été conclu qu’une question grave est une question qui transcende l’intérêt immédiat des parties au litige et permet d’aborder des points qui ont « des conséquences importantes ou qui sont de portée générale » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage (1994), 176 N.R. 4 (C.A.F.), au paragraphe 4). Ces facteurs découlent non seulement de la jurisprudence, mais ils sont aussi formulés dans le libellé même de l’article 82.3 de la LIPR.

 

[10]           Comme « conséquence nécessaire » de ces facteurs, la Cour d’appel fédérale a déclaré dans l’arrêt Zazai, au paragraphe 12 :

Le corollaire de la proposition selon laquelle une question doit permettre de régler l'appel est qu'il doit s'agir d'une question qui a été soulevée et qui a été examinée dans la décision d'instance inférieure. Autrement, la certification de la question constitue en fait un renvoi à la Cour d’appel fédérale. Si une question se pose eu égard aux faits d'une affaire dont un juge qui a entendu la demande est saisi, il incombe au juge de l'examiner. Si la question ne se pose pas, ou si le juge décide qu'il n'est pas nécessaire d'examiner la question, il ne s'agit pas d'une question qu'il convient de certifier.

 

[11]           Comme la Cour d’appel fédérale l’a plus tard précisé dans l’arrêt Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, au paragraphe 29, une question grave de portée générale découle des questions en litige dans l’affaire et non des motifs du juge. Ainsi, le processus de la certification est différent de celui du processus d’appel « normal ».

 

[12]           De toute façon, la certification des questions est une étape importante, lors de laquelle la Cour doit examiner l’affaire qu’elle a tranchée, se détacher des détails de l’affaire et de la façon dont elle a évolué, afin de traiter correctement des questions qui sont tant déterminantes que de portée générale. Cependant, l’analyse de la Cour d’appel n’a pas à être restreinte par les questions certifiées et peut tenir compte de toutes les questions soulevées en appel (voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, et Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817).

 

[13]           Même si la Cour d’appel fédérale, ou même la Cour suprême, a beaucoup de latitude pour traiter des questions soulevées, la Cour n’agira pas de façon à simplement valider les questions à certifier proposées par les parties : une analyse plus poussée est nécessaire si le « mécanisme de contrôle », ainsi appelé dans l’arrêt Varela, au paragraphe 43, est pris au sérieux. Tel est le rôle de la Cour dans le traitement des questions certifiées. La Cour analysera maintenant chacune des questions proposées par les avocats publics et décidera si elles satisfont aux exigences de la certification. En résumé, la jurisprudence applicable est claire au sujet de ce qui ne peut pas être certifié comme question pour le processus d’appel :

-           Les questions qui ne sont pas de portée générale. Plus précisément, les questions qui ne transcendent pas l’intérêt des parties au litige.

 

-           Les questions qui ne sont pas déterminantes quant à l’issue de l’appel.

 

-           Les questions dont la Cour n’était pas saisie.

 

-           Les questions que la Cour a estimé qu’il n’était pas nécessaire de traiter.

 

Analyse

Les questions qui ne satisfont pas aux exigences de la certification

Question 5 – « Le refus de la Cour de permettre aux avocats spéciaux d’interroger et, finalement, de contre-interroger les sources humaines à huis clos constitue-t-il une erreur de droit? »

 

[14]           La question 5 découle d’un contexte factuel particulier, en raison de la publication de l’ordonnance et des motifs d’ordonnance de la Cour en octobre 2009 (Harkat (Re), 2009 CF 1050). Par lettre confidentielle à la Cour, les avocats spéciaux ont soulevé la question formulée à la question 5. La Cour a traité cette question pendant l’audience à huis clos. La portée de la demande des avocats spéciaux était plus limitée que celle de la question 5, comme le montrent les transcriptions des audiences à huis clos du 9 et du 10 novembre 2009.

 

[15]           Cette demande limitée des avocats spéciaux n’est pas déterminante de la totalité des questions en jeu et ne changerait pas les conclusions tirées. La crédibilité des sources humaines a été évaluée par la Cour (voir les notes de bas de page expurgées de Harkat (Re), 2010 CF 1241). Il a été conclu par tous les participants à l’audience à huis clos qu’une des sources était crédible. La Cour renvoie les avocats des ministres et les avocats spéciaux aux transcriptions des audiences à huis clos des 9 et 10 novembre 2009, ainsi qu’à l’annexe expurgée de Harkat (Re), 2010 CF 1243.

                                                                                                       

[16]           Comme on peut le voir dans le présent jugement, une question portant sur le privilège des sources humaines et sa portée est certifiée. De toute façon, la question 5 n’est pas déterminante quant à l’appel et ne traite pas de questions de portée générale.

 

Question 6 – « La Cour a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a tiré des conclusions de fait essentielles sur des questions qui remontaient loin dans le temps, alors que l’ensemble des renseignements dont disposait la Cour était dérivé de documents contradictoires tirés de sources accessibles au public? En particulier, par exemple, nous soutenons que la conclusion de fait de la Cour au sujet d’Ibn Khattab était déraisonnable et dangereuse et, par conséquent, n’était pas une conclusion que la Cour pouvait tirer en droit vu le dossier dont elle était saisie. »

 

[17]           Il n’y a aucun fondement sur lequel la question 6 pourrait être certifiée. Cette question n’a pas été présentée à la Cour. En bref, il est évident que les avocats publics contestent la façon dont une partie de la preuve, soit les documents tirés de sources accessibles au public, a été évaluée par la Cour. Comme la Cour l’a noté au paragraphe 74 de Harkat (Re), 2010 CF 1241, « Le processus public a été mené de manière à ce que M. Harkat soit en mesure, grâce aux témoignages d’experts, de produire ses propres documents de sources ouvertes. Ainsi, toutes préoccupations qu'auraient pu soulever les renseignements provenant de sources ouvertes sur lesquels se sont fondés les Ministres ont été neutralisées ». Comme la question découle du jugement, et non des questions en litige de l’affaire même, elle ne peut pas être certifiée.

 

[18]           La conclusion de la Cour au sujet d’Ibn Khattab était fondée sur la preuve dont la Cour était saisie, y compris des éléments présentés par les experts de M. Harkat. Aussi, sur le plan des faits, M. Harkat est arrivé au Canada au début d’octobre 1995, une période au cours de laquelle Ibn Khattab et Shamil Basayev étaient établis comme « co-commandeurs » en Tchétchénie. Le titre de « co‑commandeur » provient de l’expert de M. Harkat, M. Quiggin. Au cours de la période où M. Harkat tenait un lieu d’hébergement, c’est‑à‑dire pendant une bonne partie de 1995, Ibn Khattab était établi, ou à tous le moins il s’établissait, en Tchétchénie et coopérait avec Basayev, qui à cette époque avait commis des actes terroristes visant des civils en 1993, 1994 et 1995 (voir Harkat (Re), 2010 CF 1241, au paragraphe 381). Cette question est donc de nature factuelle et ne satisfait pas au critère de « portée générale » pour la certification.

 

Question 7 – « La Cour a-t-elle commis une erreur en scrutant la preuve de M. Harkat, en particulier compte tenu du fait que les renseignements et les preuves présentés par les ministres provenaient en grande partie de résumés ou d’ouï-dire, qui ne pouvaient pas être examinés de la même façon et avec la même minutie? »

 

Question 8 – « La Cour a-t-elle commis une erreur en examinant la vraisemblance, la cohérence et la logique de la preuve de M. Harkat en ne tenant pas suffisamment compte des différences et valeurs culturelles, des compétences linguistiques et du temps écoulé? »

 

Question 9 – « La Cour a-t-elle commis une erreur en n’appliquant pas l’« examen approfondi » comme norme de vérification à la preuve présentée par les ministres? »

 

[19]           Comme les avocats publics de M. Harkat l’ont noté, les questions 7 et 8 [traduction] « traitent de la procédure, du processus et du critère que la Cour doit appliquer lorsqu’elle examine la preuve d’une personne visée par une procédure de certificat de sécurité. De plus, elles traitent de la question de savoir si le processus suivi par la Cour en l’espèce, […], est fondamentalement injuste envers la personne visée » (Observations supplémentaires des avocats publics au sujet des questions à certifier, page 6, 17 janvier 2011). M. Harkat a présenté des observations suivant lesquelles ces questions portent essentiellement sur le processus et la procédure suivis à l’instance et sur leur équité. Ces questions peuvent être liées à la question constitutionnelle, qui sera certifiée dans le présent jugement.

 

[20]           De plus, les différences et les valeurs culturelles ainsi que les compétences linguistiques n’ont jamais été soulevées lors des audiences. Les avocats publics n’ont présenté aucune observation à ce sujet, ce qui montre que l’argument n’est pas fondé. De plus, le fait de présenter un argument aussi important pour justifier la certification d’une question, sans fondement adéquat, n’est simplement pas acceptable. Des questions aussi délicates doivent être traitées avec soin.

 

[21]           Quant à la question 9, les avocats publics ont présenté un extrait de l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9 (Charkaoui no 1) pour consolider leur  position. Cependant, l’extrait fait référence à l’état du droit avant les modifications à la LIPR et la création de la fonction d’avocat spécial. On peut dire que la Cour a traité de cette question dans Harkat (Re), 2010 CF 1242. Dans ce jugement, au paragraphe 129, la Cour a déclaré que « le rôle du juge a été élargi dans une certaine mesure, notamment en ce qui a trait à son obligation de veiller à ce que des résumés soient fournis tout au long de l’instance, à son pouvoir discrétionnaire d’exiger la tenue d’une audience à huis clos ainsi qu’à son rôle à l’égard de l’avocat spécial et du contrôle judiciaire des détentions et des conditions de détentions ». De plus, la question 9 fait référence à la norme de preuve exigée dans les instances en cause. Par conséquent, la question 9 peut être incorporée à la question constitutionnelle qui sera certifiée dans le présent jugement.

Question 10 – « La Cour a-t-elle commis une erreur dans sa définition de terrorisme? En particulier, pour qu’il soit compris dans la définition de terrorisme, le soutien important doit-il comprendre tout soutien ou aide, ou doit-il être important dans le sens où il a été apporté sciemment pour aider ou encourager une activité terroriste, ou bien qu’il a été apporté pour la réalisation d’un objectif commun? »

 

[22]           La définition de terrorisme sur laquelle la Cour s’est fondée a été établie par la jurisprudence. La deuxième partie de la question proposée n’est simplement pas fondée sur l’affaire même. Premièrement, la partie portant sur le soutien qui aurait été « apporté sciemment pour aider ou encourager une activité terroriste ou […] apporté dans un but commun » n’a jamais été présentée à l’audience. M. Harkat a simplement nié tout soutien important et a nié connaître les individus. On ne peut pas changer de tactique et introduire de nouveaux arguments sous le couvert d’une question à certifier.

 

Question 11 – « La Cour a-t-elle commis une erreur en concluant que l’alinéa 34(1)f) de la LIPR n’a pas d’exigence temporelle? En particulier, peut-on conclure qu’une personne est membre d’une organisation terroriste parce qu’elle a eu des liens avec une personne, ou qu’elle a aidé une personne, qui n’était pas un terroriste à l’époque ni auparavant, si cette personne ou cette organisation s’est engagé par la suite dans des activités terroristes? »

 

[23]           C’est très simple, les avocats publics ont mal interprété l’arrêt Gebreab c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CAF 274. Il est écrit très clairement au paragraphe 3 que « ce n’est pas requis pour pouvoir conclure à l’interdiction de territoire conformément à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR que les dates de l’adhésion d’un individu dans l’organisation correspondent aux dates auxquelles cette organisation a commis des actes de terrorisme ou d’un renversement par la force ». Par conséquent, cette question a déjà été certifiée et a déjà été tranchée il y a environ trois mois.

 

[24]           De plus, il n’y a aucun fondement factuel pour l’allégation selon laquelle [traduction] « l’association ou l’affiliation innocente » est une question déterminante : elle n’a pas été présentée à la Cour et M. Harkat n’a jamais reconnu s’être « innocemment » associé à Ibn Khattab ou aux autres individus décrits dans les motifs du jugement. La Cour renvoie aussi au paragraphe 18 des présents motifs pour les éléments de fait.

 

[25]           Par conséquent, la question n’a jamais été présentée à la Cour pendant l’instruction. Elle ne tient pas compte de la preuve et tente simplement de faire surgir une dissonance dans les conclusions de la Cour tirées en l’espèce et celles tirées dans Almrei (Re), 2010 CF 1263, tout en ne tenant pas compte des autres allégations, qui ont été jugées raisonnables, contre M. Harkat au sujet de son soutien envers des terroristes connus. Une fois de plus, la Cour a traité des conclusions divergentes entre Harkat (Re), 2010 CF 1241, et Almrei (Re), 2010 CF 1263, à ce sujet en faisant observer que des éléments de preuve supplémentaires avaient été présentés à la Cour (voir Harkat (Re), 2010 CF 1241, au paragraphe 410). Cette question ne doit pas être certifiée, parce qu’elle n’a pas été présentée à la Cour et qu’elle découle clairement des motifs du jugement et non de l’affaire en soi.

Question 12 – « L’alinéa 34(1)d) exige-t-il qu’il soit conclu qu’il existe un danger actuel pour la sécurité du Canada, y compris une menace identifiable grave et importante? »

 

[26]           La Cour a examiné la preuve et a conclu qu’un risque existe bel et bien, au paragraphe 545 de Harkat (Re), 2010 CF 1241, où la Cour a fait ressortir la preuve et a conclu que :

[…] sur la prépondérance des probabilités qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’il constitue un danger significatif pour la sécurité du Canada en raison de ses activités passées; ce danger existe toujours, mais il est beaucoup moindre aujourd’hui.

 

 

[27]           Par conséquent, la question ne découle pas de l’affaire, puisque la conclusion est claire et qu’elle est fondée sur la preuve dont la Cour était saisie.

Question 13 – « La Cour a-t-elle commis une erreur en concluant que la politique de destruction des documents originaux ne constitue pas une violation de  l’obligation de divulgation du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS)? »

 

[28]           En toute déférence, rien ne donne à penser que la Cour s’est éloignée de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38 (Charkaoui no 2), où les conclusions étaient claires : la destruction des documents originaux constituait bien une violation. Cette question ne tient pas compte du fait que de nombreuses divulgations ont eu lieu après le jugement de la Cour suprême. Elle ne tient pas non plus compte de la conclusion importante de la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui no2, où il a été expliqué clairement que le juge désigné avait la responsabilité de mesurer les répercussions que la destruction des notes originales pouvait avoir sur les droits de la personne visée (voir Charkaoui no 2, au paragraphe 77).

 

[29]           De toute façon, la proposition de questions pour la certification n’est pas la procédure appropriée pour remettre en litige des questions qui ont déjà été tranchées par la plus haute cour du pays.

Question 14 – « La Cour a-t-elle commis une erreur en se fondant sur les renseignements compris dans ce qui lui a été présenté comme étant des résumés de conversations, sans d’abord exiger la présence et le contre‑interrogatoire des parties qui ont procédé à l’enregistrement original et à la préparation du résumé de ces renseignements? »

 

[30]           Les avocats publics de M. Harkat soutiennent que [traduction] « chacune de ces questions porte sur l’évaluation du préjudice découlant de la destruction des documents originaux ». Par conséquent, les conclusions applicables à la question 13 s’appliquent aussi pour cette question. De plus, la Cour renvoie aux notes de bas de page expurgées de Harkat (Re), 2010 CF 1241, dans lesquelles il est évident que la Cour a obtenu des preuves au sujet de l’enregistrement et du résumé des renseignements. Bien que les avocats publics puissent ne pas souscrire à l’évaluation que la Cour a faite de cette preuve, il ne s’agit pas d’une question appropriée pour la certification, parce qu’elle ne transcende pas l’intérêt des parties à la présente affaire.

Question 15 – « La Cour a-t-elle commis une erreur dans sa formulation du critère d’exclusion de la preuve, au sens du paragraphe 24(2) de la Charte, et, le cas échéant, la Cour a-t-elle commis une erreur en n’excluant pas les résumés des conversations? »

 

[31]           Cette question est une importante question de droit, que la Cour a résolue après s’être penchée sur une jurisprudence considérable. La formulation d’un critère clair pour le recours prévu au paragraphe 24(1) est une question qui est bien établie en droit et qui n’est pas appropriée pour la certification. L’analyse de la Cour de cette question se fondait sur les observations des parties et ne s’éloignait pas du droit applicable. Dans sa totalité, la décision dans Harkat (Re), 2010 CF 1243, n’a pas mal interprété le critère approprié pour l’exclusion de la preuve au sens du paragraphe 24(1) de la Charte, comme les avocats de M. Harkat l’ont soutenu.

 

[32]           Par conséquent, la question proposée pour la certification traite de la façon dont la Cour a appliqué ce critère. Elle ne transcende pas l’intérêt immédiat des parties au litige. De plus, elle pourrait ne pas être déterminante quant à l’issue de l’appel. Par exemple, les résumés des entrevues avec les agents du SCRS avant l’instruction ont été déposés pour que la Cour les examine : les avocats de M. Harkat n’ont contesté qu’une facette limitée de ces résumés. Bien qu’on ait demandé l’exclusion de tous les résumés des conversations, M. Harkat a reconnu le contenu de certaines de ces conversations, y compris toutes les conversations portant sur sa fiancée et sur sa famille en Algérie. De plus, la Cour a conclu que tous ces résumés étaient fiables parce qu’ils étaient appuyés par la preuve qui avait été présentée. Cette approche était conforme à l’alinéa 83(1)h) de la LIPR.

 

[33]           En application de l’arrêt Charkaoui no 2, la Cour avait le rôle d’évaluer le préjudice causé par la destruction des notes d’opération et la fiabilité des résumés présentés. M. Harkat s’oppose à la façon dont cette évaluation a été effectuée, mais il est évident que cette question découle de la décision et non des faits importants de l’affaire.

Question 16 – « La Cour a-t-elle commis une erreur en concluant que les effets cumulatifs des violations de la Charte, du manquement à l’obligation de franchise et du passage du temps ne justifiaient pas une suspension de l’instance pouvant être accordée en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte? »

 

[34]           Cette question découle clairement de la décision et non des questions en litige de l’affaire. Bien que cette question puisse être déterminante quant à l’appel, il est évident qu’elle est fondée sur des faits et qu’elle ne transcende pas l’intérêt immédiat des parties au litige.

 

Question 17 – « Les obligations de bonne foi la plus absolue et de franchise définies dans l’arrêt Ruby devraient-elles êtres élargies ou interprétées de façon à comprendre l’obligation de la part des ministres et du service [le SCRS] de mettre à jour les preuves ou les renseignements à mesure que l’instance évolue? »

 

[35]           Les avocats spéciaux ont aussi présenté une question de portée semblable. Cependant, comme la Cour d’appel pourra examiner les versions non expurgées de l’annexe de la décision Harkat (Re), 2010 CF 1243, il est évident que la Cour ne conclue pas que cette question découle de l’instruction. Il s’agit d’une conclusion publique, même si les faits sous-jacents qui la justifient ne peuvent pas être divulgués pour des raisons de sécurité nationale. Par conséquent, comme la Cour ne juge pas nécessaire de traiter de cette question, la question n’est pas appropriée pour la certification. Une fois de plus, il s’agit de l’état du droit tel qu’établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Zazai, au paragraphe 12 : « Si une question se pose eu égard aux faits d'une affaire dont un juge qui a entendu la demande est saisi, il incombe au juge de l'examiner. Si la question ne se pose pas, ou si le juge décide qu'il n'est pas nécessaire d'examiner la question, il ne s'agit pas d'une question qu'il convient de certifier ». [Non souligné dans l’original.]

 

Les questions à certifier

Question 1 – « La Cour a-t-elle commis une erreur en concluant que les dispositions 77(2), 78, 83(1)c) à e), 83(1)h), 83(1)i), 85.4(2) et 85.5b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) ne violent pas l’article 7 de la Charte des droits et libertés (la Charte) pour autant que la Cour a conclu qu’elles établissent des normes permettant la tenue d’instructions équitables, qu’elles accordent à la personne visée le droit de connaître la preuve produite contre elle et d’y répondre et qu’elles font en sorte qu’il est possible pour la Cour de rendre une décision suffisamment éclairée fondée sur les faits et le droit? »

Question 2 – « La Cour a-t-elle commis une erreur en concluant, de façon subsidiaire aux conclusions reproduites à la question numéro un, que toute contravention à la Charte causée de façon inhérente par les articles contestés de la LIPR peut se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique et qu’elle peut donc se justifier au regard de l’article premier de la Charte, malgré le fait que les contraventions en question constituent une violation de l’article 7? »

Question 3 – « Le processus judiciaire en cause constitue-t-il une instruction équitable alors que la Cour a tiré des conclusions fondées sur des preuves ou des renseignements dont la personne visée n’avait pas eu connaissance? »

 

[36]           Évidemment, il s’agit de questions importantes de nature constitutionnelle. Aucune cour d’appel n’a rendu de jugement au sujet des modifications à la LIPR après l’arrêt Charkaoui no 1. Ces questions constitutionnelles transcendent manifestement l’intérêt des parties et pourraient être déterminantes quant à l’issue de l’appel.

 

[37]           Cependant, il n’est pas nécessaire que cette question soit certifiée de la façon dont les avocats publics de M. Harkat l’ont proposée. Cette question sera plutôt formulée selon la formulation habituelle des questions constitutionnelles dans le contexte de la Charte.

 

Question 4 – « La Cour a-t-elle commis une erreur dans la façon dont elle a défini le privilège générique au sujet des sources humaines; et l’analyse de la Cour quant à l’unique exception à ce privilège, soit que les avocats spéciaux doivent alors satisfaire à l’exigence du « besoin de connaître », qui ne constitue pas moins qu’un manquement flagrant à la justice fondamentale, constitue-t-elle une erreur de droit? »

 

[38]           Cette question découle des décisions de la Cour dans Harkat (Re), 2009 CF 204, Harkat (Re), 2009 CF 553 et Harkat (Re), 2009 CF 1050. Bien que l’article 82.3 de la LIPR prévoie que les décisions interlocutoires de la Cour ne sont pas susceptibles d’appel, la question est sans aucun doute liée à la question constitutionnelle en ce qu’elle traite de l’équité et des aspects de la justice fondamentale inhérents à la procédure. Les avocats spéciaux ont aussi présenté des observations à ce sujet. Par les présentes, la Cour accorde aux avocats spéciaux la permission de participer à un débat plus approfondi de la question, en application de l’alinéa 85.2c) de la LIPR.

 

[39]           Bien que la Cour soit réticente à déclarer que la question serait déterminante quant à l’issue de l’appel, puisque les dossiers complets des sources humaines ont été publiés, il s’agit en effet d’une question importante au sujet de laquelle les directives d’une cour d’appel sont nécessaires. De plus, l’issue de la question aura des répercussions sur la façon dont des cas semblables évolueront. Par conséquent, ces questions doivent être certifiées, une fois reformulées.

 

Conclusion

[40]           La Cour certifiera les deux questions reproduites ci-dessous. La présente analyse de toutes les questions proposées pour la certification n’est pas habituelle, car généralement, seules quelques questions importantes seront soulevées dans un cas d’immigration et souvent par consentement des parties. En l’espèce, il y avait beaucoup de questions proposées pour la certification et elles comportaient des questions portant sur les faits en l’espèce. Comme le « mécanisme de contrôle » de la Cour pour la certification des questions est clair, les présents motifs pourront aussi aider la Cour d’appel fédérale à évaluer quelles questions de droit, en plus des questions certifiées, devraient être traitées, conformément aux pouvoirs des cours d’appel, tels qu’établis dans les arrêts Baker, précité, et Pushpanathan, précité.


JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE :

1.                  Le certificat signé en application du paragraphe 77(1) contre Mohamed Harkat est raisonnable.

 

2.                  Les questions suivantes sont certifiées :

a.                   Les dispositions 77(2), 83(1)c) à e), 83(1)h), 83(1)i), 85.4(2) et 85.5b) de la LIPR violent-elles l’article 7 de la Charte des droits et libertés en privant la personne visée du droit à une instruction équitable? Le cas échéant, les dispositions sont-elles justifiées au regard de l’article premier?

b.                  Les sources humaines bénéficient-elles d’un privilège générique? Le cas échéant, quelle est la portée de ce privilège; et l’analyse de la Cour de l’exception, soit selon le « besoin de connaître » pour les avocats spéciaux, dans Harkat (Re), 2009 CF 204, était-elle une exception correcte à ce privilège?

 

3.                  En application de l’alinéa 85.2c) de la LIPR, les avocats spéciaux ont la permission de participer à la procédure au sujet de la question certifiée au point 2.b du présent jugement, c’est‑à‑dire la question au sujet du privilège des sources humaines.

 

 

« Simon Noël »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 

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